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Metalanalyse   

Enslaved et son évolution lente et cadencée


Le rythme de croisière d’Enslaved est d’une impressionnante régularité et productivité. Le vaisseau-mère vogue depuis près de dix ans en remontant le courant du Black Metal nordique qui était le sien depuis le début des années 90 vers un metal extrême plus progressif, voire avant-gardiste, revendiquant l’influence des Pink Floyd, Rush, King Crimson et autres groupes progressifs, atmosphériques et psychédéliques des années 70. La sauce prend bien et le navire suit son petit bonhomme de chemin sans accrocs. RIITIIR , le nouvel opus du groupe, se devait-il de poursuivre dans la continuité de cette progression et avancer sans remous ou, a contrario, dévier brusquement afin d’éviter la lassitude d’un fleuve trop paisible ?

Indéniablement, Enslaved est une machine qui a trouvé une formule qui fonctionne et lui correspond à merveille. Se démarquant, depuis le changement de cap initié à partir de Monumension, de l’obscurité du Black Metal de ses contemporains, la bande de Grutle Kjellson vogue vers une destination qui lui est propre, en recherche d’un paganisme ancestral. Sa discographie fait étale de cette marche vers la perfection spirituelle, de cette quête. Depuis plus de dix ans la bande avance à travers les chemins de l’expérimentation, construisant pierre après pierre, un édifice somptueux en l’honneur de leur conviction.

A titre d’exemple, Below The Lights (2003) est une véritable démonstration de cette démarche authentique qui, depuis lors, est devenue la marque du groupe. Un album que le groupe lui-même qualifie de nouveau départ – même si Monumension en est l’étincelle. Isa (2004), désormais pièce majeure des Norvégiens, véritable « chef-d’œuvre » pour certains, marque tambour battant, l’ambition d’un groupe à l’inspiration effervescente. Le duo fondateur est devenu une machine en quête d’idéal. Quant à Ruun, datant de 2006, il peut se voir et se placer comme une mise à l’épreuve de cet idéal, accentuant le travail d’orchestration et d’arrangement. Travail qui passe aujourd’hui pour une des richesses d’Enslaved. Enslaved qui n’est jamais tombé dans la redite comme il ne s’est jamais contredit. La cohérence du groupe s’exprime une fois encore à travers Vertebrae (2008). Album qui, dans sa succession, apparaît cohérent mais qui, en soit, semble faire un rappel à Below The Lights comme pour démontrer que le groupe ne s’est pas égaré de sa sainte mission. Et c’est en toute logique qu’en découle Axioma Ethica Odini (2010), ou, par bien des égards, la synthèse des dix dernières années d’existence d’Enslaved.

Poursuivant à son allure quasi-métronomique, Enslaved présente aujourd’hui RIITIIR – mot fictif inventé par Ivar Bjørnson pour donner une allure nordique au terme « rituel ». De prime abord, le groupe ressort les ingrédients qui ont fait sa force ces dernières années et qui ont fait, en particulier, l’identité d’Axioma Ethica Odini. A cet égard, depuis Vertebrae, les Norvégiens semblent vouloir former, avec Axioma Ethica Odini et ce nouvel album, une sorte de trilogie officieuse, concluant une décennie. En conséquence, à l’instar du duo chant clair/chant saturé, la démarche sonne de manière très familière car très proche de ses prédécesseurs, donnant le sentiment d’un groupe se contentant de peaufiner – encore une fois – ce qu’il sait faire de mieux.

A ceci près qu’Enslaved, cette fois-ci, semble vouloir atténuer les marques d’agressivité au profit de la spiritualité. Même si la base est héritée de son prédécesseur, le son y est plus rond et chaleureux. Les compositions profitent davantage de tempos lancinants voire atmosphériques (« doom » noteront certains) que son prédécesseur, ouvrant la dynamique et offrant plus de respirations. Le chant clair y est plus prédominant encore, inversant quelque peu le rapport avec le chant guttural, tout comme les harmonies vocales qui confèrent à certaines compositions (« Thoughts Like Hammers », « Roots Of The Mountain ») un aspect quasi-religieux. De la sorte, certains titres apportent une dose hypnotique et l’album dans son ensemble accompagne l’auditeur dans une torpeur propice à la rêverie et à la contemplation, là où ses prédécesseurs invitaient encore à l’action. Ainsi, ce RIITIIR planant à souhait pourrait sans mal faire figure d’épilogue, à la croisée des chemin entre la fin paisible d’une histoire dont les tumultes sont majoritairement passés et le début d’une nouvelle qui se distingue à l’horizon. Car, quoi qu’il en soit, RIITIIR n’est pas exempt de surprises. La plus grande étant le travail vocal : outre le chant clair et les harmonies, Enslaved dévoile des voix graves incantatoires (« Death In The Eyes Of Dawn », « Forsaken » ou « RIITIIR »), des vocalises en fond sonore (« Thoughts Like Hammers ») ou un chant plaintif, à la limite du parlé, accompagné d’arpèges puis d’un vieux piano en clôture d’album. De plus, le groupe parvient à se renouveler en grande partie sur le choix des arrangements, toujours aussi riches tout en étant plus organiques dans leurs choix, surélevant le travail sur les ambiances qui traversent et caractérisent cet album en profondeur.

En considérant le rythme régulier et sans faille de sorties d’albums du groupe, on peut sans doute leur reprocher un processus de composition trop hâtif, là où une pause plus longue aurait permis de renouveler de manière plus drastique le capital créatif de la bande et aller plus loin dans les nouvelles idées. Car le fait qu’Enslaved dévoile tous les dix-huit mois un nouvel opus de sous son chapeau risque, en effet, de créer une accoutumance trop prononcée chez l’auditeur qui retrouve un groupe trop peu changé – un comble pour une formation qui revendique l’influence des ténors du rock progressif. Tout comme la lenteur générale de l’album et sa forte accroche mélodique peut donner l’illusion d’une certaine simplicité, voire d’une facilité à laquelle se serait laissé aller le groupe. Dans le fond, le constat n’est pas totalement erroné puisque, à aucun moment, malgré la richesse des textures sonores et la complexité des structures, Enslaved ne se met en danger par rapport à ce qu’il sait déjà faire et profite avec sagesse de l’adage selon lequel « Le meilleur est l’ennemi du bien. »

Enslaved poursuit sa douce évolution, sans cassure, accentuant certaines couleurs, peaufinant certains traits, mais en renouvelant si peu sa palette. Enslaved, c’est un peu comme le temps qui coule lentement du passé vers le futur sans qu’à un instant T nous ne remarquions que quoi que ce soit change. Ce n’est qu’en confrontant cet instant au passé, ou aux futurs possibles qu’il laisse entrevoir, que l’on se rend compte, à quel point les choses se métamorphosent. RIITIIR c’est cet instant T, tellement familier et pourtant, dans le fond, bel et bien différent de ce que le groupe a déjà proposé. RIITIIR est ainsi l’œuvre d’un groupe un peu plus mûr, terme à prendre au sens d' »adulte ». Et si, en définitive, cet album présageait de l’entrée d’Enslaved dans son troisième âge ?

Co-rédigé par Alastor et Spaceman.

RIITIIR, sortie le 1er octobre 2012 via Nuclear Blast.



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  • Ce n’est pas la première fois que j’entends cette remarque « des sorties trop rapprochées tuent la créativité ». Dans la plupart des cas c’est vrai, je suis d’accord.

    Mais certains groupes d’exception ont tellement d’idées qu’une sortie tous les 2 ans sont encore trop peu.

    Par exemple, et pour parler d’un des groupes cités dans la chronique, le Pink Floyd de la grande époque sortait un album par an entre 68 et 74, et pourtant chacun inspiré, identifiable dès la première note mais proposant un voyage différent à chaque fois.

    Enslaved n’est sans doute pas Pink Floyd, mais leur démarche est toujours évolutive, même si ce n’est que par touches subtiles, et on sent qu’ils ont encore des choses à exprimer. Ils ne font pas partie de cette cohorte de groupes qui trouvent la formule magique un jour et capitalisent sur cette formule sans chercher à la faire évoluer (Gojira, Anaal Nathrakh pour mes déceptions récentes).

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