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Interview   

Gorguts : le langage de la sagesse


Gorguts by Jimmy Hubbard

Le chanteur-guitariste Luc Lemay a bien fait de remonter en 2008 Gorguts, une des pointures historiques du death metal technique/progressif, et un des pionniers de la scène québécoise qui a ensuite vu émerger quantité de groupes tous plus talentueux les uns que les autres. Grand bien lui a pris car autrement nous serions passés à côté de l’excellent Colored Sands (2013) et de l’étonnant EP Pleiades’ Dust, qui vient tout juste de sortir, deux œuvres qui témoignent de son esprit créatif. Une créativité qui est au centre de sa démarche, refusant de se laisser aller à « toujours piétiner dans les mêmes endroits », comme il le dit lui-même, et se trouvant de nouveaux challenges comme cette longue et unique chanson qui constitue l’EP sus-mentionné.

Et après avoir évoqué le Tibet sur Colored Sands, sa curiosité pour l’histoire et les cultures l’a cette fois conduit au Proche-Orient du temps des Abbassides, où le savoir bouillonnait pendant que l’Occident s’enfonçait dans l’obscurantisme. C’est ainsi qu’il nous explique tout le cheminement et la fascination qui l’a amené à se plonger dans ce sujet et à en parler dans sa nouvelle oeuvre, nous montrant autre chose de cette partie du monde que trop souvent, aujourd’hui, nous percevons comme une « zone à problème ».

Il y a une vraie générosité chez Luc lorsqu’il nous parle de tout ceci mais aussi de sa façon très personnelle d’envisager sa musique – de l’apport de son background en musique classique jusqu’à son aversion pour l’improvisation. Très humble, c’est même sa casquette de « fanboy » qu’il ressort lorsqu’il nous parle de Steven Wilson ou de Deathspell Omega. Nous-mêmes nous nous prenons au jeu lorsqu’il évoque ses compatriotes d’Obliveon, groupe génial mais qui malheureusement n’a jamais réussi à se faire connaître comme il le méritait, et nous apprend qu’un album serait en préparation de leur part.

Bref, c’est avec un immense plaisir que nous avons discuté avec l’ « ami cousin » Luc Lemay qui nous a gratifié de ses « québécoiseries » tout au long de l’échange qui suit.

Gorguts by Jimmy Hubbard

« La religion, ça a le dos large. Ils se servent de ça pour justifier des comportements qui n’ont pas de bon sens pour aller voler, piller, tuer ton voisin. C’est bien triste ! C’est pour ça que, moi, ce qui m’intéresse plus, c’est ceux qui réfléchissent et ceux qui nous font avancer. »

Radio Metal : Avec Gorguts, vous sortez l’EP Pleiades’ Dust qui est constitué d’un seul titre de trente minutes. C’est très différent de ce que tu as pu faire avec le groupe par le passé. Qu’est-ce qui t’as donné envie de faire ça ? Est-ce que tu en es à un stade où tu as besoin de nouveaux défis ?

Luc Lemay (chant & guitare) : Oui. C’est bien parce que tu es peut-être un des premiers qui m’interview qui amène cet aspect-là. Pour deux choses : quand j’ai vu la performance live de The Incident de Porcupine Tree, ça m’a vraiment frappé comme un coup de marteau en plein front. J’ai été vraiment impressionné de voir une longue pièce. Même si sur The Incident on sent qu’il y a des chapitres, certains chapitres, si tu les isoles comme des chansons seules, ça ne marche pas vraiment, c’est un peu court, et moi, c’était vraiment la grande phrase qui m’intéressait. J’étais bien, bien intéressé de voir ça live ; je l’ai vu deux fois ce spectacle. Et puis aussi, j’ai toujours été fan surtout de I de Meshuggah, j’ai toujours pas mal trippé sur cet album, cette grande pièce de vingt minutes. Ensuite, quand j’ai découvert les EPs de Deathspell Omega, comme Chaining The Katechon, j’ai toujours trippé sur cet album-là. Quand est venu le moment de me préparer pour un nouvel album, j’ai dit : « Tiens, je veux me lancer. Je veux essayer cette forme-là. » Tu sais, essayer de faire un album avec une grande phrase ; on prend une grande respiration et puis on se revoit dans une demi-heure [petits rires]. Et effectivement, c’était pour me lancer un défi comme compositeur. Ça ne veut pas dire que faire un album comme un recueil de huit, neuf ou dix chansons c’est plus simple. Tu sais, ce n’est jamais simple d’écrire des chansons. Je veux dire qu’on se met toujours au défi et ce n’est pas facile de se réinventer, on est toujours pris dans nos tics, dans nos zones de confort. Juste de sortir de ça, c’est difficile alors en plus, de se lancer le défi… Tu sais, je ne banalise pas le fait de faire un album de huit chansons, pas du tout, mais personnellement, comme compositeur, je n’avais jamais écrit ça, une pièce de cette envergure. C’est vraiment ça la raison première parce que je sortais de ma zone de confort et je trouvais ça fascinant. Et puis je ne savais pas du tout ce que ça pouvait donner. Même quand tu as les idées claires, il arrive toujours des trucs auxquels tu ne t’attendais pas et tu trouves des choses dans le processus, c’est ça qui est trippant. C’est l’effet de surprise.

Est-ce que tu peux parler du concept-même de cet EP, inspiré de l’ouvrage de Jim Al-Khalili, House Of Wisdom (La Maison De La Sagesse), l’histoire de cette bibliothèque fondée au IXème siècle à Bagdad qu’il relate et qu’est-ce qu’elle représente pour toi ?

J’ai toujours été fasciné par les esprits de la renaissance, tu sais, comme Léonard [De Vinci], Michel Ange, Caravage, etc. ces artistes-là. Alors, quand j’ai découvert le livre de Jim Al-Khalili qui traitait de la période qui vient avant ça, l’époque avant la renaissance, là j’ai fait : « Wow ! Ça, ça me fascine vraiment ! » Et puis moi, j’adore les livres comme objet. Et ça, c’est l’origine des livres, c’est à cette époque qu’ils ont commencé à faire des reliures, qu’ils ont inventé le papier, etc. [Je voulais donc] amalgamer toutes ces facettes qui me fascine dans une histoire. Tu sais, l’histoire de cette bibliothèque, ça couvre tout ça, ça parle des esprits visionnaires de la pré-renaissance, si tu veux. C’est l’âge d’or [de l’Islam], les Abbassides, quand il y a la fondation de Bagdad, on sent vraiment que pour tout le monde dans l’empire, autant de l’est que de l’ouest, c’était le lieu où aller pour échanger des idées, apprendre de nouvelles choses, etc. Quand j’ai découvert ce sujet-là, j’ai fait : « Yes ! Je veux parler de ça ! » Parce qu’en fait, je n’ai pas exactement découvert le sujet en tombant sur le livre d’Al-Khalili, je l’ai découvert en lisant une critique d’un autre livre qui porte le même titre mais ça racontait l’histoire d’un jeune homme qui partait avec la première croisade pour aller vers l’est, arrivait à Bagdad et découvrait cette bibliothèque, mais le récit ne m’intéressait pas tellement, j’avais de la misère à me concentrer à lire le livre parce que c’était bombardé de dates et de noms de personnages. Tandis que Al-Khalili, lui, il focus plus sur les découvertes de cette époque-là. Ça, ça m’intéresse plus : comment ils ont inventé l’algèbre, comment ils ont réfléchi sur tous les textes de Ptolémée pour l’astronomie, ils ont remis tout ça en question et ont mis beaucoup de valeur ajoutée et recorrigé ces écrits… Ça, ça me fascine. Ça m’intéresse plus qu’un récit fictif qui se frôle à un vrai récit en même temps.

Je me suis donc procuré le livre d’Al-Khalili après et puis Al-Khalili a fait une série de trois documentaires qu’on peut voir sur YouTube qui a été réalisé par la BBC, c’est fascinant, ça s’appelle Science And Islam. La trame narrative que je raconte sur l’album, c’est dans le même ordre chronologique que le documentaire. Ça commence avec la chute de Rome en 500, toute l’activité intellectuelle a disparue de l’Europe avec ça. Puis, mystérieusement, par accident, ça a ressurgi au Proche-Orient. Là, ils ont découvert tous les ouvrages des Perses, avec les tablettes d’argile et tout. Il y a des gens qui parlaient quelques langues que d’autres étaient incapables de traduire pour ces ouvrages. Là, ils se sont mis à les traduire, à réfléchir dessus, à mettre de la valeur ajoutée, à continuer la réflexion de ces ouvrages. Même tout Aristote avait été oublié et perdu, et ils l’ont redécouvert et ont réfléchi dessus. Il y avait même des philosophes comme Averroès qui ont réfléchi sur ces textes, qui ont poussé ça plus loin, qui ont amené tout le mouvement de traduction. C’était devenu vraiment une obsession de trouver les textes un peu partout, de ramener ça à Bagdad à la bibliothèque, de retranscrire ça, de les étudier et de pousser ces réflexions-là plus loin. Tout ça, c’est ce que je raconte dans la chanson. C’est sûr que lui, Al-Khalili, dans le documentaire, il va en profondeur dans des sujets comme l’algèbre, il explique un peu plus, mais moi, j’arrête l’histoire quand il y a l’invasion Mongole et que la bibliothèque et toute la ville sont rasées, que tous les livres sont détruits et jetés dans le Tigre, pour moi c’est là que la fatalité arrive. Ce que je me disais, c’est qu’on se pense bien brillants avec nos iPhones mais il y a du monde qui ont réfléchi avant nous autres quand tu lis des histoires comme ça. C’est vraiment fascinant.

Et pendant que ce monde arabe médiéval s’illustrait par ses sciences et sa philosophie, l’Occident, à l’époque, était plutôt marqué par l’obscurantisme…

C’est ça, ce sont les dark ages, il ne se passait rien, et puis pendant longtemps. Ce qui est étonnant, c’est que les Abbassides avaient fondé des bibliothèques dans la grandeur de l’empire. L’empire, disons que ça partait, admettons, de la frontière de l’inde jusqu’au sud de l’Espagne, et il y avait des bibliothèques là aussi. Des ouvrages venant de la maison de la sagesse ont été recopiés pour avoir des exemplaires disponibles dans les autres bibliothèques de l’empire. Alors, le fait que ces textes-là étaient en double, triple et plus de copies, après que Bagdad soit tombé, qu’elle ait été envahie par les Mongoles, c’est ce qui a permis que ça arrive jusqu’à nous. Et c’est ça qui a amené la renaissance en Italie, le savoir s’est déplacé et est arrivé à Florence. Et pour finir là-dessus, dans la pièce, à certains endroits, je traite du savoir aussi au sens figuratif, j’en parle comme si c’était un personnage errant qui quitte l’Europe, qui disparaît et, à un moment donné, il réapparaît au Proche-Orient.

C’est vrai qu’en Occident, on a un peu tendance à oublier cet âge d’or de cette région du monde…

Oui ! Moi, je n’avais jamais entendu parler de ça et puis, je ne m’étais jamais penché là-dessus. Mais ça m’a vraiment fasciné et ça m’a donné le goût de lire même au sujet des périodes avant ça. J’ai trouvé un ouvrage pas mal intéressant, justement dans le temps où on a enregistré l’album à New York. Je vais toujours shopper pour des livres et puis j’ai trouvé par hasard un ouvrage d’à peu près 400 ou 500 pages, c’est un historien américain qui a écrit ça, qui parle du fait qu’il y a beaucoup de penseurs qui sont allés à Bagdad, à cette bibliothèque-là, qui venaient du Moyen-Orient, de l’Afghanistan, du Kurdistan, etc. au sud de la Russie. Il y avait vraiment un noyau fort de penseurs qui venaient de là, alors qu’il n’y a rien là-bas, géographiquement parlant, ce n’est pas prospère côté nature, ce sont des montagnes, des grandes contrées vides…

Qu’est-ce que ça te fait de voir cette partie du monde, le Proche-Orient, autrefois si instruite et considérée comme l’un des berceaux de la civilisation, aujourd’hui pour une bonne part meurtrie par les conflits et l’obscurantisme religieux ?

Oui et c’est tout ce qu’on retient de cet endroit-là. On ne va pas plus loin que de dire que c’est une « zone à problème ». La population mondiale voit ce coin du monde premièrement comme une plaque à conflit mais il s’est passé bien d’autres choses avant ça. Mais c’est plate qu’on retient toujours le mauvais côté, bien souvent. Moi je tiens sur l’album à en parler d’une façon autre. Surtout cette époque dont on parle, l’âge d’or, si tu veux. C’est triste comment le monde peut changer. Mais regarde l’Allemagne d’il y a soixante ans, comment c’était là-bas, et puis regarde aujourd’hui. Le monde change ! C’est étonnant. Peut-être qu’à un moment donné je me pencherais là-dessus, personnellement, pour essayer de comprendre ça. Mais écoute, on se perd à réfléchir là-dessus, c’est tellement un amalgame de choses qui créé tous ces conflits. Et puis tu as toujours la religion mais, tu sais, la religion, ça a le dos large. Ils se servent de ça pour justifier des comportements qui n’ont pas de bon sens pour aller voler, piller, tuer ton voisin. C’est bien triste ! C’est pour ça que, moi, ce qui m’intéresse plus, c’est ceux qui réfléchissent et ceux qui nous font avancer. J’ai toujours été fasciné par ces personnages, comme à l’époque de la renaissance, les peintres, les penseurs, etc. Et puis Dieu merci qu’il y a du monde comme ça aussi [petits rires].

Gorguts by Jimmy Hubbard

« Les écrivains, ils se disent des fois : ‘On ne choisit pas nos sujets, ce sont nos sujets qui nous trouvent.’ Eh bien, c’est exactement ce qui est arrivé avec [Pleiades’ Dust]. »

Tu dirais donc que la religion n’est pas nécessairement l’ennemi du savoir comme certains peuvent le penser mais juste un prétexte ?

Eh bien, c’est une bonne question. Quand tu vois des fanatiques qui vont aller détruire des bijoux historiques sous prétexte de la religion, je veux dire que des gens instruits, ça n’agit pas comme ça. Moi, je ne dis pas que la religion c’est une mauvaise chose. Tu sais, la religion ça rend des gens bien heureux, et puis tant mieux, et qui n’ont pas le goût d’aller tuer le voisin à cause de ça non plus. Il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier. Mais je trouve ça triste… Comme je dis encore, c’est un genre de fourre-tout pour des mauvaises personnes aussi et c’est triste que les bons esprits paient pour les mauvais. Ça a toujours été comme ça. Les lois, tu sais, pour accorder le monde, il y en a qui n’ont pas de bon sens… Les gens qui ont un bon jugement, ils sont toujours pris dans ces contraintes-là à cause de ceux qui n’ont pas d’allure. Ça ne change pas ! [Petits rires]

Les thèmes que tu choisis pour tes albums n’ont rien à voir avec le canon death metal, que ce soit pour Colored Sands qui parlait du Tibet ou pour Pleiades’ Dust. Comment tu en viens à opter pour ces thèmes ? J’ai notamment l’impression qu’il y a une grande curiosité chez toi pour les cultures étrangères, leur histoire, etc.

Oui. Parce que moi, regarde, ça ne m’intéresse pas de parler d’un cadavre qui a été mutilé. Tu sais, à un moment donné, on a fait le tour avec ça. Mais c’est correct, tu sais. Je veux dire que s’il y a des groupes qui [parlent de ça], ça entretient leur image, c’est bien correct. Tu sais, je ne banalise pas ça. Cannibal Corpse, ça fait partie de leur image. Je ne veux pas commencer à dire, par exemple, que les cinéastes qui décident de faire des films d’horreur, c’est sans intérêt. Pas du tout ! La musique, c’est comme du théâtre aussi. Tu racontes l’histoire que tu veux et puis c’est cool. Mais moi, je ne sens pas le besoin de raconter des histoires fictives avec ces thèmes-là. Il y a déjà des groupes qui le font et cent fois mieux que je pourrais le faire. J’aime mieux parler des choses qui alimentent ma curiosité, comme quand j’ai découvert l’histoire de cette bibliothèque-là. Et puis, tu sais, la musique n’en souffre pas non plus. Je parle de livres et de bibliothèque et regarde, la musique n’est pas moins heavy pour autant [petits rires]. Ca dépend sous quel angle tu l’approche. Mais moi, ce n’est pas ma tasse de thé de parler de… Et puis regarde, je l’ai fait dans le passé et c’est bien cool mais à un moment donné, j’ai fait le tour du jardin. J’ai envie de partager d’autres choses. Mais encore une fois, je ne dis pas ça d’une façon condescendante, pas du tout. En faisant le parallèle avec le cinéma, tu prends un gars comme Rob Zombie, il est super intelligent ce gars-là mais regarde, il fait des films d’horreur et c’est super, tant mieux. C’est la même démarche qui s’applique à la musique. Tu as des gens qui font des documentaires, c’est super. Tu as des documentaires qui sont plates à mourir aussi, qui sont sans intérêt. Ca dépend toujours de quelle façon c’est apporté. Même moi, ça me nourrit plus de me lancer et puis c’est un bon prétexte pour approfondir ces sujets-là pour ma culture personnelle. Tu sais, pourquoi pas ? Allons-y ! C’est comme pour Colored Sands, un album de metal qui parle du Tibet, eh bien, si un jeune de quatorze ans qui est dans sa chambre écoute l’album parce qu’il aime la musique et après ça, les propos, ça pique sa curiosité et ça le pousse à s’éduquer sur ce thème-là et aller comprendre ce qui se passe là-bas, eh bien tant mieux ! C’est ça l’art, c’est à ça que ça sert. Ça sert à nous émouvoir, à aller chercher des émotions et puis on n’est pas obligé de tout comprendre ce qu’il se passe non plus, mais c’est un bon véhicule pour amener des idées et faire réfléchir les gens.

Dans le cas de l’EP, tu as choisi le thème après avoir composé la musique…

Oui, c’est toujours comme ça que je procède. Très tôt dans l’histoire du band, dans mon processus d’écriture, j’ai toujours trouvé ça malhabile dans mon cas d’écrire les textes avant et d’essayer d’y coincer sur de la musique. Très tôt j’ai mis ça de côté et j’ai toujours travaillé de la façon inverse, dans le sens où je ne composerais pas un solo de guitare pour ensuite essayer de faire riff en dessus. Tu me suis ? C’est la même chose. La voix, c’est la cerise sur le sundae, c’est le dernier élément qui vient habiller la musique, se placer au-dessus et faire de l’interaction avec ce qui est déjà là. Tu sais, pour moi, c’est bien important d’avoir un canevas musical qui fonctionne sans avoir de vocal. Ce n’est pas dans le sens où on se dit que c’est un peu long mais une fois que les vocals vont être là ça va marcher. Pour moi, il faut que la musique fonctionne d’une façon instrumentale et après, quand tu habilles ça avec la voix, c’est comme : « Yes ! » Mais il ne faut pas que la voix soit un prétexte pour essayer de faire fonctionner le reste. Il faut que la musique fonctionne en soit. Et puis une fois que tout le canevas musical est fait, je n’ai pas à me soucier des arrangements, je peux me concentrer complètement sur le sujet, lire et après ça, structurer mon récit, comme une dissertation – une intro, un développement, etc.

Parce que, écoute, premièrement, écrire les textes, c’est l’étape dans l’écriture que j’aime le moins. Ce n’est vraiment pas facile. Chapeau aux auteurs qui ont décidé de consacrer leur vie à une feuille de papier et un crayon, je trouve ça très, très, très noble, il n’y a rien de facile là-dedans [petits rires]. Les mots, c’est tout un art de faire ça, mon gars. Et je te dis ça, moi c’est très, très, très modeste ma poésie et ce que je fais là, mais ça me demande un effort sans bon sens de faire ça, ce n’est vraiment pas facile. Et puis en plus, j’écris en anglais ; tu sais, je parle bien anglais pour parler de sujets de tous les jours, avoir une conversation mais commencer à faire de la poésie dans une langue qui n’est pas la tienne, si tu veux amener ça à un autre niveau, ce n’est vraiment pas évident, mon gars. Pas facile ! [Petits rires] C’est pour ça que je garde toujours ça pour la fin, pour me concentrer aussi là-dessus. Parce que, tu sais, la musique était toute complétée pour l’album et je n’avais aucune idée de ce que j’allais chanter encore. Mais quand j’ai découvert ce sujet-là et que je l’ai disséqué, temporellement, pour dire que là il se passe telle ou telle chose, ça va venir à telle chose, Rome tombe, c’est l’obscurantisme et puis après ça Bagdad est fondé, etc. quand j’ai mis ça sur la musique, j’ai fait : « Wow ! Ça marche ! » Et puis écoute, c’est un heureux hasard, ça s’emboitait comme si la musique avait été composée spécialement pour parler de ça. C’était vraiment étonnant ! Tu sais, les écrivains, ils se disent des fois : « On ne choisit pas nos sujets, ce sont nos sujets qui nous trouvent. » Eh bien, c’est exactement ce qui est arrivé avec ça.

D’ailleurs ça rejoint ma question suivante puisque j’allais te demander en quoi tu trouvais que ce thème collait à la musique, parce que la musique n’a pas spécialement de connotation orientale…

Non mais c’est ça, peut-être que si j’avais eu le sujet avant même de commencer la pièce, j’aurais essayé de glisser un genre d’atmosphère de ce coin-là du monde, en utilisant peut-être des modes pour amener cette saveur-là. Au même titre que si tu fais une trame sonore d’un documentaire qui se passe au Moyen-Orient, tu ne feras pas des patterns de guitare honky tonk qui viennent du sud du Texas. On se comprend ? Peut-être que là je l’aurais considéré dans la musique mais non et ça marche quand même.

Peut-être que ça aurait justement été trop caricatural de faire une musique plus orientale.

Peut-être, oui ! C’est peut-être une bonne chose, même, que j’ai trouvé le thème après. Et puis même, à la limite, en observant vraiment des micros événements musicaux qui se passent, quelque part il y a certains trucs qui ont un peu cette saveur-là, sans savoir qu’on était là pour parler de ça non plus. Mais ça marche bien. J’aime mieux que la musique reste neutre et justement que ça ne tombe pas dans le cliché. Tu sais, c’est glissant comme terrain, ça aurait pu tomber un peu kitch facilement. Donc c’est peut-être mieux que le sujet soit arrivé après.

Gorguts - Pleiades' Dust

« Je suis très fanboy ! C’est vrai. Et puis je ne suis pas gêné de l’être. Pourquoi pas ? Ce n’est pas parce qu’à un moment donné on atteint un certain âge que c’est con ou peu importe. Pas du tout. […] On n’arrête pas d’être fan parce qu’on a un groupe soi-même. »

Dans Pleiades’ Dust on peut entrevoir une grande variété d’influences, comme celle de Deathspell Omega, non seulement par le format du morceau mais aussi certains passages qui rappellent la patte de ce groupe. Mais tu as aussi évoqué les influences des premiers albums d’Entombed pour leur son de guitare et du premier album de Paradise Lost, et tout à l’heure tu as aussi fait référence à Porcupine Tree. Est-ce que cet album était un peu un laboratoire d’expérimentation pour jouer avec tes influences ?

Ecoute, on est toujours influencé consciemment et inconsciemment par d’autres artistes en écrivant. Mais moi, c’était vraiment… Comme le riff doom après la partie ambiante, c’était voulu d’écrire un riff doom comme ça, justement pour rendre hommage à ce son de la [pédale de distorsion] HM2 et du Sunlight Studio, comme le premier Entombed, Dismember, etc. C’est vraiment voulu. Nous l’avons même travaillé, nous n’avions pas de pédale HM2 pour faire le son et je pense que nous l’avons bien trafiqué pour l’imiter du mieux que nous pouvions. Les riffs doom, aux accords, comme le premier album de Paradise Lost, avec des guitares vraiment distinctes séparées qui font un beau contre-point tout le temps, tout le riff doom, c’est vraiment une ode à toute cette époque-là. Et puis après ça, quand on tombe dans le propos, c’est comme un genre de marche funèbre, c’est le déclin qui s’installe, avant l’invasion, tout colle ! Sur les albums, même sur The Erosion Of Sanity, je peux te pointer un riff qui est un genre de clin d’œil à Consuming Impulse de Pestilence. Je fais souvent ça, à ma façon. Ce n’est pas genre gratuit, au premier degré, mais quand c’est expliqué et puis tu le sais, tu l’écoutes, tu y portes attention, c’est évident. J’aime faire ça. Dans l’art, ça s’est souvent fait, un artiste qui fait un clin d’œil à un mentor qui l’a inspiré dans une œuvre. J’aime rendre hommage à ceux que j’admire et qui m’ont inspiré. Je voulais aussi rendre hommage au compositeur polonais [Krzysztof] Penderecki, car j’aime beaucoup. Premièrement dans la forme : chez Penderecki, il y a certaines de ses symphonies et concertos où c’est un grand geste de trente ou trente-cinq minutes. Ça aussi c’était présent en écrivant, je voulais faire comme ses compositions. Ensuite, justement, le fameux riff doom, c’est un genre de marche funèbre et c’est une ode à un certain passage dans son concerto violon numéro deux. Ce segment m’a toujours fait vraiment trippé et je voulais faire un clin d’œil à ça. Mais tu sais, encore, ce n’est pas évident au premier degré mais quand tu le sais, on pourrait l’écouter ensemble et je te ponterais certains trucs et tu dirais « ah, oui ! ». Même dans l’orchestration, j’ai demandé à Patrice [Hamelin] de faire comme un roulement bien quiet, tu sais, sur les floor toms, là où il y a un segment de guitare qui arrive. Penderecki, dans ses orchestrations, il fait ça souvent. Ça, c’est emprunté à ses scores, de la façon qu’il écrit. J’essaie de me servir de tout ce que j’aime, que ce soit du classique ou du metal ou du rock ou… et puis d’essayer de m’en servir mais à ma façon.

Je me souviens qu’à l’époque de l’album précédent, tu parlais déjà de Porcupine Tree. De manière générale, est-ce que tu peux nous parler de ta relation à ce groupe ?

Eh bien, écoute, je n’ai jamais beaucoup écouté ça, du rock. Tu sais, Porcupine Tree, c’est du bon rock. Et quand j’ai découvert ça, c’était l’album Deadwing. C’était peut-être une époque où je ne savais plus vraiment quoi écouter. Tu sais, du classique, j’en écoute beaucoup, j’en ai pas mal dans ma collection mais à un moment donné j’ai envie d’écouter d’autres choses. Lui, quand j’ai découvert son travail, ça m’a vraiment frappé. Je me suis mis à acheter tous ses albums. Et même à un moment donné, j’ai écrit à Steven Wilson, je me suis présenté et c’est cool, il m’a répondu un jour ou deux après, en disant qu’il était bien content d’avoir de mes nouvelles parce ce que c’est un gros fan de l’album Obscura [rires]. A un moment donné quand je lui ai envoyé Colored Sand, il me disait : « Oh, c’est rafraichissant d’écouter ça ! » Ca faisait peut-être trois ou quatre ans qu’il n’avait pas écouté un album de metal parce que ça ne l’intéressait plus vraiment. Et donc je me disais : « Yes ! » [Petits rires] Depuis ce temps-là, on est en contact. Quand mes albums sortent en vinyle, je lui envoie toujours une copie parce que je sais que c’est un collectionneur de vinyle, lui et [Mikael] Åkerfeldt d’Opeth. Mikael, je l’ai rencontré à Montreal, nous avons échangé nos mails et je lui écris de temps en temps. Encore une fois, quand j’ai des albums qui sortent en vinyle ou des reissues, comme celle d’Obscura, quand il vient jouer à Montreal, je lui donne des albums et on parle un peu. Et puis, écoute, ce sont des musiciens que j’admire beaucoup. Je me trouve chanceux de pouvoir échanger avec eux autres. Wilson on s’était écrit quand nous devions jouer à Londres, il devait venir au concert et finalement, bon, il y avait d’autres trucs et ça n’a pas été possible pour lui. Mais il m’a invité à son concert quand il est venu à Montreal la dernière fois et puis nous avons parlé après le show, je lui ai donné une copie de Pleiades’ Dust et il m’a écrit le lendemain pour me dire qu’il avait bien aimé ça. Tu sais, de pouvoir échanger avec des artistes que tu admires, je me trouve bien chanceux. C’est fun d’avoir un feedback des personnes que tu admires et qui t’inspirent.

D’ailleurs Steven Wilson c’est un peu quelqu’un qui a l’habitude de faire des projets à part. Ce n’est pas quelque chose dont vous avez éventuellement discuté, faire quelque chose ensemble ?

Eh bien, regarde, quand nous avons commencé à nous écrire et après ça, il est passé à Montreal pour la tournée The Incident, il m’avait donné rendez-vous, je suis allé le rencontrer. Parce que moi, je voulais que ce soit lui qui réalise Colored Sands mais ça, c’était à l’époque où il composait son deuxième album solo. Il semblait intéressé mais, à un moment donné, il m’a écrit pour dire : « Malheureusement, on ne pourra pas le faire parce que je suis trop occupé avec mon deuxième album solo et puis je dois partir en tournée. Mais gardons contact, peut-être qu’à un moment je ferais un projet X et on pourra travailler ensemble. Ce n’est que partie remise ! »

Un autre groupe dont j’aimerais que tu nous parles, c’est Deathspell Omega parce que j’ai l’impression que tu en es très fan…

Oui ! Toujours fier d’arborer les t-shirts d’un ami cousin [rires]. Quand je vais en France, je salue toujours la foule comme ça : « Bonsoir chers cousins ! » Et ça fait sourire mais c’est cool [petits rires]. Non mais écoute, j’adore ça, ce band-là. Je ne suis pas un grand fan de black metal, dans le sens que j’en écoute pas tant que ça et je ne suis pas connaisseur non plus. Ce style de musique-là, c’est peut-être à l’époque où je me suis retiré pas mal de la scène, dans le temps où je faisais plus d’ébénisterie et je ne jouais plus de guitare non plus à cette époque-là ; c’était avant même que je joigne Negativa. Mais à un moment donné, Kevin avait mis un morceau de Deathspell Omega sur son MySpace et là je me suis dit : « Wow ! Qu’est-ce que c’est que ce groupe-là ? » Donc là, c’était quand nous nous sommes rencontrés et que nous avons commencé à travailler sur Colored Sands ensemble pour la première fois. Et quand j’étais chez Colin, il avait l’album Fas – Ite, Maledicti, In Ignem Aeternum, il m’a fait écouter ça et j’ai fait : « Wow ! » J’ai vraiment trippé. Après ça, quand nous avons joué au Maryland Deathfest, peut-être un an ou deux après ça, je me suis procuré Chaining The Ketechon et puis j’ai acheté Fas en CD. Mais quand j’ai découvert Chaining, là ça a fait… Moi, ce sont peut-être Chaining et Paracletus mes albums préférés de Deathpsell. Paracletus, c’est vraiment, vraiment, vraiment, vraiment bon. Ecoute, il n’y a pas une seconde de cet album que je n’aime pas. Je suis mordu de ce groupe-là ! A un moment donné, j’ai écrit au label pour exprimer mon admiration et mon affection pour leur musique et ils m’ont envoyé un beau t-shirt que tu vois je porte tout le temps sur mes photos. Et quand je vais en France, je sais exactement ce que je dois porter, tu sais [rires]. Je mets toujours mes gilets Deathspell Omega [petits rires]. J’essaie de faire ça, tu sais. Si jamais je vais en Angleterre, eh bien, je vais mettre un gilet Vallenfyre. C’est comme ça, j’essaie de porter les couleurs d’un groupe du pays que j’adore. C’est toujours comme ça. Je suis très fanboy ! C’est vrai. Et puis je ne suis pas gêné de l’être. Pourquoi pas ? Ce n’est pas parce qu’à un moment donné on atteint un certain âge que c’est con ou peu importe. Pas du tout. Quand j’aime quelque chose, je vais même amener mes pochettes d’albums pour les faire signer. Quand je savais que Meshuggah jouait au Heavy Montreal, j’ai amené mes albums, je suis allé les rencontrer et j’ai fait signer toutes mes pochettes d’albums [petits rires]. Ecoute, j’aime ça, j’aime ça ! On n’arrête pas d’être fan parce qu’on a un groupe soi-même.

Tu as un background dans le classique. En quoi ça influence ta manière de travailler lorsque tu élabores un album de metal ?

La musique classique, ça m’a peut-être amené à pousser mes réflexions, surtout quand on fait des arrangements. Vu que j’aime beaucoup faire de l’orchestration… Tu sais, de l’orchestration, dans le sens où à l’école, quand je faisais les cours d’orchestration, l’exercice c’était d’étudier une famille d’instruments, on choisissait une pièce de piano de notre choix qu’on aimait et il fallait l’orchestrer pour la famille d’instruments. La partition de piano, on voit ça un peu comme un dessin en noir et blanc et l’orchestration, tu arrives avec ta boite de crayons à colorier et tu mets des teintes… Tu comprends ? Tu reconnais la même image mais « wow ! » il y a d’autres couleurs. Eh bien, l’orchestration, c’est la même chose. Tu me suis ? Le fait de faire cette démarche-là en étudiant la musique classique, ça m’a amené un autre souci du détail et j’essaie d’appliquer ça mais avec les instruments électriques. C’est pour ça que maintenant, il y a plus de variantes de sons de guitare. Des fois c’est clean, et des fois c’est clean mais un petit peu distortionné, des fois, c’est très distortionné, des fois ça part dans un delay mais avec un petit chorus… J’essaie d’amener une touche plus orchestrée. C’est peut-être pour ça que ces albums-là se démarquent plus des anciens aussi. Souvent les gens disent : « Oh, c’est bien moins heavy qu’Obscura, c’est ci, c’est ça… » Eh bien, je m’excuse, je te jouerais les riffs d’Obscura et je te jouerais les riffs de Colored Sands ou de Pleiades’ Dust, c’est vraiment dans le même, même style. C’est juste que c’est structuré et mis ensemble d’une façon vraiment différente. Mais la matière première, c’est pas mal le même langage. C’est juste que ça a évolué plus dans les arrangements.

Gorguts by Jimmy Hubbard

« Bien que le death metal ait ses clichés, je trouve que c’est un des styles dans le metal qui est le plus avant-gardiste et le plus désireux de défoncer les portes. »

D’ailleurs, est-ce que pour toi cet EP serait le plus proche que tu aies été de faire de la musique classique mais avec des instruments électriques ?

Absolument ! Moi, cette pièce-là, je vois ça vraiment comme une pièce de musique de chambre, avec un petit groupe d’instrument. Je vois ça comme un quatuor ou un trio à cordes avec percussion mais joué avec des instruments électriques. C’est la même démarche, dans le sens que je ne sens pas que c’est de la musique avec des clichés, du genre ça c’est un riff death metal, non, moi je le vois comme un thème, point. Mais c’est arrangé avec des instruments électriques. Tu me suis ? Moi, je sens que nous nous rapprochons plus de cette démarche-là. Et je sens qu’avec tous ces éléments qui sont exposés dans cette pièce-là, plus ça va et plus nous rajoutons des cartes dans notre jeu. Le prochain album, je sens que nous pourrons dire tout ce que nous voulons. Nous ne sommes pas coincés dans un style et nous ne compromettons pas le but premier qui est de faire de la musique qui est extrêmement heavy. Ca ne compromet pas le côté heavy pour faire de la musique plus intellectuelle, pas du tout. Je dis souvent ça en entrevue, ce qui me guide premièrement, c’est que j’ai toujours écrit la musique que j’avais envie d’écouter. Ce que j’entends dans ma tête, ce que j’ai vraiment envie d’écouter, c’est ça, eh bien go ! Au même titre que si tu fais de la peinture, tu es en train de faire un tableau, tu vois dans ta tête, tu as un feeling, une ambiance, tu as un éclairage et tu vas essayer de saisir ça en peignant. Et c’est ce qui m’arrive quand je fais de la musique.

Les metalleux aiment bien établir un lien entre metal et musique classique. Qu’est-ce que tu en penses ? Est-ce que tu vois vraiment ce lien ?

Absolument, mon gars, parce que je trouve que le death metal surtout… Chaque style de metal a ses clichés mais bien que le death metal ait ses clichés, je trouve que c’est un des styles dans le metal qui est le plus avant-gardiste et le plus désireux de défoncer les portes. Je ne sais pas si tu es d’accord avec moi, mais je trouve que c’est un des styles de metal qui expérimente le plus. Ecoute le glam rock des années 80, ce n’est pas très, très expérimental. Mais dans le death metal, tu écoutes Scream Bloody Gore [de Death] et tu écoutes Artificial Brain, eh bien il s’est passé quelque chose. Et pour autant, on ne compromet pas le côté heavy, jamais. Mais il y a toujours un désir de recherche et de ne pas être dans les redites. Et je trouve ça fun.

C’est donc comme ça que tu définirais ce lien à la musique classique, par ce côté recherche, expérimental, etc. ?

Absolument. Tu écoutes les concertos de [Georg Philipp] Telemann, [Elliot] Carter, Penderecki ou [Iannis] Xenakis, c’est toujours le but. C’est sûr, ça fait beaucoup d’années, mais quand même c’est ça la démarche, ils ne se sont jamais assis sur l’oreiller en disant « bon, on a fait le tout et ça convient. » Pas du tout ! La peinture c’est pareil, la sculpture c’est pareil, il y a toujours [cette idée] de pousser tout ça un petit peu plus loin et des fois il y a une porte qui s’ouvre, et il y a quelque chose qui était derrière la porte qu’on n’avait jamais soupçonné. C’est intéressant. Moi, je ne sens pas du tout que je suis limité en tant que compositeur à jouer du metal, pas du tout, au même titre qu’écrire de la musique classique mais tu te sers d’un autre arsenal d’instrument. Si tu tournes en rond à faire du metal, tu tourneras aussi en rond à écrire pour un orchestre. Il faut avoir le goût de dire autre chose. C’est là que ça se passe.

L’EP parle d’une grande bibliothèque qui a été détruite, et les bibliothèques ce sont ces lieux où les écrits, la culture, l’histoire, l’art, etc. sont stockés et transmis à travers les siècles. C’est d’ailleurs comme ça, par l’écrit, que la musique classique a passé les siècles. Du coup, que penses-tu de la dématérialisation actuelle de la musique et même de la culture en règle générale ?

Eh bien écoute, je trouve ça bien triste à voir. On ne fera pas le procès du downloading mais c’est… [Sourpir] On se faisait la blague avec un de mes camarades il y a une semaine ou deux et je lui disais que je pense que Pleiades’ Dust avait déjà leaké sur internet. Et en blaguant, nous nous disions « bon, c’est pas grave, c’est juste de la musique » et on s’est mis à rire. Et lui, mon ami, il travaillait dans le cinéma et puis nous nous disions « bon, les gens téléchargent les films, ce n’est pas grave, c’est juste un film, y a rien. » Mais il y a du monde qui a travaillé là-dessus ! Il y a des personnes qui ont écrit le script, qui ont fait les costumes, qui ont tourné… Et puis là, c’est : « Oh, c’est pas grave. » C’est démesuré. C’est rendu banal de faire ça. Mais là, moi, je m’excuse mais ça me met le feu au cul ça, mon gars ! Moi, j’aime ça, aller au magasin acheter mes disques. J’aime ça, les déballer. J’aime ça, regarder la pochette. J’aime ça, lire les textes. J’aime ça, payer mon billet pour aller au cinéma. Un film, il faut que ça soit vu au cinéma, pas sur ton téléphone. C’est plate. Je trouve ça bien désolant. La majeure partie de la population est comme ça, ils écoutent un mp3 et ils se disent que c’est bien correct. Je lisais sur des forums, il y en a un qui se plaignait que Pleiades’ Dust soit une chanson parce qu’il ne pourra pas le mettre dans son iPod et mettre en shuffle [rires]. Pauv’ p’tit gars ! Que c’est dommage ! C’est sûr qu’il va te mettre des bâtons dans les roues et te mettre à aller acheter des disques et écouter ça autrement. Tu sais, la musique, c’est fait pour t’asseoir avec des écouteurs et écouter. Tu regardes un film en écoutant de la musique toi ? Ben, non, quand on met de la musique, tu n’écoutes pas ça… C’est correct si tu en écoutes en faisant d’autres choses, je ne vire pas fou avec ça, mais moi j’aime m’asseoir, puis m’étendre et écouter un album. Mais, même s’il y a encore plein de monde qui fait ça, on dirait que c’est en train de se perdre. Mais pour en revenir à ce que je disais, ça se résume à : « Boh, c’est pas grave, c’est juste de la musique. Il n’y a rien là. Je ne suis pas en train de voler. » C’est vraiment désolant.

Comment se sont passés les concerts où vous avez joué Pleiades’ Dust ? J’imagine que tu te doutais que l’attitude du public allait changer puisque la musique demande une écoute plus recueillie et attentive, mais est-ce que le public suit ?

Oh, oui ! Mais on entend bien que ce n’est pas de la musique pour faire un wall of death [petits rires]. Et j’ai rien contre ça, c’est bien cool. Chaque musique a ses pratiques, c’est bien correct. Mais non, moi j’aime mieux les concerts à la Neurosis, où tout le monde est un peu introverti et écoute. Sans vouloir s’en aller là, nous nous sommes forgés un public qui tend vers cette façon de se comporter. Nous n’avons pas de circle pit dans nos concerts. Il n’y a plus ça, si ce n’est que ça peut arriver quand nous jouons un vieux morceau. Ça a commencé à se manifester plus en jouant Colored Sands. Et même, les premiers concerts de Colored Sands que nous faisions, je me disais : « Dis donc, les gens aiment ça où ils s’emmerdent ? » Et après le show, j’allais à la table de marchandises et les gens venaient nous voir : « Oh, wah, on a bien aimé ça ! C’est cool » Et nous sommes là : « Okay ! On n’a pas manqué notre coup. » Et là, en plus, la dernière tournée en Europe, nous jouions Pleiades’ Dust alors que l’album n’était pas du tout sorti, les gens ne l’avaient jamais entendu, mais j’étais content parce que ce n’était pas genre après dix minutes tout le monde partait pour aller chercher une bière. Donc, ça marche ! Des fois on peut se dire que tout le monde s’emmerde mais c’est plus une question d’atmosphère. Nous allons plus vers de l’ambient. Ecoute, ce n’est pas du Pink Floyd non plus mais c’est plus contemplatif, peut-être. Et puis je suis content de voir que les gens se déplacent, achètent un billet, pour venir écouter de la musique qui va les challenger, les mettre au défi. Tu me suis ? Je trouve ça encourageant pour la forme d’art que nous faisons. Je me dis que ça marche. C’est super cool. Ecoute, mon boulot est rempli.

Gorguts est revenu en 2013 avec un nouvel album, Colored Sands, pas moins de douze ans après From Wisdom To Hate. Qu’est-ce qui t’as donné envie de relancer la machine ?

A cette époque-là, je jouais dans Negativa, en 2006, 2007, 2008, à peu près. Et puis à un moment donné, Steeve Hurdle (décédé en 2012, NDLR) qui a joué dans Gorguts et qui a fondé Negativa, pendant qu’on jouait ensemble dans Negativa, un bon vendredi soir après une répète, il me dit : « Ecoute, dans deux ans ça sera le vingtième anniversaire de Gorguts. Ca vaudrait la peine que tu refasses un album. » J’étais là : « Ok, c’est une bonne idée. Je n’avais pas du tout pensé à ça. Ecoute, je vais y penser. » Et il m’avait proposé : « Si tu veux, j’aimerais bien faire l’album avec toi, si jamais ça t’intéresse. » J’y ai pensé pendant une semaine ou deux et après ça je lui ai dit : « Ecoute, ton idée est super, je te remercie de me l’avoir donné mais je pense que j’aimerais mieux faire ça avec du nouveau monde. » Parce que nous, nous savions déjà ce que nous étions capable de faire ensemble et donc j’aimais mieux partir avec de nouveaux musiciens. C’est comme ça que l’idée est arrivée sur le tapis. Mais moi, je n’y avais pas pensé du tout et j’étais bien content avec ce que le groupe avait fait. Je n’avais pas l’intention de refaire un album. Mais c’est super. Je pense que le groupe est au meilleur endroit qu’il a jamais été en vingt-cinq ans. Je suis bien content !

Gorguts by Jimmy Hubbard

« Je lisais sur des forums, il y en a un qui se plaignait que Pleiades’ Dust soit une chanson parce qu’il ne pourra pas le mettre dans son iPod et mettre en shuffle [rires]. Pauv’ p’tit gars ! Que c’est dommage ! »

Entre The Erosion Of Sanity et Colored Sands, le line-up de Gorguts n’a pas arrêté de changer. Mais j’ai l’impression qu’avec Colin et Kevin tu as trouvé des partenaires avec lesquels tu es vraiment en phase…

Oh oui. Tu sais, je suis très heureux de tous les line-up que nous avons eus parce que nous avons toujours fait la meilleure musique que nous pouvions avec les outils et la vision que nous avions. Nous avons toujours, je pense, ouvert de nouvelles portes pour le band. Mais avec eux, écoute, ça clique comme jamais. Nous nous entendons super bien. La camaraderie est vraiment agréable. C’est important ça parce que tu peux faire de la musique intéressante avec des gens mais tu ne t’entends pas nécessairement si bien que ça, comme individus. Et là, les planètes sont vraiment alignées pour que nous jouions ensemble. Je suis vraiment content ! Nous sommes vraiment en phase, comme tu dis. Absolument.

Vous composez tous les trois ensemble ?

La façon dont ça fonctionne, c’est que moi, j’écris tous les morceaux, j’écris les partitions… Même pour Pleiades’ Dust, j’ai composé les drums électroniques, des beats bien secs pour donner l’idée à Patrice, de la même façon qu’avant, j’étais dans le local en train de chanter le beat que j’entends dans ma tête, sauf que là, au lieu de le chanter je l’ai programmé. Voilà donc la façon dont je fonctionne. Ensuite, j’envoie la chanson avec la programmation de batterie à tout le monde, avec les partitions. Kevin, il doit se servir un peu plus des partitions pour voir exactement le riff que je joue et puis lui, à partir de là, il construit ses parts. Mais Colin, lui, il voit vraiment à l’oreille, il ne se sert jamais des partitions et il a mis beaucoup son grain de sel. Moi, je ne change pas mes riffs mais à partir de là, Colin et Kevin habillent les riffs que je joue avec leur langage. Et ensuite, quand nous mettons tout ça ensemble, c’est ça qui donne la patte sonore. Tu me suis ? Ce sont vraiment des couches, des layers, c’est plus orchestré au lieu que tout le monde joue la même chose à l’unisson ou harmonisé ici et là. Admettons, on isolerait la pièce de basse, tu ne reconnaitrais pas les riffs. C’est vraiment à ce point-là. Mais c’est de cette façon que nous procédons. Colored Sands a été fait comme ça aussi. Mais c’est juste que pour Colored Sands, je n’avais pas programmé les drums ; avec John [Longstreth], nous étions ensemble et je lui expliquais les beats que je voulais, il reproduisait ce que j’entendais et il mettait son style aussi. Tu sais, moi je ne dis jamais aux autres : « Faites ça et puis c’est tout. » Sinon je ferais ça tout seul, ça ne me donnerais rien d’avoir des complices. Pour moi, c’est important que chacun mette sa voix mais c’est moi qui écris tout le noyau.

Tu as déclaré que lorsque tu as demandé à John, Colin et Kevin de te rejoindre, la règle numéro une était que les groupes et carrières solo respectifs des membres resteraient prioritaires, et c’est d’ailleurs pour ça que tu as dû finalement te séparer de John. Pourquoi ce choix qui, j’imagine, doit rendre la carrière de Gorguts assez instable et incertaine ?

Oui, je sais bien mais pour moi, c’est important de respecter ce qu’ils font aussi. Je ne leur demanderais pas de laisser tomber tout ce qu’ils font pour mes petits projets. Je suis qui pour demander aux autres [d’abandonner leurs groupes], de dire à Colin de laisser son studio pour venir faire des tournées six mois par an ? Ça ne marche pas ça. Je veux dire que lui il a le goût d’être un réalisateur, il a le goût d’avoir quatre groupes, eh bien, c’est à moi de composer avec tout ça. Et puis je suis déjà assez chanceux de les avoir dans le groupe. C’est important de respecter ça, tu sais. Et puis moi, ça me donne le temps de faire autre chose aussi. C’est sûr que nous pourrions tourner plus mais, écoute, ils faisaient déjà des projets avant que je les rencontre. Je trouverais ça un peu prétentieux de leur demander de laisser tomber leurs trucs juste pour se concentrer sur mes affaires.

D’ailleurs, Colin et Kevin sont de Philadelphie et du coup, il y a une certaine distance entre vous. Ce n’est pas un peu compliqué ?

Non ! Ecoute, Pleiades’ Dust, j’ai écrit les premières vingt minutes, j’ai envoyé les partitions et tout comme je t’ai expliqué tantôt, nous nous sommes vus peut-être deux mois plus tard parce que les gars sont venus ici pour faire un spectacle au Québec. Ils sont restés chez Patrice pendant trois jours, nous avons répété pour le show mais aussi nous avons travaillé sur chacun des arrangements que chacun avait faits chez lui. Et nous avons réussi à monter vingt minutes de musique en trois jours de répète ! Et puis ça n’a pas changé tant que ça. C’est comme l’album. Donc là, nous avons fait ça et après, j’ai composé les dernières dix minutes. Nous nous sommes revus en juin, soit peut-être deux mois après, et puis tout l’album était composé. Et après ça, nous nous sommes revus en septembre parce qu’ils sont venus jouer à Montreal, nous avons fait des runthrough de l’album vraiment pour finir les derniers arrangements. Et puis après ça, au mois d’octobre, nous avons enregistré l’album. Donc nous nous sommes vus trois fois pour l’album [rires].

C’est efficace !

Efficace tu dis ? Eh bien, écoute, c’est de l’or en barre quand tu as des collaborateurs comme ça ! Avant, chacun des musiciens, nous restions ensemble ou nous vivions dans le même quartier et c’était compliqué. Et puis là, regarde, nous nous voyons, sur trois mois, et c’est plus efficace. Aussi, nous n’avions pas le même métier et la même expérience à l’époque, mais quand même. Il n’y a personne qui est blasé parce que nous ne nous voyons pas souvent, c’est le fun, nous rions beaucoup ensemble, nous avons du plaisir… Ecoute, c’est gagnant-gagnant.

A un moment donné tu évoquais le fait que vous cherchiez à créer un nouveau langage dont les premières pierres ont été posées avec l’album Obscura. Qu’est-ce que tu entends par « nouveau langage » ?

Le nouveau langage, c’est effectivement avec Obscura que nous avons fait ça. C’est-à-dire qu’avant de composer Obscura, nous avons fait un genre de manifeste. Nous ne l’avons pas écrit mais nous avons fait ça verbalement. Nous nous sommes dit que nous accepterons aucun riff avec du picking rapide et aucun beat de drum qui serait comme du Slayer beat, admettons comme The Erosion Of Sanity. Nous allons faire soit des riffs pesants, soit des riffs avec des blasts beats. Puis, à partir de là, faites ce que vous voulez. Là, il fallait sortir de la zone de confort et trouver autre chose. C’est comme ça que le langage d’Obscura s’est développé. Parce que nous nous sommes consciemment forcés à faire d’autres choses. Et quand bien même il y en avait eu un de nous trois qui serait arrivé avec le riff du siècle, juste le fait qu’il y avait du picking rapide, nous aurions dit non, on le prend pas. C’était systématique. Et même, en plus nous nous étions dits : « Quand chacun nous allons nous jouer nos riffs pour montrer ce que nous avons écrit pendant la semaine, nous n’avons pas le droit de regarder comment le riff se joue. Il faut juste écouter. » Parce que des fois, tu peux être impressionné par un riff parce que ça à l’air bien impressionnant de la façon dont c’est joué mais quand tu ne fais qu’écouter, tu te dis : « Nah, peut-être que ce n’est pas si impressionnant que ça. » Tu comprends ? Tandis que si tu écoutes, qu’il n’y a que trois notes dans le riff, que ça sonne bien et tu n’as aucune idée comment c’est joué, tu fais : « Wow ! » Le focus était vraiment dans le son et non pas dans la technique de comment les trucs sont exécutés.

Et je te dirais, Pleiades’ Dust et Colored Sands, ce sont peut-être les riffs les plus simples que j’ai jamais composé. Mais c’est de la façon dont c’est mis ensemble, c’est là que ça se passe. Nous mettons plus l’énergie dans les arrangements que d’écrire des riffs qui sont compliqués à exécuter. C’est comme si tu avais une histoire et des personnages qui ont de beaux costumes et des personnalités bien complexes, si la trame narrative n’est pas intéressante, si ne ce n’est pas mis ensemble avec une cohésion qui t’amène quelque part et te donne le goût d’aller plus loin… C’est la même affaire avec la musique. Il faut voir les riffs comme des personnages, si tu as que des bons riffs mais qui sont collés ensemble d’une façon qui n’est pas intéressante, ça ne marche pas. C’est donc pour ça que nous nous sommes mis à focuser vraiment plus dans les arrangements. Regarde, la chanson « Colored Sands », ça commence juste avec une harmonique. Quoi de plus simple que de jouer ça ? Mais c’est ce qui se construit autour de ça, c’est là que ça se passe. L’énergie est mise ailleurs. Tu sais, moi ça ne me tente pas de m’asseoir avec un métronome et pratiquer mes chansons parce que j’ai écrit des affaires bien, bien techniques. Je t’avoue que quand nous partons en tournée et que nous jouons des pièces de The Erosion Of Sanity, un mois ou deux avant, il faut que je m’assoie avec le métronome et que je réapprenne mes chansons. Je ne suis pas capable de jouer ça, je ne suis pas en forme, il faut vraiment tout le temps être « on the top of your game » pour jouer ça [rires].

Gorguts by Jimmy Hubbard

« Je suis content de voir que les gens se déplacent, achètent un billet, pour venir écouter de la musique qui va les challenger, les mettre au défi. Je trouve ça encourageant pour la forme d’art que nous faisons. »

Tu penses qu’il est nécessaire de s’imposer des règles et des limites pour ouvrir sa créativité ?

Oui parce que sinon tu piétines toujours dans les mêmes endroits. Tu es toujours dans les redites. C’est correct aussi parce que c’est ça qui définit ton langage mais à un moment donné… Comment je pourrais dire ça ? Tu sais, quand tu joues d’un instrument, tu as des zones de conforts, des tics physiques. Sans t’en rendre compte, tu vas souvent faire les mêmes intervalles, les mêmes phrasées. Il y a quelqu’un qui avait déjà dit : dans la vie tu peux écrire cinq cent chansons mais dans le fond tu n’auras écrit que trois chansons différentes et le reste ce ne sont que des variations de la même chose mais que tu as faites inconsciemment [petits rires]. C’est dans le fait de te forcer à ne pas aller dans tes zones de confort que tu te mets au défi et que tu ouvres d’autres portes parce que sinon, tu vas toujours piétiner dans les mêmes endroits en créant.

Est-ce que tu penses que l’EP Pleiades’ Dust représente ce langage arrivé à maturité ?

Oui, absolument. Tu sais, j’ai souvent dis ça : Obscura, c’est comme un enfant qui apprend à parler, il a un langage assez restreint, il a un minimum de mots et de verbes mais il est quand même capable d’exprimer des idées distinctes, mais il va souvent se servir des mêmes mots. Pleiades’ Dust, c’est cette personne-là qui a grandi, qui a un vocabulaire pas mal plus pointu et qui est capable de plus nuancer. Je pense que c’est la meilleure façon de faire la comparaison que j’ai.

D’après ce qu’on peut lire, si tu es resté si peu de temps dans Negativa, c’est parce que tu ne te sentais pas à l’aise avec le côté improvisation de la musique du groupe…

Non. Je n’ai jamais aimé improviser. Ça ne m’intéresse pas. Regarde, chapeau à ceux qui font ça parce que ce n’est vraiment pas facile. C’est un peu comme ceux qui font de l’impro avec des comédies. Tu as déjà vu ça un match d’impro ? Tu sais ce que je veux dire ? Ce n’est pas tout le monde qui a le goût d’aller se lancer sans parachute. Tu n’es vraiment pas dans ta zone de confort. Moi, je ne sais pas improviser. Pour moi, composer, c’est plus partir avec une idée, ça se rapproche plus de lorsque j’écris sur le papier. Improviser, je n’ai pas les réflexes pour ça. Premièrement, je ne me suis jamais entraîné à développer ça. A un moment donné, quand j’étais à New York, nous faisions l’album, j’étais justement allé voir Colin et Mick Barr, l’autre guitariste de Krallice, et ils ont fait un show d’improvisation dans un petit club avec un autre gars qui faisait de l’impro vocale. Mais tabarnak ! Moi, je ne serais pas à l’aise ! Et tu sais, Steve dans Negativa, il voulait faire des sections : « Ok, là, on improvise de là à là. » Et moi j’étais là : « Beh… » Je ne sais pas où m’en aller. C’était les bouts que je détestais le plus. A un moment, je suis désolé mais moi, ce n’est pas ma tasse de thé de faire ça. Ce sont deux mondes. Tu sais, il y en a qui jouent du blues parce qu’ils aiment improviser ou qui jouent du jazz parce que ça amène de l’improvisation mais moi, ce n’est pas une approche de composer de la musique qui m’intéresse tellement. Pas du tout.

Le Quebec est particulièrement connu pour sa scène death metal technique avec Gorguts mais aussi des groupes comme Cryptopsy, Quo Vadis, Augury, Beyond Creation, etc. Comment toute cette scène a-t-elle émergée ?

C’est une bonne question. Au Québec tout part pas mal de Voivod, je pense. Et puis, écoute, je ne sais pas, il y a peut-être quelque chose dans l’eau qui a fait que chaque band sonnait différent [rires]. Non mais moi, je pense que la meilleure réponse que je pourrais te donner, c’est que c’est peut-être à cause de Voivod qui étaient vraiment des leaders. Tu écoutes, c’était un rien typique ce qu’ils faisaient eux autres. Après ça, il y a eu Obliveon. Moi, Obliveon ça m’a influencé pas mal et je suis devenu amis avec les gars aussi. Même Pierre [Rémillard], le guitariste d’Obliveon, c’est lui qui a fait notre première démo et après, tout le monde au Québec a enregistré avec Pierre, il y a eu une grosse vague, la scène a explosé. Pierre a fait nos premiers albums (Obscura et From Wisdom To Hate, NDLR) et à partir d’Obscura, il a fait les albums de Cryptopsy et pleins de groupes qui ont explosé.

D’ailleurs, qu’est-ce qu’ils deviennent Obliveon ? Car, notamment, j’avais adoré leur album Cybervoid…

Ecoute, c’est génial ! Moi mon préféré c’est vraiment Nemesis et puis From This Day Forward mais Nemesis, Cybervoid… Il s’avère qu’ils se sont réunis pour un festival il y a un an ou deux. Et j’ai visité Pierre il y a une couple de mois et il m’a dit qu’ils avaient écrit des nouvelles chansons. On verra ! Tant mieux, hein ! Parce que, écoute, j’aimais tellement ce groupe, ils m’ont tellement influencés, dans le sens que nous avons fait plein de shows avec eux autres quand nous avons commencé et j’étais tellement fier de jouer avec eux autres et d’être amis avec eux aussi. Ils m’inspiraient tellement, mon gars. Ils sont géniaux ces gars-là ! Ils étaient tellement en avance sur leur temps. Et puis eux, on dirait que c’était une série de rendez-vous manqué, tout le temps. Mais ils étaient tellement originaux. Ecoute l’album Nemesis, mon gars, c’est génial ! Nemesis, c’est sorti en 1993 et ça ne ressemble à rien ! Et c’est hot le niveau de technicalité de ce groupe ! Il y a du monde qui peut aller se rhabiller ! En 93, composer comme ça ! Wow ! Ecoute une chanson comme « Frosted Avowals », c’est hallucinant, mon gars ! C’est vraiment plate pour eux autres, c’est vraiment désolant, c’est toujours des rendez-vous manqués.

Ça me fait plaisir que tu m’apprennes qu’Obliveon soit en train de travailler sur de la nouvelle musique !

Mais oui ! Et puis j’espère qu’ils vont rééditer leurs albums pour que tout le monde les connaissent !

Il y a un groupe de death technique qui commence à être pas mal reconnu, c’est Obscura dont le nom vient justement de votre album. Qu’est-ce ça te fait d’avoir inspiré un groupe au point qu’ils se nomment d’après un de tes albums ?

Oh, eh bien, écoute, c’est flatteur ! Je ne me plaindrais pas ! Et puis, regarde, Obscura, ce n’est pas un mot que nous avons inventé non plus. Ça ne nous appartient pas. Mais je sais que Steffen [Kummerer] m’a déjà dit ou bien j’ai entendu parler en entrevue, je ne me rappelle pas, mais nous avons tourné, pas avec eux mais il travaillait sur la tournée de Death To All, lui et Hannes [Grossmann], et puis nous avons eu une petite conversation sur le sujet. C’est bien flatteur, c’est cool ! Je n’ai pas leur dernier album mais j’ai écouté leur musique à maintes reprises. Ce sont des musiciens exceptionnels ces gars-là. Ce ne sont pas des manchots, comme on dit !

Interview réalisée par téléphone le 10 mai 2016 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Nicolas Gricourt.
Fiche de questions : Chloé Perrin & Nicolas Gricourt.
Photos : Jimmy Hubbard.

Site officiel de Gorguts : www.gorguts.com



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  • pour une fois qu’un artiste metal exprime ses idées, ses intérêts, expose sa culture autre que musicale, certain le fustige. Donc sous prétexte qu’il est musicien il doit uniquement parler musique, son, et pas de son inspiration pour créer sa musique. Ou alors cette inspiration doit uniquement émaner de l’univers musical ?

    [Reply]

  • « La religion, ça a le dos large. Ils se servent de ça pour justifier des comportements qui n’ont pas de bon sens pour aller voler, piller, tuer ton voisin. C’est bien triste ! C’est pour ça que, moi, ce qui m’intéresse plus, c’est ceux qui réfléchissent et ceux qui nous font avancer. »

    Ouais bon, d’accord; je m’arrête là. C’est tellement nul, putain. Vous avez rien de plus intéressant à mettre en avant ? Ou bien n’a-t-il rien de plus intéressant à dire ?

    Faites chier, voilà.

    [Reply]

    Spaceman

    Quel est le souci ? Je trouve ça intéressant que pour une fois dans le metal quelqu’un expose une autre vision de la religion, c’est à dire pas comme une cause mais comme un simple prétexte à ces comportements.

    Ah oui, et puis c’est tellement original.

    Sérieux, parlez musique avec ces gens, ça sera sûrement passionnant (ça l’est le plus souvent, et je précise que j’apprécie énormément de vos interviews [et je le dis régulièrement dans les commentaires, donc vous le savez]), mais leur avis sur des sujets importants et complexes, qu’ils le garde pour eux.

    Spaceman

    Quand le concept et le thème sont aussi marqués dans l’oeuvre et qu’ils ont fait l’objet d’un certain investissement, ça me semble normal et même nécessaire de comprendre ce qu’il y a derrière du point de vue de l’artiste.

    Toi, tu n’apprécie peut-être pas son point de vue sur ce thème ou ne le trouve pas passionnant, mais je pense que d’autres lecteurs si. Ou au moins ça donne une compréhension/vision de l’artiste et son oeuvre.

    Et puis, quoi qu’il en soit, la musique on rentre quand même pas mal dedans dans la suite ! Vu la longueur de l’interview, il y a de la matière… Non ? 😉

    Ce n’est pas une question d’apprécier ou pas, c’est une question 1. de ne pas dire des conneries ; 2. de ne pas dire des conneries complètement bateau.

    Si certains trouvent encore intéressant aujourd’hui de lire « la religion c’est trop un prétexte, t’as vu, et ça serait mieux si ça n’existait pas, t’as vu… », alors je veux définitivement changer de monde.

    Je ne sais pas, je n’ai pas lu la suite, parce que ça m’a gonflé.

    Spaceman

    Euh, Luc ne dit pas que ça serait mieux si la religion n’existait pas.

    Je t’invite à lire sa réponse à la question : « Tu dirais donc que la religion n’est pas nécessairement l’ennemi du savoir comme certains peuvent le penser mais juste un prétexte ? » Où il dit même le contraire. Il ne critique pas la religion en soi, mais le fait que certains s’en servent de prétexte pour « voler, piller, tuer ton voisin », alors qu’à côté de ça « la religion ça rend des gens bien heureux, et puis tant mieux ».

    Je penses que tu as compris de travers cette citation et qu’avant de poursuivre cette discussion, le mieux serait encore que tu prennes le temps de lire l’interview…

    Sa réponse est effectivement plus nuancée que la phrase que vous avez mise en avant. C’est donc contre cette mise en avant que je m’insurge maintenant 😉

    Vous avez mis en avant une phrase qui ne suffit même pas à résumer la pensée de l’artiste (pensée qui, je le maintiens tout de même, est complètement bateau), pourquoi ? Pourquoi celle-là alors qu’il dit plein d’autres choses intéressantes ? Pour teaser le métalleux ?

    Je persiste à penser que cette mise en avant n’est pas à la hauteur de ce que j’attends de RM.

    Parce que oui, quand même, rappelons-le : si je gueule, c’est parce que la plupart du temps j’aime beaucoup le travail que vous faites, surtout sur les interviews qui sont le plus souvent passionnantes. Qui aime bien châtie bien, comme on dit 🙂

    Spaceman

    Pour moi, la citation se tient d’elle-même et, oui, donne un bon aperçu de la pensée de l’artiste sur le sujet. Rien que par « La religion, ça a le dos large », on comprend bien qu’il n’en veut pas aux religions elles-mêmes mais à ceux qui se rangent derrières elles, comme des faux prétextes, à des fins néfastes. Donc ça me semblait approprié de la mettre en avant.

    Après, quand on sélectionne les citations, on sais très bien ce qu’il y a derrière, ce que l’artiste veut dire, car on a travaillé des heures sur l’interview, on l’a lue et relue, etc. Et du coup on n’a peut-être pas le même regard et compréhension que celui qui découvre la citation de but en blanc. Et ça, on n’y peut pas grand chose.

    Et quoi qu’il arrive, une citation (c’est à dire un très court extrait) ne pourra jamais résumer toute la subtilité d’une pensée. C’est pour ça que c’est aussi une incitation (mot de même étymologie) à aller lire pour chercher à comprendre pourquoi telle personne a dit ça et avoir le fond de sa pensée.

  • « au Proche-Orient du temps des Abbassides, où le savoir bouillonnait pendant que l’Occident s’enfonçait dans l’obscurantisme »

    Mouahahahahahaaaa, vous êtes marrants les gars !

    [Reply]

    Spaceman

    C’est un peu la base du concept de cet EP de Gorguts qui est grosso-modo résumé dans cette phrase. Qu’est-ce que ça a de marrant ?

    BigBossGorguts

    @Spaceman : pour ma part je ne cherche plus à comprendre ce type.

    Qu’est-ce que ça a de marrant ? C’est juste complètement faux.

    De 750 à 1258, dates de la dynastie Abasside, il ne s’est donc rien passé sur le plan scientifique et culturel en Occident. Que dalle, le trou noir.

    Non mais sérieusement, arrêtez de sortir des conneries comme ça.

    Spaceman

    Hmmm… C’est ce qui est dit dans la phrase non ? « l’Occident s’enfonçait dans l’obscurantisme » et donc effectivement, rien ne s’est passé sur le plan scientifique et culturel en Occident à cette période.

    Ben non. C’est complètement faux et crétin.

    Il ne s’est tellement rien passé pendant 5 siècles que l’Europe a disparu juste après, confite dans sa propre misère.

    Ah non ? Ah mince… On nous aurait menti ?

    Spaceman

    Alors, là je t’avoue que je ne te suis pas. On dis que l’Occident (dont l’Europe fait partie) était en plein obscurantisme, c’est à dire qu’il ne s’y passait rien. « Ce sont les dark ages, il ne se passait rien, et puis pendant longtemps » pour reprendre ce que dit Luc Lemay dans l’interview.

    Et toi tu nous dis « non, non c’est faux » pour finalement dire exactement la même chose que nous, c’est à dire qu’il ne s’est effectivement rien passé pendant cinq siècles en Occident. Il y a un truc que j’ai loupé ou bien ?

    « Et toi tu nous dis « non, non c’est faux » pour finalement dire exactement la même chose que nous, c’est à dire qu’il ne s’est effectivement rien passé pendant cinq siècles en Occident »

    Ironie flagrante dans ma phrase : s’il ne s’était rien passé pendant tout ce temps, l’Europe serait morte. Une civilisation qui n’avance pas meurt, comme tout en ce bas monde. Or, à cette époque, l’Europe avant encore de grandes heures devant elle (ce qui n’est plus le cas aujourd’hui). Donc non, il ne s’est pas rien passé pendant ces 5 siècles. Non, ce n’était pas 500 ans d’obscurantisme. C’était 500 ans de consolidation des acquis, avec des découvertes certes moins fondamentales qu’avant et qu’après, mais qui ont eu lieu, qui ont amélioré l’existant dans tous les domaines, agriculture, artisanat, arts, religion.

    C’est le mot « obscurantisme » qui me fait hurler, parce qu’il est tout simplement faux, et parce que c’est un mensonge qu’on nous apprend à l’école pour nous faire croire que le christianisme a brimé l’Europe pendant des siècles, alors que l’Islam, lui, aurait été un superbe vecteur de progrès.

    Spaceman

    Ok, maintenant je comprend mieux, car l’ironie ne passe pas toujours bien à l’écrit.

    Il est quand même communément admis que cette période correspond à une période de stagnation et d’obscurantisme par opposition au siècle des lumières (« dont le but était de dépasser l’obscurantisme », justement, pour ne faire que citer wikipedia) et effectivement à ce qui se passait au Proche-Orient à ce moment-là. Après, c’est peut-être une question de perspective, de relativité et de nuances.

    Ensuite, je comprend que tu ne puisse pas être d’accord mais remettre en cause ça, les propos d’un artiste quand même pas mal documenté et les manuels scolaires (et encore, dans cette interview il n’est même pas stipulé que le christianisme a brimé l’Europe, comme tu dis), c’est un tout autre débat qui peut être complexe, nous emmener loin et qui mériterait de mettre en rapport des connaissances historiques beaucoup plus poussées. Si des historiens se sentent de le faire, qu’ils n’hésitent pas car moi, mon job, qui est, comme je le disais, de creuser la pensée de l’artiste et son oeuvre, il s’arrête là.

    En attendant ça a au moins eu le mérite de te permettre de t’exprimer sur le sujet et faire valoir ton opinion 😉

  • Neurocatharsis dit :

    Sacrément bavard le père Lemay, on sens le passionné !

    [Reply]

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