
Artistes : Gojira – Trepalium – Sybreed
Lieu : Villeurbanne (France)
Salle : Transbordeur
Date : 01-02-2009
Public : 1 200 personnes environ

Non je ne suis pas Nicola Sirkis mais Benjamin de Sybreed !
La soirée démarre à 19h30 avec les Sybreed…ce qui est une surprise en soi. En effet nos amis suisses n’avaient pas été annoncés, ou alors d’une manière extrêmement confidentielle, et c’est avec joie et étonnement que nous apprenons dans l’après-midi leur présence sur l’affiche. Le metal électronique accessible de Sybreed accompagnant les deatheux de Trepalium et Gojira…on pouvait s’attendre au pire ! Mais les craintes sont rapidement dissipées car le groupe parvient à convaincre une assistance pas insensible à la jolie voix de Benjamin, le frontman du groupe. La musique électronique de Sybreed, portée par ses jolies mélodies et ses nappes de claviers enregistrées, parvient donc logiquement à attirer les spectateurs qui remplissent petit à petit la fosse du Transbordeur.

Burn, bassiste de Sybreed !
Les Sybreed avaient un peu déçu l’année dernière en première partie de Samael mais force est de constater que ce soir, le groupe s’en tire plutôt bien. Benjamin n’y est pas étranger car l’homme est à l’aise et chante surtout très bien. Plusieurs fois au cours du show ses passages criés se rapprochent du timbre de Devin Townsend, un signe de qualité ! Pas étonnant, d’ailleurs, de trouver la présence de Strapping Young Lad dans les influences majeures du groupe et de Benjamin lui-même. Les Sybreed reçoivent en conséquence un accueil correct de la part d’un public clairement pas acquis à leur cause au départ.

Benjamin, un très bon chanteur.
Ce soir les mélodies entêtantes des Sybreed étaient trop fortes ! « Emma O » et « ReEvolution » resteront les deux moments forts d’un show bien sympathique. Seuls vrais bémols du concert: le statisme des musiciens et un light show très réduit, première partie oblige. Bref, pour conclure cette bafouille, nous ne pouvons que vous conseiller de vous intéresser à ce groupe qui vaut vraiment le coup et qui devient immanquable sur album. La preuve sur ce lien !


Trepalium live !
Gojira a invité ses amis de Trepalium à ouvrir pour eux ce soir et le combo le leur rend bien ! En effet, quoi de mieux qu’une première partie qui motive la foule à bouger et à scander le nom de la tête d’affiche ?!
Trepalium propose une musique originale qui nous fait voyager des profondeurs du métal MorbidAngelien aux sommets du jazz MilesDavissien. En parlant de Davis (Miles), on pourrait penser aussi à Davis (Jonathan). Le chanteur agite ses longues dreadlocks sur scène alors que Sylvain Bouvier, le batteur des Trepalium, matraque ses fûts . Mais le groove funky de David Silvera n’est pas vraiment au rendez-vous ce soir. Le public lyonnais a plus le droit à une débauche de blast et de break qui animent la musique très (trop?) axée métal aux niveaux guitares. Que ce soit sur quatre ou six cordes, ça envoie du lourd ! Du très gros riff que Trey Azaghtoth himself ne renierait pas !

Le sympathique Kéké (Trepalium) en action.
La musique est certes originale, mais sur la longueur du set (et quand on ne connaît pas les morceaux) elle peut rapidement devenir monotone. Alors il y a bien ces passages surprenants avec l’insertion de mélodies jazzy et rafraîchissantes…mais ça ne suffit pas à relever l’ensemble. Surtout quand on connaît la qualité de la suite… Car là où Gojira joue une musique sur le thème de l’immortalité, Trepalium joue une musique (juste) mortelle. C’est killer, ça tue, mais ça manque d’âme. On peut tout de même saluer le niveau scénique des musiciens. Ils sont sans aucun doute sur la bonne voix pour percer les secrets de l’alchimie qui transformera leur metal en un metal encore plus étincelant. Alors souhaitons leur bonne route sur cette tournée « The Way Of All Flesh ». Après tout on va tous finir par mourir… mais la musique, elle, restera.

Christian (guitare) sur scène.
Le temps passe…et la lumière s’est éteinte.
L’heure tant attendue est arrivée. Pour l’instant, c’est la pénombre la plus totale. Les cris commencent à retentir et le public se rapproche de la scène jusqu’à former une masse compacte. On peut convenir qu’il s’agit là d’une belle image d’Epinal des concerts métalleux. Mais lorsque cette attente se fait pour Gojira, cette situation plutôt banale prend un tout autre sens.
On cherche à se défouler, certes. N’est-ce pas là d’ailleurs l’un des effets les plus sains du metal? Pour certains, cette catharsis aide à conjurer le stress quotidien. Pour d’autres, à exorciser la frustration d’une vie bornée au morose “Cogito” consumériste: “je dépense donc je suis”. Mais dans cette fosse, tous ces petits mondes en soi se retrouvent, prêts à s’entrechoquer dans de violents pogos. Et s’il est un charme qui fait de Gojira un groupe à part, un charme qui transfigure cette banale attente, c’est sûrement ce talent de nous offrir plus qu’un simple pogo.

Joe Duplantier, une présence.
On peut alors percevoir un motif musical très proche du shoegaze et des sons de la scène de Toronto, un morceau ambiant entre Godspeed You! Black Emperor et Nadja. Il s’agit tout simplement de la partie instrumentale qui clôt le dernier album: le concert commence donc par la fin. On devine au même instant, dans les yeux des uns et des autres, cette tonitruante question: qu’y aura-t-il après? Que va nous proposer Gojira après “la fin”?
Nous retrouvons quelques minutes plus tard Joe qui pénètre sur scène, grand sourire aux lèvres et brandissant sa guitare. Son petit frère Mario est déjà derrière les fûts. En voyant le chanteur/guitariste, on se souvient alors de son questionnement naïf, innocent, envers le sens de la “mort”, de la “fin”. Si l’on suit cette remise en question, alors le mot “trépasser”, littéralement “passer au delà”, serait donc plus approprié: il n’y a pas de mort, mais seulement un passage. Le premier titre est donc tout bonnement “Oroborus”: le serpent qui se mord la queue, “symbole de la vie éternelle” pour reprendre le groupe.

Le passage en taping qui ouvre le morceau passe très bien en concert, et ses ondulations semblent évoquer la danse du serpent. On peut ici noter combien ce riff est mis en valeur lorsqu’il suit cette émouvante partie instrumentale qui parachève le dernier opus des bayonnais. Dans la fosse, le public reste aux aguets du “serpent of light” qui sortira des tripes de Joe. Et dès le premier cri, le phénix s’élance pour enflammer le public. L’image mémorable de cette mise en bouche sera probablement l’ombre gigantesque de Jean-Michel projetée vers les gradins de la salle lyonnaise. Fantasmagorique.
Le groupe enchaîne avec deux morceaux forgés pour la scène: “The Heaviest Matter Of The Universe”, et “Backbone”. Ces titres sont tous deux extraits de l’album From Mars To Sirius, et l’on peut dire que les deux cognent et envoient des copeaux. Les rythmiques du groupe ont beau être parfois complexes, les mouvements ici-bas n’en sont point perturbés; le groupe relève le défi de secouer des kids qui semblaient assez froids lors des premières parties.

Jean Michel : toujours aussi souriant et dynamique.
Après cette franche tuerie, le quatuor entame une mélodie inquiétante bien connue des vieux fans. Jusque là, la scène a baigné dans une lumière des plus sanglantes; un rouge belliqueux auquel le T.Shirt de Joe, masque Inca pour motif, faisait un joli rappel. Dorénavant, c’est un clip projeté sur le fond de la scène qui va ravir nos pupilles. Il s’agit là du clip de Love, ce titre qui remonte à L’EP Wisdom Comes sorti en 1999. La salle est pour le coup plongée dans un noir et blanc bien sale, presque malsain.
Les bayonnais tiennent à nous faire bouger, c’est sûr, et même avant tout à nous faire ressentir quelque chose. Mais il y a un autre détail dont on se rend compte en live: c’est ce soin minutieux avec lequel la famille Gojira entame chacun de ses titres. Tous ses morceaux ont leur univers, leur microcosme, leur message. Pourtant tous participent au final au même macrocosme Gojira. Une forêt où toutes les racines convergent vers une même terre. Une galaxie où les étoiles tendent à exploser dans la même matière sombre.

Le groupe enchaîne avec “From The Sky”, et l’on peut d’ores et déjà voir en arrière-plan des photos qui ne nous semblent pas inconnues: un tel noir et blanc, presque vieilli, presque romantique, et surtout ce grain… On peut reconnaître l’art de Gabrielle Duplantier, qui, plus d’une fois, a enrichi de ses clichés les pochettes d’albums de ses frères.
Puis le groupe revient vers son dernier album, The Way Of All Flesh, avec “A Sight To Behold” et sa voix vocodée. La basse y est vrombissante à souhait et ces notes au son électro plongent dans les abysses avec un feeling terriblement groovy. Ce passage prend toute sa dimension extra-terrestre en live ; un ovni dans le répertoire du groupe. Mais c’est un ovni qui a son mot à dire, et que les kids reprennent, notamment les premiers mots du refrain: “the way I see things is so simple” (je dois avouer qu’aux premières écoutes, j’entendais “the way I’m living is a symbol”).

Tu la vois celle-là ?!
Puis le groupe lance “The Art Of Dying”, probablement l’un des moments forts du live de ce soir. La vidéo projetée montre cette fois-ci une graine souterraine. Celle-ci cherche d’abord à renforcer ses assises en plongeant ses racines dans les profondeurs, puis à faire son chemin pour sortir, développe son tronc, ses branches et se pose, voire s’impose comme un arbre avec toute sa droiture. Une belle métaphore du parcours du groupe, et, pourquoi pas, de chacun d’entre nous…
Il faut reconnaître qu’on a connu de tout côté “ars moriendi”: du délire nostalgique et hippie de Georges Harrison à l’introduction pour une longue danse macabre de Marduk, en passant par la folie éclectique de Mr Bungle. Ici l’intro est tribale à souhait, et la batterie semble farouchement décidée à ne pas se laisser approcher tant sa rythmique est complexe. À l’arrivée des guitares, l’ambiance est si lourde et impériale que le public semble headbanger au ralenti. À prendre du recul, on prendrait peur à voir toute cette foule haletante.
Mais la beauté de ce titre en live réside définitivement dans les hurlements de Joe, après le break: “I won’t bring no material in the after life” et “art of dying, is the way to let all go”. Même en concert, on peine à distinguer s’il s’agit d’un cri de colère ou d’un lamento. Mais ce chant-là est profondément expressif, jusqu’à en devenir étreignant. Presque beau et tragique à la fois.

Joe sait aussi imiter David Vincent !
On pourra même retrouver cette tonalité dans le “pain is killing me” du titre “Toxic Garbage Island”. Néanmoins, ce sera vraiment regrettable que la voix soit mise en retrait par rapport aux autres instruments. D’une part, dommage parce que ces cris sont parmi les plus poignants dans le milieu du death metal, et d’autre part, car Joe a constamment progressé dans sa maîtrise vocale, notamment depuis la tournée The Link.
Après “The Art Of Dying”, Joe, Jean-Michel et Christian se retirent pour laisser place au solo de Mario. Jusqu’à maintenant, on a pu voir que Gojira a consolidé un vrai jeu de scène: Jean-Michel a toujours autant la pêche et Christian inspecte toujours les réactions du public aux compos du groupe. Ajoutez à cela la puissance furieuse des frères Duplantier et une bonhomie assez maidenienne (comme des sourires lancés aux kids dans la fosse), et vous avez un court aperçu de l’effet Gojira en live.

Un Mario toujours aussi impressionnant.
Mario réalise alors un solo tout en finesse et en groove, pas le genre de solo où le batteur s’envole dans les airs façon Pete Sandoval en plein Space Mountain, ni une simple course à la double pédale. Pour interrompre ce solo, Mario entame un riff de batterie qui rappelle de lointaines réminiscences… vieux souvenirs qui s’éclaircissent avec la guitare de Joe: il s’agit de “Clone”. Le groupe continue son show avec “Toxic Garbage Island” et “Flying Whales”.
Le finish de “Flying Whales” est, soit dit en passant, bluffant. Le groupe investit franchement la scène, et je ne mâche pas mes mots: tout le monde court et saute dans tous les sens sur scène. À vrai dire, le riff final de ce titre prête bien à ce jeu, avec le “tensing” (c’est ainsi que l’on pourrait nommer la chose), cette technique de guitare qu’a élaborée Gojira suite à « un spasme en concert”.

Grosse prestation de Joe et ses collègues !
Jusqu’ici, on a toutefois pu regretter que certains vieux morceaux n’aient pas été joués, comme par exemple aucun (!) titre de The Link (à croire que le groupe s’est finalement lassé de l’album qui lui a permis de s’exporter), ou encore comme “Blow Me U(niverse)”, où le riff de fin nous transportait vers des méditations musicales assez inédites dans le style métal. Mais s’il s’agit de laisser la place à du nouveau, alors ce qui va suivre sera l’ultime panacée.
“The Way Of All Flesh” a été pour beaucoup le clou de la soirée: le titre est certes un bon morceau en soi, mais la fin s’est révélée une belle surprise. On connaissait le désir qu’éprouvait Gojira de renouveler l’expérience “Macistes Aux Enfers”. On savait aussi que le groupe allait sûrement à nouveau collaborer avec Jossie Mallis, réalisateur du clip “All The Tears”. Eh bien, tout se réalise ici alors que le titre se termine sur une instrumentale, et nous ramène à la pénombre.
Mais dans cette obscurité ressort un petit clip où l’on reconnaît l’innocence inondant le monde de Jossie Mallis. On y voit un homme qui lentement s’écroule, devient raide et trépasse. Mais alors que le clip aurait pu en rester là (et durer 10 secondes), l’histoire n’en est qu’à son balbutiement. Ce bleu, couleur générale du clip, a des airs crépusculaires. Pourtant, ce n’est que l’aube.

Gojira et son public : une vraie communion.
Du cadavre, quelque chose semble s’élever lentement, et même laborieusement, jusqu’à se détacher pour se libérer de ce corps devenu tombeau. On assiste ensuite, penauds, gênés même pour certains de revenir à un stade si enfantin, à la longue transmigration de cette âme, de ce souffle, de cette essence. Celle-ci se fait temple, cathédrale, bicyclette…Elle voyage, et nous la regardons, bercés par Gojira qui nous conte une histoire comme on n’en voit plus. Bouche bée.
Le groupe quitte la salle mais se fera peu prier pour revenir nous gratifier d’un très bon enchaînement: “Terra Incognita” et un “Vacuity” de conquérant. En fait, on reste encore abasourdi par la dernière vidéo. Bien sûr, et nous l’avons déjà souligné, on ne peut que déplorer l’absence de certains morceaux du second album tels que “The Link”, ou encore “Indians”. Mais Gojira fait assurément partie de ces groupes qui parlent: ils sont éloquents, ne serait-ce que de par leur musique.
Quand on quitte un tel groupe, quand on voit au passage ce regard amusé mais bienveillant que lance Joe à son petit frère en train de slamer, quand on lit ses paroles, quand on assiste à sa puissance si sincère, on a l’impression d’en sortir… meilleur. Plus grand, plus serein, plus droit ou aspirant à la droiture, à la sérénité et à la grandeur. Cette grandeur d’âme qui donne envie de laisser les choses résonner à l’infini, cette grandeur d’âme qui certes tend malheureusement à se dessécher… Gojira est cet astre qui verse ses larmes et nous prodigue un peu d’humanité.
Et la lumière s’est éteinte…

Gojira : mais pourquoi sont-ils si forts ?!
Set-list :
Intro
Oroborus
The Heaviest Matter of The Universe
Backbone
Love
From The Sky
A Sight To Behold
The Art Of Dying
Mario : drum solo
Clone
Toxic Garbage Island
Flying Whales
The Way of All Flesh
Rappels :
Terra Incognita
Vacuity