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Interview   

Ghost : fantômes du passé… et du présent


Pratiquement tout groupe commence en faisant des reprises. C’est à la fois une manière de se lancer quand on n’a pas encore de compo et de tester la cohésion entre musiciens, mais aussi de se former en entrant dans les entrailles de morceaux qui ont fait leurs preuves. La reprise n’en est pas pour autant l’apanage des novices, il suffit de voir le nombre de groupes professionnels qui se prêtent régulièrement à l’exercice, dont Ghost, qui en fait une tradition par le biais notamment d’EP entre les albums. Pour Tobias Forge, la reprise s’apparente à un retour aux sources, un lien avec ses années d’apprentissage, comme une boussole. C’est aussi un moyen pour son public de mieux comprendre sa fibre artistique et ses musiques originales.

Phantomime est le troisième EP de la sorte. L’occasion de discuter de tout ceci, de revenir sur quelques-uns de ses choix de chansons reprises et de son approche de l’exercice, mais aussi de son rapport aux deux mastodontes du metal – Iron Maiden et Metallica –, de pop music et de son affinité avec Def Leppard, le chanteur Joe Elliott ayant posé sa voix sur une nouvelle version de « Spillways »… Comme quoi, la reprise peut se décliner de plusieurs manières.

« Tout ce que j’entendais, tout ce que j’écoutais, n’importe quelle chanson qui me tombait sous la main, je jouais dessus. Quand on comprend ça, on comprend la façon dont j’écris, dont je fais les choses, et pourquoi je donne parfois l’impression d’être un peu dispersé. »

Radio Metal : Phantomime est le troisième album de reprises du groupe, après If You Have Ghosts et Popestar. Les reprises sont généralement l’apanage des jeunes groupes sans expérience. Proposer des reprises est-il une façon de maintenir un lien avec tes années de formation et de ne pas oublier d’où tu viens ?

Tobias Forge (chant & instruments) : Tout à fait. Je pense que ça joue ce rôle. Ça sert de retour aux sources, de la même façon que pour… je ne sais pas, disons quelqu’un qui pratique les arts martiaux, qui débute dans un certain dojo et qui finit par en changer. Si tu veux devenir un bon combattant, tu dois bouger et t’entraîner avec des personnes différentes. C’est la même chose pour un footballeur : si tu joues tout le temps avec la même équipe, ton équipe sera peut-être très bonne, mais il faut toujours que tu te confrontes à d’autres. Je pense que la même logique s’applique avec les reprises : ça peut aider de revenir en arrière. Tu n’as pas nécessairement à les sortir. Nous avons choisi de proposer un vrai album, mais en parallèle, j’ai travaillé sur d’autres chansons – pas seulement les musique d’Impera, mais d’autres reprises. Nous avons sélectionné les meilleures, en nous disant : « Sortons celles-ci ; ça a l’air cohérent et digne d’être présenté ».

À quel point le fait d’apprendre à jouer les titres d’autres artistes a-t-il contribué à ta formation en tant que musicien ? Quelles ont été les chansons les plus formatives dans ta jeunesse ?

La réponse à la première question est oui. Écouter et jouer en même temps, c’est très formateur. Je n’ai jamais vraiment été… Beaucoup de guitaristes, en particulier, prennent le temps de lire les tablatures et d’apprendre à jouer quelque chose de façon très précise, et selon moi, théorisent la musique à l’excès. Je ne peux pas dire que je ne sois pas théorique ; c’est simplement que je ne suis pas les règles ou la terminologie classiques. J’essaie de catégoriser et de comprendre la logique, mais je le fais à ma façon, en m’appuyant sur ce que j’ai appris au fil du temps. Je n’ai jamais passé beaucoup de temps avec des tablatures ; je me contentais de jouer sur la musique. Je mettais la musique et je jouais. Je n’essayais pas d’apprendre à jouer la chanson de la même façon que le groupe. Je jouais comme si j’étais invité à jouer avec eux. Du coup, mon style est très libre, parce que je jouais aussi bien The Doors que Kiss, Slayer et DJ Bobo ! Ça pouvait être n’importe quoi. Tout ce que j’entendais, tout ce que j’écoutais, n’importe quelle chanson qui me tombait sous la main, je jouais dessus. Je pense que le chaos de tout ça a fait que… Quand on comprend ça, on comprend la façon dont j’écris, dont je fais les choses, et pourquoi je donne parfois l’impression d’être un peu dispersé.

C’est ce qui peut surprendre à l’écoute de l’EP : on y trouve aussi bien du Iron Maiden que du Tina Turner…

Oui, j’ai grandi avec les deux, donc ça n’a rien d’étrange, pour moi. Mais bien sûr, pour passer de la simple envie de faire quelque chose à une œuvre homogène censée avoir un certain attrait commercial, il faut prendre des décisions. L’une de ces décisions a été : « Si on veut faire cette chanson de Tina Turner, il faut vraiment que ce soit punchy. » C’est censé être un EP de rock, il faut que tout soit réglé sur 10. Je pense que c’est ça qui différencie cette reprise de l’orignal. D’ailleurs, thématiquement, je ne voyais pas ça comme « une reprise de Tina Turner », mais comme « la chanson de Mad Max ». Ça colle à la période qu’on vit.

Phantomime comporte une reprise du « Phantom Of The Opera » d’Iron Maiden. Il y a deux ans, vous avez également enregistré une version de « Enter Sandman » de Metallica pour la compilation Blacklist. Dans le rock, les gens aiment opposer les Rolling Stones aux Beatles, et je pense que le monde du metal a tendance à faire la même chose avec Metallica et Iron Maiden. Te sens-tu plus d’affinités avec Metallica ou avec Maiden ?

[Il réfléchit] Bonne question. J’essaie de formuler une réponse cohérente. Je pense que… C’est tellement cinquante-cinquante. Les deux. Pas seulement en termes d’inspiration, mais aussi en termes de l’ensemble de leurs carrières, surtout quand j’étais gamin. Par bien des aspects, comme beaucoup de fans de ces deux groupes, il y a une date limite à partir de laquelle mon intérêt pour la nouvelle musique a commencé à diminuer. Mais j’ai un tel amour pour tout ce qu’ils ont fait avant que ça n’a pas vraiment d’importance. La limite, c’est en gros le Black Album et Fear Of The Dark. Je veux dire, j’apprécie The X Factor, et Brave New World était un album de comeback absolument formidable. Mais enfant et adolescent, me poser avec Live After Death était une telle inspiration – pas seulement pour ce que j’entendais, mais aussi pour les dates de la tournée et tout ce qui avait trait à ça. Même chose avec Metallica et le Black Album. C’est la première fois que je les ai vus, et c’était la première fois que j’étais confronté à la grandeur commerciale dans le metal, alors qu’un groupe est au sommet. Ça se passe là, maintenant, c’est le plus grand groupe de tous les temps. Ils jouent dans telle arène, mais quand ils reviendront l’an prochain, ils feront tel stade. Même à l’époque, j’avais l’intuition que non seulement ils étaient géniaux, mais aussi qu’ils s’en sortaient bien dans la vie. Ces gars deviennent un peu plus riches à chaque heure qui passe [petits rires]. C’est ce genre de chose qui compte quand tu as douze ans. « Et imagine toutes les filles qu’ils chopent ! » Ce genre de bêtise.

« Quand viendra le jour où il n’y aura plus d’Iron Maiden et que vous voudrez voir un concert de rock avec une mise en scène et des soli, vous pourrez venir nous voir. »

Et bien sûr, ces groupes m’ont inspiré musicalement et professionnellement et m’ont apporté beaucoup de joie, mais ils sont aussi devenus des mentors dans ma vie professionnelle. J’ai tellement de gratitude et de respect pour ces deux groupes. Si je devais être super tatillon et spécifique, je dirais que, puisque nous sommes un groupe plus mélodique, nous sommes sans doute plus proches de Maiden. Metallica est davantage un groupe de « speed », je pense. Pour être honnête, ce que j’ai toujours le plus apprécié chez Metallica, et en particulier sur mes albums préférés, qui sont les préférés de beaucoup de monde, ce n’est pas la vitesse. La vitesse et la violence de ces albums ne sont que des valeurs ajoutées. La raison pour laquelle leur musique était tellement géniale dans les années 80, c’est qu’elle était très mélodique. Ce sont les mélodies. Ce qui a changé dans les années 90, c’est qu’ils ont arrêté les mélodies. Ils sont devenus un groupe de blues, et tout d’un coup, tous les mouvements étaient différents. Ce n’était pas néoclassique comme dans les années 80 ou sur le Black Album. Je suis très néoclassique moi-même, c’est pourquoi je me sens si proche du côté mélodique de Metallica. D’un autre côté, j’ai passé mon adolescence à écouter du death et du black metal, donc j’adore les gros riffs, la vitesse et ce genre de chose, mais ce n’est pas ce que nous faisons avec Ghost.

Depuis longtemps, les fans se demandent qui pourrait être le Maiden ou le Metallica de demain. Si l’on considère le succès impressionnant de Ghost, penses-tu que vous apportez une réponse à cette question ?

[Il réfléchit] Si on fait la comparaison avec le milieu du cinéma… Évidemment, je sais que George Lucas et Steven Spielberg finiront par mourir un jour, mais je ne pense pas que Wes Anderson ou Quentin Tarantino pourront être considérés comme un remplacement. Ces réalisateurs n’ont pas tellement de choses en commun, mais tu vois ce que je veux dire, j’espère. Je ne considère pas que nous prenons leur place. Tu sais, j’essaie d’être aussi transparent que possible. Ce que je fais est très inspiré par ces deux groupes. J’essaie de le faire de façon différente, et avec respect. Mais bien sûr, d’un point de vue pratique, quand viendra le jour où il n’y aura plus d’Iron Maiden et que vous voudrez voir un concert de rock avec une mise en scène et des soli, vous pourrez venir nous voir. C’est un concept très curieux, mais c’est évidemment pertinent, parce qu’on vit à une époque où ceux de la génération précédente disparaissent les uns après les autres. Je crois que Lars [Ulrich] et James [Hetfield] se sont exprimés sur le fait que la physicalité de leur musique n’est pas la même que pour les Rolling Stones. Charlie [Watts] jouant de la façon dont il jouait à soixante-dix-neuf ou quatre-vingts ans, ça n’a rien à voir avec ce qui est attendu de Lars. Et ce qui est attendu de James est aussi très différent de ce qu’on attend de Keith Richards, avec son style très open chord. La méticulosité des riffs de James et des soli de Kirk, ça peut être difficile à réaliser à quatre-vingts ans – et ils approchent des soixante. Kirk les a déjà, d’ailleurs. Donc, même si je n’ai pas envie d’y penser ou de le rappeler aux gens, rien ne dure éternellement. Tôt ou tard, les fans devront décider quels groupes ils veulent aller voir, parce que beaucoup de ceux avec qui ils ont grandi ne seront plus là.

Votre reprise d’« Enter Sandman » avait été très « ghostifiée », tandis que « Phantom Of The Opera » est plus fidèle à l’original en comparaison. Comment décides-tu de la façon d’aborder une reprise ? Y a-t-il des chansons qui offrent plus de latitude en matière d’arrangement et d’appropriation, et d’autres moins ?

Il y a plusieurs facteurs, qui diffèrent d’une chanson à l’autre, et le résultat peut par conséquent être différent. Si on revient dans le passé et qu’on prend « Waiting For The Night », par exemple, j’ai toujours pensé que cette chanson dans sa forme originale… Évidemment, elle est cool, mais je me disais qu’il y avait une plus grosse chanson là-dessous. Dans l’original, c’est diffus, vague, sous-jacent. Les accords sont tout juste suggérés, et le chant laisse penser qu’on peut construire quelque chose de plus imposant autour de ça. Quand j’ai fait la reprise avec Dave Grohl, il m’a demandé : « Est-ce qu’on peut en faire une version très lente à la Trouble ? » Je lui ai dit : « Oui, ça me semble cool. » Et bien sûr, en travaillant avec Dave Grohl, ça paraissait une bonne idée sur le moment. Au final, nous nous sommes dit que c’était trop lent, trop heavy et trop long. C’était une bonne idée, mais le résultat n’était pas très probant.

« J’ai toujours eu une oreille tournée vers la pop ; je ne suis pas exactement impressionné par ce que j’entends aujourd’hui, mais dans ma vie, j’ai toujours écouté la radio et aimé beaucoup de ce que j’entendais, surtout les super hits des années 80. C’est totalement mon rayon. »

« Enter Sandman » et « Phantom Of The Opera » ont été conçues de deux façons différentes. Si quelqu’un m’avait demandé de participer à un tribute de Metallica, j’aurais accepté, mais je n’aurais jamais choisi « Enter Sandman », de la même façon que peu de gens choisiraient « Paranoid » ou « Smoke On The Water ». Tu essaies automatiquement de ne pas choisir le plus gros hit. Mais dans ce cas précis, c’est la télévision suédoise qui m’a demandé de jouer. C’était pour un prix musical, et on m’a dit : « Puisque Ghost et Metallica sont proches, vous êtes vus comme étant amis, alors vous devriez ouvrir le show. Et on veut que vous jouiez leur plus gros titre, ‘Enter Sandman’. » J’ai demandé : « Est-ce que j’ai le choix ? » Et eux m’ont répondu : « Pas vraiment ! On veut que vous le fassiez, sinon il faut qu’on repense l’ensemble du spectacle. Vous pourriez y réfléchir ? » OK, je vais y penser et voir ce que je peux faire. Du coup, j’ai commencé à jouer la chanson et à voir ce que je pouvais en tirer. J’ai alors eu l’idée de prendre la mélodie vocale et… La structure originale de la chanson est très simple, et la mélodie, comme « Waiting For The Night », suggère des accords qu’ils ne jouent pas. Tout ce que j’avais à faire, c’était voir quel accord suggérait la mélodie et combler les trous. Je me suis retrouvé avec un arrangement de cinq minutes. Si je chantonne la mélodie avec une guitare, voilà quels accords elle me suggère. C’est la version un peu scolaire de ce titre. J’en étais à l’étape où j’avais une version complètement différente de la chanson, et je l’ai enregistrée en me disant : « Putain, j’espère tellement que James ne va pas détester… » Parce que je ne veux pas décevoir qui que ce soit. C’est censé être un hommage. Ma version était pensée comme : « Vous avez tout mon amour, les gars, mais on m’a obligé à faire ça ! » Et finalement, le résultat était super.

« Phantom Of The Opera » était un peu différent. Je savais que je voulais reprendre un titre de Maiden, mais pas n’importe quoi, bien sûr. Je n’allais pas faire « The Number Of The Beast ». Je m’étais déjà amusé sur « Phantom » par le passé, parce que c’est un titre long et assez compliqué. En tant que musicien, c’est assez courant de se poser sur le canapé et d’essayer de comprendre un riff. Qu’est-ce qu’ils font, là ? [Il chantonne le riff] Quel est le rythme ? Comment est-ce qu’ils comptent ? Parce que je n’arrivais pas à entendre la mesure. Et soudain, une fois que j’ai compris comment fonctionne la mesure dans cette chanson [il chantonne le riff en claquant des doigts], je me suis dit : « Whaouh, ça ne s’entend pas du tout sur le disque. On n’entend rien, c’est simplement un bazar contrôlé. » J’ai réussi à comprendre comment jouer d’autres éléments de la chanson, et j’étais là : « Maintenant, j’ai une bonne raison de l’enregistrer. Pas parce que je veux l’améliorer, mais pour proposer une version différente où on entend clairement les différentes parties. » Avant tout, c’était une expérimentation personnelle en studio. Je voulais l’enregistrer pour voir ce que ça donnait, et soudain, après avoir bossé dessus pendant quelques heures, doublé les guitares, ajouté la batterie et tout joué parfaitement avec une précision métronomique, le titre était différent et un peu actualisé, pour ainsi dire. Du coup, je me suis dit : « Je vais prendre le pari de reprendre cette chanson, et on verra ce qui se passe. » Ça me semblait une bonne raison. Je ne dis pas que ma version est meilleure, je dis simplement qu’elle est différente. Il y a un peu plus de contraste et de fluidité, on entend mieux les différents éléments. Ça souligne à quel point la chanson est bonne.

Parmi les reprises de Phantomime, on retrouve également « Jesus He Knows Me » de Genesis. Genesis est un groupe un peu particulier, qui a débuté dans le rock progressif et a fini par évoluer pour proposer d’énormes tubes radio. Te retrouves-tu dans cette ambiguïté, dans cette dualité ?

Tout à fait. L’autre groupe de ce niveau ayant fait quelque chose de similaire est Pink Floyd. Au début, leur musique était vraiment étrange, vraiment excentrique, et puis ils sont devenus de plus en plus pop au fil des albums. Les gens pensent toujours à tort que c’est un groupe de prog, alors que « Wish You Were Here » n’est finalement qu’une série de quatre chansons pop étirées au maximum. Non seulement je suis très inspiré par ça, mais je ressens aussi des affinités avec ce genre de chose. Tu essaies de proposer des variantes de ce qui est traditionnel, si tu veux. Tu essaies de changer la forme, de présenter des éléments que les gens connaissent de façon différente. C’est un peu comme gérer un restaurant fusion et proposer une soupe à l’oignon d’inspiration asiatique en ajoutant de la coriandre dans le plat. C’est toujours reconnaissable, mais tu essaies de rendre la recette différente. Une autre analogie est Stanley Kubrick, qui racontait des histoires qui n’étaient pas très compliquées, mais qui les présentait d’une façon épique grâce à leur façade – littéralement. C’étaient le choix de décor et de costumes et l’attention au détail qui faisaient la différence. C’est la raison pour laquelle, en tant que compositeur, j’essaie toujours de revenir à la simplicité de l’écriture ; la simplicité d’« Another Brick In The Wall » ; la simplicité de « Comfortably Numb ». Ça sonne comme un titre énorme et épique, mais ce n’est pas compliqué du tout. Ils ont beaucoup de chansons comme ça. Pour beaucoup de chansons dans le catalogue de Genesis, notamment sur la fin de leur carrière, la seule chose qui les rend un peu bizarres, c’est la partie centrale. Dans « Jesus He Knows Me », c’est l’une des choses qui m’ont donné envie de… Non seulement j’ai toujours adoré cette chanson, mais il y a trois facteurs qui m’ont donné envie de faire mon propre truc avec. D’une : c’est un rythme très enlevé. La façon dont ils la jouent est tellement calme qu’on dirait littéralement qu’ils jouent sur la table [il bat le rythme sur la table] avec une guitare acoustique. Il y a un vrai titre metal là-dessous.

« Je voulais voir si j’étais capable d’écrire à la façon de Def Leppard. Sur Hysteria, il y a six, sept, huit singles, dont une bonne moitié ont été d’énormes hits. Comment pouvaient-ils écrire des chansons de cinq minutes, avec genre cinq parties distinctes ? Ce n’était pas une écriture conventionnelle. »

Faites quelque chose avec ces guitares ! [Rires]

Oui, mais je suis content qu’ils ne l’aient pas fait, parce que ça veut dire que nous, on peut ! Ça me surprend énormément qu’un groupe comme Metallica n’ai jamais repris cette chanson, parce que ça ressemble à un titre tiré de Garage Days. On y retrouve la même ambiance. Du coup, je me suis dit : « Je vais faire sonner ça comme un titre de Garage Days de Metallica. » Et putain, je déteste le pont de l’original, quand ils donnent dans le raggae de petit blanc. J’aime bien le reggae, mais ça, c’est le reggae le plus blanc du monde ! Et ça détruit totalement la chanson. Autant j’ai toujours adoré la chanson dans son ensemble, autant j’ai toujours détesté ce passage. Du coup, me débarrasser de cette section et la rendre très heavy faisait aussi partie de la liste de choses à faire. Il fallait passer en mode Trouble là-dessus. Et bien sûr, ça va sans dire, mais les paroles étaient aussi parfaites. C’est conçu comme un hommage, même si je crache beaucoup sur ce pont. Mais ils ont fait beaucoup de ce genre de ponts assez prog, du genre : « Faisons n’importe quoi ici », et ils nous casent une rumba ou un truc du genre. Certaines personnes peuvent trouver ça super intéressant, mais dans la plupart de leurs chansons, je trouve que ça n’apporte rien. Mais effectivement, Genesis a beaucoup de… J’aime une bonne partie de leur musique prog plus ancienne, avec Peter Gabriel, même si je trouve qu’ils sont presque devenus encore meilleurs après leur séparation. Peter Gabriel a fait sa propre musique, et il l’a très bien faite – de la musique bien épique. Et Phil [Collins] est passé au chant et eux ont fait leur propre truc. Pour moi, c’était le meilleur des deux mondes, même si ça peut paraître sacrilège de dire ça. J’aimerais voir Peter Gabriel revenir chanter avec eux, ce serait cool, mais leur séparation a apporté tellement à la musique, entre la carrière de Peter Gabriel, celle de Genesis et celle de Phil. Cette quantité de travail, la vache !

C’est l’un des rares cas où la séparation a été un vrai succès pour tout le monde, et où le résultat est aussi bon que le groupe d’origine.

Tout à fait, je trouve aussi. Ce qu’ils pourraient faire de plus incroyable, désormais, surtout maintenant que Phil n’est pas en bonne forme… Ce que j’aimerais qu’ils aient fait, ou aient pu faire, ou fassent un jour, c’est une triple tournée. Par exemple, Phil et [Peter] pourraient faire un concert solo chacun pour commencer, peut-être juste cinq ou dix chansons, puis se réunir avec Genesis. Comme ça, on pourrait avoir « Here Come The Flood », « Another Day In Paradise » et « In The Air Tonight », puis une flopée de Genesis. Je crois que tout le monde aimerait voir ça. Ce serait le concert idéal. Pour moi, ce serait l’une des meilleures expériences possible.

Tu vois, c’est avec ce genre d’idée que Ghost est devenu Ghost. Si tu es capable de monter un plan pareil pour d’autres groupes…

[Rires] Vous pouvez toujours m’appeler avant qu’il ne soit trop tard, les gars !

Un autre groupe à avoir proposé de la musique à la fois sophistiquée et super accrocheuse est Def Leppard, surtout sur leur album Hysteria, aujourd’hui plusieurs fois disque de platine. À ce sujet, vous avez sorti cette année une nouvelle version de « Spillways » avec Joe Elliott au chant. Quand on l’entend sur ce titre, le lien est évident, surtout au niveau des chœurs très élaborés. Établirais-tu un parallèle entre ton approche de la composition et de l’arrangement et celle de Def Leppard ?

Sur cet album, oui, parce que j’ai essayé d’imiter des éléments de… C’est quelque chose qu’on retrouve dans l’ensemble de leur carrière, mais en particulier sur leurs deux plus gros albums, Pyromania et Hysteria, la longueur des chansons est remarquable. De nos jours, c’est très courant, surtout dans la pop, d’être très tatillon sur la limite des trois minutes. Dans le monde de la pop, il y a ce besoin de toujours aller très vite au refrain. Il faut commencer avec le refrain, aller tout le temps droit au but. Dans les années 80, il y avait davantage de courage dans la composition – un côté plus aventureux. Des titres comme « The Riddle », par exemple, étaient très étranges, très proggy. Il y avait des progressions d’accords bizarres et des trucs que plus personne ne fait aujourd’hui. Le monde de la pop est tellement trouillard depuis si longtemps. Bien sûr, j’ai toujours eu une oreille tournée vers la pop ; je ne suis pas exactement impressionné par ce que j’entends aujourd’hui, mais dans ma vie, j’ai toujours écouté la radio et aimé beaucoup de ce que j’entendais, surtout les super hits des années 80. C’est totalement mon rayon. Et j’adore l’eurodisco du début des années 90. Il y a beaucoup d’excellents compositeurs dans ce milieu. Max Martin a débuté dans l’eurodisco, du moins professionnellement, mais avant ça, il était dans le metal. Ce qui fait de lui un si grand compositeur, c’est son oreille metal. Il écrivait des chansons d’eurodisco, puis d’un coup, il s’est mis à écrire d’énormes titres de pop pour les Backstreet Boys et Britney Spears. Toute cette école de compositeurs suédois est composée d’anciens metalleux, d’anciens rockeurs, d’anciens guitaristes.

« Je ne veux pas faire les choses cyniquement. Je chante des choses cyniques, je suis quelqu’un de cynique, mais je ne veux pas me montrer cynique envers mes fans ou ma carrière. »

Du coup, je voulais me mettre des défis dans ma propre façon de composer, parce qu’il m’arrive de faire trop court. Même si « Square Hammer » est un bon exemple de chanson bien écrite, c’était presque frustrant, parce que je me suis dit : « OK, ça fait une chanson de ce type en plus. Maintenant, il faut que j’arrête de faire ça, parce que c’était presque trop simple. » C’était une chanson très intuitive ; je l’ai littéralement écrite en dix minutes. J’avais la mélodie, je l’ai jouée, et la chanson s’est écrite toute seule très rapidement. Il n’y a presque aucune finesse dans cette chanson, et je me suis dit qu’il fallait que j’évite de refaire la même chose, parce que ça aurait été trop facile. Je voulais voir si j’étais capable d’écrire à la façon de Def Leppard. Sur Hysteria, il y a six, sept, huit singles, dont une bonne moitié ont été d’énormes hits. En 1987 ou 1988, ils étaient au niveau de Coldplay au sommet de leur carrière, c’est dire. Comment pouvaient-ils écrire des chansons de cinq minutes, avec genre cinq parties distinctes ? Ce n’était pas une écriture conventionnelle, de type couplet, refrain, couplet, refrain. C’était couplet, un autre couplet, pré-refrain, pont, et puis enfin, au bout de deux minutes, tu arrivais au refrain. Et c’était tellement gratifiant, parce que le chemin pour en arriver là était très long. Je me suis dit : « Voilà ce vers quoi je dois tendre. Je veux oser ajouter une autre partie, oser ne pas suivre le chemin balisé. » C’était un exercice mental que j’ai fait sur Impera, et je vais essayer de faire mieux à l’avenir. C’est une façon intéressante de se poser des défis.

Lorsqu’on évoque la longueur des chansons à la radio, je pense toujours à l’histoire de « Bohemian Rhapsody » : « Ça va être une catastrophe, ce ne sera jamais joué en radio ! » C’est cela, oui…

Pendant longtemps, ils ont appelé cette chanson « le truc de Freddie ». C’est une telle anomalie au milieu de ce dont on vient de parler. Bien sûr, je ne recommande pas… Pour un jeune groupe qui vient de décrocher un contrat, il vaut mieux éviter les « Rhapsody » de six minutes. Mais si vous parvenez à trouver un compromis entre « The Passenger » et « Bohemian Rhapsody », je pense que vous tenez un truc.

À ce sujet, comment Joe Elliott s’est-il retrouvé sur « Spillways » ?

L’histoire est très simple. J’ai beaucoup parlé de Def Leppard avant la sortie d’Impera en raison de l’exercice mental que je viens d’évoquer, et Phil comme Joe parlaient de Ghost depuis quelques années. C’en est venu à un point où nos managements respectifs voulaient que nous fassions quelque chose ensemble. Dans le monde moderne, ça veut souvent dire collaborer, comme le font les artistes de hip-hop. J’ai expliqué que je voulais bien explorer l’idée, mais que pour moi, une collaboration est un concept tendance mais dépassé. On fait ça tout le temps. Dans le hip-hop, c’est presque ridicule de voir… Si un artiste est à la mode cette semaine et que tu vas jeter un œil au top 40 américain, ce n’est que « tel artiste feat. tel autre artiste ». Je comprends parfaitement que un plus un peut parfois donner trois, mais ça en devient très cynique. Je ne veux pas faire les choses cyniquement. Je chante des choses cyniques, je suis quelqu’un de cynique, mais je ne veux pas me montrer cynique envers mes fans ou ma carrière. J’ai donc dit que oui, je voulais bien en discuter avec Joe, mais qu’il fallait voir si nous arrivions à nous entendre sur quelque chose, s’il y avait de la romance dans l’air.

Avec Joe, nous nous sommes envoyé beaucoup de messages pour essayer de convenir d’un rendez-vous. Il vit en Irlande, mais aussi à L.A. Je vis en Suède, mais je passe aussi beaucoup de temps à L.A., alors nous avons essayé de trouver le temps de nous voir. Il se préparait pour sa tournée, moi aussi, et nous ne faisions que nous tourner autour. Et puis sans crier gare, il a voulu expérimenter ; il est entré en studio, il a enregistré des lignes de chant et il me les a envoyées. J’ai trouvé le résultat très cool et je lui ai dit : « Écoute, je n’ai que de bonnes choses à dire sur ce que tu as fait. Ça sonne super. Je ne suis pas surpris par ta voix, mais par le fait qu’on sonne si bien ensemble. J’aime ce chant très traînant, tu as vraiment ajouté quelque chose. Mais je n’ai aucune envie de balancer ça sur Spotify et de dire aux gens : ‘Voilà encore un truc que vous pouvez acheter.’ » Je lui ai demandé : « Tu sais qu’on fait de petits sketches pour communiquer avec nos fans de façon marrante ? Au lieu de poster sur Instagram pour dire qu’on passera dans telle ville, on propose de petits épisodes. » Il en avait vu quelques-uns et m’a répondu : « Oui, c’est marrant. Faisons quelque chose de marrant avec ça. » Le gag est la partie importante, et le résultat final est un bonus.

« C’était un peu idiot de ma part de faire preuve de tellement d’assurance, de croire que je pouvais brûler tous les ponts, brûler tous les navires et jeter les rames. J’ai eu la chance de rejoindre la terre ferme, mais je ne recommande pas cette technique. Ne faites pas la même chose ! [Rires] »

C’est comme ce que nous avons fait ave « Kiss The Go-Goat » et « Mary On A Cross ». L’idée pour l’épisode est venue en premier, puis nous nous sommes dit : « OK, mais il nous faut une chanson. » J’ai donc eu l’idée de ce sketch en mode années 60 qu’était « Kiss The Go-Goat ». Puis, alors que j’écrivais et enregistrais « Kiss The Go-Goat », « Mary On A Cross » est apparue au cours du processus, et je me suis dit : « Génial, maintenant on a une face B ! Ce sera un single physique. » Du coup, j’ai inclus ça dans le script : « Commençons par montrer le single, maintenant que c’est officiel. » Les choses fonctionnent en tandem. Avec le recul, on sait désormais que le résultat final a été différent. C’était pensé comme une blague. Il y avait « Kiss The Go-Goat », qui était la blague en soi et qui a eu beaucoup de succès. Et puis il s’est avéré que « Mary On A Cross » était complètement différent. C’est aussi ce que j’ai dit à Joe : nous faisons ça pour mettre le bazar autour du groupe. Mon job, c’est d’écrire des disques et de divertir les gens, mais apparemment, il faut aussi que je communique avec mes fans, et que je fasse toute cette promotion qui ne m’intéresse pas vraiment. Je n’ai aucun problème à faire cette interview, mais je ne veux pas de putain de compte Instagram sur lequel je poste des photos de moi. Je ne veux pas être cette personne. Du coup, je fais ça pour que les gens… Ce sont des diversions, et parfois, ces diversions deviennent cool. « Qu’est-ce que tu en dis, Joe ? » Au final, nous avons trouvé ce moyen pour passer du temps ensemble et faire quelque chose de marrant. Au lieu de transformer notre créativité en chanson, nous avons transformé notre créativité en épisodes. C’est devenu quelque chose de fructueux et de marrant, et je trouve que c’était une belle réussite.

Le titre de l’EP est intelligent, car il mélange les termes « fantôme » et « pantomime ». Ce dernier terme est défini comme « un type de comédie musicale pour le divertissement de toute la famille ». Est-ce ton objectif avec Ghost ? Vois-tu le groupe comme « une comédie musicale pour le divertissement de toute la famille » ?

Grosso modo, oui. Bien sûr, ça suggère que les éléments et les insinuations plus adultes de notre spectacle conviennent aux enfants, ce que je ne prétends pas. Mais je tiens aussi à souligner que je n’ai jamais demandé aux gens d’emmener des enfants à nos concerts. Donc, si les enfants en question sont exposés à des blagues impliquant pénis, pets et copulation, c’est leur problème. J’ai grandi dans une famille très libérale, où il y avait très peu de barrières et aucune censure. Je crois qu’il est possible d’avoir une conversation, si d’autres y sont ouverts. Je n’ai aucun problème à ce que des familles entières viennent nous voir, du moment que personne n’en souffre. Du coup, pour moi, c’est effectivement un divertissement pour toute la famille. Mais je ne le vendrais pas comme tel à la plupart des gens, car il y a tout de même des éléments qui ne sont pas adaptés à tous les enfants.

Je me souviens d’un concert de Rammstein où j’avais remarqué des enfants dans le public. Je m’étais dit que ce n’était pas vraiment une bonne idée… Ghost me semblait un peu plus approprié, mais pour de jeunes enfants, certaines choses peuvent être malgré tout un peu tendancieuses.

C’est difficile pour moi d’avoir une ligne claire à ce sujet, parce que je ne parle pas seulement en tant que musicien, mais aussi en tant que parent. Il y a un débat permanent sur l’âge auquel parler de certaines choses. Maintenant, avec deux adolescents, les choses sont plus ouvertes. Mais c’est l’un des trucs bizarres quand on est une figure semi-publique, qui parle ouvertement et publiquement de sa vie et de ce qu’il fait et qui partage ses opinions. Mes enfants lisent ça, eux aussi. Ils en ont conscience. Dès que je dis quelque chose, surtout de nos jours, où tout devient un mème ou un clip… Les gens peuvent penser que ce que je dis est marrant, ce qui ne me gêne pas, mais mon fils et ma fille d’aujourd’hui quatorze ans l’ont entendu quand ils en avaient huit ou dix. C’est difficile pour moi d’agir en parent et de leur dire : « Va à l’école ! Ne fais pas ça ! », alors qu’ils savent parfaitement que je n’ai suivi aucun de ces préceptes. Je n’essaie absolument pas de leur mentir. Je leur dis : « J’ai fait ceci, je ne le recommande pas. J’ai fait cela ; j’ai totalement négligé cette autre chose. Mais j’ai eu de la chance et j’y suis arrivé. » Ma carrière n’est pas finie, donc je ne sais pas si je suis vraiment « arrivé », mais pour l’instant, je suis là. C’était un peu idiot de ma part de faire preuve de tellement d’assurance, de croire que je pouvais brûler tous les ponts, brûler tous les navires et jeter les rames. J’ai eu la chance de rejoindre la terre ferme, mais je ne recommande pas cette technique. Ne faites pas la même chose ! [Rires]

Interview réalisée en face à face le 11 mars 2023 par Tiphaine Lombardelli.
Retranscription & traduction : Tiphaine Lombardelli.
Introduction & questions : Nicolas Gricourt.
Photos : Jimmy Hubbard.

Site officiel de Ghost : ghost-official.com

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NB : Nous vous rappelons que L’Intégrale Ghost By Radio Metal, un livre de 144 pages que nous avons consacré à Ghost, est disponible dans la boutique en ligne de Radio Metal.



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