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Interview   

Exodus : retour de vacances


Il aura fallu le temps, entre les tournées incessantes et un Gary Holt devant jongler avec son poste au sein de Slayer, mais Exodus est enfin retourné en studio et revient désormais les bras chargés d’hymnes thrash metal à décaper les tympans. En la matière, Persona Non Grata tient ses promesses, injectant une dose de variété bienvenue sur fond de thématiques politico-sociales dressant un tableau sombre de l’état du monde et de ses divisions. Pourtant, Persona Non Grata a été réalisé dans un environnement on ne peut plus bon enfant, le groupe s’étant retranché dans la montagne, dans ce qu’ils appellent un « camp de vacances », pour y installer son studio, sans pression.

Le guitariste et compositeur/parolier principal Gary Holt, qui fête cette année ses quarante ans passés au sein de la formation californienne, nous raconte cette expérience. L’occasion de prendre des nouvelles de la santé du batteur Tom Hunting qui a subi il y a peu une gastrectomie suite à un cancer de l’estomac, et de parler retraite suite à celle désormais effective de Slayer.

« C’était comme un camp de vacances. Comme quand on est gamin et qu’on part à la campagne pour faire de l’art, des travaux manuels et traîner dans un chalet. Nous, nous avons fait du metal dans un chalet [rires]. »

Radio Metal : Persona Non Grata sort sept ans après Blood In, Blood Out. C’était évidemment à cause du rythme frénétique de tournée du groupe et de ton engagement auprès de Slayer. Malgré tout, il y a eu des nouvelles de temps en temps sur la création éventuelle d’un nouvel album. Du coup, quel a été le processus d’écriture de cet album au fil de ces sept années ?

Gary Holt (guitare) : J’ai un peu commencé à composer vers 2019 pendant mon temps libre et ensuite, quand Slayer a arrêté, je m’y suis vraiment mis. Quand je me suis réuni avec Tom [Hunting] dans la montagne en juillet l’an dernier, nous avons commencé à travailler sérieusement sur les parties, à assembler les chansons et à apprendre celles qui étaient déjà finies. Il peut m’arriver de composer un petit peu pendant les balances lors des concerts, mais je n’ai jamais été du genre à écrire en tournée. J’aime composer à la maison et j’aime le faire le matin [petits rires]. Je suis un matinal. Certains musiciens préfèrent peut-être attendre qu’il fasse noir et que ce soit un peu effrayant pour écrire du heavy metal, mais pas moi, j’aime le faire le matin avec mon café [rires].

Il n’y avait aucune véritable deadline, aucune pression. En êtes-vous à un stade dans votre carrière où vous n’avez pas besoin du genre de pression dont les plus jeunes groupes ont peut-être besoin ?

Je pense que nous nous mettons suffisamment la pression nous-mêmes, nous le faisons toujours, mais c’est une bonne forme de pression, rien qui ne fasse stresser. Quand nous nous sommes retrouvés dans la montagne, nous étions en pleine pandémie et nous savions que nous ne serions pas interrompus. C’est super parce que même quand on prévoit du temps pour enregistrer, il y a toujours une offre qui se présente pour une tournée ou quelque chose comme ça, il y a un très bon cachet à la clé et nous sommes là : « Ok, faisons une pause pour aller jouer. » Cette fois, la seule chose que nous pouvions contrôler était nous-mêmes et notre créativité. Nous ne pouvions pas jouer, donc il ne fallait pas compter dessus, et tout ce que nous pouvions faire, c’était composer de la musique. C’était une expérience merveilleuse et géniale. C’était comme un camp de vacances. Comme quand on est gamin et qu’on part à la campagne pour faire de l’art, des travaux manuels et traîner dans un chalet. Nous, nous avons fait du metal dans un chalet [rires].

Nous n’avons jamais aimé enregistrer dans des studios traditionnels. Ça fait longtemps que nous ne l’avons pas fait. Dans le temps, nous enregistrions toujours en studio, mais tous nos albums depuis 2003, à l’exception de Shovel Headed Kill Machine, ont été enregistrés dans des studios de fortune, sauf la batterie. Nous sommes généralement obligés d’aller en studio pour la batterie, parce qu’il nous faut plus de matériel, mais cette fois, nous avions tout le matériel nécessaire, donc la batterie était montée durant tout le processus. Tom a pu continuer à travailler sur ses parties de batterie tout du long, à l’inverse de la méthode classique où il doit avoir fini à une date donnée et où ensuite il n’y a plus de batterie. J’aime enregistrer là où je peux prendre mon café, aller me promener dehors et ensuite aller au studio sans avoir à monter dans ma voiture, me taper la circulation et être déjà fatigué une fois arrivé. C’est la meilleure façon de faire pour Exodus : faire comme si c’était des vacances. Nous avons établi nos habitudes. Par le passé, nous avons loué de grandes maisons de vacances et investi des entrepôts pour y monter un studio. Ça fonctionne parfaitement pour nous. Il n’y a pas de pression, on n’est pas tout le temps obligés de regarder l’horloge parce qu’on paye à l’heure ; on ne paye rien. C’est vraiment mieux comme ça.

D’un autre côté, un genre musical comme le thrash ne bénéficie-t-il pas d’une forme d’urgence ?

Disons que personnellement, je n’ai jamais bénéficié des émotions du côté obscur et ce genre de chose. Je compose mieux quand je suis heureux et que le soleil brille. Je suis un compositeur estival. Je ne compose pas beaucoup pendant l’hiver. C’est drôle que ce soit comme ça, même si je ne sais pas pourquoi c’est comme ça. Mais oui, peut-être que le thrash a besoin d’un peu d’urgence, mais curieusement, nous n’avons ressenti aucune urgence. Nous avions tout le temps du monde. D’un autre côté, je ne suis pas le genre de gars qui aime passer une éternité à travailler sur un album. Parfois on lit que tel ou tel groupe travaille sur un album pendant un an et devient fou. Mais pour nous, travailler longtemps sur un album, c’est comme ce que nous avons fait sur celui-ci : nous avons enregistré pendant trois mois, ce qui est long pour Exodus. J’imagine que nous nous imposons nous-mêmes une urgence.

« Quand Rob Dukes était dans le groupe, la plupart des gens disaient : ‘Je n’aime pas ce gars, faites revenir Steve Souza !’ Puis Steve Souza revient : ‘J’aimais bien Rob Dukes !’ Putain, mais décidez-vous ! [Rires] »

Penses-tu que le fait de nouer des liens en faisant de la musique dans ce genre d’environnement permet d’éviter les tensions qui peuvent survenir dans un environnement plus pressurisé ?

Peut-être bien. Enfin, chaque groupe est différent. Chacun dans Exodus apprécie la compagnie des autres membres du groupe. Nous nous éclatons ensemble. Nous n’arrêtions pas de rire, nous faisions des barbecues, nous nous racontions des blagues et nous faisions de la musique. Je suppose qu’il est impossible de travailler comme le fait Exodus à moins de tous très bien s’entendre. Certains groupes ne veulent même pas se voir en studio. Le chanteur débarque quand c’est son tour et ensuite il part quand un autre musicien est là. De notre côté, tout le monde est là et nous traînons tous ensemble. Nous travaillons tous en même temps et nous sommes extrêmement productifs. C’est super quand tout le groupe est là parce que nous nous encourageons pendant que nous faisons nos parties. Nous sommes tous là pour nous soutenir. C’est une situation parfaite pour Exodus.

On trouve des chansons très différentes dans l’album, si on compare la furieuse « The Beating Will Continue (Until Morale Improves) » et la plus progressive et sombre « Lunatic Liar Lord ». Est-ce qu’elles naissent d’humeurs et de contextes différents au moment de la composition ?

Oui, c’est certain. Il y a toujours une émotion ou une humeur différente dans laquelle on puise quand on compose. Je savais que « Lunatic Liar Lord » allait être le morceau épique de l’album. J’avais tout un tas d’idées à mettre dedans et nous avons fait en sorte qu’elles fonctionnent ensemble. « Persona Non Grata » est la deuxième chanson la plus longue de l’album et c’est le morceau d’ouverture. D’ailleurs, elle est plus courte qu’elle ne l’était au départ, car j’ai retiré certaines parties pendant sa composition. Je voulais que cet album soit super heavy mais aussi super varié, qu’il couvre tout un tas d’émotions et d’atmosphères. Je pense que nous y sommes parvenus.

Toute la séquence créée par l’introduction « Cosa Del Pantano » à la guitare acoutstique façon Bayou et « Lunatic Liar Lord » est clairement un moment fort de l’album qui se démarque du reste…

Pour la première fois depuis longtemps, j’ai vraiment voulu mettre un petit morceau acoustique sur cet album. J’ai composé vingt morceaux, tous totalement différents, et je ne savais pas vraiment lequel utiliser. Avec la manière dont nous avons enregistré dans ce camp de vacances, il y a avait des guitares acoustiques partout qui traînaient, donc je suis vraiment retombé amoureux de cet instrument. Quand j’ai commencé à travailler sur cette idée, Tom l’a beaucoup aimée. Il l’appelait « La Chose Du Marais ». J’ai dit : « Non, il faut qu’on trouve un meilleur nom de que ça. » Donc je l’ai simplement traduit en espagnol [rires], « Cosa Del Pantano », ça veut juste dire « la chose du marais ». Je savais que « Lunatic Liar Lord » allait commencer en acoustique et il s’est avéré que c’était l’enchaînement parfait.

Un autre morceau intéressant, c’est « The Years Of Death And Dying » : il y a un côté suédois avec l’un des refrains les plus mélodiques et accrocheurs qu’Exodus ait jamais eus…

Oui, je pense aussi. Cette chanson a été entièrement écrite quand nous étions en studio. Je ne crois même pas que j’avais le moindre riff pour cette chanson avant. Tom avait des paroles sur lesquelles il était en train de travailler – c’était en fait un poème sur tous les gens qui ont été emportés, des amis, des héros, etc. Il voulait faire les paroles de cette chanson, je lui ai dit : « Absolument, vas-y ! » Ce qu’il a fait est génial. Quand nous étions en train de travailler sur les couplets, le refrain nous est venu tout naturellement et spontanément. Tom était en train de jouer et j’ai sauté sur cette progression. Ça a changé un peu dans l’approche de la guitare rythmique, mais les mélodies sont restées les mêmes depuis la première fois que nous avons travaillé sur cette idée. Le résultat est vraiment super, j’adore !

Quand Lee Artus l’a entendu pour la première fois, il a dit : « Nom d’Arch Enemy ! » Non, en fait, je crois qu’il a dit : « Nom de Saint In Flames ! » [Rires] J’ai dit : « Oui, je devrais probablement leur payer des royalties », mais c’est clair que c’est une influence. Je suis un grand fan d’At The Gates, d’Arch Enemy et de tous ces gars. C’est la beauté du heavy metal : on donne de l’inspiration et on reçoit de l’inspiration. Je pense qu’à la minute où on s’arrête d’être inspiré par d’autres groupes, c’est là qu’on se retrouve à court d’idées. Ça ne veut pas dire qu’on fait du plagiat d’idées. C’est comme lorsque nous étions gamins et que nous avons composé Bonded By Blood, nous absorbions tous les jours toute cette musique que nous adorions et ensuite, nous en avons fait quelque chose à nous. Il faut continuer à faire ça, à aimer d’autres musiques qui nous inspirent pour notre propre musique.

« On en est à un point où, quand certains politiciens libéraux ou conservateurs commencent à paraître raisonnables, leurs partisans les condamnent pour ça, disant que ce sont des girouettes ou des vendus. On vit dans un monde de fous aujourd’hui. »

L’album s’intitule Persona Non Grata et aborde les thèmes de la dégradation et du dégoût social dans le monde moderne. Est-ce que jouer une forme de musique extrême a fait – ou fait encore – que vous avez l’impression d’être persona non grata auprès du monde mainstream extérieur ? Vous voyez-vous comme des marginaux ?

Je ne sais pas. Enfin, je suis sûr qu’Exodus est persona non grata pour quelqu’un [rires]. Nous sommes un groupe qui suscite plein d’émotions et d’opinions différentes chez les gens. Regarde nos chanteurs : quand Rob Dukes était dans le groupe, la plupart des gens disaient : « Je n’aime pas ce gars, faites revenir Steve Souza ! » Puis Steve Souza revient : « J’aimais bien Rob Dukes ! » Putain, mais décidez-vous ! [Rires] C’est juste drôle, ceci dit. Tout le monde a un avis. C’est comme un trou du cul, tout le monde en a un. Mais si on parle de la chanson « Persona Non Grata », je dis toujours que ça peut faire référence à qui on veut, car les gens me demandent tout le temps qui est persona non grata pour moi, mais la liste est longue !

J’imagine qu’on est tous persona non grata pour quelqu’un…

Oui, peut-être, je ne sais pas. Enfin, j’essaye de traiter les gens avec gentillesse et respect, et malgré tout, de temps en temps je tombe quand même sur un putain de connard. Je suis là : « Va te faire foutre, mec ! Je te traite comme un invité qui est le bienvenu. » Des fois, on voit quelqu’un arriver sur notre page Instagram, par exemple, et il ne fait que dire de la merde, et ensuite il pleurniche quand on le bloque, c’est genre : « Mec, en gros, c’était comme si tu étais entré chez moi et que tu m’avais dit que mon putain de tapis était moche ! » Car c’est chez moi. Tu arrives, tu insultes la maison et ensuite tu te fais mettre dehors, « dégage de là ! » « Mec, tu rentres, tu dis de la merde et tu t’attends à rester, pourquoi ?! » [Rires]

La chanson « The Fires Of Division » parle évidemment des divisions qu’on voit partout, et c’est particulièrement vrai des opinions politiques : les gens de différents bords se détestent de plus en plus, et ne veulent pas se côtoyer ; ils ne veulent même pas se parler. Selon toi, quelle est la source de cette tension et intolérance politique qu’on voit actuellement ? Pourquoi les gens ne peuvent-ils pas respecter et accepter d’autres opinions politiques que les leurs ?

Déjà, c’est à cause des politiciens eux-mêmes. Fut un temps où – et peut-être que ça montre mon âge – le but des politiciens était de faire passer les lois qu’ils voulaient mais aussi d’obtenir le vote des autres gens. Maintenant, ils se fichent de séduire l’autre bord. Ils veulent juste que leurs partisans votent et se fichent totalement de ce que les autres pensent. Je veux dire qu’Exodus, nous sommes un groupe constitué de conservateurs et de libéraux, et nous nous entendons parfaitement et nous nous aimons comme des frères. J’aurais aimé que le monde redevienne comme ça. Je suis pessimiste à l’idée que ça puisse arriver car il y a plus de points à gagner par le biais de la haine que par le compromis. Certains sont facilement dirigés. Les mêmes personnes qui prêchent la haine et la division, si elles avaient changé un peu de disque, peut-être que les gens auraient changé avec elles, mais maintenant, on en est à un point où, quand certains politiciens libéraux ou conservateurs commencent à paraître raisonnables, leurs partisans les condamnent pour ça, disant que ce sont des girouettes ou des vendus. On vit dans un monde de fous aujourd’hui. Je ne l’aime pas et je n’aime pas ce qu’on laisse à mes petits-enfants.

Tu viens de donner l’exemple du groupe où il y a différentes pensées politiques et où vous êtes quand même amis. Malgré tout, en tant que parolier, fais-tu attention à ce que tu fais chanter à Steve quand ça touche à des sujets politiques ?

Non, pas du tout. Quand Rob Dukes était dans le groupe, il a écrit des paroles et c’est quelqu’un de très libéral, ce n’est pas un conservateur. Par exemple, quand il a écrit « Children Of A Worthless God », plein de gens ont cru que c’était super à droite et conservateur, et je ne l’ai absolument jamais corrigé. Quand Zetro a écrit « Elitist », c’était ma chanson et au départ j’avais commencé à écrire les paroles, mais au bout d’un moment ma charge de travail devient trop importante, alors j’ai dit : « Pourquoi tu ne travailles pas dessus ? » Et je ne lui ai pas dit comment écrire la chanson ou l’aborder. Au départ, j’étais parti pour écrire sur le fait qu’être élitiste n’était pas une mauvaise chose. Qu’est-ce qu’il y a de mal à être une élite ? Rien du tout. Peu importe le niveau de notre statut social, tout le monde croit être meilleur que quelqu’un d’autre. C’est la nature humaine. Mais nous permettons aux divergences d’opinions de s’exprimer dans les paroles du groupe. J’écris la majorité des textes, mais j’essaye aussi de les écrire sous un angle ouvert. Je n’ai pas envie de prêcher. Je n’ai pas envie de monter sur une tribune de fortune et de prêcher une politique. Je préfère laisser une chanson ouverte à interprétation. C’est extraordinaire le nombre de chansons d’Exodus, au fil des années, que j’ai vues être encensées par des gens parce que soi-disant elles défendaient quelque chose, alors que ce n’est absolument pas le cas [rires], genre : « Non, je n’ai pas écrit à propos de ça », mais pas de problèmes. Tant que les gens les aiment bien, c’est cool.

« J’ai grandi dans un ghetto et tous les autres membres d’Exodus aussi, sauf [Paul] Baloff. Lui a vécu dans un joli quartier de Kensington. Mais pour moi, le thrash était très urbain, c’était mon éducation. »

Vous abordez pas mal de thématiques sociales ainsi que divers sujets sur ce qui ne va pas dans notre société. Généralement, surtout dans le mainstream, ce sont des thèmes que les gens ont tendance à associer au rap et à la musique urbaine en général, mais le thrash a souvent parlé de ça aussi. Ferais-tu un parallèle entre le milieu d’où vient le thrash et celui d’où vient le rap ? Dirais-tu même que le thrash est une forme de musique urbaine, d’une certaine manière ?

Ça fait des décennies que le rap n’a pas fait la moindre chanson qui parlait d’autre chose que d’argent et de cul [rires]. Je veux dire que l’époque de Public Enemy est révolue. Maintenant, tout ce à propos de quoi ils rappent, c’est la quantité de fric qu’ils gagnent, le nombre de femmes qu’ils ont et le genre de voiture qu’ils peuvent conduire. Je suis sûr qu’il reste des rappeurs engagés, mais souvent je vois un article sur un rappeur, une chronique de son album, il explique à quel point c’est un chef-d’œuvre et ensuite il donne un exemple de paroles où il ne fait que parler du nombre de diamants qu’il a. Allez ! C’est juste stupide. Le rap que j’aimais avait plein de bonnes choses à dire. Mais oui, le heavy metal et le thrash metal en particulier ont toujours eu un côté très politique et social, je pense, parfois en tout cas. Nous écrivons aussi sur le diable et le massacre de gens, donc… Nous avons nos moments [rires]. Je veux dire que j’ai grandi dans un ghetto et tous les autres membres d’Exodus aussi, sauf [Paul] Baloff. Lui a vécu dans un joli quartier de Kensington. Mais pour moi, le thrash était très urbain, c’était mon éducation. Je viens d’endroits qui n’étaient pas les plus sûrs. A un moment donné, j’ai grandi à San Pablo, en Californie, qui avait le plus haut taux de criminalité par habitant en Amérique. J’y vais encore pour aller voir ma mère !

La chanson « Clickbait » parle de la « malhonnêteté journalistique ». Comment analyses-tu l’évolution des médias et du journalisme depuis que tu as commencé au début des années 80 ? Qu’est-ce qui a mené à cette dérive ?

Ce qui a mené à ça, c’est l’argent qu’on gagne au clic : ils doivent vous pousser à cliquer sur leur article et vous empêcher de scroller plus loin afin de générer du revenu. Pour ça, ils sélectionnent des petits bouts d’un article ou d’une interview pour en faire le gros titre afin que les gens le lisent, ensuite tout le monde découvre que ce n’est pas vraiment ce qui est dit ou que c’est sorti de son contexte. Surtout en politique, c’est une tendance très forte et horrible. On voit un article sur chaque hésitation verbale de Joe Biden ou de Donald Trump, comme si personne n’avais jamais fait de faute de frappe [rires]. Je ne suis pas du tout un soutien de Donald Trump, mais parfois, les infos le concernant n’avaient pas un grand intérêt médiatique. Le gars butait toujours sur des mots. Joe Biden bute toujours sur des mots. C’est ce que font les vieux. J’ai cinquante-sept ans, je le fais tout le temps ! Qui ne le fait pas ? D’un autre côté, c’est aussi les gens eux-mêmes qui recherchent le sensationnalisme et ne prennent pas la peine de suivre des sources d’information fiables.

En avril de cette année, Tom Hunting a été diagnostiqué comme étant atteint d’un cancer de l’estomac et a dû subir une gastrectomie. Il vous a rejoints il y a quelques semaines au festival Aftershock. Comment va-t-il, physiquement et mentalement ? Est-ce que sa condition va impacter son travail en tant que batteur et musicien de tournée à l’avenir ?

Il va super bien. C’est l’homme le plus fort que j’ai jamais connu. Le concert que nous avons fait était phénoménal, l’un des meilleurs sets que nous ayons jamais faits. C’était très émouvant rien que de voir Tom revenir. La veille, nous avons répété et j’ai dû lui demander de ralentir ! Nous avons tous passé pas mal de temps à la maison et « Strike Of The Beast » est dur à jouer à cette vitesse [rires]. Mais le concert était incroyable. Tom se porte comme un charme. Subir une gastrectomie, ce n’est pas rien. C’est assez remarquable qu’un être humain puisse vivre sans estomac ! Il faut apprendre une nouvelle relation avec la nourriture. Il faut manger plusieurs petits repas. On ne peut pas aller dans un grill et annihiler une entrecôte géante, et en ressortir le ventre bombé en avant. Ce n’est pas possible. Il faut manger de petits repas, et ce n’est plus possible de manger certaines nourritures. Il est en train de réapprendre à manger et il s’adapte. Il va mieux, on lui a dit qu’il n’avait plus besoin de chimiothérapie. Il se renforce chaque jour, la vie revient lentement à la normale pour lui. Nous sommes très optimistes pour l’année prochaine et concernant son retour à plein temps. En fait, il le sera, ce n’est même pas une question d’optimisme. Tom est de retour.

Slayer a décidé d’arrêter. Je suis sûr que c’était un boulot très excitant pour toi, mais y a-t-il aussi une part de toi qui est soulagée que tu puisses désormais te consacrer à cent pour cent à Exodus, sans avoir à jongler entre les deux entités et vivre une vie frénétique ?

Oui, absolument. Je suis soulagé. Au cours des dernières années avec Slayer, il y a des moments où j’ai eu une baisse de moral et où j’étais un peu déprimé. Slayer est ma famille et ils m’ont traité comme un membre de la famille, et ce sont des amis depuis mon enfance, c’était extraordinaire, mais Exodus est ma première famille et elle me manquait beaucoup. Par exemple, il m’arrivait d’être à un festival en Europe avec Slayer et je tombais sur des amis dans un autre groupe, qui me disaient : « Je viens de jouer avec Exodus le weekend dernier. » C’était tellement bizarre d’entendre qu’ils ont joué avec Exodus et que je n’étais pas là. Mais quand ils m’ont dit que nous faisions une ultime tournée et que ça allait durer deux ans, au moins j’avais une date pour revenir dans Exodus. Je suis super content d’être de retour. J’ai adoré le temps que j’ai passé dans Slayer, c’était remarquable et spécial, mais je suis content d’être revenu. Le dernier concert avec Slayer était plein d’émotions. C’est dingue de se dire qu’on joue « Angel Of Death » pour la dernière fois, en essayant de retenir ses larmes ! Ce n’est pas typiquement une chanson sur laquelle on pleure en jouant [rires].

« C’est dingue de se dire qu’on joue ‘Angel Of Death’ pour la dernière fois, en essayant de retenir ses larmes ! Ce n’est pas typiquement une chanson sur laquelle on pleure en jouant [rires]. »

D’un autre côté, tu as commencé avec Exodus plus ou moins au même moment que Slayer s’est formé et tu as le même âge que Kerry King : leur décision ne t’a pas fait réfléchir sur ta propre retraite ?

En fait, Exodus a été fondé en 79, nous sommes plus vieux que tous les autres groupes de thrash. Mais non. C’est la seule chose que je sais faire ! Qu’est-ce que je vais faire si je ne joue pas de metal ? J’adore toujours faire ça. C’est mon moteur. Si je n’aimais pas ça, alors ce serait très difficile, mais j’aime réellement cette musique. J’adore le thrash metal et j’adore en jouer. J’adore en composer. J’adore en enregistrer. Ça me tue de ne pas partir en tournée pour jouer en ce moment. La pandémie m’a offert un temps précieux à la maison avec mes petits-enfants et tout, mais je suis plus que prêt à repartir sur la route. Enfin, je n’aime plus être tout le temps en tournée, mais on prend le bon comme le mauvais.

Kerry a récemment exprimé ce qui ressemble à des regrets. Il a dit que Slayer avait arrêté trop tôt et qu’il détestait ne pas jouer. Penses-tu que le groupe pourrait revenir sur sa décision – comme de nombreux groupes « retraités » l’ont fait – ou penses-tu que c’est plus Tom qui en a assez de cette vie ?

Tout ce que je sais, c’est que Slayer est fini pour de bon. Je ne crois pas qu’il y ait la moindre chance qu’ils se reforment, même si on ne sait jamais…. Je ne prends pas ces décisions, ce serait à Kerry et Tom de prendre cette décision. Mais je suis sûr qu’on leur a déjà offert des sommes astronomiques pour se reformer et qu’ils ont tout décliné, je suppose en tout cas. C’est ce qui arrive. Quand un groupe légendaire prend sa retraite, des gens leur proposent un tas d’argent et le groupe dit : « Eh, sortons de notre retraite ! » Slayer n’est pas sorti de sa retraite, donc je ne pense pas que ça arrivera un jour.

Ça fait quarante ans que tu as rejoint Exodus. Quels sont tes souvenirs de cette année-là, en 1981 ?

Lors de mon tout premier concert avec Exodus, j’avais dix-sept ans, nous avons joué dans une salle que nous avons louée et qui s’appelait le Monterra Bay Community Center. J’ai su à cet instant que c’est ce que je voulais faire de ma vie. Je voulais jouer de la guitare et je voulais monter sur scène autant de fois que possible. Je suis reconnaissant de toujours faire ça aujourd’hui. D’ailleurs, je suis vraiment toujours le même mec, je n’ai pas vraiment changé. Je suis plus responsable, j’ai des enfants et des petits-enfants, mais je suis toujours complètement immature. Je ris toujours de conneries puériles. Je suis toujours le même, au fond.

Dirais-tu qu’il faut être immature pour jouer du thrash metal ?

Je suppose qu’on n’est pas obligé de l’être pour jouer de la musique, mais ce qui en partie fait de moi qui je suis, c’est ce même niveau d’immaturité que j’ai gardé. Sur mon Instagram, de temps en temps, je poste quelque chose et quelqu’un dit : « Ce n’est pas drôle. C’est tellement immature, c’est pour les gamins de seize ans. » Eh bien, je ris toujours aux mêmes conneries que quand j’avais seize ans. Et alors ?! [Rires] Si je trouve ça drôle, c’est que c’est drôle. Tout le monde n’est pas obligé de trouver ça drôle.

Si tu devais analyser, pourquoi un groupe comme Exodus n’est pas devenu aussi énorme que Metallica ? Je veux dire que lorsque vous avez débuté, vous n’étiez tous que des jeunes thrashers de la Bay Area…

Metallica est devenu énorme parce que c’est un groupe meilleur que nous tous, et je dis ça en toute honnêteté. Personne n’aurait pu prédire que Metallica allait devenir aussi énorme, mais ensuite ils ont fait Master Of Puppets, le meilleur album de tous les temps, à mon avis. C’est un album parfait. James [Hetfield] est devenu le meilleur chanteur et le meilleur guitariste rythmique de tous les temps. C’est un groupe tout simplement parfait et ils n’ont pas été affectés par des erreurs. Mais Exodus est différent de Metallica. Nous sommes un coup de poing en pleine tronche qui ne prévient pas. Nous faisons ce que nous faisons, et nous faisons notre style de thrash mieux que n’importe qui, mais à la fois, je ne me tracasse pas à me demander si je devrais être plus gros ou avoir plus de succès. Car j’ai beaucoup de chance aujourd’hui de pouvoir encore faire ce que je fais.

Interview réalisée par téléphone le 29 octobre 2021 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.

Site officiel d’Exodus : exodusattack.com

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