D’une certaine façon, ce qui est arrivé à Gorod est injuste. Les Français avaient réalisé une prouesse avec A Maze Of Recycled Creeds qui entérinait leur statut de pilier de la scène extrême hexagonale. Une promo douteuse a, selon eux, plombé l’entrain du groupe qui n’a pas bénéficié de l’élan qu’aurait dû lui offrir ce cycle. L’EP thrash Kiss The Freak sorti l’an dernier avait permis aux bordelais de maintenir leur visibilité, recours très intelligent. Désormais Gorod entend bien faire ce qu’il faut pour qu’Aethra, son sixième opus, bénéficie de toute l’attention possible grâce au nouveau label Overpowered Records. Musicalement, cela se ressent par un sens de l’accroche aiguisé. Aethra a amplement de quoi convaincre tout le monde une bonne fois pour toutes.
Gorod a de nouveau soigné sa thématique, tout en abordant un sujet qui devrait parler à tous : Aethra (ou aussi Théia) est le nom d’une protoplanète qui aurait, selon la théorie, collisionné avec la Terre, donnant naissance à la Lune. Chaque titre fait ainsi référence à une figure mythologique en rapport avec la Lune. Chaque titre a sa propre singularité. La difficulté inhérente au death technique est le fait de ne pas tomber dans la démonstration constante et la surenchère. Même une excellente structure de chanson ne suffit pas lorsque la technicité est à l’honneur, l’auditeur peut tout de même peiner à retenir les moments marquants. Aethra, de ce point de vue, est une masterclass. Gorod réussit là où de nombreux groupes s’égarent : Aethra a suffisamment de balises pour que chaque composition s’appréhende facilement et deviennent des sortes de « tubes » death metal. Il ne faut pas s’y tromper, Gorod entretient toujours une technique hors du commun, il suffit d’entendre les riffs syncopés de « Chandra And The Maiden » ou la rythmique effrénée de « Goddess Of Dirt » pour se montrer admiratif. La prestation vocale de Julien Deyrez est elle aussi bluffante. Sa palette s’est étoffée pour l’occasion : alternant entre growl caverneux et voix rocailleurse, comme sur « Goddess Of Dirt », on le retrouve en outre dans un registre clair plus suave sur le pont de « The Sentry » (qui a un petit quelque chose de Joe Duplantier du récent Gojira) ou dans des envolées mélodiques, à l’instar du refrain d’ « Aethra » et son feeling jazz, mêlant même simili-mélodie et grain extrême dans quelques phrasés proches de ce que Josh Middleton réalise avec Sylosis.
La technique au service de la composition, Gorod l’avait déjà étalé lors de Maze Of Recycled Creeds. Ce qui impressionne réellement avec Aethra, c’est la maîtrise du songwriting mise en valeur par la production gargantuesque de Daniel Bergstrand (In Flames, Meshuggah, Behemoth…). Aethra contient une pléthore de passages épiques qui prennent aux tripes malgré la complexité de l’exécution musicale. « Bekhten » en est l’exemple type, avec cette introduction tout en leads (qui lui confère d’ailleurs un cachet de death mélodique scandinave) avant de transiter sur un riff plombé. Nul doute qu’en live, le titre déclenchera dès les premières notes la réaction des fans les plus ardents. En réalité, le jeu de guitare sur Aethra a rarement autant lorgné du côté du heavy metal et du death mélodique. Les soli et leads d’ « A Light Unseen » forgent eux-aussi des passages mémorables qui seront sans doute plébiscités en concert. Lorsque Gorod revient à un riffing plus classique, il privilégie la grandiloquence et la lourdeur, à l’image de l’outro massive de « Wolfsmon ». Gorod ne se laisse aller à que de très rares écarts sur le plan de la composition et se rattrape par des plages d’une réelle intensité : l’enchevêtrement des mélodies de guitare d’ « Hina » se savoure sans retenue.
Aethra est un colosse. Parce que techniquement il est monstrueux et respecte ainsi la tradition musicale instaurée par Gorod. Mais surtout parce qu’il est taillé pour rester dans les têtes et préparer l’anticipation des auditeurs en concert. Oui, Aethra a beau être ancré entièrement dans le death technique, il est une collection de pseudo-singles. Chaque titre a son point d’orgue, et tout dans la musique de Gorod prend la forme d’une ascension vers ces points culminants. Impossible de se perdre dans le bouillonnement d’Aethra, tout est parfaitement balisé. Et surtout diablement accrocheur.
Lyric vidéo de la chanson « Aethra » :
Chanson « The Sentry » :
Album Aethra, sortie le 19 octobre 2018 via Overpowered Records. Disponible à l’achat ici
Clair qu’ils méritent plus de visibilité, leur précédent album était déjà énormissime. Merci pour cette chronique.