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Interview   

Epica : l’Alpha et l’Omega du metal symphonique


La folie des grandeurs n’exclut pas qu’on puisse la maitriser et la nuancer. C’est un peu le constat auquel Epica est arrivé après un The Holographic Principle où tout était au maximum, au point où la chanteuse Simone Simons a fini par s’y sentir un peu perdue. Voilà pourquoi le combo hollandais revient cette année avec Omega, album qu’ils ont délibérément cherché à faire davantage respirer et à mieux adapter au contexte live, malgré l’ajout d’encore un élément supplémentaire sous la forme d’un chœur d’enfants.

Cette remise en question et ce résultat sont le fruit de la prise de recul que leur ont permise une pause bien méritée et l’écriture d’un autobiographie, mais aussi d’une nouvelle méthode de composition, plus collaborative, plus organique et moins numérique, le groupe s’étant retrouvé au complet dans une maison de campagne, accompagné du producteur Joost van den Broek. De quoi renouer des liens, aussi bien amicaux que musicaux, qui ont pu parfois être éprouvés par le rythme intense qui a été celui d’Epica depuis sa création il y a bientôt vingt ans.

Omega, c’est également une nouvelle réflexion philosophique basée sur la théorie du point Omega, aussi bien abordé en cosmologie que dans la religion catholique. Une thématique qui offre, de fait, matière à discussion et que l’on aborde dans le long entretien ci-après avec Simone Simons et Mark Jansen.

« Je voulais vraiment réinventer ma créativité et la laisser venir naturellement à moi, sans avoir toujours ces deadlines. Déjà avec The Holographic Principle, j’avais l’impression que ça devenait trop et qu’il fallait que je me force, ce qui n’est jamais bon pour le processus créatif. »

Radio Metal : A partir de mi-2018, Epica s’est mis en pause. C’était le tout premier vrai break que vous vous êtes accordé. Pensez-vous qu’il était temps à ce moment-là ?

Simone Simons (chant) : Oui. En gros, nous n’avons cessé de tourner depuis que nous avons commencé : tourner, composer, enregistrer et tourner, presque tout en même temps. Je suis devenu maman en 2013 et ça a aussi fait qu’il était plus difficile pour moi de voyager, d’être loin de ma famille. Je pense qu’il y a plein de groupes qui font des pauses de temps en temps, mais Epica ne l’a jamais fait, donc en effet il était temps. Nous l’avons fait pour ne pas tourner, mais nous avons quand même écrit notre biographie. Donc nous étions quand même en train de travailler, mais il n’y avait pas de pression du genre : « Il faut faire un nouvel album maintenant. » Nous avons fait une pause bien méritée.

Quelle est la chose la plus dure quand on fait partie d’un groupe aussi actif qu’Epica ?

Pour moi, évidemment, c’est d’être loin de mon fils et de mon mari [Oliver Palotai, claviériste de Kamelot]. Le truc, c’est que c’est aussi un musicien. Donc depuis que nous sommes devenus parents, il était à la maison quand je tournais et quand j’étais à la maison, il pouvait tourner. A cause de ça, nous ne nous sommes pas beaucoup vus durant les deux ou trois dernières années. C’est le bon côté de la situation avec le virus : on peut enfin profiter comme il faut de notre famille.

Mark Jansen (guitare & chant) : De façon générale, le plus dur c’est d’être souvent loin de chez soi. En soi, tourner c’est super. Evidemment, c’est parfois difficile, et se retrouver souvent dans des aéroports, ce n’est pas ce qu’il y a de plus amusant – en tout cas pour moi – surtout quand il y a des soucis d’annulation de vols. Ça peut être stressant et vraiment chiant de ne pas être sûr si on va arriver à temps à destination ou pas. Mais je pense qu’être loin de chez soi, de sa famille et de ses enfants – que je n’ai pas, mais les autres si – ou de ses animaux de compagnie, c’est parfois la chose la plus dure.

Simone, tu as mentionné votre biographie. Qu’est-ce qui vous a motivés à l’écrire maintenant, alors que le groupe n’a même pas encore franchi la barre des vingt ans ?

Simone : Ça ne nous avait pas empêchés à l’époque quand nous avons sorti The Road To Paradiso, notre tout premier livre ! Mais je crois vraiment que, même si nous n’avons pas encore atteint les vingt ans, c’est très spécial pour un groupe de metal d’être encore là après tout ce temps et d’être capable de vivre de sa musique. Nous avons vu que nos collègues d’Opeth et de Lacuna Coil travaillaient également sur un livre, donc nous nous sommes dit que ce serait le bon moment car nous n’étions pas en train de tourner. Nous avions du temps pour nous plonger dans nos archives. Voilà pourquoi nous l’avons fait. Et notre management a aimé l’idée – je ne sais même pas si l’idée ne venait pas d’eux, en fait. C’était beaucoup de travail, mais c’était aussi très amusant de se souvenir et de repenser à tout ce que nous avions déjà accompli. Certains membres du groupe ont une meilleure mémoire, donc ils avaient davantage de choses à dire. J’avais déjà oublié tellement de choses, car c’est un mode de vie assez frénétique. Tu reçois plein d’informations, plein de nouvelles choses se passent, tous les jours tu es dans un pays différent… Tu es sur une autre planète, pour ainsi dire, quand tu es en tournée. Epica fêtera bientôt son vingtième anniversaire. Peut-être que nous ferons quelque chose de spécial aussi, mais il faudra attendre d’être autorisé à tourner à nouveau. Ce serait un peu difficile pour nous de faire quelque chose de spécial pour l’instant.

Mark : Quand nous avons commencé à travailler sur le livre, c’était à un moment où nous étions… Nous avions tellement tourné que nous étions très fatigués. Nous avons donc commencé à travailler sur ce livre pile au moment où nous étions les plus fatigués, quand nous n’étions pas encore en pause. Je me souviens que nous racontions des histoires, et plus tard, quand ça faisait déjà trois mois que nous étions en pause, nous avons relu ces histoires et nous nous sommes dit : « Qu’est-ce qu’on a raconté ?! » [Rires] Nous avions répondu aux questions de l’interview de manière bien plus négative que nous le faisions trois mois plus tard. Alors nous avons réécrit tout le truc et nous avons recommencé à travailler dessus, car nous repensions aux choses à tête reposée. Nous avions retrouvé notre passion et notre amour pour le groupe. Car lorsque tu réponds à des interviews quand tu es fatigué et que tu as vraiment besoin de repos, tes propos sont complètement différents de lorsque tu as pu prendre un peu de recul et que tu estimes l’importance qu’a le groupe pour toi. Nous avons donc commencé à réécrire le livre avec un nouveau regard, et alors c’est devenu un livre complètement différent. Evidemment, nous avons aussi conservé certaines parties faites lorsque nous étions fatigués et nous les avons mélangées à notre positivité retrouvée. C’est ce qui est devenu le livre que nous avons sorti.

« Nous avons voulu faire un peu machine arrière sur la densité de la musique, sur les couches. Je veux dire que sur The Holographic Principle, ça devenait trop – trop plein, trop de tout. Pour moi, il y avait trop d’information. »

Cette biographie s’intitule The Essence Of Epica. Comment définiriez-vous l’essence de ce groupe ?

Simone : Je pense la combinaison des six membres du groupe qui contribuent tous à la composition crée la dynamique au sein d’Epica, ainsi que l’énergie d’Epica sur scène et dans la musique. Epica est un groupe de metal symphonique très vif et positif – un groupe de metal symphonique cinématographique avec plein de facettes. Nous avons le vrai son Epica, son essence, mais nous aimons intégrer de nouveaux éléments dans chaque album que nous faisons. Je suppose que les six membres du groupe travaillant tous sur la musique et sur la marque de fabrique font l’essence d’Epica.

Avec la pause, et vu que vous avez travaillé sur cette biographie, j’imagine que c’était un moment idéal pour réfléchir sur le groupe et son histoire. Qu’en avez-vous retiré ?

Pour ma part, beaucoup de choses, car j’ai grandi avec Epica. J’ai rejoint le groupe quand j’avais dix-sept ans. J’en ai maintenant trente-six, bientôt trente-sept, ce qui veut dire qu’Epica représente plus de la moitié de ma vie. Être dans le groupe est un peu ma normalité. Faire une pause par rapport aux tournées, c’est très sympa, mais ça me manque quand je ne tourne pas. J’ai réalisé que ce que nous avons fait est très spécial, même si c’était normal pour moi. Car quand on tourne souvent, on ne voit pas l’autre aspect, c’est-à-dire la routine dans laquelle sont de nombreuses familles. Avec l’arrivée de mon fils, ma vie s’est davantage structurée, mais j’adore vivre sur la route, et ce mode de vie me convient très bien. Ça me manque actuellement. Après la petite pause, nous étions censés repartir en tournée et tout, et puis tout s’est arrêté, ce qui prolonge notre congé sabbatique, pour ainsi dire. Maintenant, nous avons un album qui est prêt. Nous mourions d’envie de remonter sur scène déjà avant le coronavirus, mais maintenant c’est encore pire, car nous savons que ça va prendre un moment avant de remonter sur scène, vu que notre tournée européenne est de nouveau reportée. A l’origine, j’étais censée être en tournée actuellement. Quand j’écoute les nouvelles chansons, je ressens une envie irrépressible d’être sur scène et de chanter les chansons en concert, mais il faudra être patient.

Est-ce que cette pause et ce moment de réflexion ont changé ou façonné votre vision du futur de ce groupe et, au final, du nouvel album ?

Oui, j’ai apprécié la pause et aussi, je n’ai pas ressenti le besoin d’écrire un album tout de suite. Je voulais vraiment réinventer ma créativité et la laisser venir naturellement à moi, sans avoir toujours ces deadlines. Déjà avec The Holographic Principle, j’avais l’impression que ça devenait trop et qu’il fallait que je me force, ce qui n’est jamais bon pour le processus créatif. Après la pause, avec la composition et l’enregistrement du nouvel album, nous étions tous motivés et, de façon générale, nous nous amusions sans voir ça comme un travail ou quelque chose qu’il fallait que nous fassions. Nous voulions le faire. Pour moi, Epica a aussi été une thérapie – la nouvelle musique, mais aussi les anciennes musiques quand je les écoutais, et comme tu l’as dit, le fait de réfléchir à ce que nous avions accompli et de penser à ne pas aller sur scène en pilote automatique, mais en se faisant plaisir et en étant dans l’instant présent, une chose que j’ai toujours eu beaucoup de mal à faire. Je suis toujours en train de penser à ce que je dois faire ensuite. Mark et moi écrivons tous les deux les textes, et je me retrouve très bien dans ses paroles aussi. Je lui ai dit pendant notre pause que, de façon générale, j’appréciais nos chansons et nos textes. Je me sens plus que jamais connectée à ce groupe.

Mark : Je pense que cette pause que nous avons faite a vraiment rechargé nos batteries. Quand nous nous sommes retrouvés, nous étions très contents de nous revoir. Nous avons commencé à travailler de manière complètement différente par rapport à d’autres albums. Nous nous sommes même posés ensemble pendant une semaine pour travailler sur les chansons des uns et des autres, chose que nous n’avions pas faite depuis très longtemps de façon aussi intense. J’avais l’impression d’une renaissance du groupe. J’ai aussi le sentiment que sans ce break et ce moment de réflexion, nous aurions composé un album complètement différent. Là, nous savions quelles étaient les forces d’Epica et nous avons apporté une énergie renouvelée. Le résultat, c’est Omega. C’est la raison pour laquelle, selon moi, il sonne aussi frais. Sans cette pause, je suis certain que nous n’aurions pas fait un album qui atteint un tel niveau.

Afin de travailler sur le nouvel album, vous vous êtes rassemblés dans une villa dans la campagne hollandaise. Ça a commencé avec une semaine à renouer des liens, à passer du temps ensemble en tant qu’amis, et vous avez finalement décidé de rallonger ce séjour. C’était la première fois depuis des années que vous faisiez ça. Est-ce que ça vous avait manqué ?

Je crois que la dernière fois que nous nous sommes vraiment posés ensemble comme ça et que nous avons travaillé sur ce que chacun avait à proposer, c’était sur Consign To Oblivion – c’était il y a des années ! Evidemment, il nous arrivait de travailler par groupes de personnes, des fois plus, des fois moins, mais ce n’était jamais avec tout le groupe dans la même maison sur une longue période. Mais durant le temps où nous n’avons pas fait ça, ça ne nous manquait pas, car nous pensions que nous en bénéficions, mais là, ça a commencé à nous manquer et je suis très content que nous l’ayons fait.

« L’honnêteté est cruciale. Nous devons être brutalement honnêtes les uns avec les autres »

Simone : Il faut savoir aussi qu’il était tout simplement impossible de nous réunir entre nos plannings intensifs de tournée, car nous ne vivons pas à proximité les uns des autres. Nous vivons dans quatre pays différents, ce qui implique que nous devons encore voyager pour nous réunir. C’est la raison pour laquelle nous sommes passés sur de la composition numérique durant les dernières années, mais nous avons aussi découvert que ce n’était pas la bonne façon de faire. En tant que groupe, surtout si tout le monde compose des chansons, c’est bien mieux si tout le monde est là ensemble pour le processus créatif. Tu as des réactions immédiates et les chansons peuvent devenir totalement différentes si vous êtes tous ensemble à composer, plutôt que d’attendre le prochain e-mail avec les réponses ou les idées des autres membres. C’était clairement plus productif de cette façon et c’était très amusant de faire ça. Nous avions une très agréable maison avec plein de pièces, et tout le monde a installé son petit studio. Notre producteur Joost [van den Broek] était là. Il était assis dans le séjour et tout le monde se réunissait avec lui. Ensuite, le compositeur d’une chanson spécifique venait et nous travaillions sur les lignes de chants et nous enregistrions du chant démo. Le soir nous mangions tous ensemble, et il y avait de la musique qui provenait de tous les coins de la maison. C’était vraiment sympa. J’ai de tendres souvenirs de cette expérience. Ça fait déjà un an que nous étions là-bas. C’est fou. Maintenant l’album est prêt à sortir et… ouais, c’est dingue. Les chansons auraient sans doute été différentes si nous les avions faites comme nous les faisions avant, numériquement. Je trouve, à titre personnel, que c’est plus productif d’être là avec les gars, mais ça dépend aussi de l’humeur. Parfois, tu es dans un jour très créatif et parfois ça ne marche pas, mais alors si d’autres gars trouvent des idées, ça peut t’alimenter et déclencher ta productivité créative.

Mark : Nous aurions d’ailleurs continué encore plus longtemps si nous avions eu temps, mais nous nous sommes dit : « Recommençons cette expérience avec cinq jours de plus. Peut-être qu’après trois jours, ça ne nous plaira plus, et alors on sera coincés ensemble pendant encore une semaine ! » Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Après cinq jours, nous nous sommes dit que nous aurions pu rester encore plus longtemps. Je pense que nous réitèrerons l’expérience pour le prochain album, mais plus longtemps.

Vous avez encore été plus loin avec Omega, puisque vous avez non seulement enregistré avec un orchestre complet mais aussi, pour la toute première fois, un chœur d’enfants. On dirait qu’avec Epica, chaque nouvel album apporte toujours plus en étant plus orchestral, plus metal, plus grandiloquent. Y aura-t-il une limite ?

Simone : Je ne sais pas s’il y a une limite. Il y en a probablement une. Même si ça donne l’impression que nous avons fait plus pour cet album, nous avons en fait voulu faire un peu machine arrière sur la densité de la musique, sur les couches. Je veux dire que sur The Holographic Principle, ça devenait trop – trop plein, trop de tout. Pour moi, il y avait trop d’information. Nous avons tourné pour promouvoir les dix ans de Design Your Universe, qui est l’un de mes albums préférés. Nous avons enregistré des versions acoustiques de certaines chansons et nous sommes partis en tournée, nous avons fait quelques concerts, et j’ai dit à certains des gars : « J’aime beaucoup cet album ; j’aime son côté organique. J’ai envie de revenir un peu à ce type de son. » Je ne sais pas si les autres gars étaient d’accord. Enfin, je sais que certains d’entre eux aiment beaucoup cet album également. Donc Omega, même s’il y a l’orchestre, le chœur et le chœur d’enfants, et qu’il sonne vraiment épique, pour moi, il respire davantage. Il est plus organique que The Holographic Principe, et j’en suis contente. Il y a plus d’espace pour le chant en général et, à mon avis, c’est un album plus équilibré.

Mark : Je suis d’accord, nous avons atteint une limite avec The Holographic Principle. Quand je le réécoute, j’aime toujours chaque chanson séparément, mais j’ai du mal à écouter l’album du début à la fin, d’une traite, parce qu’il est très intense. C’est pour ça qu’avec Omega, nous avons voulu mettre en avant les guitares, parfois l’orchestre, mais tout n’est pas constamment au premier plan. Nous avons davantage choisi nos priorités. De même, je pense qu’en enregistrant tout l’orchestre à Prague, ça fait que ça sonne plus organique. Pour The Holographic Principle, nous avons fait venir au studio chaque élément séparément – l’ensemble de cordes, l’ensemble de bois, les percussions… Ils sont tous venus au studio par ensembles séparés, or je pense que ça sonne encore mieux quand on les fait jouer tous ensemble la musique. Soit on a des samples ou de vrais instruments en ensembles séparés, soit on les fait tous jouer dans un grand orchestre. Je préfère la seconde option, et c’est ce que nous avons fait sur Omega. Même si une personne dans l’orchestre fait parfois une petite erreur, c’est le charme d’un orchestre où les musiciens jouent tous ensemble. Dans la globalité, on n’entend pas l’erreur, mais ça créé un son plus ample. Au final, les imperfections de l’orchestre font que ça sonne mieux.

« Si la chanson est bonne, s’il y a une bonne structure et de bonnes mélodies, on peut la transformer en ce qu’on veut et même en faire une version house ! [Rires] »

As-tu éprouvé des difficultés par le passé pour trouver ta place, Simone, au milieu de toutes les couches musicales ?

Simone : Quand nous faisons des ballades, c’est là que ma voix peut briller le plus. J’aime beaucoup cet exercice. Sur The Holographic Principle je commençais un peu à avoir du mal à placer mes lignes de chant par-dessus une musique qui contenait déjà énormément de mélodie. Pour ce nouvel album, nous avons voulu donner un peu plus d’espace à la voix pour qu’elle puisse respirer et pour pouvoir créer les lignes de chant. Il a donc fallu que nous trouvions les lignes de chant beaucoup plus tôt durant le processus de composition, car avant, au moment où nous commencions à composer les lignes de chant, la musique était déjà très pleine et c’était dur d’ajouter encore une couche par-dessus tout ça. Avec cet album, nous avons voulu travailler plus sur les lignes vocales et leur donner un meilleur espace dans la musique. De même, une expérience qui m’a beaucoup servi était l’EP Attack On Titan que nous avons fait, car c’était un projet qui nous sortait un peu de notre zone de confort. Ce n’était pas du Epica typique. Même si j’ai déjà travaillé avec d’autres artistes auparavant, ce n’était jamais très éloigné de ma zone de confort. Or ces chansons-là étaient très rapides. Nous avons dû les adapter un petit peu à notre style, mais elles restaient démentiellement rapides. J’ai adoré travailler sur ces chansons et j’ai pu expérimenter un petit plus avec mon chant – plus qu’avec les morceaux d’Epica. Ça m’a donc donné plus d’expérience. C’était un nouvel apprentissage et j’ai aussi essayé d’en tirer profit dans les chansons d’Omega.

Penses-tu que l’expérience que vous avez vécue lors de la composition de l’album, le fait que vous étiez tous au même endroit et que tu pouvais directement donner ton avis, ça a aussi aidé à donner plus de place à ton chant ?

Oui. Quand j’étais là avec les gars, ils me faisaient écouter des démos des chansons et ils me demandaient : « Peux-tu chanter là-dessus ? Est-ce la bonne tonalité pour que tu puisses chanter et vraiment exceller avec ta voix ? » Enfin, j’ai une très large tessiture, mais il y a certains parties de cette tessiture où je peux vraiment envoyer beaucoup de puissance et c’est quelque chose sur lequel Joost voulait aussi vraiment mettre l’accent. Il était là : « Non, on veut que tu chantes cette mélodie dans ta zone de confort pour que tu puisses vraiment exceller. » Nous avons donc adapté certaines mélodies et tonalités afin que je puisse chanter au mieux de mes capacités et à la hauteur où je suis la puissante. En temps normal, quand je suis chez moi, je galère avec ça et ça prend énormément de temps. Là, tout était plus rapide parce que nous étions ensemble et que tout le monde donnait des idées en même temps. Oui, je suppose que ça a beaucoup aidé. Certains membres du groupe écrivent également des lignes vocales pour les chansons, mais ce ne sont pas des chanteurs. Ils pensent plus en termes de mélodies instrumentales, sans penser à la manière dont l’instrument humain fonctionne et à ce qu’on ressent. Donc parfois, ils proposaient des lignes vocales, j’essayais de les chanter et ils remarquaient que ça ne convenait pas à ma voix, donc il fallait trouver autre chose. C’est aussi quelque chose que nous avons fait quand nous étions tous posés ensemble au studio.

Vous avez déclaré que plus que jamais, vous songiez aux concerts en composant. Généralement, les chansons qui passent le mieux en live, d’autant plus dans les arènes et les stades, sont celles qui sont simples et efficaces et qui vont droit au but, or votre musique reste assez multicouches et complexe – en tout cas pas ce qu’on pourrait qualifier de « simple ». Comment avez-vous résolu cette équation ?

Mark : Oui, c’est toujours une équation difficile à résoudre ! Parfois, tu vas plus dans telle direction, et parfois, tu vas plus dans telle autre direction. Mais quand nous jouons lors d’un festival et que nous faisons des chansons plus complexes, nous remarquons que ce n’est pas le meilleur type de chanson à jouer face à des gens qui ne connaissent pas encore le groupe ou qui l’entendent pour la première fois. Nous avons donc pensé : « Concentrons-nous plus sur des chansons qui feront que, si on les joue à un festival pour la première fois ou face à des gens qui ne nous connaissent pas, ces derniers les apprécieront et passeront un bon moment. » Nous voulons un peu plus de ce type de chanson sur Omega. Je pense que la chanson « Freedom », le dernier single, quand nous la jouerons à un festival, les gens qui ne nous ont jamais entendus diront : « J’aime cette chanson ; c’est une bonne chanson pour headbanger ! » Il y a plusieurs chansons dans l’album avec lesquelles nous avons essayé de faire ça : « Freedom », « Seal Of Solomon », « Omega », « Abyss Of Time ». Evidemment, il faut encore les tester, et alors nous verrons si elles ont l’effet escompté ou pas. On ne peut vraiment le savoir qu’en jouant la chanson en concert. Donc on verra !

« Depuis que je suis enfant, je me demande ce qu’est exactement le sens de la vie, quel est son but. Toute ma vie a été marquée par cette quête. »

La dernière fois, on avait parlé de l’équilibre entre l’orchestre et le groupe de metal, et on peut ajouter à ça l’équilibre avec l’accroche qui est aussi un élément important. On dirait que tout dans Epica est une question d’équilibre. Comment travaillez-vous sur la recherche de cet équilibre entre tous ces aspects ? Est-ce un processus très intellectuel ou, au contraire, très instinctif ?

C’est un processus très instinctif, et c’est aussi ainsi que nous composons nos chansons. Au début, nous n’avons pas envie de trop nous parler. Nous avons juste une direction générale, par exemple le fait d’avoir des chansons qui passeront bien sur une scène de festival. En dehors de ça, nous ne nous parlons pas énormément, car nous nous disons : « Il faut juste le faire ; prendre les choses comme elles viennent, suivre notre intuition. » Alors, automatiquement, les bonnes choses remontent à la surface. Puis arrive le moment – le plus difficile – où il faut être parfaitement honnête avec soi-même et avec les autres, et sélectionner uniquement les toutes meilleures chansons. Ça peut être un processus douloureux, parce que si quelqu’un trouve que sa chanson est super et que les cinq autres ne la trouvent pas si super, ce n’est jamais une discussion très marrante. Mais c’est un aspect très important, car on n’a pas envie de laisser une chanson faiblarde sur l’album juste pour contenter quelqu’un. Nous passons donc toujours par ce processus, qui est très important, selon moi, pour faire que l’équilibre de l’album fonctionne bien. Il faut garder cette honnêteté. Le producteur, Joost, est quelqu’un de très honnête, et il sait qu’il doit l’être avec nous. Il est déjà honnête en temps normal, mais avec nous, il faut qu’il le soit encore plus. Car la seule chose qui compte pour nous, c’est de faire le meilleur album possible. Peu importe qui a écrit quelle chanson. La seule chose qui compte, c’est d’obtenir un album dont nous sommes extrêmement fiers une fois qu’il est terminé. Toutes les chansons que nous avons abandonnées en cours de route trouveront leur place dans le futur. Parfois nous les réécrivons complètement, ou parfois quelqu’un les utilisera pour autre chose. Une chanson n’est jamais perdue, mais l’honnêteté est cruciale. Nous devons être brutalement honnêtes les uns avec les autres : « Ce truc n’est pas suffisamment bon ; ce truc est extraordinaire. » Au final, ça engendre le meilleur album possible.

Quelle a été votre expérience avec l’enregistrement du chœur d’enfants, vu que c’était la première fois ?

Simone : Coen, notre claviériste, était là pour les enregistrements, avec Joost. Ils étaient dans une petite église dans une petite ville aux Pays-Bas. C’était sur sa liste de choses à faire avant de mourir. Les enfants de Coen ont chanté sur l’intro de The Holographic Principle, mais il avait toujours l’idée de travailler un jour avec un chœur d’enfants. Il a toujours été responsable de tous les enregistrements de chœurs depuis le début d’Epica. Nous adorons cette idée et je pense que ça apporté énormément de… Ça rend la musique plus spéciale. Il y a aussi un truc qui file la chair de poule dans les chœurs d’enfants. Si tu l’intègres aux bons moments, ça peut renforcer l’effet.

Mark : Les enfants ont un son unique. On ne peut pas le reproduire avec des adultes. Quoi qu’on essaye de faire, ils ne sonneront jamais comme un chœur d’enfants. Evidemment, quand on le fait pour la première fois, on ne sait pas à quoi s’attendre avec ces enfants, c’est-à-dire avec quel professionnalisme ils feront leur travail [rires], et bien sûr, ce sont des enfants, donc il faut les laisser jouer. Coen a dit que c’était un processus très joyeux et gratifiant, et que les enfants se sont éclatés à faire ça – ses deux enfants chantent eux-mêmes dans le chœur. Le résultat intégré à l’album sonne vraiment super, ça valait vraiment le coup. Le chœur apporte vraiment un plus au son de l’album.

Vous avez aussi des instruments ethniques dans l’album. Entre ça, l’orchestre et le groupe de metal, vous avez un vaste panel de cultures musicales représentées dans l’album, ainsi que de générations, si on prend en compte le chœur d’enfants. Votre but est-il de rendre votre musique universelle ou multiculturelle et multigénérationnelle ?

Oui, clairement. Il y a tellement de types de musiques dans le monde qui sont super, et tellement d’aspects culturels. Nous voyageons beaucoup, donc nous sommes en contact avec des cultures et des types de musiques différents. Quand nous sommes inspirés par une certaine musique, nous essayons de la mélanger à notre propre musique dont nous avons l’habitude. Ça contribue également à garder une certaine fraîcheur chaque fois. Donc quand il y a un instrument ou un type de musique qui, selon nous, pourrait convenir à Epica, nous l’utilisons. Au bout du compte, tout s’assemble et Simone chante dessus, le résultat finit toujours par sonner comme Epica. Si, peu importe ce que nous faisons, ça ne sonne pas comme Epica, nous pouvons toujours laisser tomber la chanson, mais nous voulons à chaque fois tenter l’expérience. L’expérimentation fait partie du plaisir du processus. Je pense que nous continuerons toujours à faire ça car c’est ce qui est le plus amusant.

Simone : Pour nous, il n’y a pas de limites à l’utilisation d’instruments ou aux expérimentations. Nous avons toujours eu une touche orientale dans notre musique, surtout au début d’Epica. Pour cet album, nous avons cinq compositeurs et ils ont tous un style différent. Coen est celui qui a composé « Code Of Life », et cette chanson fait appel à plein d’instruments différents. On y trouve également le chanteur de Myrath [Zaher Zorgati] qui chante avec moi ; nous faisons des gammes orientales, pour ainsi dire. Je suis une grande fan de ces instruments et de cette musique. Je ne me définis pas comme une métalleuse, j’aime juste la musique en général. Ce sont les mélodies et les instruments qui touchent notre âme, je pense. Il n’y a pas de règle, selon moi, on peut utiliser tous les instruments qu’on veut. Bien sûr, nous avons le son de base d’Epica produit par les six membres, le chœur et l’orchestre, mais au sein de ça, il y a plein de terrains de jeu pour expérimenter.

« [La crise sanitaire] m’a rendu encore plus émotive que d’habitude. Je pense que la prestation vocale en a bénéficié, car alors tu mets davantage d’intention dans ton chant. Je peux encore le ressentir quand j’écoute les chansons. »

Quelle est votre relation personnelle à la musique et la culture orientales ?

Mark : Personnellement, j’ai toujours été fasciné par les gammes de la musique arabe et la musique orientale – mais surtout la musique arabe. J’y trouve de très belles sensations atmosphériques. Bien sûr ce n’est pas le cas de toutes les musiques, car il y a aussi plein de musiques radiophoniques bas de gamme dans ce style, mais je trouve que la musique orientale traditionnelle est vraiment magnifique. D’où je viens, la musique orientale c’est juste de la musique de carnaval, et ça c’est le type de musique que je n’aime pas du tout, mais quand j’écoute de beaux morceaux orientaux en provenance de Turquie ou des régions arabes, ça me procure toujours des sensations fortes. Depuis toujours, dès que j’en ai l’occasion, j’intègre ça dans une chanson d’Epica. Coen, qui a écrit « Code Of Life », aime aussi composer dans ces gammes.

Simone : Je suis allée en Egypte quand j’avais seize ans. J’ai toujours trouvé que la culture égyptienne ancienne était super intéressante. Je suis aussi une très grande fan des films de Disney, donc le film Le Prince d’Egypte, ou même un film comme Gladiator, pour lequel Hans Zimmer et Lisa Gerrard… Je ne dirais pas que c’est oriental à proprement parler, mais ça m’a clairement influencée pour le chant plus atmosphérique. J’utilise aussi plus de gammes arabes dans « Death Of A Dream » sur The Divine Conspiracy. J’aime ça. Je ne sais pas, il y a tellement d’émotion qui se dégage de ce style de chant. Si on l’utilise correctement, j’imagine ! [Rires] Si tu l’utilises trop, ça peut amener à une overdose, mais si c’est bien utilisé, je pense que ça peut véritablement élever la musique. J’adore. J’ai vraiment adoré la performance vocale de la chanteuse israélienne Ofra Hazza – elle n’est malheureusement plus de ce monde – dans Le Prince d’Egypte. Je suis tombée amoureuse de la musique, des mélodies, des voix et des instruments. Je n’écoute pas forcément un seul style de musique.

Es-tu autodidacte en matière de chant oriental ? Car c’est assez différent de ce dont on a l’habitude ici.

Oui, je suis autodidacte. Je n’ai jamais eu de coaching. Je fais ce que mon émotion me dicte de faire. Pour « Code Of Life », j’ai chanté plusieurs fois par-dessus l’intro, et ensuite Joost, le producteur, a récupéré les parties qu’il pensait convenir le mieux. Puis, avec le chanteur de Myrath, nous avons trouvé cette combinaison. Mon fils est un grand fan de cette chanson. C’est sa chanson préférée. Il l’appelle toujours « la chanson égyptienne » ; il veut écouter la « chanson égyptienne » [petits rires].

L’album comprend un disque bonus intitulé Omegacoustic. Etait-ce une façon pour vous de prendre le contrepied de l’album, qui est très arrangé, et montrer qu’au final, les chansons ne doivent pas forcément se reposer sur ces arrangements et ces énormes sons pour être valables ?

Nous avons commencé à faire ça avec The Quantum Enigma. Nous avons fait des versions acoustiques des chansons. Nous avons toujours des ballades que nous avons expérimentées en version acoustique. Avec The Qauntum Enigma, nous avons voulu utiliser des chansons qui n’étaient pas à cent pour cent des chansons acoustiques ou qui ne semblaient pas, de prime abord, être faites pour ça. Ça n’a pas d’importance, tant que la chanson a une bonne structure, on peut la transformer en n’importe quel style. Nous aimons faire ça, c’est très amusant. Certains aiment en faire des caisses et utiliser tous les instruments à leur disposition [rires]. J’imagine que c’est une affaire de goût. Pour ma part, je m’amuse beaucoup à chanter les chansons dans différents styles. C’est comme prendre la chose et l’habiller autrement. Pour l’édition des dix ans de Design Your Universe, nous avons également pris cinq chansons. L’une de mes préférées est « Martyr Of The Free World ». La chanson originale est super heavy et contient du growl, mais la version acoustique est une ballade très intimiste. Je trouve que c’est sympa à faire. Si la chanson est bonne, s’il y a une bonne structure et de bonnes mélodies, on peut la transformer en ce qu’on veut et même en faire une version house ! [Rires] Pas que nous ayons prévu de le faire !

L’album a été enregistré en pleine pandémie. Comment était votre expérience à réaliser un album dans un tel contexte, surtout en ayant fait appel à l’Orchestre philharmonique de Prague, au chœur d’enfants et même à tous les musiciens qui jouent des instruments ethniques ? Comment vous êtes-vous adaptés aux contraintes causées par la pandémie ?

Mark : Nous avons été extrêmement chanceux que les règles aient été mises en place juste après que nous ayons enregistré les chœurs et l’orchestre. A peine une semaine après, il y avait le confinement et les restrictions, et les gens ne pouvaient plus enregistrer dans la même pièce. Nous avons donc eu beaucoup de chance d’avoir fini les enregistrements des parties essentielles. Les deux seules choses qui nous restaient à enregistrer étaient mon chant et celui de Simone, parce que nous ne pouvions plus voyager pour nous rendre au studio. Heureusement, j’avais achevé de construire mon home studio juste avant, donc j’avais la chance de pouvoir enregistrer chez moi en Sicile. Simone a trouvé un studio à Stuttgart, près de chez elle, où elle pouvait enregistrer avec un producteur. Notre producteur était à distance avec une connexion internet. Malheureusement, je ne pouvais pas être là quand nous avons enregistré les versions acoustiques des chansons. J’étais connecté par internet avec les gars qui enregistraient tout. J’ai fait des arrangements acoustiques pour une chanson, et c’est tout. Ensuite, il a fallu que je leur fasse confiance pour enregistrer tout comme il faut, mais ils sont tellement professionnels que je n’étais pas inquiet. La pandémie implique des restrictions et il faut gérer la situation. De même, pour le futur, il faudra voir la tournure que ça va prendre et continuer de faire avec.

Simone : Nous avons été confrontés à des défis, mais nous avons fait l’album au final, et je suis très contente de la manière dont il sonne et que nous soyons parvenus à l’enregistrer. J’imagine que la période durant laquelle nous avons composé et enregistré l’album était… Nous l’avons composé avant le coronavirus, mais les enregistrements ont été faits pendant la crise, ce qui lui donne un double sens, d’une certaine manière, car le futur de la musique est très incertain. Tu es là dans un studio, en train d’enregistrer ton chant, et tu ne sais pas ce qui va se passer. A ce moment-là, je ne me doutais pas du tout que ça allait prendre autant de temps et que ça affecterait à ce point le monde entier et les musiciens, les artistes, et tous ceux qui sont impliqués dans l’industrie artistique partout. Ça m’a rendue encore plus émotive que d’habitude. Je pense que la prestation vocale en a bénéficié, car alors tu mets davantage d’intention dans ton chant. Je peux encore le ressentir quand j’écoute les chansons.

« [Les gens] ont l’impression d’être des victimes des circonstances alors qu’ils ne sont pas obligés. En fait, tout est une question de choix. »

Ça a dû être étrange d’enregistrer seule, avec le producteur Joost van den Broek qui t’écoute par Skype…

En fait, ce n’était pas si différent, car si j’avais été aux Pays-Bas – en temps normal, nous serions tous allés dans le même studio aux Pays-Bas –, j’aurais aussi été dans une cabine de chant et j’aurais entendu sa voix à travers le casque. C’était la même chose cette fois, sauf qu’il était sur un iPad dans la pièce, dans ma cabine de chant, et il me donnait des conseils ou me disait quand je devais faire une autre prise. Mais c’était sympa d’aller au bureau le matin, pour ainsi dire, et ensuite, dans l’après-midi, retourner à la maison. Je n’ai jamais connu cette manière de travailler dans l’industrie musicale. Généralement, je passais deux semaines aux Pays-Bas et j’étais seule à l’hôtel. Alors que là, je pouvais être avec ma famille. Mais c’était un période bizarre pour enregistrer du chant. Parfois j’avais un peu de mal parce que tout me paraissait incertain. J’ai essayé d’aller aux Pays-Bas, mais j’ai décidé deux ou trois jours avant que c’était… L’endroit où se situait le studio était un genre de zone sensible pour le coronavirus, et ça ne semblait pas être une bonne idée. C’était au début de la pandémie. Après environ un mois, nous avons donc cherché un studio alternatif. Je me suis tout de suite sentie à l’aise. C’est un super studio. Il est sympa et très proche de chez moi, donc je pouvais apporter mon déjeuner au travail. Je chantais deux ou trois heures et je retournais à la maison. Nous avions un planning très détendu, car c’est plus fatigant pour moi d’enregistrer du chant quand je suis aussi à la maison, car alors je suis aussi une mère, je fais le ménage, je me lève très tôt pour m’occuper de mon fils. Si j’avais été aux Pays-Bas, j’aurais pris ma soirée pour aller au restaurant, me prendre à manger ou faire autre chose. Enregistrer du chant, c’est extrêmement intense pour le corps. On a vraiment besoin de se reposer après. Mais nous avons fait en sorte que ça marche et je suis contente du résultat final. Je suis super fière de cet album et j’ai hâte que tout le monde l’entende.

Ceci est le troisième album que vous produisez avec Joost van den Broek. Vous avez déclaré que vous n’avez jamais été aussi organisés qu’avec lui. Pensez-vous qu’une session bien organisée a un impact direct sur la musique et que ça produit un meilleur album ?

Mark : Ce que j’aime beaucoup à ce sujet, c’est que ça élimine tout stress. Quand tu sais qu’il y a un gars qui s’occupe de l’emploi du temps, qui s’assure que chaque objectif soit atteint et que chaque programme soit mené à bien comme il faut, tu n’as plus à t’inquiéter de quoi que ce soit. Par le passé, il y avait toujours des retards et du stress inutile. Avec Joost van den Broek, tu es assuré que le planning qu’il met en place fonctionnera. D’une manière ou d’une autre, il fait en sorte que ça se déroule comme prévu.

Le titre de l’album, Omega, fait référence à théorie du Point Omega, qui est que tout dans l’univers est destiné à converger vers un point final d’unification. Comme, sur le plan cosmologique, tout vient d’un point unifié initial – le Big Bang – il y a aussi cette idée cyclique – avec le Big Crunch. Comment lies-tu cette théorie et les choses plus simplement humaines que vous abordez dans l’album, telles que les relations, les épreuves, les combats contre la dépression et l’anxiété, etc. ?

Tout d’abord, il faut que je réagisse à ce concept de Big Bang. J’ai trouvé fascinant qu’il existe une théorie disant que tout vient d’un point, puis s’étire, et que tout est aussi destiné à retourner à un point d’unification. C’est comme un grand cercle ou une spirale, suivant comment on voit ça. De toutes façons, tout dans la vie est un cercle : on naît, on meurt, la Lune tourne autour de la Terre, la Terre tourne autour du Soleil, il y a les saisons… Tout décrit un cercle, donc pourquoi l’univers lui-même ne serait pas aussi un cercle, qui commence à un point et retourne à ce point ? Je trouve ça fascinant. Depuis que je suis enfant, je me demande ce qu’est exactement le sens de la vie, quel est son but. Toute ma vie a été marquée par cette quête. Tu cherches des réponses, et chaque réponse que tu trouves soulève d’autres questions. Donc pour en arriver à la seconde partie de la question, comment on gère l’anxiété, la dépression et la vie en général, pour ma part, je vois la vie comme un défi, et il y a deux manières de réagir aux choses mauvaises, tristes ou négatives qui nous arrivent. On peut voir ça négativement, ce qui est triste est triste, évidemment, mais on peut s’appesantir sur la tristesse et devenir une personne cynique ou négative, ou alors on peut transformer ça en quelque chose de positif et à un moment donné laisser la tristesse derrière soi, ou même s’en servir pour grandir et devenir quelque chose de plus beau. Je pense que l’on a tous le choix par rapport à ce qu’on veut en faire. La chanson « Freedom » parle de ça. On a deux loups en nous ; un loup représente la colère, la tristesse et des émotions négatives, et c’est celui qui nous alimente le plus. C’est nous qui décidons de quel loup on se nourrit le plus et qui devient le plus dominant. On le voit se produire tout autour de nous. On n’est pas des victimes des circonstances, on est en fait aux commandes de nos circonstances – si on fait le choix de l’être. On voit des gens qui sont aux commandes, et on en voit qui ne sont pas aux commandes et qui vont de contretemps en contretemps. Ils ont l’impression d’être des victimes des circonstances alors qu’ils ne sont pas obligés. En fait, tout est une question de choix.

Simone : Il s’agit aussi de faire en sorte que tout soit en équilibre et ne fasse qu’un, d’unir tout ce qui nous compose en tant que personnes, le bon et le mauvais. Un grand sujet dans l’album est aussi la lumière et l’obscurité, l’équilibre entre les deux, et le fait qu’on a besoin des deux. Tout le monde traverse les mêmes épreuves. Tout le monde a des hauts et des bas, et on recherche tous le développement spirituel et personnel. D’une certaine façon, on ne fait tous qu’un. On a tous les mêmes problèmes et on va tous dans la même direction. On porte tous de la lumière et de l’obscurité en nous. Il y a les deux aspects : le point de vue scientifique et le point de vue personnel. On a besoin d’un peu des deux. La série des « Kingdom Of Heaven » a commencé avec l’idée que la science et la spiritualité avaient besoin de fonctionner en tandem. Avec le Point Omega, tout se remet en place. C’est comme quand on traverse des choses dans la vie, parfois il faut vivre des moments difficiles pour apprécier de nouveau les bonnes choses. Ce sont des fluctuations de lumière et d’obscurité, de bon et de mauvais. On a besoin des deux ; on a besoin de la science mais on a aussi besoin de la spiritualité.

« Notre cerveau est là pour nous permettre de vivre dans le monde tel qu’on le connaît, mais il peut aussi être une limite. Le cerveau traduit les informations entrantes dans un langage compréhensible pour nous, mais il nous empêche également de voir les choses par-delà cette réalité. »

Derrière cette idée que tout forme un cercle, il y a aussi l’idée de la réincarnation. Croyez-vous en la réincarnation ? Pensez-vous avoir déjà vécu des vies passées ou même en avez-vous eu des preuves ?

Mark : Je n’ai pas de preuve, mais je crois sincèrement aux vies passées. Je parle à énormément de gens dans ma vie parce que je suis très ouvert d’esprit concernant ce genre d’étude, ainsi que sur les expériences de mort imminente. Je ne crois pas que ce soit simplement causé par le cerveau. Pour moi, c’est la conscience, et non le cerveau, qui est fondamentale dans l’univers. Notre cerveau est là pour nous permettre de vivre dans le monde tel qu’on le connaît, mais il peut aussi être une limite. Le cerveau traduit les informations entrantes dans un langage compréhensible pour nous, mais il nous empêche également de voir les choses par-delà cette réalité ; on ne les voit pas à cause du corps dans lequel on est prisonniers, d’une certaine façon. Les gens qui vivent des expériences de mort imminente, vivent ce que ça fait d’être hors de notre corps et font l’expérience d’un niveau de réalité complètement différent et d’une dimension différente dont ils n’avaient pas conscience avant – une dimension qui semble plus vraie que la dimension dans laquelle on vit au quotidien. Je trouve ça vraiment fascinant. C’est aussi la raison pour laquelle la réincarnation est hautement possible, le fait qu’on passe par plusieurs étapes de vies nouvelles. A la fin, peut-être qu’on a suffisamment appris pour ne plus avoir besoin de ces vies, et alors on devient autre chose. Je ne sais pas. C’est quelque chose qui dépasse mon entendement, parce que j’ai le même cerveau que tout le monde, qui est assez limité, mais je crois clairement à ce genre de chose, oui.

Simone : En fait, moi je crois plus aux énergies. Pas que l’on renaisse forcément dans une nouvelle forme de vie, mais l’énergie reste. J’espère qu’il n’y aura rien après ma mort et que je ne resterai pas coincée dans un genre de purgatoire, mais je crois vraiment à l’énergie qu’on a en nous en tant qu’êtres vivants et aussi aux énergies restantes des gens qui sont décédés. J’ai un haut niveau de sensibilité et je peux très fortement ressentir les énergies des gens. C’est pareil pour l’un des membres du groupe et nous en parlons. Mark est également très spirituel, mais il lit plus d’articles exposant des faits et il fait des recherches, alors que pour moi, c’est juste un feeling. Je ne crois pas en Dieu, mais je crois en la nature et aux énergies. C’est quelque chose que je choisis de croire. Je crois aussi qu’il n’y a pas de coïncidence. C’est un peu ce qui me guide dans ma vie.

Il se trouve que la théorie du Point Omega provient initialement du prête jésuite Pierre Teilhard de Chardin, et il y avait déjà été fait allusion dans Le Livre de la Révélation, où Dieu dit être l’Alpha et l’Omega. C’est donc un concept très religieux. Généralement, les groupes de metal sont très antireligieux, mais pensez-vous que même quand on est athée ou agnostique, il y a des choses à apprendre et à retirer de la religion, que tout n’est pas à jeter comme de nombreux metalleux le pensent ?

Mark : C’est une très bonne question. Je vois la religion et les croyances spirituelles comme étant des choses différentes. La religion est devenue des Eglises, et je pense que ce n’est pas vraiment censé être comme ça. Il y a plein de pensées spirituelles dans la religion en tant que telle, et l’homme l’a transformée en un genre de business. Si tu prends l’Eglise catholique, ils ont transformé ça en business model et c’est la raison pour laquelle plein de gens l’ont rejetée parce qu’ils ne veulent en rien avoir affaire avec ça – un gars qui te dit quoi faire, et il faut vivre comme ci, et il ne faut pas vivre comme ça, sinon tu seras condamné et finiras en enfer. Plein de gens n’ont pas envie d’adhérer à ce genre de doctrine accusatoire. Mais je pense que si on s’intéresse à l’essence des religions et l’interprète à notre façon, quand on lit les livres sacrés – peu importe la religion – on peut trouver plein de belles choses et plein de beaux enseignements spirituels et sages. J’essaye de m’intéresser à cette essence, de comprendre quoi faire de ces beaux enseignements et d’écrire des textes à ce sujet.

Simone : Je pense que ce sont plus les extrêmes au sein des religions qui peuvent être dangereux ou qui peuvent être perçus comme des menaces. Je n’ai rien contre les gens religieux. Je pense que c’est une bonne chose quand on a une religion qui nous donne une sorte de fixation dans la vie, mais si ça nous embrouille dans notre manière de vivre et nous donne de faux espoirs… The Divine Conspiracy était un album conceptuel et l’une des chansons pour lesquelles j’ai écrit les paroles s’appelle « Living A Lie ». Ça parlait de parents qui pensaient que Dieu sauverait leur enfant. Même si, scientifiquement, l’enfant n’avait aucune chance de survivre, ils pensaient que Dieu et leurs prières allaient sauver leur enfant, mais l’enfant est mort. Je ne suis pas d’accord avec ça, en plus d’autres choses, telles que les meurtres de revanche qu’on trouve dans certaines religions. Je n’ai rien contre les religions, mais je suis contre les extrêmes au sein de la religion, qui aveuglent les gens ou les poussent à couper court à tout autre type d’argument. Ils ont leur croyance et il n’existe rien d’autre. J’aime rester ouverte d’esprit.

« J’espère qu’il n’y aura rien après ma mort et que je ne resterai pas coincée dans un genre de purgatoire, mais je crois vraiment à l’énergie qu’on a en nous en tant qu’êtres vivants et aussi aux énergies restantes des gens qui sont décédés. J’ai un haut niveau de sensibilité et je peux très fortement ressentir les énergies des gens. »

L’album contient la troisième partie de la saga « Kingdom Of Heaven ». Mark, tu as composé cette chanson avec Isaac et à peu près au même moment, sa grand-mère et ta grand-mère restante sont décédées à une semaine d’écart. Comment est-ce que ça a façonné émotionnellement la musique sur laquelle vous étiez en train de travailler ensemble ?

Mark : La musique était terminée à ce moment-là – c’est arrivé une fois que nous avions fini la chanson, mais avant que nous commencions à l’enregistrer en studio –, donc nous ne pouvions plus rien changer. Mais ce qui était flippant, c’est qu’il y a une partie dans la chanson qui parle de la mort. C’est la partie centrale un peu effrayante avec les chœurs à la Danny Elfman. Donc globalement, même si lorsque nous étions en train de travailler sur la chanson, nous ne nous doutions pas du tout de ce qui allait arriver, c’est presque comme si inconsciemment nous savions et nous avons écrit en fonction. Même si elles étaient décédées avant que nous commencions la chanson, je pense qu’elle aurait été pareille. Elle fait parfaitement sens avec tout ce qui s’est passé et l’état d’esprit dans lequel nous étions. Ainsi, je pense que nous avons rendu un bel hommage à nos grand-mères.

Crois-tu au destin ou ce genre de chose ?

Tout dépend ce qu’on définit comme étant le destin. Si on veut dire que certaines choses se produisent sans que ce soit une coïncidence, qu’il doit en être ainsi, je dis oui, parce que des choses se produisent parfois sans qu’on puisse les expliquer. Dans ce cas, je pense que ces choses devaient arriver. Evidemment, c’est facile de dire ça quand on n’a pas d’explication, mais je crois véritablement qu’il y a des choses qu’on ne peut expliquer. Par exemple, quand j’étais jeune et que je venais d’avoir mon permis de conduire, à un moment donné j’étais en train de conduire assez vite – car je venais d’avoir mon permis et j’avais juste envie de conduire ma voiture. Il y avait un virage avec un angle mort. Je ne pouvais pas voir ce qui venait de l’autre côté, mais il y avait une voix dans ma tête qui disait : « Ralentis. » J’ai ralenti. Je ne sais pas pourquoi, j’ai juste écouté cette voix qui est soudainement apparue. Quand j’ai ralenti, une autre voiture est arrivée dans le virage à une vitesse encore plus grande. A coup sûr, je me la serais prise de plein fouet. Alors tu te demandes : « Pourquoi ai-je soudainement entendu cette espèce de voix magique dans ma tête ? » Sans ça, peut-être que je serais mort. Dans ce genre de moment, tu crois au destin, oui [petits rires].

Déjà quand tu as fait le premier « Kingdom Of Heaven » sur Design Your Universe, tu avais perdu ta première grand-mère. Y a-t-il un côté cathartique quand on a la musique comme exutoire dans ces moments tristes comme ceux-là ?

Oui. En tant que musicien, je peux dire, en tout cas pour moi, que c’est l’exutoire idéal. Mais je pense que les peintres le ressentent aussi avec leur peinture ; tous les artistes ressentent ça, comme lorsqu’ils écrivent un livre, par exemple. Quand on ressent des émotions lourdes et qu’on se trouve un exutoire, comme la musique, la peinture, l’écriture, ça aide énormément le processus.

Quand tu as fait la première partie de « Kingdom Of Heaven », savais-tu déjà que ce serait une histoire en trois parties, au moins ?

Non, à ce moment-là, je n’en avais aucune idée. C’est arrivé avec la seconde partie ; il y avait un lien au niveau des paroles et de la musique, et je l’ai appelée « Kingdom Of Heaven part 2 ». Et même après la seconde partie, je ne savais pas qu’il y aurait une troisième partie, mais j’avais déjà de vagues idées, car je n’aime pas faire seulement deux parties. Il faut trois parties ! [Rires] Tôt ou tard, je savais qu’il y aurait une troisième partie, mais je ne voulais pas que ce soit une troisième partie qui décevrait les gens, car ils ont adoré la première et la seconde partie. Je me suis donc dit que s’il doit un jour y avoir une troisième partie, il faudra qu’elle soit au moins aussi bonne que la première partie. Autrement, ça n’aurait aucun sens. Les gens doivent être émerveillés par la troisième partie. Nous avons mis tout ce que nous avons pour que ce soit le cas, et maintenant nous allons voir si les fans lui donnent autant de valeur ou pas. Ce sera excitant.

Pour finir, peux-tu nous parler de ton projet United Metal Minds que tu as lancé en 2018 ? Quelle était ton idée derrière cet ambitieux rassemblement de talents ?

La première idée était de d’apprendre à connaître de nouvelles personnes qui pourraient m’inspirer, de découvrir des talents que personne – ou presque personne – ne connaît encore et de travailler avec eux. Ensuite, c’était aussi l’occasion pour moi de faire quelque chose de nouveau, de me sortir de ma zone de confort, d’essayer de nouvelles choses. C’est parfois bien d’essayer quelque chose de complètement différent afin de s’inspirer pour les groupes qu’on a déjà, comme Epica et Mayan. Parfois, c’est sympa de travailler avec des gens complètement différents et de manière différente. J’ai travaillé avec trente personnes sur la composition. Il y a énormément de chanteurs pour lesquels il faut déterminer sur quelle chanson ils vont chanter. Au total, il y aura environ cinquante à soixante personnes qui vont contribuer à l’album. Maintenant, les chansons sont plus ou moins écrites. Il y a juste quelques derniers détails à finaliser. Mais la situation avec le Covid-19 est telle que je ne sais pas trop quand nous pourrons enregistrer cet album, car certaines personnes doivent prendre l’avion – le batteur est au Canada, par exemple. Les règles changent constamment, donc c’est très dur d’établir un planning. C’est tout simplement trop stressant de tout le temps annuler des vols, puis de reprogrammer et de voir si on peut être remboursé. Donc j’ai dit que nous allions attendre que ça se calme à nouveau, au lieu de s’imposer tout ce stress. Ce serait trop pour l’instant. Dès que la situation avec le Covid-19 sera plus sous contrôle, que les règles ne pourront plus changer d’un instant à l’autre et que nous pourrons recommencer à établir des plans, nous pourrons établir un planning d’enregistrement et enregistrer l’album. Je suis très enthousiasmé par les chansons. J’espère que la situation avec le Covid-19 ne durera pas trop longtemps, car j’ai vraiment hâte qu’il soit enfin enregistré.

Interview réalisée par téléphone les 15 & 16 janvier 2021 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Tiphaine Lombardelli.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Tim Tronckoe.

Site officiel d’Epica : www.epica.nl

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