Lorsque l’obscurité envahit tous les sens, il suffit d’une simple lueur pour rattraper les âmes perdues dans un monde qui leur est inconnu. Cette faible lumière brusque, diffuse et éphémère s’invite timidement dans le nouvel EP des Norvégiens d’Enslaved et tente de guider leurs fans au plus loin de cet univers étrange et mystérieux précédemment instauré par leur dernier album en date, Utgard (2020). Ainsi, avec Caravans To The Outer Worlds, les artistes dévoilent le récit du départ et de l’abandon de ce monde froid et hostile, à travers un voyage aux allures ésotériques, frôlant les orages cosmiques, s’écrasant parfois dans les miasmes environnants et succombant presque à ses diverses émanations putrides. Avec une discographie de la richesse de celle d’Enslaved, un tel EP s’inscrit davantage dans la continuité de la démarche musicale mystique et étrange d’un metal extrême progressif et expérimental déjà emboîtée.
Dès la première écoute, on comprend que la force de Caravans To The Outer Worlds réside principalement dans la manière de créer, chez son auditeur, l’illusion d’un monde pourtant sans image, d’un récit sans réel personnage, de provoquer l’adrénaline et de bousculer le sang-froid. Par des titres courts – à l’instar d’Utgard – et néanmoins fournis, Enslaved parvient à installer une atmosphère non seulement sombre, mais aussi aventureuse. En cela, dès le premier titre « Caravans To The Outer Worlds », les élans de guitares transportent dans une course effrénée entre l’ombre et la lumière, loin de ses carcans éreintants, et introduisent une quête de liberté intensive vers l’infiniment grand, à l’aide de tremolo picking sulfureux, tandis que la batterie suit de très près sa proie en percutant l’air. Puis toute la dimension progressive se dévoile et s’accentue davantage au fil de l’opus en ce que chaque temps d’urgence s’accompagne d’un temps d’apaisement, de doute, d’excitation, d’abandon ou de flottement. Ces instants de flottement s’identifient particulièrement dans un « Intermezzo I – Lonnlig. Gudlig » à la métrique saisissante et aux accords étouffés scandés en secousses, avant de doucement glisser vers une élévation aux sonorités synthétiques, s’imposant comme un arrêt contemplatif au beau milieu d’un paysage stellaire. S’ajoutent aussi des passages acoustiques accompagnant les différents modes de jeu de la partie vocale, alternant entre un growl ardent, un chant clair épanoui et émerveillé par l’immensité de l’infini et un chœur céleste grandiloquent.
De façon tout aussi frappante, le penchant ténébreux envahissant l’entièreté de l’œuvre joue un rôle de mise en garde et tend à vouloir freiner toute passion démesurée. En cela, l’ambiance tamisée qui se décline au fil des titres garde un certain fil rouge : une noirceur viscérale, perceptible par les sens plus que la raison. Ainsi, l’insertion de certains détails sonores démontre une véritable minutie et une maîtrise du groupe à transcender les esprits et à les insérer dans une mouvance organique et crue. À titre d’exemple, le morceau « Ruun II – The Epitaph » interpelle par ses effets de glissement gras et aqueux sur des cordes de guitare visqueuses et comme perlées de gravier. Cette frénésie des détails se retrouve aussi dans l’arrière-plan musical, lorsque, de manière à peine perceptible, des hurlements lointains résonnent (« Intermezzo I – Lonnlig. Gudlig »), lorsque est captée la folie d’un piano qui s’emporte aussi intensément que silencieusement (« Intermezzo II – The Navigator »), ou encore par les différents samples d’un vent violent qui souffle et se font écho de manière éparse dans tout l’EP.
Avec cette dernière sortie, Enslaved poursuit ses mythes et fait voyager son auditeur au-delà des frontières du connu, l’invitant par la même occasion à dépasser ses propres limites intellectuelles et oser le dépassement de soi, sans jamais cesser de craindre l’adversité autant que de s’en éprendre, et ainsi tenter de l’apprivoiser pour pouvoir la redécouvrir perpétuellement.
Clip vidéo de la chanson « Caravans To The Outer Worlds » :
Album Caravans To The Outer Worlds, sortie le 1er octobre 2021 via Nuclear Blast. Disponible à l’achat ici