Eddie Clarke, alias Fast Eddie pour beaucoup d’entre nous, est parti le 10 janvier dernier. La fin d’une époque et par la même occasion celle du dernier rescapé d’un groupe incarnant la folie de la période charnière de la fin des années 70 enfumées et le début électrique et revigoré des années 80 pleines de promesses. Son nom sifflant comme un coup de fouet restera à jamais associé à Motörhead et sera adoubé par un nombre incalculable de jeunes guitaristes. Le musicien, bien qu’étant le plus discret des trois membres du line-up classique du trio légendaire, était tout aussi essentiel que l’était Phil Taylor de par sa technique si particulière. Son jeu unique très bluesy, groovy voire feutré sur certains morceaux en faisait un six-cordiste inimitable.
Dès le départ, le gars a la dégaine qui colle parfaitement à l’image que le groupe veut afficher, le plus souvent avec une stratocaster marquée d’une feuille de cannabis et plaquée sur des fringues noires, le visage masqué par ses cheveux longs donnant une impression d’éternelle nonchalance. Qui d’autre pouvait occuper le poste du groupe le plus bruyant de la planète en cette fin des années 70 ?
Recruté début 76 par Lemmy, Eddie ne croit pas trop à la viabilité du projet tant les excès des deux autres en consommation de produits de toute nature peuvent laisser penser que tout ceci finira très vite et bien avant un hypothétique succès d’estime… Mais l’amorce du raz-de-marée est bien engagée et les fans sont de plus en plus nombreux à voir dans ce trio de mercenaires (dignes des héros de Sergio Leone) l’émergence d’une nouvelle forme de rock sans compromis(sion). L’adhésion des plus exigeants à ce mariage à peine consenti entre la folie punk et la puissance d’un hard rock lourd est quasi-immédiate. Mieux, sans le savoir encore, et bien qu’il n’en fasse pas vraiment parti, le phénomène donnera naissance à la fameuse NWOBHM en insufflant, entre autres, des notions jusqu’au-boutistes à un autre trio venu du nord de l’Angleterre, Venom. Le thrash naissant de la côte Ouest vers 83 devra tout à Motörhead une poignée d’années plus tard. Le groupe aura brisé des barrières et par là même ouvert la boîte de Pandore du metal extrême.
Recruté en 76 par Lemmy, Eddie devait former la paire de guitariste du groupe avec Larry Wallis déjà dans le groupe à l’époque. L’ex-bassiste d’Hawkwind voulait deux guitares dès la genèse du combo et finirait par les obtenir en 84. Mais tout ne se passe pas comme prévu car Wallis préfère rester fidèle aux Pink Fairies. Eddie reste donc seul en tant qu’Axeman. C’est de là que viendra le fameux son du groupe. Les fréquences aiguës seront portées par la guitare et le chant, les mediums par la basse et les parties basses par les grosses caisses de Taylor. On doit cette idée de génie au producteur Jimmy Miller à partir de l’album Overkill. On connait la suite dans le metal d’aujourd’hui. D’autres batteurs savaient déjà jouer de la double grosse caisse mais pas dans cette débauche d’énergie musicale dépouillée.
Ceux d’entre nous qui ont vécus leur adolescence en cette période bénie du début des années 80 le savent bien : avec Motörhead on ne ne rigolait pas. C’était du sérieux. Quand ces gars parlaient, tout le monde écoutait. On pouvait rigoler d’un type dans la rue arborant un patch d’Iron Maiden, certainement pas pour quelqu’un avec la fameuse tête aux deux défenses lisses et brillantes comme des lames imprimées sur un T-shirt. Toute l’alchimie émanant de cette association sentait l’authentique, le vrai, la sueur. Overkill et son titre phare à couper le souffle, Bomber avec « Stone Dead Forever » crachant son riff venu de nulle part, le classique Ace Of Spades suivi d’un Live enregistré à l’Hammersmith nous laissant par terre, groggy par cette fureur.
Musicalement, Clarke connait son affaire sans être un monstre du gabarit de Van Halen. Il sait s’accommoder de ses facultés techniques et distille des solos mémorables et intelligents sans tapping, sans shred ni vibrato mais parfois use de pédale Wah Wah de façon mesurée. Il va au plus simple, le tout baigné de blues, lui qui est avant un tout un guitariste rythmique. Plus surprenant, Lemmy lui laissera la responsabilité du chant sur « Step Down », un morceau où Eddie montre tout son talent. Il faut avoir les corones bien accrochées pour oser tenir le micro en studio puis en concert entre deux prestations vocales et les chambrages permanents de Lemmy et d’Animal planqué derrière ses fûts. Ce titre de Bomber se remarque par ce phrasé de six cordes pleurant le blues du début à la fin. Il chantera également une version de « Stone Dead Forever » très réussie et surprenante que l’on retrouvera sur une version deluxe de Bomber sortie en 2005. Au rayon solo, ceux de « Iron Horse », « Metropolis » ou encore « Stone Dead Forever » sont des Must.
Eddie avait aussi une autre corde à son arc, il était un producteur et un dénicheur de talent. Tank sera sa trouvaille la plus connue. Encore un autre trio mené par un certain Algy Ward, un punk tout droit débarqué de The Damned, groupe favori de Lemmy soit-dit en passant. Le guitariste produit le premier album du groupe Filth Hounds Of Hades en 1982. Un album devenu culte et qui marquera durablement un certain Tom Angelripper de Sodom. Cette expérience donne des idées à Lemmy qui lui demande d’en faire autant pour le prochain album du groupe, à savoir Iron Fist. Eddie n’est pas chaud, mais cédera devant l’insistance du père Kilmister très occupé à l’époque à fricoter avec une jouvencelle aussi délurée que dénudée, la très chaude Wendy O Williams, chanteuse hurleuse des Plasmatics. Iron Fist sortira avec le nom de Clarke associé à la production de ce qui sera son dernier disque avec le groupe. Autant Eddie avait apprécié l’association de son groupe avec Girlschool avec l’EP St Valentine’s Day Massacre un an auparavant, autant sur ce coup-là il fait clairement savoir sa désapprobation quant à l’idée de Lemmy d’enregistrer la reprise « Stand By Your Man », une reprise de Tammy Wynette, plus comique qu’autre chose.
Dégoûté par la tournure des événements et après une bagarre de trop avec le bassiste amateur de bande adhésive mammaire, Fast Eddie quitte le groupe le 14 mai 82 en pleine tournée du dernier album. Brian Robertson le remplacera pour un tout nouveau chapitre du groupe. Ce divorce est un moment clé : on comprendra plus tard que quelque chose s’est brisé définitivement. On aurait cru qu’Eddie était sans doute la personne la moins importante dans le groupe. Grave erreur, plus jamais Motörhead ne retrouvera sa superbe. Robertson est sans conteste meilleur techniquement, comme les autres qui le remplaceront, mais pas un seul d’entre eux ne saura rallumer ce feu sacré. Le groupe sera bien plus prévisible et se cherchera pendant longtemps avant de se stabiliser des années plus tard sous une autre forme. Lui ne s’en remettra pas, affirmant à plusieurs reprises que cette éviction n’a jamais été de son fait, bien au contraire. A l’inverse, Lemmy assura qu’Eddie était coutumier du fait de menacer de quitter le trio mais que cette fois, les deux autres lui ont répondu : « OK, casse-toi. » Las, il monte un nouveau groupe avec un autre buveur invétéré notoire, l’immense Pete Way, fraîchement viré d’UFO et après avoir assuré quelques dates de la tournée de Speak Of The Devil avec Ozzy.
Fast Eddie rencontrant Pete Way, le projet se nommera donc Fastway. Pour autant, l’imprévisible bassiste quittera très rapidement le navire pour aller former Waysted mais le nom restera. Le groupe est plutôt bon, Dave King étant un excellent chanteur, mais néanmoins sans surprise et très éloigné des précédentes et illustres réalisations de son guitariste fondateur. On le retrouvera de très rares fois aux côtés de son groupe d’origine sur scène pour quelques titres du répertoire de la première époque. Dommage et très regrettable. Il méritait beaucoup plus, peut-être un enregistrement en tant qu’invité, pourquoi pas avec Taylor, sur l’un des disques produits durant les années 90 ou 2000… mais rien ne sera finalement fait, si ce n’est un commentaire plus que dispensable de Lemmy affirmant que ses anciens acolytes ont moins joué les classiques que les « nouveaux » venus, à savoir Dee et Campbell, et que ces derniers sont de bien meilleurs techniciens. Sans doute, mais la comptabilité ne remplace pas la qualité et le talent. Leurs compos de légende n’auront plus jamais cette saveur d’alcool frelaté des premiers albums…
Une page s’est tournée et sans doute la fin d’un chapitre.
So long, Eddie.
j’approuve totalement l’article:bravo pour ce vibrant hommage d’un musicien de l’ombre mais qui savait faire briller la musique de Motorhead à sa meilleure époque
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