Entre 2004 et 2013, Fates Warning a eu du mal à se remettre dans le bain pour finalement aboutir à Darkness In A Different Light. Ils avaient jurés qu’on ne les reprendrait plus à traînasser et ils ont tenu parole : il n’a pas fallu attendre plus de trois ans pour voir débarquer Theories Of Flight. Un album dans la droite lignée de son prédécesseur, un peu à l’image d’un Inside Out (1994) qui suivait plus ou moins la direction de Parallels (1991), lorsque le reste des albums de Fates Warning a plutôt tendance à se démarquer les uns des autres dans ses partis pris. Ici, Jim Matheos, en tant que maître à penser de la formation, conforte le choix de mettre les guitares au centre des débats et de se passer totalement de claviers.
En résulte des chansons pêchues, à l’image de « From The Rooftops », même si ses deux minutes d’introduction, subtiles et calmes, prennent le contrepied des riffs musclés qui suivent. Elles permettent à Bobby Jarzombek de lâcher les chevaux avec un jeu de batterie alliant habilement une technicité fascinante (et époustouflante) à une efficacité nécessaire au propos, mais aussi de propulser les accroches, surtout au niveau des refrains qui prennent tout de suite de la hauteur (« Seven Stars »). Là est tout l’art de Fates Warning : savoir proposer une musique intelligente et exigeante, tout en offrant des points de repères et ne perdant pas le simple plaisir d’une bonne mélodie ou d’un rythme entraînant. Matheos a par ailleurs déjà prouvé sa capacité à jouer sur les textures de guitares sans avoir recours à des synthétiseurs, et même à l’extrême sur son dernier album solo Halo Effect (2014). Sans aller aussi loin, sur Theories Of Flight, il agrémente ses riffs reconnaissables entre mille de sonorités qui attirent l’oreille, à l’instar de l’accalmie aux curieux effets de « SOS » ou les arrangements en stéréo de « Like Stars Our Eyes Have Seen » qui renforcent une sensation de ne plus savoir où donner de la tête.
Si Darkness In A Different Light misait beaucoup sur la dimension directe et metal de la musique de Fates Warning, Theories Of Flight étend son champ d’action et sa dynamique. En témoignent les deux gros pavés de l’album : « The Light And Shade Of Things », qui prend le temps de développer ces atmosphères claires-obscures qui font partie intégrante du style des Américains, et surtout « The Ghost Of Home ». On a là, en dix minutes trente, un résumé de tout ce qui fait Fates Warning : passages délicats, d’autres aux plans ébouriffants (encore une fois, Jarzombek est renversant), une structure complexe mais fluide, la basse solide comme un roc de Joey Vera, un Ray Alder au chant qui parvient toujours avec une certaine classe à trouver son chemin au milieu des dédales… On ne peut d’ailleurs pas s’empêcher d’entendre des échos d’autres chansons du répertoire du groupe, comme « Still Remains » (album Disconnected, 2000) ou certaines parties de A Pleasant Shade Of Gray (1997). Le dernier titre éponyme, une instrumentale, n’est en réalité autre qu’une continuation de « The Ghost Of Home » et clos l’opus dans une de ces ambiances crépusculaires et étranges (surtout la fin abrupte) que Fates Warning affectionne tant.
Sous une thématique générale du dépaysement, du déracinement et de l’évasion, Theories Of Flight emporte qui voudra bien prendre le temps et la peine de le suivre dans son univers. Fates Warning évite élégamment la surenchère, l’excès de vanité et le surjeu dans lesquelles les formations progressives tombent de plus en plus et ne faillit pas à la réputation de son savoir-faire. La bande à Matheos s’impose encore et toujours, après plus de trente ans d’activité, comme un mètre-étalon du genre.
La vidéo guitar playthough pour la chanson « White Flag » :
La lyric vidéo pour la chanson « From The Rooftops » :
Album Theories Of Flight, sortie le 1er juillet 2016 via InsideOut Music.