Cette fois, Gavin Harrison intrigue réellement. Le batteur de Porcupine Tree s’est déjà illustré de (très) nombreuses manières en dehors de son groupe phare, à l’instar de sa collaboration avec 05Ric pour l’album Circles (2009) qui relevait davantage d’une démonstration technique, ou encore de celle encore actuelle avec les géants de King Crimson. Ayant interprété « Futile » de Porcupine Tree avec le bassiste Laurence Cottle, Gavin Harrison s’est mis en tête de proposer une réinterprétation « jazz » de ses titres favoris du groupe dans un opus intitulé Cheating The Polygraph, conçu dans une période d’environ cinq ans avec l’aide, entre autres, du même Laurence Cottle et du saxophoniste Nigel Hitchcock (collaborateur de Ray Charles ou Mark Knopfler, entre autres…). Si d’emblée l’intérêt peut paraître limité pour certains, on peut déceler une forme de créativité surprenante à l’œuvre.
Impossible de prédire la réaction des fans de Porcupine Tree. Certes, pour les personnes familières de la discographie du groupe, les titres sont reconnaissables par leurs mélodies les plus marquées ou quelques grooves, bien que parfois présentés sous la forme de medleys. La ligne mélodique de « Sound Of Muzak » jouée à la basse ou le pont de « The Pills I’m Taking » au saxophone ne dépayseront pas. Rien de « metal », « rock » ou « pop » dans cet opus cependant. Les lignes de chant de Steven Wilson sont majoritairement interprétées par les cuivres, la basse est sans doute l’instrument le plus proche des compositions originales dans son approche. La production privilégie des sonorités de « Big-Band » pour les différents swings proposés. De fait, le jazz instrumental de Cheating The Polygraph n’a rien à voir avec le caractère suave et délicat d’un Chet Baker ou la sobriété de la plus récente Youn Sun Nah. Tout est « brillant », enjoué et extrêmement dynamique. Seuls certains passages de « Heartattack In A Layby » ou encore « Hatesong » se distinguent par une approche plus discrète.
Pour ce qui est du jeu de Gavin Harrison, ce dernier ne se livre pas ici à un cours magistral. Il privilégie une approche sobre et mesurée, extrêmement musicale en usant parfois d’un ostinato « classique » de jazz dans « Futile », en réempruntant les éléments principaux du plan de batterie originel de « Hatesong » ou encore en réinterprétant totalement celui de « Sound Of Muzak ». Surtout, l’ensemble des huit titres est terrifiant de précision. Le jeu de batterie confère un cachet de modernité à l’ensemble de l’œuvre. Il est impossible de nier la recherche gargantuesque effectuée dans les arrangements rappelant parfois ceux d’un Frank Zappa, à croire que Gavin Harrison s’est imposé un véritable défi en étendant ou, à plus forte raison, en redéfinissant le spectre des compositions originales.
Cheating The Polygraph a la faculté de plaire à ceux qui ne connaissent pas Porcupine Tree mais apprécient le jazz, par l’étonnante innovation qu’il dégage dans sa composition. Pour peu que l’on fasse l’effort de comprendre la démarche de Gavin Harrison et de ses acolytes, l’opus peut même susciter une certaine addiction. Inutile de dire que comparer les musiques avec les morceaux originaux n’a aucun sens, si ce n’est pour apprécier la subtilité des arrangements. Gavin Harrison s’illustre une nouvelle fois par son ouverture d’esprit et livre une œuvre définitivement progressive.
Ecouter un extrait du disque :
Album Cheating The Polygraph, sortie le 13 avril 2015 chez Kscope.