Parfois, l’histoire de la bande de potes qui commence à jouer dans un garage et qui finit par rencontrer un grand et durable succès tout en faisant perdurer l’amitié ne se réalise pas. Et Evenline, c’est justement l’histoire d’un groupe qui s’est monté sur les cendres d’autres groupes prometteurs, Reavens et Stonedrive mais qui n’ont pas abouti à une carrière durable. Evenline n’est donc pas un « délire de jeunesse », mais un groupe formé par des adultes, avec chacun son lot d’expériences et donc fatalement d’erreurs et de leçons à réutiliser pour se renforcer. Fort de cette expérience, Evenline a par conséquent dès le départ bâti un projet solide avec un album de rock US à la production chiadée, une communication et une distribution efficaces et des concerts prestigieux en première partie de groupes tels que Seether ou Alter Bridge.
Dans le cadre de la sortie de « Dear Morpheus », un premier album dont le thème central, très à propos, est la rencontre du rêve et de la désillusion, le guitariste Fabrice Tedaldi a accepté de répondre à nos questions.
« Avec Evenline c’est sûr qu’on apprend des erreurs du passé. Et ce que j’ai vécu avec Stonedrive, je ne voulais pas qu’on le reproduise avec Evenline. »
Radio Metal : La rédaction de Radio Metal a découvert Evenline un peu par hasard puisque au départ je t’avais contacté pour avoir des nouvelles de Stonedrive, la formation que tu avais avant…
Fabrice Tedaldi (guitare) : Alors en fait, Evenline c’est un tout nouveau projet. Dans Stonedrive il y avait deux membres qui jouent maintenant dans le tribute de hard rock années 80 Showtime et il y en a deux autres qui sont dans The Milton Incident, qui sont aussi chez Do It Records. En fait le chanteur de Stonedrive, David Adam, est le guitariste de The Milton Incident. Moi j’étais guitariste dans Stonedrive. En fait il y avait Xavier Guillemet à la guitare solo, moi j’étais en rythmique.
Du coup, pourquoi Stonedrive s’est arrêté ? Il y avait un premier disque qui était plutôt prometteur et bien réussi.
Musicalement, il y avait quelques petits conflits au sein du groupe. On n’avait pas tous la même vision du groupe par rapport à là où on voulait aller. C’est vrai qu’il y a eu des bonnes choses, on a eu des bonnes critiques sur le CD mais on ne jouait pas assez. Il y avait des choses pour lesquelles on n’était pas assez préparé. Pour le live il y avait des choses qu’on devait encore rectifier. Il y a eu trop de choses qui sont arrivées en même temps et ça fait que tout le monde s’est un petit peu lassé, même si le CD était bien. Et après, on a chacun fait notre route de notre côté. Je ne sais pas si ça répond à ta question…
Oui ça répond complètement. D’ailleurs ça répond même à la question d’après : quand je t’avais contacté pour avoir des nouvelles de Stonedrive, tu me disais que maintenant tu bossais chez ce nouveau groupe Evenline et que vous souhaitiez prendre un peu plus votre temps. J’ai l’impression que pour Stonedrive, beaucoup de choses sont allées trop vite et que c’est un regret…
On est arrivé avec un super CD bien produit. Quand je dis super, ce n’est pas forcément au niveau composition puisque c’est vraiment subjectif. C’est vrai que le CD était de qualité, ça sonnait américain. C’était une grosse production par Francis Caste. On est arrivé, mais il n’y avait pas de passé. On s’est un peu tous retrouvé, tout le monde était là : « Bon ben, on fait un CD », ça a été composé pour la plupart [des chansons] par [chacun de son côté], et puis maintenant on aimerait monter le projet et puis pourquoi pas faire des concerts, etc. Au départ, ils voulaient juste faire un CD – parce qu’à la base, ce n’est pas mon projet Stonedrive – et donc c’était juste : on va enregistrer un CD et on verra bien par la suite. C’est là qu’ils ont recruté un guitariste supplémentaire et que je suis arrivé. J’ai passé les auditions et ils m’ont recruté. On n’avait pas de passé, on n’avait pas d’expérience tous ensemble donc on a dû se construire au fur et à mesure. Et vu qu’on avait un CD déjà bien produit et que tout le monde trouvait ça super, on n’a pas eu le temps d’être à la hauteur par rapport au CD.
Vous vous êtes fait dépassés par votre CD en quelque sorte…
Voilà. Disons qu’on n’était pas assez bien préparé pour le rendre bien en live.
Est-ce qu’on doit s’attendre à un rythme d’Evenline beaucoup plus lent et beaucoup plus posé en matière de sorties d’albums pour éviter ce genre de choses ?
Avec Evenline c’est sûr qu’on apprend des erreurs du passé. Et ce que j’ai vécu avec Stonedrive, je ne voulais pas qu’on le reproduise avec Evenline. Lorsque nous nous sommes rencontrés, Arnaud était dans un autre groupe qui s’appelait Reavens et qui faisait aussi une sorte de rock US. A l’époque Stonedrive et Reavens se sont rencontrés et on aurait espéré faire une date ensemble, mais ça ne s’est pas fait. J’ai gardé contact avec Arnaud et à la fin de nos deux groupes respectifs, on a monté Evenline. On s’est dit qu’on avait tous les deux la même vision mais aussi qu’on allait prendre un peu plus de temps : on ne va peut-être pas faire un album complet, on va peut-être faire un EP qui servirait de carte de visite, faire quelques concerts, se roder, voir un peu la dimension que ça prend et se dire que si ça prenait bien, pourquoi pas faire l’album. On a pris plus de temps pour moins précipiter les choses et, quelque part, aller dans un ordre logique de groupe.
Ce qui est assez impressionnant c’est que très rapidement, vous avez fait pas mal de premières parties assez prestigieuses. Votre album est actuellement distribué de manière internationale. Comment vous êtes-vous organisés ? Est-ce qu’il y a eu un travail en amont pour chercher des contacts ?
Pour les premières parties, pour Alter Bridge ça a été un peu particulier. Déjà, c’était un rêve de gamin, mais c’était un peu de la folie pure et dure parce qu’un jour en déconnant j’ai dit « Tiens, première partie d’Alter Bridge. » Et puis en y allant au culot, en cherchant un nom, en regardant les crédits dans un CD, on a trouvé un mail d’un booker européen pour le groupe qui ensuite nous a dit de contacter untel aux États-Unis. Au final, on a eu le mail d’un des managers, puis on a échangé des mails pendant plusieurs mois. Au bout de quatre ou cinq mois la tournée européenne était en train de se faire pour Alter Bridge avec leur troisième album AB III. C’est là que ça s’est décidé, il nous a dit : « Voilà, vous êtes programmés pour la Maroquinerie en 2010. » [Rires] C’est un travail en amont, ça c’est sûr, comme pour toutes les premières parties qu’on a eu l’occasion de faire. Même pour Seether, récemment, au forum de Vauréal, ça a été un travail en amont aussi.
Est-ce que faire la première partie d’Alter Bridge est la première partie idéale pour vous étant donné la musique que vous faites et qu’on peut considérer le public d’Alter Bridge comme votre cœur de cible ?
Même plus large. Pour Alter Bridge je vais y revenir, mais c’est sûr que c’était parfait. Après c’est vrai pour tous les groupes de rock US qui sont dans nos influences. Il y avait Creed, mais là c’est simple. Après il y a Seether, Shinedown, Sevendust, Staind… Avec tous ces groupes ce serait mortel de pouvoir se placer en première partie. Comme tu dis, le cœur de cible c’est ça, on aurait vraiment le bon public. Je pense que c’est cohérent aussi, au moins les gens qui viennent à un de ces concerts, ils restent et ils se disent que c’est dans le même état d’esprit, que c’est sympa et que ce sont des Français qui font de la musique comme ça et qu’on va les soutenir. C’est vrai que pour Alter Bridge, la date de la Maroquinerie a eu des problèmes techniques donc au final on n’a pas joué. C’était un problème avec… Je ne pourrai pas citer le nom [petit rires]. C’est un peu complexe… Mais bon voilà, ça ne c’est pas fait à la dernière minute alors que ça aurait pu quand même se faire. Je ne dirai pas les noms [de ceux à cause de qui] ça ne s’est pas fait, mais ce n’est pas du tout le groupe qui n’a pas voulu qu’on joue, c’est un peu particulier. Mais on a quand même fait une petite sensation en jouant dehors dans la file d’attente en acoustique. Le groupe a aussi fait même un peu de promo pour nous pendant leur concert. Mais par contre, on a été reprogrammé l’année suivante, en 2011, à l’Atelier (Luxembourg). Par exemple là on a vraiment joué en première partie d’Alter Bridge devant 1200 personnes, c’était salle comble. Je crois qu’on n’a jamais eu autant de personnes, depuis cette date-là, qui nous ont connus, qui nous ont suivis, qui nous ont vraiment écoutés. C’est là qu’on a vendu le plus d’EP, commercialement parlant c’est impressionnant. On touche les personnes qui aiment cette musique, les gens sont réceptifs à cette musique. Même au Luxembourg le public se demandait si on était Américains. On parlait français donc on a dit non [petits rires] et ils ont dit : « Mais vous êtes Luxembourgeois, Belges ou même Allemands ? » Ils étaient étonnés qu’on vienne de Paris, ils n’en revenaient pas qu’on soit Français et qu’on fasse du rock US qui n’est pas beaucoup représenté ici malheureusement.
« Au Luxembourg le public se demandait si on était Américains. On parlait français donc on a dit non [petits rires] et ils ont dit : ‘Mais vous êtes Luxembourgeois, Belges ou même Allemands ?’ Ils étaient étonnés qu’on vienne de Paris. »
C’est clair qu’il y a un vrai amour chez vous pour le rock et le metal des États-Unis. J’imagine que vous avez un objectif qui serait de tourner là-bas ?
Çà serait une cerise sur le gâteau. Mais même sans aller aux États-Unis, on sait que les Allemands sont friands de ça aussi, et on adorerait jouer en Allemagne. Même en Italie, je sais que la plupart des groupes de rock US qui jouent là-bas font deux ou trois dates facilement. Il y a vraiment un public à chaque fois. Dans les pays de l’est aussi, quand les groupes américains passent, ils font plusieurs dates. Donc effectivement les États-Unis, ça serait le rêve, ça serait vraiment concrétiser le truc jusqu’au bout. Mais avant cela, je sais que tous les pays en Europe sont friands de ces groupes. En France ça commence un petit peu, il y a un peu plus d’engouement qu’avant, mais ça met du temps.
Je crois que l’album va sortir aux États-Unis, ou est-ce qu’il est déjà sorti ?
Il est déjà sorti, mais il y a un nouveau contrat qui est en train de se faire pour être encore mieux distribué. Il l’est déjà via Amazon, mais il sera aussi disponible chez certains disquaires en physique directement.
Est-ce que vous avez déjà eu des retours sur l’album du public américain ?
Pas encore, parce que tout est en train de se faire. On doit faire, prochainement, un point avec notre manager. Pour l’instant, on a pas mal de retours de l’Europe, mais pas encore outre-Atlantique.
Est-ce que les retours du public américain vont compter un petit peu plus pour vous étant donné que c’est un esprit musical venant de là-bas ?
Ça compte énormément. C’est vrai que c’est là-bas qu’il y a toute cette scène qui nous fait rêver, surtout quand on voit une affiche comme le festival Rock On The Range où il y a vraiment, tous les ans, tous les groupes qu’on écoute et qui nous influencent, c’est impressionnant. Effectivement, ça compte énormément. On a déjà eu des retours, pas par la presse, mais un des managers d’Alter Bridge a écouté et a trouvé que l’album était vraiment bien produit. L’ingénieur mastering Tom Baker, qu’on a contacté pour faire le mastering de notre CD et qui a l’habitude de le faire pour des groupes qu’on adore, a trouvé que c’était vraiment bien fait, bien produit et qu’il y avait un potentiel. Récemment, nous avons un ami français qui est parti faire un road trip dans différents studios américains et qui a travaillé pendant deux semaines avec Johnny K, le producteur de Staind, Disturbed, qui a fait un Sevendust, je crois qu’il a fait un Pop Evil il y a pas longtemps aussi. Il a eu l’occasion de lui faire écouter deux morceaux de notre album et il trouvait qu’il y avait du potentiel dans ce qu’on faisait. C’est vrai que c’est très flatteur, pour le moment on a des retours de professionnels, mais pas encore vraiment du public. On a hâte de savoir ce que ça va donner au niveau du public américain.
Est-ce que tu penses que finalement c’est presque une force d’être un groupe de rock US qui est en France plutôt que d’être aux États-Unis où vous seriez peut-être plus noyés dans la masse ?
Tu l’as très bien dit. On ne va pas dire qu’on est les seuls car il y a d’autres groupes autour de nous en France, mais vu qu’on est très peu, on est plus facilement repérable et ça peut être une vraie force. Mais sans prétention. Je pense juste que si quelqu’un cherche ce qu’il y a dans notre état d’esprit, il n’y aura pas une longue liste alors qu’aux États-Unis on pourrait plus facilement être noyé dans la masse. Mais il y a aussi d’autres avantages à être là-bas parce qu’en France ça reste toujours pareil… On ne va pas rentrer dans le débat.
Le nom de l’album, c’est Dear Morpheus et la pochette rappelle très clairement la scène de l’architecte dans Matrix. Est-ce que c’est une référence consciente ? Est-ce qu’il y a vrai rapport entre cet album et Matrix ?
En fait, au départ on ne pensait pas du tout à Matrix. Mais au moment de faire un brainstorming par rapport à la pochette, vu que la majeure partie des textes abordent des sujets de rêves, de déceptions dans la vie, de désillusions sentimentales ou liens familiaux, on s’était dit qu’on allait faire quelque chose d’un peu moderne. Morphée, c’est le roi des rêves, on s’était dit qu’il verrait les rêves des gens sur des télés et puis qu’il pourrait réaliser tout ça. Au niveau visuel, on s’était dit qu’on ferait quelque chose avec des télés, et puis la chaise… À force d’en parler : pièce blanche, télés, etc., on s’est aperçu que ça rappelait énormément Matrix. Vu qu’on est tous fans de Matrix, on est allé à fond dans le délire. En même temps, c’est cohérent avec les textes de l’album. Pour la pochette blanche, on s’est dit que ça serait peut-être une force d’avoir quelque chose de blanc, d’épuré, de sobre, qui changerait de ce qu’on peut voir comme pochettes pour des groupes dans le style.
Puisque tu es fan de Matrix, je me permets de te poser cette question qui n’a un peu rien à voir. Imagine que tu es dans la pièce avec Morpheus, tu as cette conversation où il t’explique ce qu’est la matrice et il te propose les deux pilules, la rouge c’est celle qui te fait sortir de la matrice et aller dans la réalité ou la bleue qui te permet de tout oublier, et donc de vivre ta vie comme avant ? Tu prendrais laquelle du coup ?
[Rires] Quelle question ! Je vais prendre la pilule rouge.
C’est la première fois qu’on te la pose celle-là ?
C’est vraiment la première fois, et elle est géniale !
J’ai l’impression qu’il y a un thème qui revient souvent dans l’album quand on regarde les paroles, c’est le thème des regrets. Est-ce que tu peux m’en dire plus ?
Au départ c’est Arnaud qui écrit les textes. C’est vraiment lui le seul maître à bord de ces textes. On va dire qu’il y a beaucoup des choses en rapport avec les désillusions sentimentales, les déceptions… Tu as peut-être un exemple en particulier qui était frappant ou c’est le fait que ça soit récurrent ?
C’est la récurrence, l’idée de regretter des choses du passé qui revient, l’idée de vouloir changer le passé ou d’être tourmenté par des erreurs qu’on a fait…
C’est vrai que par exemple sur « A Letter To A Grave », on s’imagine toujours des fois après une rupture où on a pas toujours eu l’occasion de dire tout ce qu’on voulait à cette personne et on a des regrets de ne pas l’avoir dit. Parfois on a envie d’écrire une lettre. C’est ce qui se fait des fois je crois chez les psys : on te dit d’écrire une lettre, puis de la brûler, de l’enterrer ou de la déchirer. Le fait d’avoir pris le temps d’écrire une lettre et d’expliquer tout ce qu’on ressent, ça permet de ne plus avoir de regret, quelque part. Où le fait d’avoir la force de continuer [sans quelqu’un qu’on a aimé] dans « Without You », par exemple… On est très porté sur ce genre de choses, et Arnaud a beaucoup de choses à dire là-dessus.
Interview réalisée par téléphone le 22 septembre 2014 par Philippe Sliwa.
Retranscription : Gabriel Jung.
Photo live : Mademoiselle Luna.
Site officiel d’Evenline : www.evenline-music.com.