Difficile de savoir si Five Finger Death Punch allait de nouveau se manifester. Bousculé par quelques controverses (notamment le procès contre leur label Prospect Park) et surtout la cure de désintoxication du chanteur Ivan Moody l’an dernier faisant suite à des sautes d’humeur, l’avenir paraissait au mieux incertain pour la formation originaire de Las Vegas. Si on se trouve aujourd’hui gratifié du septième album studio de FFDP, And Justice For None (on appréciera la référence), on en déduit que la réhabilitation de Ivan Moody s’est déroulée convenablement. FFDP semble être conscient de sortir d’une période de troubles et retrouve du poil de la bête après un Got Your Six (2015) en demi-teinte.
FFDP a vu les choses en grand : And Justice For None est un récital de seize titres avec la même vocation : démontrer que la formation « en a gros ». And Justice For None est une allusion évidente à l’état de la société actuelle et renvoie au procès qui a impliqué le groupe et Prospect Park. Pour le guitariste Zoltan Bathory, le titre de l’album était tout trouvé : la justice n’est pour personne, les seuls gagnants sont les avocats. FFDP oscille ainsi entre un certain cynisme (la pochette originale de l’album a posé problème dans certains pays d’Europe) et un regard critique. Au-delà des motivations de FFDP, c’est surtout la posture musicale qui importe. Le groupe cherche avant tout à être reconnu par l’auditeur, à avoir une spécificité si connue qu’elle en devient familière et identifiable dès les premières secondes. Explorer des horizons musicaux n’intéresse pas FFDP, c’est le songwriting qui prime. L’album s’ouvre sur le très à propos « Trouble » qui fait tomber le rideau d’emblée : riffing incisif et mélodique, refrains galvanisants et soli heavy usant de tous les gimmicks bien connus du power rock. « Fake » ne tarde pas d’entériner la formule via un riff binaire massif et le growl d’Ivan Moody qui, malgré des lignes vocales qui frôlent le stéréotype (alternance chant hurlé/chant clair systématique à l’image de Corey Taylor dans les premiers Stone Sour), prouve son retour en forme. Son agressivité fait mouche, y compris lorsqu’elle est « bas du front » à l’image du refrain « You’re a fake motherfucker, I hate you motherfucker, I’ll break you motherfucker, You’re mine ». Le ton est donné.
La prise de risques est minime mais l’interprétation y est. On se trouve même surpris par le dansant « Sham Pain » et ses arrangements électro superposés à un phrasé presque rappé du frontman, laissant place à un refrain pop rock plus classique. Lorsqu’on prête attention aux paroles du titre (ainsi qu’au jeu de mots « champagne / sham-pain »), on perçoit les références à la désintoxication d’Ivan Moody et une allusion à la distorsion entre le succès et le bien-être. Évidemment, FFDP se laisse aller à quelques élans mélancoliques via l’exercice de la power ballade, à l’instar de « Will The Sun Ever Rise », poignante par son interprétation sur le fil du rasoir, à deux doigts de basculer dans la rage, ou « I Refuse » plus larmoyante et convenue. La reprise de « Blue On Black » de Kenny Wayne Shepherd profite d’une exécution contrastée de la part de Zoltan Bathory qui alterne arrangements discrets sur le couplet et refrain musclé. Ce dernier parvient à apposer la signature FFDP sur la composition sans lui manquer de respect et conservant tout son charme sudiste. L’exercice se répète sur la deuxième reprise de l’album, « Gone Away » de The Offspring, réinterprétée avec un tempo revu à la baisse. Moins juvénile et plus dramatique, l’interprétation de FFDP conserve néanmoins cet équilibre entre déférence à l’original et identité sonore. « When The Season’s Change » provoque presque la nostalgie de la musique rock FM de la fin des années 90 et du début des années 2000, en permettant de retrouver cette langueur typique du rock US illustré par Nickelback, Staind ou encore The Calling.
Que ce soit via des titres au riffing agressif ou des compositions plus tamisées, FFDP réussit évidemment le pari de mettre en valeur son identité sonore. Le seul véritable bémol est que certains titres semblent manquer de temps forts, à l’instar de « Top Of The World » qui fait figure de redite en empruntant le même martèlement que « Fake » ou encore « Fire In The Hole » et sa consonance indus à la Clawfinger. Si le timbre d’Ivan Moody sur le refrain de ce dernier vient se distinguer, le titre peine à captiver avant le pont et les envolées de Zoltan Bathory. Le côté immédiat et direct de FFDP fait davantage mouche lors des rythmes saccadés et martelés du plutôt acerbe « Rock Bottom » et sa ligne de basse grondante mise en avant par la production. La conclusion de l’album, « Save Your Breath » est une sorte d’amalgame entre un refrain pop à la rythmique binaire, presque dance, et un riffing qui semble submergé par des artifices électro. Si le changement subit de traitement sonore fait preuve d’une certaine audace, le constater en conclusion d’And Justice For None fait tomber l’impression à plat.
Le constat d’And Justice For None est simple : Five Finger Death Punch ne s’attirera pas plus de fidèles et ne devrait pas en perdre. Le dessein initial, à savoir souligner une identité sonore aisément identifiable, est rempli sans sourciller. Five Finger Death Punch tire sa force dans l’accroche de ses chansons, qu’elles soient brutales ou plus accessibles. De fait, And Justice For None n’est pas un album réalisé en « pilote automatique », le groupe a retrouvé au terme de ses péripéties une certaine fougue à l’instar du travail réalisé par Ivan Moody. S’il peut pêcher par manque de concision, And Justice For None ne manque pas d’intention.
Clip vidéo de la chanson « Sham Pain » :
Lyric vidéo de la chanson « When The Seasons Change » :
Chanson « Fake » en écoute :
Album And Justice For None, sortie le 18 mai 2018 via Eleven Seven Music. Disponible à l’achat ici