Prequelle (2018) dont la thématique gravite autour de la peste médiévale aurait pu être considéré comme prémonitoire. Tobias Forge a pu malheureusement constater l’illustration des sujets développés dans son album. La pandémie a frappé juste à la fin du cycle de tournées de Ghost et n’a ainsi pas réellement altéré son programme : une pause d’un an pour enregistrer un nouvel album avant de retourner sur les routes. Tobias Forge a donc travaillé sur une nouvelle œuvre et profité du temps supplémentaire pour vivre avec les siens. De quoi revenir avec un album qui s’inscrit évidemment en miroir des évolutions de notre société toujours marquée par le virus et la concrétisation de sempiternelles tensions. Impera propulse Ghost à l’ère victorienne au XIXe siècle, une période de changements majeurs et brutaux via l’industrialisation et le déclin d’anciens « empires ». Impera met en avant la disparition de l’humanité au profit de nouvelles technologies et d’un retour en arrière sur ce que Tobias Forge considérait comme des progrès moraux. Tout n’est qu’un cycle et la destruction accompagne toujours le renouveau.
Impera fait tout d’abord évoluer l’esthétique de Ghost. Les goules arborent désormais des costumes hérités d’un imaginaire steampunk, lui-même inspiré de l’esthétique de la machinerie à vapeur et du fantastique victorien. Évidemment, la musique suit bel et bien ce changement de registre. Pourtant les arpèges délicats qui ouvrent Imperium et les leads qui s’en dégagent n’ont rien d’inédit. Il faut attendre les premières notes de « Kaisarion » pour déceler une nouvelle énergie chez Ghost. « Kaisarion » va jusqu’à emprunter au punk-rock énergique et enjoué par ses rythmiques de batterie, son riffing très souple et le grain caractéristique de la basse typique du genre. Ghost réussit la prouesse d’infuser son sens exquis de la mélodie et son refus de se laisser aller à des structures trop conventionnelles. Pour preuve « Kaisarion » brusque son propos de manière presque impromptue en épaississant les guitares, avant de dériver sur quelques souplesses instrumentales dignes du progressif des seventies. Certes, Ghost brille avant tout par ses refrains mais il n’occulte pas le développement musical et prend plaisir à surprendre. Les notes de piano sautillantes qui ouvrent « Spillways » sont héritées tout droit des années 80 et voient Tobias multiplier les vocalises pour livrer une sorte de rock faussement « feel-good » désarmant d’entrain. « Call Me Little Sunshine », avec son ambiance crépusculaire, se repose quant à lui sur un riffing hybride entre Black Sabbath et Iron Maiden (et quelques airs du Black Album de Metallica, par le jeu de batterie, percutant et épuré), qui soutient à son tour les phrasés de Tobias taillés pour le live tant ils sont préparés pour les reprises du public.
Impera n’a pas tout à fait la même gravité que ses prédécesseurs. Il ne se prête pas pour autant moins au grand spectacle. Il met cependant davantage à l’honneur les riffs de guitare marquants et les pulsations plus rapides qu’un Prequelle. « Hunter’s Moon » est une revisite du heavy traditionnel à tendance pop, avec cette aisance pour les refrains qui transforme le moindre élément en apparence simplissime en tube. Tout le cachet de « Watcher In The Sky » vient de ce riffing haché, presque martial. Ghost accentue son côté facétieux : « Twenties » accumule les phrasés de chant délurés qui évoquent System Of A Down. À nouveau, avec l’appui de puissants cuivres orchestraux, les guitares construisent l’essentiel de la composition, quitte à lancer quelques soli parfaitement calibrés sans jamais chercher à être virtuoses. Surtout, après la ballade – étonnamment solaire compte tenu de son titre – « Darkness At The Heart Of My Love » qui finit à grand renfort de chœurs féminins, Ghost s’essaie au rock FM et flirte avec la caricature : « Grift Wood » a son comptant de « baby », « woohoo » et chuchotements pour ne pas se faire recaler par les jeans troués à bandanas. Il est symbolique de la démarche d’Impera : reprendre les grandes fondations du rock et introduire une touche singulière, caractérisée par cette capacité à emporter l’auditeur avec lui. Ghost fait la même chose que tout le monde et il est le seul à le faire. « Respite On The Spital Fields » synthétise l’orientation musicale d’Impera : riffing acéré, refrains fédérateurs et affect pour les mélodies mélancoliques à la frontière du mielleux. On pourra reprocher à Ghost de livrer à nouveau nombre d’éléments déjà présents dans sa discographie et d’avoir un propos tout juste trop long : il l’agence pourtant différemment, avec une certaine vigueur. C’est, après tout, l’essence de la subtilité de Ghost : nous servir du « vieux » que l’on n’a pas tout à fait entendu et nous captiver avec une simplicité déconcertante.
Impera entérine ce que Ghost est aujourd’hui : un groupe phare du rock, expert du grand spectacle. La nouvelle esthétique et les évolutions d’orientation musicale inaugurées par Impera ne déroutent aucunement : elles sont une prolongation naturelle du travail de Ghost avec ce qu’il faut pour nous garder à ses côtés. Un cycle s’arrête, un nouveau le remplace. L’art du naturel.
Clip vidéo de la chanson « Call Me Little Sunshine » :
Clip vidéo de la chanson « Hunter’s Moon » :
Album Impera, sortie le 11 mars 2022 via Loma Vista Recordings. Disponible à l’achat ici
Prequelle sonnait le glas du Ghost gothique, cynique et chiadé des débuts pour ouvrir la voie au grand cirque hard rock multicolore du seul Tobias Forge.
Les faiblesses de composition entrevues sur Prequelle se confirment hélas ici, où malgré des guitares plus présentes (merci Fredrik d’Opeth), peu de chansons parviennent à faire mouche. Les riffs sont simplistes, les mélodies banales, les hommages (Metallica, Van Halen) bien trop marqués.
Un album qui ravira certainement une partie des fans qui préfèrent les confettis aux cierges sur scène, et c’est tant mieux.
Quant à moi, vieux bougon, je m’en vais retourner écouter le chef d’oeuvre Meliora, avec le pincement au coeur d’une époque révolue.
La messe est bel et bien dite; le cirque, lui, continue.
Oui très juste, une époque révolue. Meliora restera un chef d’œuvre Hard Rock Metal . Prequelle m’a déçu, et j’ai beau réécouter, rien n’y fait, je n’accroche pas (à part Rats et le disco metal danse macabre)et ne comprends pas pourquoi il a été plébiscité par la presse…bref , celui-ci m’a réconforté au départ, mais au fil des écoutes l’enthousiasme s’estompe. Il y a tout de même quelques pépites qui méritent son achat et bien meilleur que prequelle. Mais hélas, il ne faut plus espérer un succéceur digne de ce nom à Meliora, ‘Sir’ Tobias aurait peut etre du garder les premières Goules pour cela.
Bien d’accord avec toi David sur Prequelle. « Rats », excellent, « Danse Macabre », fun même si très proche de Scorpions. Le reste, insipide. Très loin de Meliora ou du parfait « Square Hammer » sur Popestar.
J’avais été très déçu de leur concert pendant la tournée suivant Prequelle, où je me suis retrouvé face à un grand show bariolé et calibré, très loin du groupe teigneux que j’avais vu sur une petite scène lors de la sortie de Meliora. Heureusement qu’ils avaient joué Mummy Dust pour réveiller un peu la fosse !
Mais j’imagine que cet Impera (à nouveau très plébiscité par la presse rock et metal) saura convaincre un public encore plus large, et tant mieux pour eux et les fans !
Encore un sans faute pour Ghost. Belle brochette de hits en puissance. Je les suis depuis le debut; quel parcours.
C’est mélodique, puissant, riche, kitch , éblouissant, sombre, lumineux … tout cela à la fois.
Bref je suis fan.
J’avoue avoir fait l’impasse sur un « Prequelle » très frustrant (tout comme sa pochette hideuse), dont je n’ai acheté aucunes versions. Je suis heureux de pouvoir à nouveaux craquer pour les superbes vinyles colorés. Un lp magenta noir et une version cd pour la voiture. Cet album est vraiment bon, plein de réminiscence des ainés du Metal, des solis de merveilles. Un futur classique, nous voila rassuré.
Excellent album, OUF soulagement…le retour aux guitares, et ça fait du bien. Bien supérieur à prequelle et de loin. Merci d’être de retour les gars.
Vraiment une bombe cet album, il passe en boucle !
Très franchement, j’avais un peu peur, y allant à reculons, vue la déception avec Prequelle…finalement : la Claque, certes pas au même niveau que Meliora même si on n’est pas si loin. Un très bon album, avec une ou deux faiblesses (call me little sunshine…), qui redonne espoir pour la suite. M’étant trompé au départ en croyant Tobias trop bercé par le succès. On peut à nouveau compter sur Ghost, et cet album va rejoindre une bonne place dans notre collection de galettes rondes. Miam !
Je pense tout le contraire. Cet album est une immense déception après le coup de maître de Prequelle
Des morceaux comme Twenties ou Respite se veulent super originaux et se crachent en beauté
Dans une progression linéaire depuis le premier album pour tutoyer les sommets, Imperia est un sacré coup d’arrêt. Pour ma part, je n’irai pas les voir en concert alors que je le suis depuis dix ans
« Call Me Little Sunshine » est très bon, « Hunter’s Moon » beaucoup moins car inhabituel chez Ghost. J’attend le reste avec curiosité.
Cette couverture illustrée par ce squelette posant à la manière d’Aleister Crowley est encore riche de symbolique sataniste. L’introduction de l’imagerie steampunk peut être un plus : les films comme Captain Sky, La Ligue des Gentlemen Exraordinaires et le monde dystopique d’Alan Moore peuvent coller à l’univers Ghost mais on peut aussi par conséquent perdre le coté vintage désuet qui avait fait leur succès.
Bonjour Thibaud ! J’apprécie toujours autant tes critiques, factuelles mais généreusement descriptives, l’album donne envie tout comme Prequelle et Meliora me donnaient déjà envie « à l’époque ». Ghost est devenu très populaire, mais je trouve qu’il parvient à faire perdurer sa créativité et ça fait plaisir.