ENVOYEZ VOS INFOS :

CONTACT [at] RADIOMETAL [dot] FR

Chronique Focus   

Fågelle – Den Svenska Vreden


Les contrées nordiques peuvent s’avérer, musicalement parlant, cinglantes comme le blizzard (on pense notamment au black metal islandais) ou d’une délicatesse tout aussi caractéristique. Si la première minute de Den Svenska Vreden fera volontiers croire que ce nouvel opus de la Suédoise Klara Andersson, alias Fågelle, rejoint la première catégorie, un solide cadre sera bien vite monté et ne laissera plus de doute quant à sa tonalité.

Et pourtant ! Le titre de l’album se traduit par « La Rage (ou « Colère ») Suédoise ». À en croire Klara, les Suédois auraient tendance à enfouir ce type d’émotions, souffrant en silence, « patiemment », attendant la venue d’un futur plus radieux. Les normes du pays placent une forte estime sur la retenue émotionnelle et le fait de garder la tête froide – et ce de manière plus insistante encore pour les femmes –, pour le meilleur comme pour le pire. Cette pression déshumanise, réduit à l’état de « colle sociale », et pousse les opinions vers un tourbillon dangereusement consensuel. On trouve ainsi, au cœur de cette sortie, un sentiment d’isolement, le besoin de partager un ressenti profond, et le bouillonnement interne généré. Déménager en Allemagne a fourni à Klara le recul nécessaire pour comprendre et sublimer cette tempête intérieure.

On réalise vite que Den Svenska Vreden est plus « axé chansons » que son prédécesseur. Cela n’entache en rien la maîtrise dont fait montre Fågelle, qui jongle avec dextérité entre harmonies et noise. La beauté lyrique se trouve entrecoupée d’élans expressifs ne s’encombrant d’aucun fard. L’ambiance dominante, qui renvoie à la récente offrande d’Ef (compatriotes de Klara), s’apparente à une session de guitare au coin d’un feu. Une approche trouvant son apogée tôt dans l’album, avec « Kroppen », titre pour lequel l’artiste a donné libre cours à ses inspirations héritées de Thåström, icône du rock et du punk suédois, invité à déposer sa voix sur le morceau comme pour sceller un pacte d’héritage musical. Fågelle nous propose en somme de devenir un confident. Les mots semblent venir progressivement ; les paroles – cryptiques pour la majorité des Français – sont déclamées au goutte à goutte, comme des perles fragiles à peine sorties de chez un artisan. On se retrouve transporté loin du tumulte des foules, de même que dans ses concerts où de petits groupes de curieux l’observent pendant qu’elle rampe – quasi littéralement – dans une forêt de pédales d’effets ou attache autour de son cou un antique micro d’aviateur captant ses vocalises directement depuis sa gorge, à la source. Des scènes communes alors que l’artiste tournait en soutien pour Big⁠|⁠Brave, étoile montante du drone metal.

Cette finesse va de pair avec l’attention portée aux détails. Den Svenska Vreden a des allures de « collage », pour reprendre les termes officiels. Klara, passionnée de longue date par le free jazz, n’est pas du genre à reculer devant l’expérimentation. Des titres comme « Slavar » s’enveloppent de micro-sons, ponctués de percussions atypiques – une profusion minimaliste formant un tout cohérent. « Aldrig Mera Här » est également riche en emprunts à la musique électronique de type glitch. Fågelle manœuvre un laboratoire sonore, façon station scientifique perdue à l’un des pôles de notre planète (ou d’une autre). Cet éloignement trouve une voix supplémentaire dans l’usage de field recordings (« Min Yttersta Punkt »), ou avec le long titre épilogue qui dépeint de grands espaces. Les musiques du monde ne sont jamais bien loin non plus, nous menant de contrée en contrée. Ce travail minutieux a pu profiter une fois encore de la finition apportée par le producteur Henryk Lipp, qui a travaillé avec Anna von Hausswolff, autre personnalité féminine singulière s’il en est. La puissance de Den Svenska Vreden réside dans sa fragilité ; la voix de Klara en tire profit pour véhiculer une expression pure. « Fåglar » est une véritable déstructuration d’un son à la Emma Ruth Rundle, de la même manière que des cuisiniers retournent les codes comme des gants tout en préservant les ingrédients et saveurs originels. Les réelles explosions se raréfient : l’opus reste sur une certaine réserve. Seuls quelques « refrains » (on hésiterait presque à utiliser ce terme) offrent des éclats plus puissants voire conviviaux (« Kär I Vem Som Helst »).

Den Svenska Vreden marque l’exposition de l’art de Fågelle à un plus grand nombre, avec un noise indéniablement en recul. Plus important peut-être que ces considérations stylistiques : des chaînes se sont rompues en Klara Andersson, qui s’est ouverte à elle-même. Son vécu et son ressenti, projetés dans un miroir, lui seront assurément d’un grand soutien pour la suite, et, dorénavant, tout est permis. Reste pour nous autres auditeurs un disque singulier, instantané d’un envol.

Chanson « Kroppen » :

Chanson « Ingenting » :

Chanson « Kär I Vem Som Helst » :

Album Den Svenska Vreden, sorti le 27 janvier 2023 via Medication Time Records. Disponible à l’achat ici



Laisser un commentaire

  • Arrow
    Arrow
    Metallica @ Saint-Denis
    Slider
  • 1/3