Ce n’est pas tous les jours qu’une structure propose un festival rock alternatif entièrement gratuit. Et c’est ce que fait la station de radio OÜI FM depuis maintenant cinq ans avec son festival Bring The Noise. Ça se passera à Paris le 28 novembre et le 14 décembre au Divan Du Monde et le 18 décembre au Point Éphémère, avec Danko Jones, Royal Blood, Tagada Jones, Lofofora, The Treatment, etc. De la découverte, du français et de l’international pour miser sur l’éclectisme revendiqué par la radio.
Alors, comme l’initiative mérite d’être applaudie, nous vous proposons un petit coup de projecteur via un entretien réalisé en début de semaine avec Aurélie, la programmatrice du festival et l’animatrice de l’émission qui lui prête son nom, pour en savoir plus sur l’événement et son émission.
« Faut quand même être honnête, la France n’est pas un pays réputé pour son image rock. C’est vrai qu’on est plus connu à l’étranger pour la chanson française. »
Radio Metal : Pour commencer, peux-tu nous présenter l’émission Bring The Noise qui semble très portée sur l’éclectisme et l’alternative-rock ?
Aurélie : A la base l’émission Bring The Noise pour nous c’est la seule émission alternative-rock de la bande FM, enfin l’une des rares qui a sa place sur la bande FM. C’est que l’on insiste sur le côté alternative-rock car le leitmotiv de l’émission ça a toujours été l’ouverture d’esprit. C’est-à-dire qu’on essaye de traiter d’alternative-rock au sens large du terme. On n’a pas envie de se coltiner l’image metal puisqu’on est pas une émission metal, loin de là. On essaye de valoriser autant le punk, que le metal, que le hardcore, que le stoner, même les musiques un petit peu plus précises, tout ce qui va être black metal, death et compagnie. Je vais avoir des chroniqueurs, des gens qui vont venir en parler à l’antenne et c’est vrai qu’on essaye de mettre en avant et de parler de plusieurs styles. On essaye de découvrir plein de genres différents et c’est ça qui est génial avec le rock et surtout l’alternative-rock, c’est que ça part dans tous les sens, c’est une grande famille et au final on se rend compte que tout est un petit peu lié en fait. Voilà, c’est que l’on a envie de mettre en avant dans l’émission.
Dans l’alternative-rock on peut retrouver une certaine dimension underground, diffusez-vous justement des artistes émergents ?
Ah mais carrément, ça se voit déjà sur l’affiche du festival. On soutient énormément la scène française, c’est l’un des points d’honneur de Bring The Noise. On a quand même une scène française qui est extrêmement florissante et talentueuse, on a pu le voir notamment parmi les groupes qui ont fait le festival il y a quelques années, Rise Of The Northstar qui aujourd’hui sont signés sur Nuclear Blast, AqMe qui sont là depuis super longtemps et qui ont survécu au départ de leur chanteur… Déjà dans l’émission on aime mettre en avant cette scène-là, notamment des petits groupes comme Spark Gap que j’ai dégoté il y a quelques années et qui est calé sur l’édition de cette année. On aime faire découvrir des groupes français, que ce soit OÜI FM ou Bring The Noise on a plein d’autres trucs en plus du festival autour de ça. On a notamment les OÜI Love Backstage qui ont lieu une fois par mois au Backstage O’ Sullivan qui ne sont faits qu’avec des groupes français et des groupes émergents. Après en ce qui concerne l’international, on aime faire des découvertes comme par exemple cette année The Treatment qui ont été nos petits chouchous hard rock venus tout droit de Londres, un petit peu foufous, qu’on a pu découvrir avec leur deuxième album Running With The Dogs.
A ton avis, est-ce que diffuser des groupes de rock plus connus reste également un acte militant dans un pays comme la France plutôt habitué à écouter autre chose ?
Faut quand même être honnête, la France n’est pas un pays réputé pour son image rock. C’est vrai qu’on est plus connu à l’étranger pour la chanson française. Le rock, et surtout l’alternative-rock a toujours eu une image un petit peu particulière, avec des gros méchants qui aiment se faire du mal, qui s’habillent en noir… Dans Bring The Noise j’essaie d’avoir une animation qui est ce que je suis tous les jours, donc quelqu’un de gentil et d’à peu près normal, qui a une vie un petit peu comme monsieur tout le monde et qui lui, de temps en temps, va aimer écouter un Rage Against The Machine, un truc super connu, enfin connu pour moi et ceux qui écoutent de l’alternative-rock mais aussi écouter des nouveautés.
Finalement comment est-ce que le format radio, qui existe toujours, survit à Internet et aux pratiques des gens qui vont beaucoup plus découvrir des artistes par eux-mêmes ?
Je ne te cache pas qu’on survit nous aussi mais on est là depuis six ans, on est très content et je ne m’attendais pas à ce que cette émission dure aussi longtemps, je vais être honnête avec toi. Parce que c’est vrai qu’avec Internet on a une concurrence de taille, comme les radios anglaises ou américaines, que personnellement j’écoute aussi, qui ont toujours les nouveautés un petit peu en avance. Après je pense que ce qui fait la différence de Bring The Noise, ce n’est pas forcément le côté nouveauté mais le ton et la programmation musicale qui va être ouverte avec pas mal de découvertes mais aussi des classiques. Je demande souvent aux auditeurs ce qu’ils veulent écouter, ça fait partie des points qui font survivre l’émission, via Facebook et Twitter je suis très présente le soir car l’émission est présentée en direct. Je réponds aux auditeurs, je les écoute, s’ils n’aiment pas un morceau on ne le passe plus, s’ils aiment bien un morceau on va le rediffuser, s’ils ont envie de me faire découvrir des sons ils peuvent le faire. Ce qui fait un peu tenir l’émission c’est cette conversation que je vais avoir tous les soirs avec les auditeurs, avec toujours un ton ultra sympathique, je vais même parler de leurs journées car il y a beaucoup qui travaillent le soir et qui m’écoutent en travaillant. Je vais plutôt axer mon ton sur ça, sur la vie de tous les jours et sur les petites anecdotes qu’on peut avoir en écoutant ce genre de musique. Après c’est clair que c’est pas sur la nouveauté en soit que je peux concurrencer des émissions sur Internet, ça c’est sûr.
Tu dis que quand les auditeurs n’aiment pas un morceau vous ne le passez plus, mais comment fais-tu la différence entre les gros râleurs et les autres ?
Je vais te dire honnêtement, en général quand je tombe sur des râleurs je les envoie chier carrément. Encore une fois le leitmotiv de l’émission c’est l’ouverture d’esprit. C’est que quand j’ai des mails un peu comme ça, j’aime les utiliser pour justement dire aux gens « Vous vous trouvez que c’est commercial, que c’est de la merde, mais on dit pas que c’est de la merde ! On dit tout simplement qu’on n’aime pas. » Je préfère en général plus rigoler avec eux et essayer de trouver un terrain d’entente, leur demander pourquoi ils considèrent que c’est de la merde, pourquoi ils réagissent comme ça. Le discours se finit en général toujours bien et le râleur s’excuse à la fin. On se rend compte que les râleurs sont souvent de très gentilles personnes et de très gentils auditeurs.
Passons maintenant au festival Bring The Noise qui démarre demain soir. Organiser un festival gratuit comme le fait OÜI FM implique une logistique qui à un coût donc comment parvenez-vous à financer tout cela ?
Alors cette question-là ce n’est pas forcément à moi qu’il faut la poser mais à Fabienne de OÜI FM qui gère tous les a-côtés du festival (NDLR : contactée pour apporter des précisions, Fabienne Réalan, Responsable Music Business, nous dit juste que le festival est co-financé avec la collaboration de leurs partenaires historiques). Je ne te cache pas que si ce festival existe c’est en grande partie grâce à notre sponsor, Bavaria, qui apporte des billes sur la table. Après on essaye aussi de récupérer des groupes qui sont en promo à Paris et là sur cette affiche comme chaque année on a beaucoup de groupes français qui sont plus faciles à avoir, ça c’est clair, et qu’on a envie de mettre en avant quoi qu’il arrive. Après, concernant ce genre de questions, je ne ne peux pas te dire énormément comment ça se passe puisque mon boulot dans le festival est vraiment de proposer les groupes, de voir comment on pourrait les mettre sur l’affiche, quels sont ceux qu’on doit avoir en priorité, quels sont les artistes qui vont coller à la programmation et à l’image que OÜI FM a envie de donner etc. Après on s’arrange avec les tourneurs, les maisons de disques et on essaye de faire que ça coûte le moins possible car encore une fois même si c’est un festival gratuit c’est vrai que ça coûte pas mal d’argent mais ça s’arrange avec le sponsor, avec les maisons de disques etc.
Dans l’histoire du festival, il y a toujours eu trois journées sauf l’an dernier où vous étiez passés à quatre jours. Pourquoi cette année être revenu à trois dates ?
L’année dernière il y a eu quatre dates mais il y a eu un petit souci de timing avec Apocalyptica qui devait à la base être calé sur la date avec Punish Yourself et Dagoba mais il y a eu un souci de planning et le groupe n’était pas dispo. En fait ça nous faisait vraiment chier d’annuler leur venue parce qu’on savait qu’ils étaient dispos et comme Le Divan du Monde – la salle où on refait l’événement cette année et qui nous accueille pour la troisième année consécutive – était dispo grâce à l’équipe de la salle qui sont des amours (on adore vraiment bosser avec eux !) on a pu garder Apocalyptica. Et puis le groupe faisait partie d’un style de musique qu’on avait envie de défendre donc on ne pouvait pas passer à côté de ce groupe-là.
Pourquoi avez-vous fait le choix d’avoir trois dates qui ne suivent pas dans le temps et ne pas avoir choisi d’avoir un festival qui se tiendrait par exemple sur un week-end ?
C’est encore une fois à cause de la disponibilité des artistes et de la disponibilité des salles. On s’arrange avec le Divan du Monde, avec les groupes pour que ça coûte le moins d’argent possible. C’est très compliqué sur des salles comme le Divan du Monde ou le Point Ephémère d’avoir trois dates disponibles à la suite parce que les salles de concerts font leurs plannings bien en amont alors qu’on commence à bosser le festival quand on rentre de vacances vers septembre donc ça nous laisse très peu de temps pour tout caler. Moi je te cache pas que j’aurais bien voulu faire un festival avec des dates qui se suivent dans le temps mais là c’est étalé et finalement c’est tout aussi bien car ça nous laisse le temps de reprendre des forces pour la date d’après.
« Sur les quatre éditions du festival tu remarqueras que l’on avait à chaque fois une date 100% française car c’est un truc vraiment important : on est là pour défendre la scène française. »
Est-il d’ailleurs voulu que sur l’une des dates l’affiche soit à 100% composée d’artistes français ?
Sur les quatre éditions du festival tu remarqueras que l’on avait à chaque fois une date 100% française car c’est un truc vraiment important : on est là pour défendre la scène française. C’est bien beau d’avoir des groupes anglais, américains, canadiens, suédois – on les adore – mais chez nous on a vraiment des groupes extrêmement talentueux. Et cette affiche que l’on a cette année j’en suis extrêmement fière puisque on a quand même trois groupes phares de la scène metal française. Avec AqMe, Tagado Jones et Lofofora qui en plus chantent en français on a vraiment une belle date où ces artistes sont tous différents sur le plan musical mais en même temps tous liés par des paroles on l’on retrouve un peu les mêmes thèmes. De toute façon tu remarqueras aussi que sur les autres dates avec Black Bomb A, Loading Data et Spark Gap la scène française est très présente. Et c’est pas qu’on a choisi de faire ça par solution de facilité c’est vraiment qu’on a envie de défendre cette scène qui a mon goût n’est pas assez valorisée.
AqMe et Lofofora ont déjà été présents sur l’affiche du festival par le passé. Avez-vous une affection particulière pour ces deux artistes ?
Concernant AqMe on a voulu les recevoir une deuxième fois (après son passage de 2010) car il faut bien reconnaître qu’avec leur nouveau chanteur c’est un peu une nouvelle formation. Car Thomas, l’ancien chanteur, et Vincent le nouveau viennent de deux univers différents. En plus le groupe sort son premier album avec Thomas (ndlr : Dévisager Dieu) donc on trouvait logique de les avoir à nouveau. Pour Lofofora, le groupe était dispo pour ses vingt-cinq ans de carrière et comme on a beaucoup défendu leur nouvel album à l’antenne (ndlr : L’Epreuve Du Contraire), et que le concert qu’ils avaient fait au Petit Bain avait fait un carton, on va pas se refuser ce plaisir d’avoir Lofofora une nouvelle fois au festival. Et au final c’est plutôt cool car les auditeurs sont très contents de cette date et c’est la date la plus demandée à l’antenne.
Concernant la troisième journée, le groupe surprise a été annoncé. Il s’agit donc de Royal Blood.
Oui c’est un petit duo anglais qui nous a pas mal marqué lors du festival Rock En Seine. On avait commencé à les diffuser avant les vacances, on a senti le filon car on s’est dit « Ça c’est un groupe qui va faire un carton » donc on les a demandé assez tôt pour le festival. On a pu les annoncer tôt pour des raisons logistique mais en tout cas on est très heureux et très fier d’avoir pu les récupérer d’autant plus qu’ils ont un emploi du temps surchargé.
Pourquoi avoir révélé la surprise… si c’était une surprise ?
A un moment donné on était bien obligé de la révéler. On a pas pu le faire avant et comme le groupe était au festival des Inrocks – et comme il y a des deals qui sont faits – on avait pas le droit de le dire avant pour ne pas squeezer le festival des Inrocks. On est quand même pas là pour faire la guéguerre avec les médias loin de là. C’est juste pour ça qu’on a pas pu l’annoncer plus tôt. On a préféré le dire d’entrée plutôt que les gens se retrouvent avec Royal Blood en se disant « Ah bah merde c’est pas ça que je voulais voir ! Je m’en fous c’est nul ! ». Donc on a quand même préféré l’annoncer avant.
L’idée du groupe surprise sera renouvelée dans le futur ou c’est simplement le fruit d’un concours de circonstances cette année ?
Je ne sais pas du tout. Je te cache pas que moi j’étais d’avis de l’annoncer tout de suite mais après j’aimerais bien le refaire avec un groupe que les auditeurs nous demandent énormément depuis plusieurs années. Ça nous l’avait fait avec Danko Jones car ça fait plusieurs années que les auditeurs nous le demandent. Mais l’année prochaine si ça se passe comme prévu et qu’on refait le festival et qu’on a ce groupe en question alors je pense qu’on refera ce genre de choses. Mais d’un point de vue ambiance dans la salle, c’est quand même un très gros risque de ne pas annoncer le groupe surprise et se retrouver au final avec un public déçu qui ne s’attendait pas à voir le groupe concerné. Je pense que si on refait ça ce sera pour un groupe ultra-méga connu et énorme.
Concernant les perspectives futures, souhaitez-vous conserver le festival comme un petit cadeau fait aux auditeurs de OÜI FM ou plutôt tendre vers un festival ouvert à tous ?
Avec ce festival là, on a pas des masses de prétention. On a pas pour ambition de concurrencer d’autre festival que ce soit le Hellfest, Rock en Seine et compagnie. Pour nous le festival, c’est la cinquième édition. On est très content qu’il soit là et j’espère vraiment qu’il y en aura un sixième. En tout cas on fait tout pour. Mais pour nous c’est notre petit cadeau de fin d’année. C’est l’occasion de pouvoir réunir et rencontrer les auditeurs de Bring The Noise. C’est pour ça qu’on le fait dans une petite salle comme le Divan du Monde ou le Point Éphémère, parce qu’il y a le côté proximité. Le but est de faire plaisir avec un festival gratuit et de pouvoir célébrer les musiques alternatives rock et faire la fête tous ensemble. C’est comme le festival qu’on fait en été avec OÜI FM Place de la République à Paris, c’est un peu plus généraliste et c’est fait là aussi pour réunir les gens, les auditeurs et célébrer la musique rock tous ensemble sans se prendre la tête.
Dernière question : comment l’émission Bring The Noise est-elle perçue au sein même de OÜI FM ? Etes-vous un peu vu comme des extraterrestres qui diffusent du metal ?
Absolument pas parce qu’à la radio je ne suis pas la seule à écouter de l’alternative-rock. Marie qui travaille par exemple avec Josquin le matin à 9H adore l’alternative-rock. Elle assiste à l’émission le vendredi parfois ou elle passe dans la studio. Joe qui travaille avec Philippe Manoeuvre est lui un grand grand fan de stoner et de metal. Il fait beaucoup de chroniques alternative-rock pour Rock & Folk. On est pas le seuls à écouter ce genre de musique mais moi mon but c’est en tout cas que les nouveautés que je passe dans mon émission finissent à l’antenne. Ça a marché avec Royal Blood, ça a marché avec Biffy Clyro mais au final Bring The Noise c’est une scène ouverte sur l’alternative-rock. OÜI FM ne nous a pas mis à 23H en mode « Vous êtes les vilains petits canards et on vous met la nuit pour ne pas vous voir ». Très franchement je suis contente de bosser pour OÜI FM avec des boss qui sont très ouverts d’esprit et ne sont pas restés bosser sur les clichés du metal et on espère qu’au fur et à mesure des années, Bring The Noise et l’alternative-rock prendra de plus en plus de place sur la bande FM, pas forcément que sur OÜI FM et peut-être sur d’autres. Ce serait vachement cool.
Interview par téléphone réalisée le 24 novembre 2014 par Metal’O Phil.
Introduction : Spaceman.
Retranscription : Le Phasme et Amaury Blanc.
Site internet officiel de OUI FM : Ouifm.fr.