Ghost ne veut pas d’une quelconque confidentialité, on l’a compris. Les Suédois veulent évoluer dans une grande cour, et le revendiquent. Ils envisagent le rock comme un grand cirque – comme nombre de formations avant eux qui ont atteint le statut de référence – dans lequel ils ont leur place.
Papa Emeritus II (petit nom que s’est trouvé le frontman pour ce second opus) et ses sbires ont bien compris qu’ils avaient leurs chances s’ils parvenaient à marquer les esprits avec un concept original, au-delà même de la musique ou, plutôt, en complément de la musique. C’est ainsi que le secret de l’identité véritable des membres du groupe reste inviolé. Mieux encore, en dehors du frontman qui mène la messe en apparat de pape horrifique, les autres musiciens n’ont aucune identité, si ce n’est les Nameless Ghouls (les goules sans nom), et sont tous vêtus comme de sombres moines encapuchonnés et fantomatiques. Tout est là pour attiser la curiosité naturelle du public et le bouche à oreille a permis de voir les audiences de la formation grandir à chacune de ses étonnantes représentations.
L’intention de ce second opus est en tout cas claire, répandre la parole au plus grand nombre. Ce qui donne son premier paradoxe à Ghost : celui de vouloir se faire un nom en cachant ceux de ses membres. Les armes sont désormais, évidemment, plus affûtées que trois ans auparavant, date de la première livraison, celle de l’Opus Eponimus.
L’une des critiques principales qui pouvaient être adressées à l’encontre du premier méfait était le son et la production en général, sans doute volontairement datés. C’est donc à cela que les Suédois se sont prioritairement attaqués pour faire évoluer leur carrière discographique dans le bon sens. Et le changement est palpable; l’aspect production a gravi plusieurs échelons d’un coup, avec un mix au millimètre réalisé par l’un des producteurs les plus en vue du moment, Nick Raskulinecz, producteur des deux derniers Deftones et Alice In Chains, notamment. La propreté de la production joue en faveur d’un des aspects les plus frappants de cet Infestissumam, à savoir la portée pop des compositions. Ce ne sera évidemment pas l’aspect qui fera taire les détracteurs de Ghost, surtout au sein de la confrérie metal. Car le parti pris dans cette direction musicale est important, et c’est une véritable série de refrains accrocheurs et d’arrangements tirés de la grande culture pop et rock suédoise à travers les âges qui jonche l’album.
C’est la singularité de Ghost et peut-être une partie de ce qui fait la différence entre ce groupe et ses aïeux du doom 70’s ou ses contemporains. Car le groupe a de la concurrence, étant donné la tendance actuelle à ressusciter l’attractivité autour des musiques rock sombres des années 70 (avec des groupes comme Witchcraft ou Royal Thunder par exemple). Bien sûr qu’il y a du Mercyful Fate dans les guitares, du Blue Öyster Cult en particulier dans la voix, et qu’au final, l’auditeur qui n’entendra l’album que sommairement et sans connaître l’image du groupe trouvera peut-être cet univers musical un peu daté voire lambda. Mais l’ensemble donne un résultat surprenant et Ghost y puise certainement sa popularité. Il faut imaginer des odes délicieusement kitsch à Lucifer et Satan sur des mélodies pop-rock 70’s presque gentillettes, il faut se voir entrain de fredonner un « Zombie Queen » ou l’entêtant refrain de « Monstrance Clock » pour comprendre la portée presque ironique de la musique de Ghost. Une apologie d’un satanisme spectacle sur des mélodies vocales qui vont plus chercher du côté d’Abba que vers les chants gutturaux.
Infestissumam est une sorte d’Opus Eponymous dont les caractéristiques principales auraient été davantage exploitées. Le titre « Stand By Him » du premier opus est en quelque sorte précurseur d’Infestissumam, car il présente certaines des recettes qui seront utilisées dans cet album : des refrains entêtants, des chœurs, des guitares hypnotiques quasi psychédéliques qui pourraient presque emmener l’auditeur chez 13th Floor Elevators… Le plus perturbant finalement dans cet album serait peut-être la déviation du propos rock à base de guitare vers des orientations doom-pop qui prennent le dessus : l’auditeur peut clairement le ressentir sur un titre comme « Per Aspera Ad Inferi » qui voit une rythmique heavy à l’ancienne être rattrapée par un refrain presque enjoué… « Jigolo Har Megiddo » porte lui un rythme et des riffs pop-rock 70’s étonnants par leur balancement quasi jovial, de même que les mélodies d’orgues de « Ghuleh/Zombie Queen ».
Cette forme d’entrain malsain est une sensation qui réapparaîtra tout au long d’Infestissumam; le single « Year Zero » est également représentatif de ce type d’émotion. Les mélodies sont accrocheuses comme jamais et très facilement mémorisables. Le côté très accessible que l’on ressentait déjà sur Opus Eponimous est poussé plus loin encore. Le travail réalisé via les orgues omniprésents assombrit l’ambiance. Tout comme les chœurs d’église, qui avaient été introduits par le désormais classique « Con Clavi Con Dio », qui sont ici plus largement développés pour faire désormais partie intégrante du propos musical et donnent cette atmosphère de musique religieuse détournée du droit chemin, en adéquation avec le visuel des prestations du groupe. Une facette qui fige l’originalité de la musique de Ghost. Mais certains arrangements et chœurs glam rock typiques des années 80 et 70 emmènent l’auditeur dans d’autres univers musicaux un peu plus éloignés du heavy/doom dans lequel la formation puise ses racines.
Il y a finalement une grande diversité de styles évoqués à travers Infestissumam. La richesse vocale et instrumentale du titre final « Monstrance Clock » – qui semble emprunter aux univers horrifiques d’Alice Cooper ou King Diamond – montre clairement l’évolution du groupe et sa tendance à vouloir faire de Ghost un outil grandiloquent de spectacle discographique et scénique. Du divertissement sataniste pour les masses, une écriture musicale dédiée à la cause de Lucifer vouée à plaire à un large public. La reprise du titre d’Abba, « I’m A Marionette » présente sur l’édition Deluxe de l’album va également dans ce sens, et pourrait faire penser pour son côté « tube » à un certain « Sweet Dreams » repris par Marilyn Manson qui a participé à l’éclosion du Révérend auprès du grand public. Ghost n’invente rien, ou presque, et réunit des éléments musicaux et picturaux qui existent déjà pour former, d’une manière assez fraîche, son propre concept. Mais les Suédois l’affirment, ils ont une ambition débordante, et Infestissumam apparaît comme l’arme idéale pour assouvir leurs envies de conquêtes.
Album Infestissumam, sortie le 16 avril 2013 chez Loma Vista Recordings.
Très bonne surprise que ce groupe !
Ça change de ce qu’on entend d’habitude, c’est très travaillé, tant musicalement que visuellement, et vraiment le rendu est surprenant !
Au final, comme c’est particulièrement bien dit dans l’article, ce mélange de riff très heavy avec ce chant presque pop déclament une éloge à Satan et très réussi et prenant…encore plus si on fait preuve d’un peu de recul pour comprendre le 2nd (voir 3e degré) du concept !
Par grosse gros problème : pas distribué en France ! Import exculsivement donc…arf…
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C’est vrai que leur musique est surprenante et que la première écoute est mitigée.. Mais les refrains sont très accrocheurs et ça donne envie d’y retourner
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