Si l’on occulte la réédition en 2011 de son opus Under The Sign Of Hell, cela faisait six années depuis l’album Quantos Possunt Ad Satanitatem Trahunt que le navire de guerre Gorgoroth n’avait plus proposé de matériel neuf. Le cuirassé blasphématoire qui se fit un nom dans le black metal dès 1994 avec son bouillant premier effort Pentagram demeure immatriculé sous pavillon norvégien, bien qu’internationalisé désormais, pour compter dans ses rangs le batteur suédois Tomas Asklund (ex-Dissection, ex-Dark Funeral), le bassiste américain Bøddel (Frank Watkins, ex-Obituary) et (encore) un nouveau chanteur, Atterigner, en provenance du groupe serbe Triumfall. Du beau monde donc, pour venir épauler le leader Infernus. L’attente était ainsi longue à plus d’un titre quant à ce nouveau Instinctus Bestialis dont on espérait justement qu’il sonne le réveil des vieux instincts bestiaux chez le combo vétéran de black metal.
Dans sa carrière, le groupe n’a jamais misé sur des visuels attrayants pour orner ses pochettes d’albums. Ce dernier ne fait pas exception et nous ramène au plus près de la flamme rougeoyante de l’enfer avec un dessin volontairement gras et mystérieux. Et pour emprunter son nom à une plaine aride, rocailleuse et volcanique du Mordor – l’un des lieux imaginés par Tolkien dans le Seigneur des Anneaux -, même si on lui accorde une intention salutaire de vouloir performer à l’ancienne, force est de constater ici que Gorgoroth, dans la musique, a en partie failli à sa réputation. Car si on retrouve tous les ingrédients typiques du black metal sauce norvégienne – agrémentés de guitares mélodiques suédoises à la Dissection -, cet opus ne suinte que trop peu la noirceur qui l’avait caractérisé jadis. Le single « Radix Malorum » lance toutefois l’album sur les chapeaux de roue de manière conquérante. Dans le non-équivoque « Ad Omnipotens Aeterne Diabolus », le groupe se lance à la poursuite de Satan le long d’une cavalcade progressive comportant double-pédale roulante puis un pont lancinant transpercé de lignes de guitare cryptiques. Gorgoroth se rappelle aussi au bon souvenir de ses aficionados les plus attentifs sur son représentatif « Burn In His Light », à rapprocher de la trame de son luciférien album Incipit Satan (2000). Cependant, il manque dans le lissage des titres cette patte démoniaque et possédée caractéristique, tombant dans un black metal certes efficace, autant dans ses riffs heavy que dans ses ambiances (le mélancolique « Rebirth », la seconde moitié doom de « Dionysian Rite »), mais finalement assez classique, facile, pour ne pas aller jusqu’à parler d’esbroufe ou de « easy-listening » – terme à prendre avec des pincettes, évidemment, dans le contexte du metal extrême – compte tenu de l’oeuvre passée du groupe. Et même une ogive telle qu’aurait pu l’être « Kala Brahman » se perd en cours de route dans une structure scolaire et se clôturant en une incongrue queue de poisson (l’ingénieur aurait-il « rippé » sur le potentiomètre de sa table de mixage à l’enregistrement ?).
Où est la cendre volcanique, où est le vitriol poisseux, où est le souffre, où se sont terrés les orques sanguinaires et crasseux qui faisaient de ce petit bout de Mordor le Gorgoroth vicié qu’on connaissait, ce groupe qui ne taillait jamais la moindre concession, la moindre facilité, et qui se faisait une joie d’entraver l’ordre en place, quitte à choquer ? Il n’y a aucun doute sur les intentions du combo, qui demeurent les mêmes, du moins dans ses thématiques, mais à présent sa musique semble être devenue bien sage, avec des imprécisions dans le placement, par exemple, de certains ponts (celui hasardeux de « Rage » qui arrive comme un cheveu sur la soupe). Même la huitième et dernière piste – pour le coup mal-nommée – « Awakening », se montre paresseuse et se termine en fade-out avec un goût de travail inachevé voire bâclé.
Ce dixième album nourrit conjointement des espoirs de voir Gorgoroth retrouver son âme damnée, mais également des déceptions par sa mollesse et les lieux communs qu’il visite, et la faute n’en revient pas à Atteringer dont le chant parfois plus grave que du black metal classique vient chatouiller le champ rauque du death metal, en adéquation avec un son de guitare plus graisseux, et se placer de manière naturelle et sûre. Infernus qui a souhaité superviser la composition de part en part, s’est lancé dans une inspiration des plus passables. Ces trente et une minutes permettent de s’émoustiller quelques instants sur le Gorgoroth actuel, mais, surtout après six ans d’attente, on est en droit d’attendre mieux de sa part.
Album Instinctus Bestialis sortie le 8 juin 2015 chez le label Soulseller Records.