Cela faisait des années qu’Eric Wagner, l’une des voix les plus iconiques du doom traditionnel, projetait de travailler sur un album solo, mais ce n’est qu’en 2017, après plus de trois décennies de carrière, qu’il s’y est attelé pour de bon. Quatre ans de travail plus tard, ce qui est devenu In The Lonely Light Of Mourning, et qui s’annonçait comme le couronnement d’une vie de musicien particulièrement bien remplie, était enfin terminé : par un coup du sort particulièrement cruel, Eric Wagner est décédé quelques semaines plus tard à peine, à l’âge de soixante-deux ans, des suites du Covid-19. Wagner a marqué l’histoire du doom américain au sein de Trouble, qui dans les années 80 avait sorti les classiques Psalm 9 et The Skull, puis avec Lid, The Skull, et Blackfinger : sa voix expressive, immédiatement reconnaissable, et ses paroles mélancoliques ont laissé leur marque sur des générations de groupes. Mais bien qu’estampillé solo et malgré son titre (« Dans la lumière solitaire du deuil »), ce projet n’a jamais été conçu comme un effort solitaire : pour la composition, Wagner s’est adjoint les talents de son collaborateur de longue date David Snyder (batteur pour Trouble and Blackfinger) ; il a de plus rassemblé amis et collègues rencontrés au fil des années, parmi lesquels des membres de Trouble, Blackfinger, The Skull et Lid évidemment, mais aussi Pentagram, Death Row et Place Of Skulls, qui ont tous laissé leur patte sur ce projet de longue haleine. Un casting de luxe pour la synthèse d’une carrière qui force le respect.
Même si résumer tant d’expérience en huit chansons et moins de quarante minutes tient de la gageure, In The Lonely Light Of Mourning s’y essaie avec panache. Dès les premières chansons, « Rest In Place » et « Maybe Tomorrow », on retrouve la majesté menaçante et les riffs old school de Trouble. Et la référence ne s’arrête pas là : « Isolation » reprend même les paroles de l’un des morceaux iconiques du groupe, « Victim Of The Insane ». On pense aussi à The Skull et Blackfinger évidemment, sans doute en raison de la présence de Ron Holzner et Chuck Robinson, très impliqués aux côtés de Wagner et Snyder. Mais certains titres proposent des choix plus audacieux, comme « If You Lost It All », où les guitares ont été remplacées par un violoncelle, et où la voix de Wagner est particulièrement mise en valeur. Si elle ne prend jamais toute la place, elle brille tout au long de l’album, évoquant le deuil et la mort avec une émotion communicative, notamment dans la chanson « In The Lonely Light Of Mourning », qui n’a pas donné son titre au disque pour rien. Intercalant passages calmes, où la voix n’est accompagnée que de la basse et de la batterie, et riffs mélancoliques, elle explose avec un solo particulièrement inspiré de Victor Griffin (ex-Pentagram), et constitue résolument l’apogée de l’album.
Bref, rétrospectivement, difficile de ne pas voir cet album comme un chant du cygne, sa pochette même a quelque chose de mortuaire. Pourtant, c’est sur un sursaut de mordant qu’il s’achève avec un « Wish You Well » incisif : il n’a pas été conçu comme tel, la mort du chanteur a été soudaine et imprévue. Doom oblige, Wagner n’avait pas attendu ses dernières années pour chanter ses réflexions sur la finitude et la mort, mais dans cet album posthume dont le titre a été rendu particulièrement poignant par les circonstances, elles prennent une urgence et une nuance prophétique particulièrement intenses. Mais ce que montre peut-être ce disque en fin de compte, c’est que la lumière l’emporte, celle de la générosité de tous les musiciens investis dans le projet, celle enfin de cet album testamentaire qui offre à tous les admirateurs endeuillés du musicien ces dernières chansons comme autant de versions distillées de la carrière et des talents de Wagner.
Chanson « In The Lonely Light Of Mourning » :
Chanson « Maybe Tomorrow » :
Album In The Lonely Light Of Mourning, sortie le 18 mars 2022 via Cruz Del Sur Music. Disponible à l’achat ici