Ah, la question de ce qui est réel et de ce qui ne l’est pas ! Vaste sujet qui peut nous amener du fameux « je pense donc je suis » de Descartes ‘à la trilogie de Matrix, en passant par la physique quantique. Tiens, ça tombe bien, la physique quantique, c’était justement le sujet de The Quantum Enigma, le précédent album d’Epica. Et c’est sur cette lancée que le groupe hollandais de metal symphonique continue dans son questionnement sur le réel, en abordant le sujet de la réalité virtuelle dans son nouveau disque The Holographic Principle. Ironiquement, il s’agit de l’album le plus « réel » d’Epica puisqu’il a été conçu uniquement avec de vrais instruments.
C’est Mark Jansen, en particulier, que nous avons voulu interroger cette fois-ci, « le physicien quantique du groupe », comme nous le disait la chanteuse Simone Simons il y a deux ans, car c’est bien lui le responsable de ces thématiques à la fois scientifiques et philosophiques. Il évoque donc avec nous non seulement la conception de l’album mais aussi sa passion pour les sciences, entre autres sujets.
« Nous ne voulons pas avoir une surcharge de sons épiques, il faut que ça colle à la musique, et ça ne doit pas non plus être trop pompeux. Nous sommes Epica mais le côté grandiloquent ne doit pas éclipser le côté heavy. »
Radio Metal : A l’époque de The Quantum Enigma, Simone nous a dit en interview que vous vouliez vraiment sortir de votre zone de confort avec cet album. Et dans le communiqué de presse pour le nouveau disque, tu es cité déclarant qu’il « faut toujours se rafraîchir et se stimuler. Et ensuite, ne pas se répéter. » Dirais-tu que The Quantum Enigma était un tournant, pour le défi qu’il a constitué, et qu’il a posé un standard pour The Holographic Principle ?
Mark Jansen (guitare) : Oui, clairement. Je suis d’accord avec ça parce qu’avec Requiem For The Indifferent, nous avons vraiment eu le sentiment que nous commencions à nous répéter et avions perdu un peu de la magie que nous avions l’impression d’avoir avant, et nous voulions retrouver ça. Donc The Quantum Enigma était un grand tournant, et il a apporté exactement ce que nous espérions trouver. Avec The Holographic Principle, nous avons réessayé les mêmes choses, ne pas faire un second The Quantum Enigma mais nous rafraîchir à nouveau, essayer à nouveau d’ajouter de nouveaux éléments et faire un peu les choses différemment au niveau composition, au niveau du travail collectif, au niveau du mixage… Donc ça a à nouveau fonctionné, je pense, pour nous et, avec un peu de chance, les fans auront le même sentiment.
Comment, concrètement, travaillez-vous pour ne pas vous répéter durant les sessions d’écriture ?
Personnellement, j’écris habituellement les chansons en utilisant un clavier mais là, j’ai surtout commencé à la guitare ; c’est aussi une façon de ne pas se répéter parce que tu as une façon de travailler à laquelle tu es habitué et si tu la changes, alors rien que là tu te rafraîchis et ensuite tu arrives à des résultats différents. Je pense que ceci est très important. Lorsque tu te mets des défis, tu évites le risque de te répéter.
Tu as dit que « l’une des premières choses dont [vous ayez] parlé était d’utiliser autant de véritables instruments que possible, à la différence de l’album précédent. » « Le nouvel album est le résultat d’un dévouement total et tout était question que ça sonne vrai, direct et pur. » Penses-tu que The Quantum Enigma manquait d’un son organique ?
Je pense que The Quantum Enigma avait déjà le son maximal que nous pouvions avoir avec les ingrédients que nous avions. Nous avons déjà enregistré avec de vraies cordes, et des chœurs, bien sûr, mais je pense que plus tu peux faire de choses en direct, le mieux c’est. Donc même les bois, les cuivres et plein de percussions, tout ça a été fait live cette fois. Et même si les samples sont très bons, je pense que lorsque tu joues [avec de vrais instruments], ça reste le mieux et ça donne quand même un meilleur résultat au final. Je suis très content du son de The Quantum Enigma mais nous essayons toujours de faire mieux les choses qu’auparavant et tu dois commencer à regarder dans les tout petits détails pour encore trouver des choses que tu peux améliorer. Et ceci était une chose que nous avons trouvé et que nous pouvions encore porter à un plus haut niveau.
Vous avez ces gros chœurs et orchestrations mais d’un autre côté, Isaak a dit que vous avez « accentué le fait que [vous soyez] un groupe de metal à l’origine. » Comment trouvez-vous un équilibre entre ces deux aspects ?
Oui, c’est toujours une question de trouver un équilibre, aucun des deux ne doit devenir tout le truc. Nous ne serons jamais un groupe de metal sans orchestrations, nous ne serons pas non plus un groupe orchestral sans guitare metal. Il doit toujours y avoir un équilibre. Mais bien sûr, tu peux mettre des accents. Parfois par le passé, nous avions des guitares mixées un peu plus dans le fond et de nos jours, les guitares sont mixées plus en avant et il y a aussi plus de riffs de guitares dans l’album, donc il y a plus de place pour que les guitares se trouvent devant. Mais c’est toujours un équilibre que tu dois rechercher et trouver ce qui colle le mieux. Pour aujourd’hui, ceci est ce qui fonctionne le mieux et dans le futur, nous verrons ce que les chansons nécessiteront, ce qui conviendra sur le prochain album, par exemple. Mais pour cette fois, c’est ce qui convient le mieux.
N’êtes-vous pas parfois tentés de mettre trop d’orchestrations et ensevelir le reste de la musique dedans, surtout lorsque vous avez cette opportunité rare de travailler avec de vrais instruments ?
Ouais, c’était parfois difficile parce que tu te retrouves avec tellement d’options là-dedans. Mais l’album doit aussi être une unité, donc nous cherchons vraiment ce qui est le mieux pour l’album en tant que tel, de façon à voir les possibilités que tu as et les utiliser, car nous ne voulons pas avoir une surcharge de sons épiques, il faut que ça colle à la musique, et ça ne doit pas non plus être trop pompeux. Nous sommes Epica mais le côté grandiloquent ne doit pas éclipser le côté heavy.
Au niveau des paroles, l’album est une continuation de The Quantum Enigma. Qu’est-ce qui vous a poussé à établir un lien entre les deux albums et poursuivre ce thème ?
Le truc, c’est que là où The Quantum Enigma s’arrête, le nouvel album prend la suite, donc oui, c’est une continuation, c’est un palier de plus. Il restait encore tellement de sujet intéressants à aborder, il y avait encore tellement de livres et de films intéressants que j’ai vu au cours des deux dernières années que j’ai décidé de poursuivre ce concept mais en l’élevant un peu plus, en investiguant davantage, en l’explorant davantage et en l’approfondissant.
« C’est une expérience si mythique que nous vivons en étant là, que nous ne pourrons jamais trouver et entrevoir toutes les réponses et obtenir toute la vérité, car je pense qu’alors la vie n’aurait plus de sens. Nous sommes là pour une raison et nous ne devrions pas tout savoir, autrement ça ne fonctionnerait plus. »
La dernière fois, Simone nous a dit un peu en blaguant que tu étais « le physicien quantique du groupe. » Peux-tu nous en dire plus sur ta passion et ta relation à la physique et la science ?
Ouais, j’ai une réelle relation à la science. J’ai étudié la psychologie. J’ai un diplôme universitaire mais si j’avais continué, je serais devenu un scientifique, mais la musique était plus attirante pour moi, donc j’ai décidé de devenir un musicien plutôt qu’un scientifique, mais quand même, la passion ne s’est jamais estompée. Je m’intéresse non seulement à la psychologie mais aussi à la physique quantique, comme Simone l’a dit, et d’autres domaines de la science, comme la philosophie, par exemple. Il n’y a pas vraiment une direction en particulier que j’aime le plus mais c’est vraiment la combinaison de tout. Ca me captive vraiment. J’ai toujours été fasciné par l’univers, par exemple, lorsque j’étais enfant, je regardais déjà les étoiles, je construisais de petites planètes, m’assurant que les distances étaient bonnes entre le terre, le soleil et d’autres planètes, Jupiter, Saturne, toutes. Ça m’a toujours fasciné. Maintenant je peux faire appel aux deux passions, je peux faire de la musique et dans les paroles, je peux écrire à propos de toutes les choses qui se passent dans la tête.
Vois-tu un lien entre la musique et la science ?
Oh oui, je vois de nombreux liens car la musique peut exprimer les sentiments et la science peut explorer les sentiments, donc tout ça est interconnecté. Je n’ai jamais aimé écrire à propos de dragons et de guerres, par exemple, j’ai toujours voulu rendre les paroles aussi intéressantes que la musique. Lorsque la musique est très intéressante et que les paroles le sont tout autant, pour moi, c’est avec ça qu’on a les meilleurs groupes. Lorsque tu plonges vraiment dans la musique, tu peux trouver tellement de détails, exactement comme en science, lorsque tu plonges dans les détails de la physique quantique, tu te retrouves à explorer tant de nouvelles choses, tant de secrets qui y sont mêlés et qui se dévoilent, et tant de questions sont soulevées. Je peux voir tellement de similarités entre les deux, bien qu’à première vue elles semblent si éloignées l’une de l’autre [petits rires].
Le thème principal de l’album est la réalité virtuelle. Tu as dit que dans quelques années « les gens vont peut-être se rendre compte que le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui est possiblement aussi une réalité virtuelle d’une réalité supérieure. » Penses-tu que cette recherche de vérité deviendra une vraie question dans quelques années en raison du progrès technologique ?
Je pense que la recherche de vérité a toujours été une grande question. Les gens par le passé regardaient le ciel lorsqu’il y avait des orages et ils pensaient que les Dieux étaient en colère. Il y a toujours eu une quête pour trouver des réponses. Il y a tant de choses que les gens dans le passé ne pouvaient pas comprendre et il y a toujours tellement de choses que nous, de nos jours, ne pouvons pas comprendre. C’est une quête éternelle pour savoir pourquoi nous sommes ici, quel est le but, depuis quand sommes-nous là, existons-nous encore après que nous mourons sous notre forme physique ; ce sont des questions très intéressantes. Même si plein de gens ont peur de la mort, je pense que la mort n’est qu’une opportunité, ce n’est qu’un tournant, et je pense que dans le futur, nous aurons davantage de réponses mais je pense quand même, d’une certaine façon, que c’est une expérience si mythique que nous vivons en étant là, que nous ne pourrons jamais trouver et entrevoir toutes les réponses et obtenir toute la vérité, car je pense qu’alors la vie n’aurait plus de sens. Nous sommes là pour une raison, je pense, et nous ne devrions pas tout savoir, autrement ça ne fonctionnerait plus.
Comment penses-tu que le progrès technologique affectera l’industrie musicale ?
Il y a évidemment les dernières technologies qui ont rendu la musique facilement accessible pour les gens et qui ont été un grand avantage mais avaient aussi des inconvénients pour les musiciens qui vendent moins d’albums, bien sûr. Mais de nos jours, j’ai remarqué que ces nouveaux portails de streaming, comme Spotify, commençaient à faire payer un peu d’argent aux gens et je pense que c’est une situation gagnante-gagnante. C’est très facile d’écouter de la musique en streaming et je suis très content que cette technologie ait émergée, que les gens puissent avoir un accès aussi facile à la musique, mais d’un autre côté, c’est aussi bien pour les musiciens d’être un peu payé pour leurs efforts et qu’ils puissent continuer à être musiciens et faire de nouveaux albums. Je pense que si cette évolution se poursuit, si l’industrie de la musique devient à nouveau plus saine, ce sera, comme je l’ai dit, du gagnant-gagnant et une solution parfaite. Donc j’espère que ça continuera à se développer dans cette direction.
Vous avez travaillé sur vingt-cinq chansons pour cet album. On dirait que le processus d’écriture a été très productif…
Ouais, nous sommes dans une situation chanceuse où nous avons cinq compositeurs dans le groupe. Donc tout le monde compose des chansons et a de très bonnes idées. Donc même si un gars n’a pas trop d’inspiration, ce qui peut arriver à certaines périodes, il reste quatre autres gars qui écrivent à fond des chansons. Donc je pense que c’est une position très luxueuse, car quels groupes peuvent dire qu’ils ont tant de gars qui écrivent des chansons ? Donc je n’ai pas non plus peur pour les albums futurs. Comme je l’ai dit, par exemple, si je n’avais pas tellement d’inspiration pour le prochain album, il y a toujours quatre autres gars qui peuvent écrire de la très bonne musique, et c’est pareil pour n’importe qui dans le groupe. Donc nous avions énormément de chansons cette fois et même si nous en avions eu moins, ça aurait été. Ce qu’il y a de bien avec ça, c’est que nous n’avons pas à mettre de chansons de remplissage sur l’album qui seraient juste là parce que nous n’avons pas assez de chansons. Nous pouvons vraiment choisir le meilleur du meilleur.
« Si nous devions sacrifier quelque chose dans notre propre son, simplement pour essayer d’avoir plus de succès, je pense que nous échouerions de toute façon, car je pense que seule la musique qui est faite avec les bonnes intentions survivra sur le long terme. »
Lorsque vous avez annoncé que vous aviez écrit vingt-cinq chansons, vous sembliez très enthousiastes à propos de toutes ces chansons et avez dit que ce serait difficile de faire des choix pour l’album. N’avez-vous pas envisagé de toutes les sortir dans un double album ?
Ouais, nous en avons parlé mais çela aussi a des avantages et des inconvénients. Je pense qu’un album d’Epica, soixante-treize minutes de musique, c’est déjà pas mal intense, et si vous avez deux albums comme ça à écouter à un moment donné, ça représenterait un sacré paquet d’information. Je pense qu’un album d’Epica en soi, c’est déjà beaucoup d’information. Donc nous avons au final décidé de ne pas le faire, mais quand même, ces chansons que nous avons laissé tomber, mais qui sont enregistrées, environs six morceaux, nous ne voulons pas les jeter. Nous voulons faire quelque chose de spécial avec ces chansons également, sans les utiliser comme de simples titres bonus. Donc nous sommes encore en train de chercher quelque chose de spécial et je pense que nous trouverons une bonne solution pour ces chansons.
Isaak était le compositeur principal pour cet album. Peux-tu nous parler de l’évolution de sa contribution dans le groupe depuis qu’il l’a rejoint en 2009 ?
Ouais, il est très important pour le groupe. C’est non seulement un compositeur mais il travaille également très dur pour porter le groupe à un autre niveau. Il est toujours très passionné et il veut toujours le meilleur résultat. Il se consacre à quelque chose, il y va à cent pour cent, pas moins. Aussi, au niveau composition, il travaille très dur sur les chansons pour les rendre aussi bonnes que possible, il investit beaucoup d’effort et d’énergie dans les détails finaux. Il était aussi là lorsque les batteries ont été enregistrées, lorsque les voix ont été enregistrées, il veut être autant que possible présent en studio. Il a montré un dévouement total et c’est aussi pourquoi il a écrit de si bonnes chansons, je pense. Ouais, nous ne pouvons qu’être contents d’avoir un tel bosseur dans le groupe !
Avez-vous jamais considéré arrêter les growls dans Epica, afin d’avoir une musique un peu plus accessible, comme Within Temptation a pu le faire à un moment ?
Non, je n’ai jamais envisagé ceci parce qu’à la base, nous ne voulons pas devenir mainstream. Et je pense que nous continuons à grandir en tant que groupe et que nous avons de plus en plus de fans qui aiment notre son plus heavy. Donc pourquoi arrêterions-nous les growls ? Nous nous portons bien, nous faisons exactement la musique que nous voulons faire. Si nous devions sacrifier quelque chose dans notre propre son, simplement pour essayer d’avoir plus de succès, je pense que nous échouerions de toute façon, car je pense que seule la musique qui est faite avec les bonnes intentions survivra sur le long terme. C’est pourquoi nous continuons à faire ce que nous voulons. Si jamais nous arrêtons les grunts, ce serait juste parce que nous n’aimons plus ça nous-mêmes. Mais à ce stade, nous aimons encore trop ça [petits rires].
Epica a désormais son propre festival. Qu’est-ce qui vous a poussé à le faire ? Qu’est-ce que ça représente pour vous ?
C’est beaucoup de travail d’organiser son propre festival et tu prends un risque parce que si tu échoues, tu perds beaucoup d’argent, de toute évidence. Mais c’est un grand défi et nous sommes toujours prêts à relever les défis, les défis sont excitants et les défis nous font avancer. Avec ton propre festival, tu peux placer des groupes que tu aimes vraiment toi-même et que tu veux voir jouer aussi. Donc la première édition était vraiment bien, avec plein de groupes dont nous étions fans étant gosses, comme Fear Factory ou Sepultura, et maintenant ils étaient soudainement en train de jouer dans notre propre festival ! C’était une expérience très spéciale. Donc nous voulons continuer à le faire et espérons que ça continuera à fonctionner et que nous pourrons développer ce festival pour en faire un plus gros. Mais même s’il reste comme il est aujourd’hui, nous serions déjà contents. C’est vraiment marrant à faire !
Interview réalisée par téléphone le 30 juin 2016 par Philippe Sliwa.
Retranscription, traduction et introduction : Nicolas Gricourt.
Photos promo : Tim Tronckoe.
Site officiel d’Epica: www.epica.nl
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