
Figure emblématique du black metal norvégien – et même au-delà – Ihsahn n’en est pas moins une personnalité à la fois complexe et réfléchie, comme l’atteste After, nouvel et troisième opus solo de l’ex-frontman d’Emperor. Une œuvre profonde et introspective.
C’est avec un ton empli de sérénité qu’Ihsahn nous a dévoilé les secrets de cet album clôturant la trilogie amorcée sur The Adversary. Il faut dire que l’ex-Emperor semble être parvenu à insuffler une véritable âme à ses albums et que ce troisième volet est d’ores et déjà considéré comme un de ses plus beaux chefs-d’œuvres. On comprend donc aisément, dans le ton de sa voix, cette sérénité, celle-là même qui suit le sentiment enivrant d’un grand accomplissement.
Cet entretien était aussi l’occasion de revenir sur son évolution musicale ainsi que sa vision de ce que représente pour lui le black metal.

After, le dernier album
Radio Metal : Le nom After sonne comme une rupture. Est-ce une façon pour toi d’annoncer que tu ne feras plus jamais un album de black metal pur et dur ou que tu ne te remettras jamais avec Emperor ? Qu’est-ce que tu sous-entends avec un tel titre ?
Ihsahn : Ce n’est pas quelque chose d’aussi concret que ça. Je vois mes trois premiers albums solos comme une trilogie. Les deux premiers, The Adversary et angL se ressemblent beaucoup. Ils sont tous les deux très conflictuels, directs et même contemporains d’une certaine manière. After contient, ,en revanche une perspective beaucoup plus contemplative. L’album développe un ambiance de désolation post-apocalyptique pour terminer la trilogie. A titre d’exemple, je me suis remis à traiter de paysages. D’un certain côté, c’est l’album le moins humain des trois. Cela dit, After a également une dimension personnelle. J’évoque la fin d’Emperor. Si la trilogie en elle-même n’a pas de messages particuliers, les deux albums précédents développaient un message très fort sur mon combat pour mon individualité. After est, au niveau des paroles, plus « décontracté ». Je me sens apaisé, relaxé, les choses me viennent plus naturellement et c’est cette atmosphère que je cherche à recréer en musique.
Tes trois albums solos commencent tous par un “A”, qu’est-ce que cela signifie ?Alors que je travaillais sur le premier album, j’ai décidé de faire une trilogie et c’est ainsi que l’idée m’est venue de lier les trois disques par la lettre A.
Du coup, le prochain commencera par un « B » ?Non, ça, c’est ce que ferait Morbid Angel (rires) !
Jørgen Munkeby joue du saxophone sur plusieurs des chansons d’After. L’usage de cet instrument est rare dans l’univers du metal. Comment t’es venu l’idée de t’en servir ? Est-ce que tu étais sûr que cela irai bien avec ta musique ?J’y pensais depuis plusieurs années. La seule explication, c’est que j’aime tout simplement le son du saxophone. Il s’en dégage une sensation de solitude. Je me suis dit que c’était le moment idéal et que cette sonorité collerait parfaitement au concept de l’album. Les disques précédents avaient des guest stars telles Garm (Arcturus) sur le premier et Mikael Akerfeld (Opeth) sur le second. Je voulais donc perpétrer la tradition de l’invité. Mais vu le concept d’After, l’ajout d’un chanteur aurait été hors de propos. J’espérais que le son du saxophone pourrait mettre en valeur le sentiment de solitude et de désolation de l’album. Même si j’avais déjà appliqué des samples d’instruments à cordes et de cuivre auparavant, c’était un gros risque. Le son de cet instrument est si particulier que ça aurait pu ne pas coller avec le metal. Au final, Jorgen a fait un travail fantastique, aussi bien avec les lignes que j’avais écrite au préalable que dans ses improvisations. Il était hors de question de se servir du saxo « juste pour se servir d’un saxo ». Je voulais que cet instrument se mêle au reste. Et je suis très content du résultat.
As-tu pour projet de faire appel à d’autres instruments tout aussi surprenants sur les prochains albums ?
En tout cas, ça m’est déjà arrivé. Lorsque je faisais partie du projet Hardingrock, nous utilisions un son de Harding Fiddle, un instrument national en Norvège, qui ressemble à un violon de huit cordes et qui a un son très spécifique. Mais là n’est pas la question. Je ne me suis pas servi du saxophone pour provoquer ou choquer, mais parce que je savais que ce son apporterait quelque chose.

« J’ai aussi peu d’affinités avec le jazz qu’avec le prog »
Leur position sur le disque est due au hasard. La mélodie est la même, mais les rythmiques changent. Elles reflètent les mouvements de la mer et l’idée était de faire entendre ce mouvement à l’auditeur. Les derniers mots prononcés sur l’album sont “These rocky shores are crafted by the pulse of the sea” (ndrl : ces côtes rocheuses sont modelées par les battements de la mer). Le lien entre ces deux titres, c’est cette thématique de la mer.
On peut décrire After comme un mélange de metal et de jazz. Quel est ton niveau d’affinité avec le jazz ?J’ai aussi peu d’affinités avec le jazz qu’avec le prog. Les gens me demandent tout le temps quelles sont mes influences progs et même si je connais des groupes comme Rush, King Crimson et Dream Theater, je ne considère pas faire partie de cette scène. Il n’a jamais été dans mon intention de faire une musique plus jazzy ou plus prog. Ma musique n’est que la résultante de ce que j’écoute et de mon envie de la rendre plus intéressante. La scène prog existe grâce à des musiciens rock qui ont voulu avoir une approche plus théorique de la musique. J’ai un peu la même démarche. Je ne veux pas créer une musique plus complexe ou plus technique gratuitement. Sinon, cela devient ennuyeux.
Je fais ça naturellement : cela fait plus de 20 ans que je joue de la guitare, je n’ai pas à me concentrer, à me forcer à trouver un groove. A tel point que j’ai l’impression de me répéter. C’est pourquoi, j’ai choisi, pour la première fois, de jouer de la guitare à 8 cordes sur cet album. C’est un challenge. On ne peut pas jouer de la même manière les accords de quinte ou les mélodies typiques du metal. Ce qui nécessite donc de s’écouter jouer et donc de mettre de côté son instinct.
La musique que tu écris maintenant est plus douce, subtile et progressive qu’au sein d’Emperor. Aurais-tu perdu ta colère avec le temps ?Non, pas du tout. Je pense que ma colère à pris une forme plus raffinée. Je pense que toutes les personnes, comme moi âgées de 34 ans ont une façon de voir les choses différente de celle que nous avions à 16 ans. Les images et les émotions qui m’ont inspiré pour le titre « On The Shores » sont semblables à celles qui m’ont inspiré « With Strenght I Burn » du second album d’Emperor (Anthems To The Welkin At Dusk). Je me sers toujours de cette colère. Les deux précédents albums d’Ihsahn contenaient d’ailleurs des paroles très agressives. Je me sers juste différemment de cette colère.
Comment expliques-tu le fait que la plupart des artistes qui jouaient du black metal durant les années 90 sont maintenant impliquées dans un style de musique avant-gardiste (Mayhem, Ulver, Arcturus…) ?Il ne faut pas oublier que la plupart de ces musiciens étaient alors adolescents. Personnellement, j’avais 16 ans quand j’ai commencé à jouer au sein d’Emperor. A cet âge-là, j’étais très intéressé par toutes les formes d’extrémisme musical. Toute personne qui explore vraiment le metal profondément et dans sa globalité finiront par se tourner vers la musique progressive. Le black metal a toujours été un style radical et les musiciens ont toujours eu une approche peu conventionnelle de la musique. Aujourd’hui, le black metal est devenu un genre comme les autres, traditionnel, défini. C’est exactement l’inverse de ce que je pense. Le black a pour moi toujours représenté la liberté musicale. Maintenant qu’il est codifié à ce point, le black metal n’est plus du black metal à mon sens.
Tu as fais ton premier concert en temps qu’artiste solo en 2009, comment les gens ont-ils réagit par rapport à ton nouveau répertoire ?C’était au-delà de mes attentes. Je pense que le répertoire a été bien reçu. C’était vraiment cool de faire une tournée avec les gars de Emperor en 2006 et en 2007, mais c’était aussi beaucoup plus facile vu que le public connaissait déjà Emperor et savait à quelles chansons s’attendre. Mon premier concert en solo était en première partie d’Opeth, devant un public complètement différent. C’était une expérience enthousiasmante.


« Aujourd’hui, le black metal est devenu un genre comme les autres, traditionnel, défini. C’est exactement l’inverse de ce que je pense. Le black a pour moi toujours représenté la liberté musicale. Maintenant qu’il est codifié à ce point, le black metal n’est plus du black metal à mon sens. »
Non. Mais je comprends que beaucoup de fans préfèrent Emperor à ce que je fais maintenant. C’est normal, parce que les gens ont tendance à préférer ce qui a été fait avant. Par exemple, quand j’écoute du metal, j’ai tendance à me mettre les vieux Iron Maiden et les Judas Priest, avec lesquels j’ai grandi. Et je me fous de ce qu’ils ont fait après. C’est un peu comme le débat entre le true black et le black qui n’est pas true. De façon à respecter mes fans, tout ce que je peux faire c’est de continuer à créer la meilleure musique possible. Si je voulais simplement faire plaisir au public en faisant la musique qu’ils ont envie d’écouter, ce serait me mettre au niveau de l’industrie musicale et d’artistes pop qui cherchent à satisfaire le plus grand public possible.
Est-ce qu’on peut s’attendre à une tournée de promotion d’After en 2010 ?Pas une tournée complète mais je vais jouer dans des festivals en Europe cet été.
Au début de la carrière de Emperor, vous avez choisi d’avoir des pseudonymes. Je devine que Samoth signifie Thomas à l’envers… Mais pourquoi Ihsahn ? D’où est-ce que ça vient et qu’est-ce ce que ça veut dire ?Je pense qu’il n’y a que trois personnes sur terre qui le savent et j’aimerais que cela reste ainsi. Rien de bien sérieux, mais bon, puisque j’ai réussi à garder le secret aussi longtemps, autant aller jusqu’au bout !
Et qui connait ce mystérieux secret ?Ma femme est l’une des personnes (rires) !
A tes débuts, même si vous n’étiez pas les musiciens les plus extrémistes qui soit, comment aurais-tu réagi si on t’avait dit qu’un jour, tu ferais un album avec du saxophone ?Je n’aurai pas été surpris, je pense. Je n’ai jamais essayé de trouver une formule précise pour écrire de la musique. Il a toujours été important pour moi de ressentir de l’excitation. Sans vouloir être arrogant, nous avons été les premiers avec Emperor à inclure une dimension symphonique. Quand on a fini In The Nightside Eclipse, je m’ennuyais déjà. Il est nécessaire pour moi d’explorer différents styles pour rendre l’écriture de la musique plus stimulante.
Dans une interview en 2006, tu as mentionné le fait que tu avais parlé avec Rob Halford au sujet de faire un album ensemble. Est-ce que c’est un projet que tu as toujours en tête ?Il m’arrive d’y penser de temps en temps. Depuis qu’on en a parlé avec Rob, il est de nouveau avec Judas Priest et l’idée c’est un peu dissipée avec le temps. Mais si jamais l’occasion ce présente, je sauterais sur l’opportunité ! Rob est un gars génial et c’est aussi un Dieu du Metal, alors qui louperait cette chance ?
Lars K. Norberg et Asgeir Mickelson, du groupe de metal technique Spiral Architect, jouent sur After. Est-ce que tu saurais si il y a une possibilité de come-back de Spiral Architect ? Comme ils sont très silencieux à ce sujet, peut-être que toi, tu pourrais nous en dire plus ?Il y a toujours des rumeurs sur le fait qu’ils sont en train de travailler sur quelque chose en ce moment, mais je suis désolé, je n’ai pas d’informations venant de l’intérieur. Mais si c’est le cas, vu la complexité de leur musique, ça prend du temps !
Est-ce que tu as déjà fait une interview dans laquelle le nom Emperor n’a pas été mentionné ?(Il éclate de rire) Probablement, mais c’est très rare !
Est-ce que ça t’énerve ?Pour être honnête, ça m’énervait à une époque, effectivement, mais maintenant je l’accepte. J’imagine qu’on ne peut pas y couper. Emperor est une entité qui vit toute seule à présent et il semblerait que je vis dans l’ombre de ma propre création musicale. C’est difficile de rivaliser avec le phénomène créé par Emperor et ça n’a rien à voir avec ma personne. Emperor devenu comme une marque que les gens reconnaîtront toujours. Contrairement à Ihsahn. Mais je m’en fiche en fait. Ce qui m’intéresse, c’est de faire ce que j’arrive à faire de mieux aujourd’hui. Même si oui, c’est énervant de toujours entendre parler de quelque chose que j’ai fait quand j’étais adolescent. D’un autre côté, ça fait vingt ans que j’ai une grande carrière grâce à ça : qui aurait pensé ça, venant d’un groupe de black metal ? (rires)
Entretien réalisé le 19 janvier 2010 par phoner
Site de IHSAHN : www.myspace.com/ihsahnmusic[/urlb]

Effectivement, itw intéressante qui, mine de rien, sort des standards.
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@ Amaury : Ben tient qu’elle est pas mal ct’interview ! Je persiste est signe au risque d’ébranler l’équilibre des pouvoirs de la rue Seb Gryphe.
Non mais sérieusement, voir des précurseurs arriver à recycler leur talent de composition dans un nouveau répertoire très bon et novateur, c’est personnellement ce qui me réjouit le plus en musique.
Donc je me me frotte les mains de découvrir ca d’autant plus que le son est assez exceptionnel de mon point de vue et je tenais le dire quitte à prendre le risque de faire exploser Spaceman!
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@Tib : Arrête…tu vas trop faire plaisir à Spaceman. Le mec est entré dans les studios tout à l’heure en disant :
« Franchement elle est pas mal cette itw d’Ihsahn… »
Tu vois la provocation ? Sur un ton genre « j’y touche pas »…le mec a déjà des troncs d’arbres à la place des chevilles faut arrêter !!!!!!!!
Que tous ceux qui étaient là au moment des faits lèvent le bras !!!
🙂
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Ave RM crew !
Je sors de l’oblivion après un petit moment d’absence mais ct’interview mérite d’être saluée ouaip!
Une petite gâterie à se mettre sous la dent et que dire de la musique … Merci pour la découverte! Je saurai garder une place de choix à Ihsahn dans ma discothèque.
Maintenant je suis très curieux de voir ca en live et pour plein de raisons.
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Album extraordinaire, au demeurant, ne serait-ce que pour son dernier titre « On The Shores » !
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Amaury, tu aurais pu approfondir cette musique si tu n’avais pas passé une journée passéiste à passer en boucle des morceaux que tu connais déjà par coeur ! Car pour échapper à tes T.A.T.U et autres Shakira, moi j’étais en train d’approfondir mon écoute d’After de Ihsahn.
Bref tout ça pour dire que c’est clairement toi qui mérites de passer à la casserolle et donc d’être de « corvée-Crusty ».
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Il l’a vraiment fait (j’étais témoin): Amaury a véritablement « balancé Metallo par-dessus la barrière de la mezzanine des studios ».
Par contre, je tiens à prévenir d’avance que toutes les plaintes de Metallo concernant une quelconque tournante après son atterrissage relèvent de la fiction.
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Ce Monsieur a des choses à dire et cette itw est très intéressante. De toute façon les morceaux que j’ai écouté sur RM sont tous très bons. Il faut, en conséquence, que j’approfondisse immédiatement cette musique. Mais uniquement après avoir balancé Metalo par-dessus la barrière de la mezzanine des studios dès maintenant.
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