Le concert devant initialement avoir lieu le 8 février 2022, puis ayant été reporté pour les raisons que l’on connaît, Gojira était donc destiné à se produire un an plus tard à la Halle Tony Garnier de Lyon ce 28 février 2023. L’occasion pour le groupe d’entériner et de démontrer son nouveau statut : celui de mastodonte du metal actuel, garant d’un des spectacles les plus produits auxquels on peut assister aujourd’hui. Une dimension qui ravit les plus chauvins d’entre nous, au détriment de ce rapport nostalgique que l’on peut entretenir avec sa musique – pour ceux qui ont pu les voir, par exemple, en première partie de Morbid Angel ou au CCO de Villeurbanne la même année en 2005. Comme si elle était toujours la même, mais que notre intimité avec elle avait disparu.
Artistes : Gojira – Alien Weaponry – Employed To Serve
Date : 28 février 2023
Salle : Halle Tony Garnier
Ville : Lyon [69]
Les Britanniques d’Employed To Serve ont eu la lourde tâche d’ouvrir le bal. Le groupe coche toutes les cases de la première partie : de l’énergie, une production mitigée et une volonté sans failles de convaincre l’audience du bien-fondé de sa présence. La chanteuse Justine Jones a le mérite de mener la barque avec conviction, bien que la prestation soit tristement condamnée au rôle d’échauffement. L’enjeu est bien différent pour Alien Weaponry, découvert par beaucoup au Hellfest 2022 et soucieux d’accroître sa notoriété sur le territoire. Le groupe mêle riffing catchy proche du néo et influences Maori pour un résultat forcément original. Le statut confirmé du groupe prouve que désormais, ouvrir pour Gojira nécessite d’avoir les jambes solides. Les Hakas prononcés et le son de basse claquant à souhait font leur effet et la formation prend un malin plaisir à annoncer le plat de consistance, une garantie de susciter l’entrain du public.
Gojira fait désormais partie de ces machines extrêmement rodées, dans la plus pure tradition du show à l’américaine. Le groupe a depuis un moment déjà dépassé le simple cadre du « concert » pour proposer une prestation à la production pharaonique où le visuel est devenu indispensable, jusqu’au compte à rebours repris en chœur par le public, avant d’ouvrir sur « Born For One Thing » en relation de plus en plus intime avec le soleil qui se rapproche en arrière-plan. Gojira a la bonne idée de démarrer avec énormément d’intensité en exécutant judicieusement « The Heaviest Matter Of Universe ». Le titre a toujours ce cachet d’antan, et permet de formuler un constat implacable : le son de la Halle Tony Garnier n’usurpe pas sa triste réputation. Les grosses caisses collent au ventre, les guitares agressent ou se distinguent mal, le chant peine parfois à émerger du magma sonore. Si le groupe paraît irréprochable quant à son investissement sur scène et l’énergie communiquée, la salle ne lui rend absolument pas justice. On se risque à espérer une amélioration tout au long du set – comme si l’ingénieur du son pouvait réaliser des miracles. Il a certes fait beaucoup, mais il ne peut pas vaincre un moulin. Heureusement, les fidèles de Gojira connaissent les titres dans leurs moindres recoins. C’est ce qui permet à un « Backbone » d’en faire exulter certains, précédant l’amorce jouissive de « Stranded », dont l’importance dans la setlist et sa réception renvoient les premières critiques du titre à un lointain souvenir. Gojira hurle, bouge, transpire et parvient toujours à communiquer cet aspect primal inhérent à sa musique, explicite sur le mantra repris en chœur de « The Chant » ou les sonorités tribales d’« Amazonia ».
Pourtant, au-delà du son et de l’entrain des musiciens, il y a une forme de nostalgie qui pointe le bout de son nez. Ceux qui découvrent Gojira aujourd’hui peuvent se délecter d’un spectacle grandiose et seulement déplorer – dans le cas présent – les piètres conditions sonores. Pour ceux qui ont observé le groupe grandir, au-delà de la réjouissance de voir le travail des musiciens payer et le chemin parcouru, il y a un réel questionnement sur ce qui fait la puissance d’un concert. Malgré la fougue du riffing de « Toxic Garbage Island » ou la conclusion cathartique de « The Gift Of Guilt », le déroulé paraît téléphoné (solo de batterie, rappel normé) et l’ensemble standardisé. Une appréhension presque réactionnaire, dont il est difficile de se défaire. Le grandiose semble être condamné à côtoyer l’impersonnel et à moins de s’investir dans la fosse, quasi physiquement, la communion est plus difficile à atteindre. Il y a un contraste qui émerge entre la profusion de certains effets visuels, dont ce monstre un peu grotesque qui tranche avec la sobriété précédente de la narration de « The Gift Of Guilt », et l’investissement conscient que promeut la musique de Gojira. À l’image d’un « Silvera » exécuté avec une maîtrise presque froide, Gojira semble devoir cocher les cases d’un cahier des charges réservé aux titans du rock : donner ce qu’on attend, dans le bon ordre. On peut culpabiliser d’être « blasé » tant Gojira est devenu immense. Pourtant, la distance est là et l’affect ne doit pas l’occulter.
Setlist (source setlist.fm) :
Born For One Thing
The Heaviest Matter Of The Universe
Backbone
Stranded
Flying Whales
The Cell
The Art Of Dying
Drum Solo
Grind
Another World
L’enfant sauvage
Toxic Garbage Island
Our Time Is Now
The Chant
Amazonia
Rappel :
Silvera
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The Gift Of Guilt
Photos : Nicolas Gricourt.