Puiser dans l’histoire riche et foisonnante de la Rome antique a permis au groupe Ex Deo de s’imposer rapidement et avec assurance au sein du metal extrême. Une réussite qui doit beaucoup aux inspirations théâtrales et aux aspects cinématographiques, empruntés au péplum, et parfaitement taillés pour la scène metal. Mais c’est aussi parce que le monde romain est une manne pléthorique, pleine de péripéties presque romanesques ; un terreau idéal pour prendre du recul sur notre société contemporaine, que ce soit dans les événements politiques ou par ses mouvements philosophiques.
Des inspirations et singularités du dernier album, The Thirteen Years Of Nero, articulé autour de l’empereur Néron aux évolutions et ambitions du groupe depuis The Immortal Wars, Maurizio Iacono, instigateur du projet, a exploré avec nous les arcanes d’Ex Deo, plus que jamais prêt à assoir son empire tout en continuant son évolution musicale. Une épopée à la fois personnelle et collective que la pandémie n’a en rien endiguée.
« Avec Néron, il y a deux choses intéressantes qui me viennent en tête tout de suite. La première, c’est qu’il était qualifié d’antéchrist à cause de sa persécution des chrétiens ; il n’y a pas plus metal que ça ! »
Radio Metal : Pour commencer, où en êtes-vous à l’heure où on se parle de votre côté de l’Atlantique sur la crise sanitaire : y a-t-il des évènements qui peuvent se tenir ou le cadre est-il toujours assez rigide ? Entrevoyez-vous la lumière au bout du tunnel ?
Maurizio Iacono (chant) : Là je suis en Floride, alors ici ça n’a jamais été trop difficile avec la pandémie. Ça fait vingt ans que j’habite aux Etats-Unis. Je viens du Québec, à Montréal, et là-bas je sais que ça a été beaucoup plus dur. Ici, après deux mois de pandémie, au début c’était fermé mais après ils ont ouvert et ils n’ont plus refermé. Disons que je n’ai pas vécu quelque chose de trop difficile. Le pays au complet a l’air d’être ouvert et ça va bien pour l’instant. On va voir, car il y a un variant qui revient, on dirait qu’il y a toujours quelque chose, mais la situation s’annonce un peu meilleure. Avec Kataklysm, nous partons dans trois semaines (interview réalisée le 14 juillet, NDLR) pour faire une tournée avec Deicide ici aux Etats-Unis et pour l’instant ça va super bien pour ça. Disons qu’il y a beaucoup d’optimisme en ce moment aux Etats-Unis avec la pandémie, mais il y a aussi soixante pour cent de la population qui est vaccinée. Il y a un jeu qui se fait où tu vois la différence entre les pays qui ne le sont pas et ceux qui le sont.
A propos de la crise sanitaire, est-ce que ça a provoqué ou précipité la conception du nouvel album d’Ex Deo ?
Un peu parce que nous n’avons pas eu la possibilité de tourner avec Kataklysm pour l’album Unconquered que nous avons sorti l’année passée, donc ça a laissé un peu de temps pour travailler un peu plus vite sur cet album-là. En d’autres mots, je pense que nous avons mis plus de temps qu’habituellement. Grâce à ça, nous avons vraiment pris le temps de sortir l’album et de faire ça de la bonne manière, ce qui a été super pour ce concept-là. Disons que Kataklysm et tous les projets que je fais, nous n’avons jamais arrêté en trente ans, nous travaillons fort : album, sortie d’album, tournée mondiale, etc. Ça a été un arrêt forcé mais dont nous avions besoin. Il y a tout de même du positif dans tout ça, spécialement pour nous qui n’avons jamais eu l’opportunité de vraiment prendre du temps de repos, forcé en un sens – tu le fais pas à moins d’être forcé [rires]. Ça a été comme quelque chose de bon mais là, nous sommes prêts comme tout le monde à retourner et continuer sur quelque chose de normal maintenant.
Dans le processus de création de cet album, comment ça s’est passé : vous avez pu vous voir ou ça s’est fait à distance ?
Les trois quarts ont été faits à distance. Il n’y a que Jean-François [Dagenais] qui a été capable de bouger. C’est parce qu’il habite au Texas, donc il n’est pas loin de moi. Il est venu chez nous et nous avons travaillé dans mon studio sur le vocal et tout le concept. Autrement, tout le monde a travaillé dans son coin. Le batteur que nous avons maintenant c’est Jeramie Kling, il joue dans Venom Inc. et il habite aussi en Floride, ça a aussi été un gros plus pour nous. Le reste des mecs habitent tous à Montréal et j’ai Clemens [Wijers] de Carach Angren est en Hollande. Nous avons dû travailler avec beaucoup de meetings online et envoyer beaucoup de fichiers. C’est un concept assez complexe que nous avons avec Ex Deo sur cet album, c’est aussi fait chronologiquement, alors nous avons dû travailler selon une méthode un peu différente, dans le sens où j’ai dû aller de personne en personne dans le groupe pour expliquer quel était le concept et quelle mentalité il fallait adopter psychologiquement pour faire un album comme ça. Autour de Néron, il y a beaucoup de paranoïa et de « twists and turns » (rebondissements, NDLR) comme ils disent en anglais, c’est très complexe dans ce sens-là. Il fallait donc mettre tout le monde sur la même ligne, ce qui a pris du temps.
En termes de composition et de façon de penser l’album au moment de l’écriture, qu’est-ce qui différencie singulièrement pour toi Ex Deo de Kataklysm ?
Ce sont deux projets complètement différents. Le seul lien entre les deux c’est qu’il y a moi, Jean-François et Stéphane [Barbe] ; cinquante pour cent d’Ex Deo maintenant sont des membres de Kataklysm. Ma voix, c’est ma voix, donc on va avoir quelque chose qui va attacher les deux, mais sur le plan conceptuel ou musicalement ce sont deux monstres complètement différents. L’orchestration fait que ça l’amène dans un autre monde aussi. Ce n’est pas la même chose côté composition, ce n’est pas non plus aussi intense dans le sens de la brutalité ; avec Kataklysm nous pouvons faire des chansons à 240 bpm par exemple ! [Rires] Ex Deo est un autre concept, c’est plus épique, c’est plus glorieux. Il y a un côté cinématographique derrière Ex Deo que Kataklysm n’a pas. Kataklysm est plus un groupe social, ancré dans les temps réels, tandis que nous transportons Ex Deo dans un autre monde. Ce sont deux concepts différents qui, je pense, avec le temps, s’éloignent de plus en plus l’un de l’autre, spécialement avec les nouveaux membres que nous avons maintenant dans Ex Deo.
« Quand on fait un album comme celui-ci, c’est important pour nous, dans le concept, de mettre en avant l’aspect psychologique derrière l’histoire. Il y a beaucoup de narration. Ex Deo, c’est quasiment du théâtre. »
Par rapport au concept d’Ex Deo, qu’est-ce qui a motivé le choix de centrer ce nouvel opus autour d’événements du règne de l’empereur Néron ?
Si tu fais un concept romain avec le metal, je trouve que ce sont deux choses qui vont de pair, à cause de la brutalité et de tous les personnages qu’il y a eu dans l’Empire romain. Or tu ne peux pas faire un concept romain et ne pas parler de Néron, c’est un personnage, une pièce trop importante de l’Empire romain. Toutes les choses qui sont arrivées en ce temps-là, spécialement durant son règne de treize ans, ce sont beaucoup de choses qu’on retrouve encore aujourd’hui. Toutes les trahisons, la corruption, toutes les choses qu’on voyait à cette époque-là sont encore présentes aujourd’hui. Mais avec Néron, il y a deux choses intéressantes qui me viennent en tête tout de suite. La première, c’est qu’il était qualifié d’antéchrist à cause de sa persécution des chrétiens ; il n’y a pas plus metal que ça ! Il y a aussi le fait que le symbole de la croix à l’envers, qu’on voit dans tous les groupes black metal – et ce concept est très présent dans le metal en général –, vient de son époque, car quand les chrétiens se faisaient persécuter, ils étaient mis sur la croix et Néron ne voulait pas qu’ils meurent comme Jésus, donc il les a mis à l’envers. Ce symbole est resté et ça a donné ce concept-là qu’on voit aujourd’hui dans le metal. Selon moi Néron, c’est un symbole evil ! Avec le temps, c’est devenu un symbole du mal et on voit qu’aujourd’hui c’est quelque chose qui se rattache énormément au concept metal. Je trouve que c’était parfait d’en parler dans un album comme ça. C’est un empereur qui ne voulait pas être un empereur, il voulait être un artiste ! Il voulait être un chanteur, il voulait être un poète, il voulait être acteur. Il ne voulait rien savoir de tout ça et il a été forcé à être là, et quand tu forces quelque chose, tu ne sais jamais quelles sont les conséquences.
Les artistes étaient souvent des esclaves et le fait que l’empereur se considère comme un artiste était vu comme dégradant…
Oui, ce n’était pas bien vu. C’était quelque chose que le sénat ne voulait pas voir et accepter d’un l’empereur romain. Néron avait une frustration avec ça. Il a passé beaucoup de temps en Grèce ; il n’était pas là pendant des moments extrêmement importants qui se passaient à Rome. Ça a fait qu’il avait de nombreux ennemis. C’est vrai aussi, d’après toutes les recherches que nous avons faites, que beaucoup de personnes disent qu’il forçait le monde à écouter ses poésies, qu’il chantait et jouait des instruments et forçait les sénateurs à le voir et ceux qui n’aimaient pas se faisaient « taper dessus », comme ils disent ! [Rires] En tant qu’empereur, il haïssait la corruption interne, il n’aimait pas les sénateurs… Il trouvait qu’ils étaient tous corrompus et ça ne lui plaisait pas. Il a donc puni beaucoup de monde.
Qu’est-ce que ça représente pour toi en tant qu’artiste d’incarner ce personnage de Néron ?
Quand on fait un album comme celui-ci, c’est important pour nous, dans le concept, de mettre en avant l’aspect psychologique derrière l’histoire. Il y a beaucoup de narration. Ex Deo, c’est quasiment du théâtre quand tu écoutes. Ce n’est pas un concept normal d’un album metal. Il faut vraiment se mettre dans le personnage. C’est le plus difficile parce qu’il faut vraiment être capable de comprendre quelle est la mentalité derrière ça. Ça implique beaucoup de travail. Pour moi, ça a été un challenge d’être capable de transcrire dans les chansons à la fois le côté psychologique et l’ordre chronologique, de façon à ce que les deux s’imbriquent bien. « Boudicca » est une chanson sur la reine rebelle d’Angleterre qui a affronté Rome pour empêcher l’Empire romain d’annexer le reste du territoire d’Angleterre, et j’ai engagé Brittney Slayes de Unleash The Archers pour jouer le rôle de Boadicée. Je voulais vraiment amener quelque chose de différent, amener le concept au plus haut niveau possible et faire qu’il y ait une réalité derrière ça, comme si on regardait un film.
D’ailleurs, pourquoi ce choix de Brittney Slayes ?
Premièrement elle est canadienne d’origine comme moi, mais je trouve qu’elle a un caractère déjà rebelle, c’est une personne qui est très forte d’esprit. Elle est très aimée dans le milieu, c’est une grande fan d’Ex Deo et je trouve qu’elle a une voix incroyable. Pour moi, c’était le seul choix possible. Elle a tout de suite accepté et ça ressort très bien je trouve.
« Marcus Aurelius […] est un de mes empereurs favoris à cause de son côté philosophique. Je trouve que c’est un des meilleurs empereurs que Rome ait jamais eus. Il est stoïque et je crois beaucoup à cette mentalité et à cette manière de voir les choses. »
The Immortal Wars prenait déjà un virage plus dramatique et orchestral, notamment grâce à la participation de Clemens Wijers de Carach Angren, dont tu es par ailleurs le manager. C’est un virage que le nouvel album explore encore bien davantage et vous collaborez de nouveau avec lui. Quelles ont été son influence et son importance dans cet opus ?
Très important, parce que ce qui rend ça bien, c’est qu’il est capable de comprendre la différence entre [ce nouvel album et] un album comme Immortal Wars qui est plus ancien, avec un imaginaire qui tourne un peu plus autour de Carthage et de la Méditerranée, avec une ambiance un petit peu différente en rapport à ce qui est arrivé à cette époque. Le concept musical est différent aussi, il y a des touches mélodiques anciennes qu’on n’a pas sur le concept de Nero. Dans Nero, il y a cordes, des violons animés, c’est un concept un peu plus sur la paranoïa et on l’entend dans la musique. Il y a une différence entre les deux : Immortal Wars est un album plus épique, glorieux, avec de la mélodie, etc. alors que Nero est plus agressif et dark. Il y a aussi plus de guitares sur le début – comme ils disent en anglais, c’est plus « guitar driven ». Le début de l’album est plus agressif et après ça se transforme, ça devient plus ouvert, plus orchestral, plus mélodique et épique. Clemens est très bon pour comprendre quand il ne faut pas en mettre trop et ce qui est nécessaire pour la chanson, ce qui fait qu’elle sera mieux. Le premier single que nous avons sorti avec « Imperator » est plus axé sur la batterie et rythmique avec des grosses guitares, et l’orchestre est plus en arrière. Ça commence avec l’orchestre mais on entend qu’il prend du recul pendant que la chanson se projette et il y a beaucoup de vocal, etc., tandis que sur « Boudicca » il y a plus d’orchestre. Clemens est donc capable de manœuvrer ce qui est important, il lit bien la direction. Il est important pour Ex Deo parce qu’il faut quelqu’un qui aime écrire et créer de la musique comme ça. C’est un maître de l’horreur. Si tu écoutes tout ce qu’il fait, même avec Lindemann ou DC Comics Batman, ce sont des mondes complètement différents mais sa touche est reconnaissable, il a une touche « vilaine » un peu, et on la retrouve aussi dans Ex Deo. Je trouve qu’il contribue à l’évolution d’Ex Deo, parce qu’il est moderne aussi. Il a une touche moderne qui est nécessaire aujourd’hui.
Il semble y avoir un véritable effort pour jouer avec les variations de rythmes dans cet album. Est-ce que ça a une importance de raconter quelque chose et de soutenir ce récit avec des rythmiques très différentes ?
Il y a une chose à laquelle j’ai toujours cru en tant que musicien, que ça soit avec Kataklysm ou Ex Deo, je n’aime pas répéter deux fois ou trois fois la même chanson. Pour moi c’est important sur un album que ça se promène, qu’il y ait des attachements qui se font : tu peux mettre play pour écouter l’album et te dire à la fin que ce qui vient d’arriver était un évènement. Ça a bougé d’un côté ou de l’autre. Ce n’est pas comme si peu importait où tu allais dans l’album, c’est presque tout le temps la même chose ; je déteste les albums comme ça. J’aime les albums qui se promènent et qui sont différents de chanson en chanson. Je crois que c’est ce que nous avons été capables de faire sur cet album. C’est sûr qu’il doit y avoir une ressemblance parce que l’histoire doit tenir debout et être cohérente. Il y a un côté agressif et c’est fait exprès parce que nous voulons garder cette intensité tout au long de l’album. Même s’il y a des morceaux plus pesants et lents, tu sens cette paranoïa et cette énergie derrière, il y a quelque chose qui va arriver et tu ne sais pas ce que c’est, ou si ça va ouvrir sur quelque chose d’épique ou non. Il y a des chansons plus orientées metal et groove, quasiment tribales, et d’autres qui sont plus laborieuses.
Pour Immortal Wars, vous aviez fait appel à Jens Bogren pour le mixage et le mastering. Qui s’est occupé de cette partie cette fois-ci ? Est-ce que c’est Jean-François Dagenais qui aurait eu encore plus d’implication qu’auparavant pour cet album ?
Jean-François a fait le nouveau et c’était un gros challenge, car Bogren est l’un des meilleurs producteurs au monde en ce moment et il a fait un boulot incroyable sur Immortal Wars. Mais pour cet album, nous voulions avoir la main sur la production du début à la fin et Jean-François était très prêt pour travailler sur cet album. Il avait beaucoup travaillé avec Colin Richardson sur le dernier album de Kataklysm, nous avons beaucoup appris et donc nous avons décidé de produire l’album nous-mêmes ; depuis Caligvla, c’est le premier qu’il fait du début à la fin. C’était extrêmement difficile à mixer parce que quand Clemens nous a envoyé tout l’orchestre, c’était quasiment un téraoctet de fichiers ! C’était incroyablement pesant. Il y avait beaucoup de fichiers pour les vocaux et les guitares. Mettre tout ça ensemble, c’était un boulot énorme et je ne sais pas comment il a fait, mais selon moi le son est très pesant, il y a ce côté dark que j’aime bien et qu’il a été capable de chercher sur les guitares, c’est un peu « sale », ce n’est pas trop clean. Je trouve que ça donne une esthétique un peu ancienne, ça a été méticuleusement travaillé. Chapeau à Jean-François pour la production parce que je trouve que c’est très bien sorti, spécialement les batteries qui sont très fortes et, comme je t’ai dit, quasiment tribales ; quand ça sort, ça ressort fort.
« Le côté métallique avec les affaires comme l’antéchrist et les croix à l’envers, ça vient de Rome ! Je trouvais que c’était un concept qui fait du sens dans le metal et que le metal manquait de couvrir ce côté-là. Je suis content d’être un des seuls groupes à le faire encore aujourd’hui. »
On peut faire le parallèle avec le dernier album de Kataklysm : on a l’impression que vous proposez des albums plus introspectifs et plus sombres avec les années et c’est pareil pour Ex Deo. Est-ce que ça fait partie d’une volonté globale du groupe ?
Je pense que ça va avec l’environnement dans lequel on évolue. Dans Kataklysm ou Ex Deo, par rapport à nous qui sommes dans le groupe, il y a un côté très réel avec notre environnement. Je trouve que le monde n’est pas dans une belle situation. Normalement, quand tu écris, tu écris avec ton cœur et ton esprit, donc c’est la conséquence. Mais avec Ex Deo, ce n’est pas la même chose que Kataklysm. Kataklysm il y avait un côté très agressif sur Unconquered et ça faisait longtemps que Kataklysm n’avait pas sorti quelque chose comme ça. Je sais que personnellement, dans les paroles de Kataklysm, j’étais plus agressif que je n’ai jamais été, j’avais beaucoup de colère intérieure, je ne sais pas pourquoi, probablement pour beaucoup de raisons, mais j’ai sorti ça comme ça. Avec Ex Deo, il faut représenter notre concept, et notre concept c’est Néron. Avec Néron, il n’y a rien de joyeux, c’est psychologiquement difficile, et nous voulions représenter ça de la meilleure façon possible. Avec Ex Deo c’est plus planifié, alors qu’avec Kataklysm c’est plus naturel, mais quelque part ça se rejoint.
Avant cet album, vous avez sorti le single « The Philosopher King » avec Francesco Ferrini, claviériste de Fleshgod Apocalypse. Comment est né ce projet ?
Nous ne voulions pas dire que nous faisions l’album mais nous savions que ça faisait déjà beaucoup de temps que nous avions sorti Immortal Wars et nous avions du matériel en banque déjà, que nous n’avions jamais utilisé pour Ex Deo. Nous nous sommes dit pourquoi ne pas sortir quelque chose de différent et inviter Francesco, qui est un autre maestro de haut niveau, pour faire l’orchestre sur cette chanson et un concept. Nous ne pouvions pas vraiment faire un album complet sur Marcus Aurelius, qui est un de mes empereurs favoris à cause de son côté philosophique. Je trouve que c’est un des meilleurs empereurs que Rome ait jamais eus. Il est stoïque et je crois beaucoup à cette mentalité et à cette manière de voir les choses. Je trouvais que faire une chanson dédiée à lui serait honorable. Mais c’était plus l’idée de remettre Ex Deo dans la tête du monde et aussi montrer un autre côté avec quelqu’un qui fait un orchestre différent. Ce que je trouve cool, c’est que tu ne pourrais même pas voir la différence entre le côté artistique de Clemens et celui de Francesco Ferrini, on dirait que les deux auraient pu être sur le même album ! La différence est que ce n’est pas aussi dark, parce que « The Philosopher King » est plus une chanson qui te transporte dans le sens où elle te fait penser. The Thirteen Years Of Nero est plus un album « storyteller », tu expliques une situation qui est arrivée, c’est autre chose.
On a l’impression que d’un point de vue conceptuel et philosophique, le stoïcisme porté par Ex Deo à ce moment était une réponse presque logique à la violence qui était portée elle par Kataklysm. Les deux s’enchainaient plutôt bien et assez logiquement…
C’est vrai, je vois ça aussi. Je suis d’accord. Je trouve ça cool que c’était différent de ce côté-là aussi, mais ça va avec l’émotion du moment quand on écrit quelque chose de conceptuel comme ça. Quand il faut faire dix à douze chansons, qu’importe le nombre de chansons qu’il faut faire, c’est là que ça devient compliqué de garder une cohérence sur l’ensemble, tout doit bien s’enchainer. C’est plus comme un gros film.
D’ailleurs vous avez une tournée de prévue en 2020 avec Fleshgod Apocalypse, cela semble être un plateau extrêmement cohérent. Comment s’est décidée cette tournée commune ?
Nous sommes des amis depuis des années et je travaille aussi avec Fleshgod Apocalypse avec ma boîte de management. Nous avions déjà parlé de le faire ensemble. Malheureusement la tournée ne passera pas cette année parce que la situation avec le Covid-19 n’est pas encore réglée en Europe. Le problème c’est que nous jouons dans trop de villes et de pays, et ce n’est pas possible de tout faire comme nous le voulions. Donc nous avons repoussé ça à l’année prochaine, en octobre 2022. Je trouve que les deux groupes ensemble forment un très beau package et je pense que ça va très bien se passer, j’en suis certain.
Seth Siro Anton a réalisé l’artwork. Il avait déjà réalisé celui de Caligvla. Pourquoi avoir décidé de refaire appel à lui pour cet album ?
Je trouve qu’il a une touche unique et à cause de ce qu’il avait fait avec Caligvla, je voulais garder une continuation, avec quelque chose de similaire. Quand on parle d’un individu, c’est plus facile de faire un concept artistique en rapport. Pour Immortal Wars, nous avions pris Eliran Kantor parce que c’est un concept qui était très ancien et je trouvais que sa touche à la peinture allait mieux avec ça. Mais avec Nero je voulais quelque chose d’un peu plus moderne. Ce que j’aime chez Seth Siro Anton, c’est le côté organique qu’il est capable d’incorporer avec quelque chose qui est ancien. Il est capable de te faire penser dans son concept et les détails qu’il met sont incroyables, spécialement le bas de l’artwork où il y a tellement de détails, c’est fou ! C’est un artiste incroyable. C’est un bon ami et je trouve qu’il a fait un très bon artwork. Et puis il vient du sud de l’Europe, Néron a passé beaucoup de temps en Grèce, alors ça avait du sens !
« Quand tu y portes beaucoup d’attention, tu remarques qu’il n’y a pas grand-chose qui a changé. La corruption est encore là, tout est déguisé et tout est changé de différentes manières, mais tu vois que les mêmes choses se répètent, toujours. »
Quel rapport entretiens-tu toi plus généralement avec l’histoire de la Rome antique ? Pourquoi insistes-tu avec Ex Deo sur ces thématiques et quels échos y trouves-tu avec le présent ?
Je suis d’origine italienne, donc c’est quelque chose qui a toujours fait partie de ma vie, depuis que je suis jeune, dans ma famille, ça fait partie de nos racines. J’ai vraiment été intéressé par tout ça quand je suis allé en Italie la première fois. Voir l’Italie, y être et absorber toute l’histoire qu’il y a là-bas est quelque chose d’incroyable à faire. Je me sentais très honoré de pouvoir dire que ma lignée fait partie de ça. Je trouvais que dans le metal, il n’y avait personne qui faisait ça. Quand nous avons commencé en 2008, il n’y avait pas un groupe qui parlait de l’histoire romaine et je trouvais ça bizarre. Nile a fait un travail incroyable pour les affaires égyptiennes et t’as les mecs d’Amon Amarth et au moins une centaine de groupes qui font le viking, mais personne ne touchait au côté romain et latin de l’histoire. Il n’y a rien de plus metal que Rome ! Parce que la brutalité, les caractères des personnages, l’histoire de mille ans… Et tout ce qui relie le côté métallique avec les affaires comme l’antéchrist et les croix à l’envers, ça vient de Rome ! Je trouvais que c’était un concept qui fait du sens dans le metal et que le metal manquait de couvrir ce côté-là. Je suis content d’être un des seuls groupes à le faire encore aujourd’hui. Mais l’affaire intéressante c’est ce que tu as dit : le rapport entre le passé et aujourd’hui. Quand tu y portes beaucoup d’attention, tu remarques qu’il n’y a pas grand-chose qui a changé. La corruption est encore là, tout est déguisé et tout est changé de différentes manières, mais tu vois que les mêmes choses se répètent, toujours. C’est ce que je trouve vraiment intéressant quand on regarde les choses anciennes et ce qu’on en pense au travers d’aujourd’hui. Même des choses comme le Covid-19 et les problèmes sanitaires… Il y a eu la peste antonine et plein de choses qui sont arrivées dans le temps à Rome. C’est quelque chose que l’humanité affronte depuis des centaines d’années.
Par rapport au côté visuel de la Rome antique, est-ce que c’est quelque chose que vous voulez développer aussi sur scène ? Dans vos clips vidéo, c’est très présent…
C’est sûr que c’est un concept qu’il faut absolument prendre au sérieux. Nous le prenons au sérieux, mais si on veut pousser le bouchon, l’idée est d’amener un concept romain live théâtral, c’est quelque chose d’important à faire. C’est un de nos plans, dans le futur, d’amener l’environnement romain sur la scène. Pour le faire, c’est extrêmement complexe et dur, mais nous sommes déterminés à le faire pour 2023, je pense, quand nous serons en headliner. Ça prend toute la scène et toutes les lumières, donc on ne peut pas faire ça en tant que groupe d’ouverture, mais dans le futur nous allons pousser le concept. Honnêtement, je pense que Ex Deo va prendre beaucoup plus de place dans le futur. Kataklysm n’a jamais arrêté en trente ans, nous avons sorti quatorze ou quinze albums, je ne me rappelle même plus [petits rires]. Nous sortons un album et nous faisons le tour du monde… Je pense que c’est le temps de donner un bon repos mérité à Kataklysm et de mettre un peu plus d’emphase sur Ex Deo dans le futur.
Vous êtes maintenant une référence dans la scène death symphonique, il y a une notoriété croissante pour ce groupe qui, à la base, était un projet parallèle. Est-ce que tu es surpris de cet engouement ?
Oui et non. Disons que quand Ex Deo a commencé, je pense c’était trop de bonne heure pour ce concept-là. C’était dans le coin où tous les groupes sortaient des choses vikings, Amon Amarth commençait à faire beaucoup de bruit, etc. Le metal était super présent dans les pays scandinaves, le viking a tout de suite touché l’Allemagne et l’intérêt a été beaucoup plus fort pour ce genre de chose. Pour nous, c’était un side project que nous faisions entre des albums de Kataklysm ; quand nous voulions donner un petit repos au groupe, nous faisions un album d’Ex Deo. Mais je vois l’intérêt derrière qui grossit et je vois que maintenant, c’est le temps. Ça fait plus de dix ans que le groupe existe et sur le quatrième album, on voit maintenant que nous sommes extrêmement confiants. Nous pensons que cet album va ouvrir beaucoup de portes et que le monde est prêt pour quelque chose de différent comme Ex Deo. Alors oui, je ne suis pas surpris parce que je trouve que ce que nous faisons est bien fait, pas parce que je veux me croire spécial ou quoi, mais je trouve que c’est quelque chose d’unique. C’est le mot clé pour Ex Deo : c’est un groupe unique. Et quand tu fais quelque chose d’unique, ça sort un peu de la normale. Un groupe comme Eluveitie, c’est pareil. C’est un groupe qui est sorti avec des notes et des instruments différents et un concept différent, et ça a fait du bruit. Je trouve que pour Ex Deo, la seule différence, c’est que nous n’avons jamais poussé l’enveloppe, nous n’avons jamais poussé tout ce que nous devions pousser, disons côté live et faire des albums un peu plus [plus fréquents], ne pas laisser passer quatre ou cinq ans entre les albums. C’est ce que nous allons changer maintenant. Si je mets de l’effort derrière, je pense que c’est un groupe qui peut devenir très important. Je peux te dire qu’il va y avoir un album d’Ex Deo avant un nouvel album de Kataklysm.
« Dans Kataklysm ou Ex Deo, par rapport à nous qui sommes dans le groupe, il y a un côté très réel avec notre environnement. Je trouve que le monde n’est pas dans une belle situation. Normalement, quand tu écris, tu écris avec ton cœur et ton esprit, donc [le côté sombre de la musique] est la conséquence. »
Avec Kataklysm, vous allez faire la tournée avec Deicide aux Etats-Unis. Comment appréhendes-tu ce genre de tournée, puisque l’album est sorti il y a un an maintenant et qu’on imagine que c’est la première fois que vous faites une tournée promotionnelle aussi éloignée de la sortie de l’album ?
C’est la première fois que nous faisons ça. Il faut se réinstruire parce que quand ça fait presque deux ans qu’on n’a pas fait de concert, on est rouillé, en un sens. Ce n’est pas si facile que ça d’y retourner comme si de rien n’était. Il y a beaucoup de préparation en ce moment. Mais le côté « break » de deux ans, ce n’est pas juste nous, c’est aussi le public. Pour le public, c’est comme si le temps s’était arrêté et là il retourne à des concerts, et je pense que l’album est encore frais pour les gens, parce qu’il ne s’est rien passé depuis et c’est la première tournée officielle aux Etats-Unis depuis la pandémie qui va commencer. Je pense que les gens attendent les nouvelles chansons. Quand je regarde les chiffres de streaming sur Unconquered, ceux-ci sont très élevés. Je pense que c’est un album qui a été apprécié quand il est sorti et que les gens vont venir l’encourager quand nous allons arriver. Le seul problème avec cet album, c’est que je ne vois pas la possibilité ou l’ouverture de venir faire une tournée en Europe. Contractuellement, nous avons une autre tournée en janvier et février avec Dark Tranquillity aux Etats-Unis, mais l’Europe ça va juste être des festivals pour le futur immédiat, donc nous ne savons pas ce qui va arriver de plus que ça. Nous avons un festival en Suisse qui va arriver en septembre, le Meh Suff!, c’est sold out et c’est le seul concert européen cette année. En espérant qu’il se passe !
Ce qui peut interpeller quand on te voit sur scène, c’est la sympathie que tu dégages, même si tu joues dans des groupes aux thématiques assez sombres. Il y a quelque chose de très chaleureux notamment quand tu t’adresses au public français que tu appelles « les cousins ». Ça se démarque de pas mal de beaucoup de groupes de death qui se la jouent gros durs…
J’ai un côté très amical et j’adore faire ce que je fais, et j’apprécie le monde qui vient. Aussi, nous les metalleux, nous ne sommes pas comme le monde en général autour de nous, nous sommes des marginaux, nous sommes du monde de l’extérieur par rapport à ce qui passe autour de nous tous les jours. Alors quand nous nous rejoignons, c’est comme si tu voyais des anciens amis ou des amis qui pensent comme toi, et nous nous rejoignons tous dans une salle, c’est notre école. Nous avons notre petit monde que nous avons créé et pour moi, c’est un moment où on doit être ensemble et être contents. Ce n’est pas un moment où je dois être là juste pour être sérieux, juste parce que je suis metalleux [petits rires]. Quand j’arrive, je m’amuse et je veux que le monde s’amuse avec moi. Au moment où je chante les chansons, dans celles-ci il y a des sentiments et des choses qui me frappent, et ça c’est différent. On va être agressifs, etc. et c’est cool, mais entre les chansons, quand on se parle, on s’amuse. On boit un vin ou une bière et on parle ensemble, moi je vois ça comme ça. Je viens saluer mes amis et ça sera toujours comme ça.
Quand tu étais venu à Lyon avec Kataklysm, c’était drôle car tu avais parlé de Le Creusot. C’est une petite ville où tu as vécu en France. Y es-tu retourné ?
Je n’y suis pas retourné mais j’ai encore beaucoup de membres de ma famille là-bas qui ont des restaurants, etc. Ils m’attendent pour que j’y retourne, mais je n’ai pas eu l’opportunité car quand nous faisons une tournée, nous ne sommes là qu’une journée et nous nous en allons, mais la prochaine fois, je vais faire l’effort d’arriver de bonne heure et essayer d’y aller ! C’est loin comment de Lyon ?
Une heure et demie de route, je dirais…
Le Creusot c’est vraiment dans le creux ! [Rires] J’habitais là-bas quand j’avais cinq ans ! J’y suis resté deux ans, je pense, et après nous sommes revenus au Canada.
Interview réalisée par téléphone le 14 juillet 2021 par Jean-Florian Garel & Eric Melkiahn.
Retranscription : Jean-Florian Garel.
Site officiel d’Ex Deo : www.exdeoband.com
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