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Interview   

Gorod ne tourne pas que sur lui-même


Si durant la période de pandémie la Terre n’a pas cessé de tourner, Gorod lui s’était bien arrêté. Il a fallu attendre que les planètes s’alignent pour pouvoir concevoir un successeur au très acclamé Aethra, comprenez ici que les concerts reprennent pour que la musique vive de nouveau ! Malgré la solidité musicale et l’assurance chirurgicale des compositions du mastodonte du death français, Gorod ne se définit pas comme un groupe de studio, ce qui l’intéresse, c’est avant tout de faire zouker le public quand il est sur les planches. Preuve en est avec The Orb, cette collection de chansons qui, si elle garde une forme d’exigence dans son exécution, montre la formation sous un jour plus accessible et plus ouvert. L’album n’épargne cependant pas l’auditeur de sa violence musicale, puisqu’il se veut sans compromis quand la musique elle-même l’exige, les amateurs de brutalité de la première heure n’auront donc pas à déserter le groupe qui ne rejette pas ses fondamentaux… Au contraire même, il multiplie dans le même temps les clins d’œil au passé et le revendique.

L’ouverture et la nostalgie n’ont donc rien d’antinomique chez Gorod. Bien que la méthode n’ait pas fondamentalement été changée, nous pouvons retenir quelques explications quant à ces légères évolutions des confidences du chanteur Julien Deyres dans cet entretien, notamment sur le fait que le guitariste Mathieu Pascal ait pour la première fois délégué quelques parties de composition. Cela étant, Gorod reste, pour le meilleur et pour le pire, fidèle à ses principes avec une attitude presque punk puisqu’il a à nouveau presque tout composé dans l’urgence, malgré le contexte ! Le très sympathique vocaliste revient pour nous sur toute cette période et évoque évidemment avec nous le concept de ce nouvel opus, qui, après le symbolisme de la lune, s’intéresse naturellement au soleil…

« Techniquement, nous avions eu énormément de temps mais nous nous sommes quand même retrouvés au pied du mur [rires]. »

Radio Metal : La dernière fois que nous t’avons croisé, c’était au Lions Metal Fest. En interceptant un échange avec un spectateur, alors que tu étais bien fatigué de ta journée, tu as dit : « On ne dirait pas comme ça, mais c’est vraiment difficile. Nous bossons énormément là-dessus » ; tu parlais de l’aspect technique de Gorod. Est-ce qu’avec le temps, c’est plus facile, parce que notamment vous gagnez en technique, ou est-ce que, comme vous évoluez, au contraire, c’est de plus en plus dur, parce que vous cherchez à aller de plus en plus loin ?

Julien Deyres (chant) : Oui, le problème est que c’est un peu le style qui est comme ça, qui demande en permanence une certaine forme de rigueur. Je pense que ce qui devrait venir normalement en vieillissant, c’est faire des trucs plus simples, plus faciles, qu’on se repose un petit peu, qu’on arrête de faire un concours de vitesse, de notes les plus compliquées, de structures les plus alambiquées, et qu’on parte faire du blues. C’est vrai que nous ne sommes pas du tout partis dans cette direction-là pour l’instant. C’est en ça que je disais que ça demande forcément beaucoup de travail, déjà, personnel pour que chacun joue de son instrument correctement et, après, collectif pour [que ça marche] dans son ensemble. Nous sommes quand même dans des musiques qui vont vite et laissent assez peu de place à l’improvisation. Tout est métronomé, tout est cliqué, tout n’est pas programmé mais presque. Nous sommes aux antithèses de la musique improvisée, et tout cela exige une rigueur qui, des fois, est un petit peu éreintante mais qui fait partie du jeu. Nous l’avons voulu.

Le premier single du nouvel album remonte à un an, et nous avons cru comprendre qu’à ce moment-là, vous n’aviez pas forcément l’album dans son intégralité. Comment le processus d’écriture de ce nouvel album s’est-il inscrit dans le temps ? Est-ce que vous aviez les prémices depuis longtemps ou est-ce qu’une grande partie a été composée et finalisée à l’annonce des premiers singles ?

C’est vrai que celui-ci a été un petit peu particulier. Il a été le seul qui a subi un tel sort parce que c’est celui qui a pris le Covid-19 dans la gueule. Ça a quand même changé la donne dans bien des aspects. Ce qu’il faut savoir, c’est que de façon générale, Gorod est un groupe qui aime faire des dates, qui est là pour tourner. Nous trouvons surtout du sens dans le fait de jouer sur scène. A partir du moment où il n’y a plus le projet de partir sur la route, de se retrouver sur les planches, la motivation et l’intérêt de faire de la musique décroissent fortement et c’est ce qui nous est un petit peu arrivé. Nous avons commencé le début de la composition dans ce contexte un petit peu bizarre qu’était le confinement.

En effet, il y a un morceau, toujours présent sur l’album, qui en réalité est le plus ancien à avoir été commencé. C’est la track sept, « Waltz Of Shades ». Celle-là, nous l’avons commencée au mois d’avril, je crois, pendant le premier confinement qui était bien strict. Nous l’avons fait un peu à distance et c’est un morceau qui n’avait pas du tout été imaginé dans le sens de faire un album complet, mais déjà de tenter quelque chose de nouveau, d’envoyer un nouveau projet. Nous avions préprodé à distance. Tout fonctionne un petit peu de la même façon, parce que chez nous, nous avons un compositeur principal, Matthieu Pascal. C’est notre guitariste, mastermind de génie, qui crée toutes les compos tout seul, chez lui dans son studio d’enregistrement avec sa drum machine – il se sert d’EZdrummer, de Superior Drummer et compagnie – et en composant des riffs de guitare par-dessus. D’ailleurs, il compose toujours deux guitares harmonisées, parce que les harmonisations sont le cœur, la base même de la musique de Gorod. S’il y a bien un truc qui est absolument reconnaissable, c’est les guitares harmonisées. C’est assez rare que deux guitares fassent des choses différentes. Donc, ce processus-là a été un petit peu changé, dans le sens où ça fait assez longtemps que [Matthieu demande au reste du groupe] de participer un peu à la composition, du moins de donner des idées, y compris moi, étant également guitariste. Alors, je n’ai pas du tout le style de jeu de guitare qui peut convenir au jeu de Gorod, mais je sais quand même jouer de la guitare et je sais comment les accords fonctionnent. Je lui avais donné une grille d’accords, et Matthieu en a fait une. Par la suite, nous avons préprodé des voix à la maison mais cela avait été assez peu concluant. Lorsque nous avons fait écouter le titre à tout le monde, nous n’avons pas eu de réponse ou que dalle. Puis le morceau a été oublié et il a fallu attendre les sessions d’enregistrement qui ont eu lieu printemps-été 2022, plus de deux ans après le début de la composition, pour finir celle-là.

Nous ne nous sommes vraiment mis à travailler, en tout cas pour ma part, sur la composition qu’une fois que des vrais concerts étaient annoncés. Autant te dire que 2020-2021 étaient un peu le néant total au niveau de l’élaboration de l’album. Il a été étalé dans le temps, mais avec une grande période de creux, et surtout, au départ, dans le souhait de ne même pas sortir un album, mais de faire d’abord des singles et si la situation se libère, de peut-être penser à faire un album. En tout cas, faire un album n’était pas le projet initial.

Vous avez dû vous mettre la pression, quand même, pour faire cet album-là. Vous avez dû vous mettre des impératifs pour vous motiver…

C’est ça qui est génial. Techniquement, nous avions eu énormément de temps mais nous nous sommes quand même retrouvés au pied du mur [rires]. Il y a forcément eu une histoire de procrastination extraordinaire qui peut expliquer cela. C’est vrai que Mathieu a commencé à sortir des compos en nombre, il y avait déjà des choses qui sortaient en 2021, mais vu que tous les concerts, toutes les prédictions, tout ce que nous prévoyions s’annulait, personnellement, je n’avais même plus envie, je n’y faisais même plus gaffe. Je n’étais presque pas inspiré pour écrire. Je voyais juste du néant, donc je faisais un peu d’autres choses. La musique m’intéressait moins, parce que nous ne sommes vraiment pas un groupe de studio. Je ne suis clairement pas un musicien de studio. Faire seulement des albums en studio ne me passionne pas outre mesure. C’est un passage un petit peu obligé pour pouvoir tourner, mais s’il n’y a pas le but de tourner, que dalle.

« Nous nous retrouvons entre nous, et comme nous nous connaissons dans notre vie intime, nous faisons la fête ensemble, nous partageons des choses tristes, des choses joyeuses, des choses fraternelles. Sur scène, nous retranscrivons tout ça naturellement sans avoir besoin d’artifices. »

C’est ce qui explique que nous n’étions pas dans l’urgence extrême, mais à la fin, il a quand même fallu se mettre un petit coup de pied au cul. En termes d’extrémité, il y a eu ce morceau qui démarre d’une idée d’avril 2020 et un autre morceau qui a été créé la veille du dernier jour des prises définitives de batterie. C’est-à-dire qu’à la fin des prises de batterie, Karol [Diers] est allé tellement vite qu’il lui restait un jour complet. Au départ, il n’y avait que huit titres sur l’album. Il lui restait un jour de libre et il était là : « Qu’est-ce qu’on pourrait faire ? » Matthieu lui a répondu : « Attends, j’ai encore des riffs qui traînent. Bon, vous me donnez la nuit et je vais voir si je peux faire des compos. » Dans la nuit, il nous torche une compo. Le lendemain, vers quatorze heures, je reçois un message de Karol qui envoie le fameux tableau qu’on connaît tous quand on enregistre en studio où on remplit des cases. Prises de chant : terminées ; Prises guitare : terminées. Il coche la case « prises de batterie » de ce nouveau morceau qui n’existait pas : « Bon, ça y est, moi c’est fait ! » En fait, en seulement une nuit, un morceau entier a été composé et les prises de batterie étaient faites. En termes d’urgence, je crois que nous avons battu tous les records. Il y a également ça qui est représenté dans cet album.

Tu as cette urgence et le côté un peu blues de ce que tu évoquais tout à l’heure, lié au confinement et au manque d’inspiration à ce moment-là. Pourtant, cet album a un son assez coloré. Vous avez toujours eu un son assez coloré dans Gorod, mais là, on a l’impression qu’il y a un côté très chaleureux voire fun. C’était votre intention ? Est-ce que tu te rends compte de ça avec The Orb par rapport à ces prédécesseurs ?

Il y a un peu de tout en fait. Je suis assez d’accord. Enfin, oui et non. Justement, je savais plus ou moins dans quelle direction je partais pour cet album-là, étant donné que le précédent, au niveau du thème lyrique, des textes, c’était axé sur le symbolisme de la lune. Donc, si tout était sur la lune, j’allais forcément bosser sur le soleil pour la suite. C’était déjà plus ou moins acté, mais je n’avais rien de prédéfini, parce que pour ma part, c’est toujours la musique qui va définir le texte. J’ai vraiment besoin d’avoir la compo musicale étant donné que je ne suis pas chanteur-parolier à proprement parler, je suis vraiment le guitariste-compositeur au départ. Chez moi, ce que j’aime faire, c’est prendre ma guitare et composer. La voix est quelque chose qui va se coller par-derrière. C’est donc la couleur musicale qui va définir si c’est lumineux, si c’est triste ou joyeux. Le premier morceau que nous avons fait est « Waltz Of Shades » qui est tout simplement le morceau le plus dark que nous ayons jamais fait. Donc ça démarrait mal en termes de soleil ! [Rires]

De toute façon, il y a toujours un côté un peu lumineux dans la musique de Gorod. Ça vient de Matthieu qui, il faut le savoir, est un musicien qui écoute tout type de musique sauf du metal. Il écoute tout ce qui est jazz, beaucoup de musique des années 70, dont du rock psychédélique, des trucs compliqués style King Crimson, Chick Corea fait partie de ses grands maîtres à penser – il y a plusieurs références dans notre musique –, Dave Brubeck, et c’est aussi un guitariste de funk. Il a toujours eu un groupe de funk à côté et c’est vraiment son style guitaristique à lui, il fait de la cocotte, donc ce côté un peu festif, un peu sautillant et un peu joyeux, ce style de groove, ça rayonne forcément dans notre musique, parce que c’est dans son esthétique de jeu. Qui plus est, en termes d’harmonie, si tu analyses la musique de Gorod, c’est souvent des tierces, des quintes, des septièmes à la rigueur, mais tu n’auras jamais de sixte, tu n’as pas de seconde. Les accords sus2, pour lui, sont une catastrophe. Justement, « Waltz Of Shades », lorsque je la lui ai envoyée, je ne lui ai mis que des accords sus2 et il était là : « Quelle horreur, j’ai l’impression que l’accord n’est pas fini ! » [rires]. C’est quelqu’un qui aime bien les résolutions, qui a une façon « juste » de voir la musique et moi j’aime bien quand c’est dégueulasse. Nous avons un peu croisé nos effluves, mais le caractère lumineux va toujours reprendre le dessus parce que ça reste Matthieu qui mène la composition. Nous nous influençons toujours un peu les uns les autres, mais techniquement, cela reste ce qui sort de la tête de Matthieu que vous entendez.

On peut mettre ce côté fun en parallèle avec vos performances scéniques. Vous avez vraiment un côté très « good vibes » sur scène, vous êtes marrants à voir et vous ressemblez plus à un groupe de stoners psychédéliques qu’à un groupe de death tech. Cela fait clairement partie de votre identité ?

C’est quelque chose qui n’est pas du tout planifié. Ça s’est fait assez naturellement. Une des particularités que l’on peut avoir, je pense, mais qui est loin d’être unique, en plus du fait d’être aux antipodes d’un groupe de studio – c’est-à-dire qui prend vraiment du plaisir à geeker à la maison, à tricoter les choses –, est que ce qu’on aime c’est le live, le contact avec les gens, la relation humaine, la vraie vie, le côté direct. Nous sommes une belle bande d’amis, c’est-à-dire que nous nous voyons en dehors de la scène pour faire des soirées et discuter. En plus, nous sommes tous à des distances plus ou moins importantes. Je suis celui qui est le plus loin ; je suis à deux cent cinquante bornes de Bordeaux. Tout le monde est plus ou moins dans la grande région bordelaise. Nous prenons plaisir à juste nous voir le weekend. Parfois, c’est pour répéter, et parfois la répète est juste une excuse, puis finalement, nous ne répétons même pas. Nous nous retrouvons entre nous, et comme nous nous connaissons dans notre vie intime, nous faisons la fête ensemble, nous partageons des choses tristes, des choses joyeuses, des choses fraternelles.

« Nous avons convenu qu’il était également bien de refaire des allusions au passé et à l’ensemble de la discographie du groupe. Il y a clairement une volonté avec cet album de faire une synthèse de tout ce qui a été fait jusqu’à présent. »

Sur scène, nous retranscrivons tout ça naturellement sans avoir besoin d’artifices. C’est-à-dire qu’une fois que nous sommes sur scène, nous sommes vraiment nous-même, nous nous laissons totalement aller, le lâcher prise intervient. Ce caractère festif est propre à notre personnalité parce que nous ne sommes pas des gens sombres qui font des cérémonies et des messes noires tous les dimanches, des gens austères qui révisent leurs partitions pour jouer à la perfection. C’est sûr, nous travaillons nos instruments, mais ce n’est pas le travail juste pour le travail qui est intéressant. Ce qui compte pour nous, c’est de pouvoir le partager. Il s’agit de le faire avec un peu d’humanité que de rester derrière son ordi, derrière sa feuille. Ça se fait un peu avec le sourire, avec le contact – le sourire ou les pleurs, peu importe. C’est cette forme de vérisme qui est caractéristique parce que nous n’avons pas besoin de nous forcer. Il suffit juste que nous soyons nous-mêmes et tout se fait naturellement. Pourquoi se forcer ? Je pense qu’à ce niveau-là, nous ne pourrons plus faire marche arrière.

Vous avez parlé de nouvelles expériences pour The Orb. D’un autre côté, on a l’impression qu’il y a aussi des petits clins d’œil au passé. Il y a des commentaires au sujet de « We Are The Sun Gods » qui disaient qu’il y avait des échos de Process Of A New Decline de 2009. Personnellement, je trouve que parfois, vous allez piocher dans les bizarreries de Transcendance et qu’il y a toujours un petit peu le groove d’Æthra. Finalement, est-ce que tu dirais que, même s’il propose des nouveautés, The Orb est un album qui regarde aussi derrière lui, dans le passé de Gorod dans son ensemble ?

Complètement. C’est complètement voulu et c’est totalement volontaire. C’est-à-dire que nous avons eu moult discussions concernant la direction de la composition et le style que nous allons emprunter par la suite. Bien entendu, c’est difficile de se trahir et de complètement se transformer, mais à chaque album, nous avons la volonté de présenter quelque chose de nouveau, de proposer quelque chose que nous n’avons jamais fait. Dans celui-là, nous étions d’accord pour apporter un côté plus accessible. C’est-à-dire sortir de la pure niche tech death dans laquelle nous nous trouvons – je ne vais pas dire enfermés, mais nous faisons partie de cette scène-là – sans pour autant trop la renier. Pour ma part en tout cas, c’est important de chercher de nouvelles idées, d’aller voir un petit peu ailleurs, de sortir de sa zone de confort sans pour autant se trahir. Nous avons convenu qu’il était également bien de refaire des allusions au passé et à l’ensemble de la discographie du groupe. Il y a clairement une volonté avec cet album de faire une synthèse de tout ce qui a été fait jusqu’à présent.

Si tu prends les titres de travail des deux premiers morceaux de l’album, « Chrematheism » et « We Are the Sun Gods »… Car avant qu’ils aient les titres que vous connaissez, ils ont des noms à la con qui sortent quand Mathieu vient de finir une composition. Le premier s’appelait « Here God You Die », en référence à la première chanson de l’album Leading Vision qui s’appelle « Here Die Your Gods ». C’est une sorte de jeu parce que pour lui, il a fait une sorte de morceau bis. Littéralement, il a fait en pleine conscience du fait un morceau qui ressemble à celui-là, qui est dans cette vibe-là. « We Are the Sun Gods » s’appelait « Disavow », comme « Disavow Your God ». C’était une sorte de morceau bis mais avec une touche en plus. En effet, pour les deux premiers titres, il y a une dédicace volontaire au deuxième et troisième album du groupe. Dans les autres, on a des choses plus vieilles et d’autres plus récent. Donc, il y a, à la fois, une volonté d’expérimenter, de tenter des choses nouvelles comme cela avait été fait avec le titre « The Orb », qui est un titre différent de ce que nous avons fait jusqu’à présent. Il n’y a pas un seul blast, et il n’y a pas beaucoup de morceau sans un seul blast dans Gorod, il faut quand même le dire. Et à la fois, dans les autres titres, il y a des références au passé et aux périodes plus récentes. Il y a clairement une volonté de synthétiser tout ce que nous avons fait jusqu’à présent.

Pour annoncer cet album, vous avez dit : « Du plus spontané au plus abouti, nous avons rassemblé le matériel le plus accessible, le plus extrême possible. ». Le rendu plus accessible est assez flagrant sur l’écoute de l’album. C’est encore plus fluide pour l’auditeur qu’Æthra qui gravissait déjà un échelon en ce sens. Selon toi, en quoi avez-vous injecter des choses qui le rendent justement plus extrême ?

Il y a un morceau, nous étions tous d’accord quand il a été fait, qui est le plus brutal de toute la discographie. C’est l’avant-dernière, « Scale Of Sorrows », où il n’y a quasiment que du blast et rien d’autre. Ça va à fond les ballons, c’est à 250 bpm à la noire en permanence. Pour la batterie, c’est un concours de vitesse. Il n’y a quasiment aucun groove dans le morceau. Au niveau du chant, il n’y a aucune pause. C’est à fond. Nous n’avons pratiquement jamais eu de morceau avec aussi peu de respiration. Nous sommes allés au maximum de ce que nous pouvions en termes d’extrême. Même sur le morceau « Breeding Silence », bien qu’il ait une fin un petit peu épique, les parties qui bourrent bourrent vraiment et elles sont particulièrement physique à jouer. Nous avons vraiment fait une synthèse de ce que nous pouvions faire de plus extrême en termes de death tech – en tout cas, par rapport à nous-mêmes, parce que nous ne sommes pas dans un concours de vitesse avec d’autres groupes, les générations plus récentes nous ont très largement outrepassées à tous les niveaux. Nous avons poussé un petit peu dans les extrêmes, nous avons exagéré un peu plus les contrastes, et nous avons axés sur la rapidité et la technicité, et en même temps sur la simplicité. Au niveau des structure, nous n’avons jamais fait de morceaux autant couplet/refrain. C’est vrai que c’est ce que l’on retrouve sur Æthra, parce que quasiment tous les morceaux ont des couplets et des refrains assez distincts. C’est le cas sur cet album-là. Nous voulions faire quelque chose de plus accessible mais en même temps, lorsque c’est violent, sans concession, ça l’est pour de vrai. C’est ce qui a volontairement été fait. Est-ce que c’est réussi, ce n’est pas forcément à nous de le dire mais en termes de ressenti à termes, c’était le cas. Je sais en tout cas que lorsque nous l’avons faite, « Scale Of Sorrows », nous nous sommes nous-mêmes surpris en nous disant que ce n’était pas nous [petits rires]

« Quand il fait jour, on voit le monde tel qu’il est – juste notre petit monde, notre petite sphère – alors qu’en levant les yeux au ciel, on ne voit pas grand-chose mais on se rend compte de l’immensité qui nous entoure. La nuit on voit cette purée d’étoiles et on ne se sent rien du tout, ça force à une certaine humilité. »

Même si tu disais que tu t’étais tourné vers le soleil, on sent peut-être cet album-là un peu moins comme un album concept. On sent bien que les anciens albums de Gorod ont un fil conducteur, une sorte de colonne vertébrale. Là, ça fait pas mal collection de chansons. Est-ce lié au fait que vous vouliez avoir un album complètement taillé pour le live ? Le vois-tu comme une collection de chansons plutôt que comme un album conceptuel ?

C’est vrai que cela pourrait être vu de la sorte mais quand nous avons réalisé la composition, finalement, quatre-vingts pour cent de l’album a été fait au même moment. Il n’y a pas eu de grands espaces de temps. Les singles ont été étalés parce que les morceaux étaient déjà prêts, mais tout était plus ou moins composé en 2021. Le seul qui n’existait pas encore était la première chanson, « Chrematheism », c’est celle qui a été composée la veille du dernier jour des prises batterie. C’est la seule dans ce cas-là, mais si toutes les autres peuvent avoir un air un peu moins concept ou cohérent, c’est parce que nous avions vraiment une volonté de faire quelque chose de plus varié, d’élargir et d’expérimenter. Lorsqu’on cherche à expérimenter, on pousse un peu plus le bouchon sur certains aspects que d’autres. Certains morceaux ont aussi bénéficié d’un peu plus de préproduction que dans l’album précédent. Il y en a plusieurs qui n’étaient pas à leur rendu final, tels qu’ils sont présentés sur la version finale. De même, c’est le premier album où j’ai participé à la composition. Par exemple, pour « Waltz Of Shades », comme je disais, ce sont des idées d’accords que j’avais données à Matthieu et il a composé par rapport à cela. C’est quelque chose qu’il a adapté à son goût. Si tu prends le premier single « Victory », le premier riff en est un que j’ai composé, donc ce n’est pas un riff de Matthieu. Il a complètement réadapté, parce que si tu entendais les versions que j’ai données à Matthieu, cela n’a rien à voir. Il a repris les mêmes notes, il a refait complètement sa cuisine, le tapping, les quantifications, les mesures, mais ce n’est pas sorti à cent pour cent de la tête de Matthieu. Il y a un peu plus d’éléments extérieurs. C’est peut-être cela qui change, qui fait un peu bizarre et qui donne ce côté un peu moins cohérent que sur d’autres albums, mais c’est ce que nous voulions. Le concept est relié sur l’aspect solaire. Les textes sont très triviaux, directs et moins spirituels que les précédents. On est beaucoup plus ancrés dans une réalité immédiate qui tranche beaucoup avec ce que nous avons fait jusqu’à présent.

Tu disais qu’après Æthra qui évoquait la lune, il était logique de partir sur le soleil avec The Orb. La dernière fois, tu disais que tu avais une phase astronomie lorsque tu étais petit, qui t’aidait à retomber sur terre. Visiblement, tu n’as pas vraiment quitté cette phase. Est-ce qu’évoquer cette thématique de l’astronomie est une façon d’affronter la peur de cet infiniment grand qui nous rend infiniment petits ? Est-ce que cela te permet de rationaliser l’espace quelque part ?

Oui. Pour le coup, c’est vraiment le caractère rationnel qui intervient. Parce qu’avec Æthra, on est surtout dans l’évasion, ce qui colle complètement avec les différents mythes lunaires. La lune est un astre qu’on peut observer pendant des heures sans se cramer les yeux ; avec le soleil, ce n’est pas possible. Une fois que le soleil brille, on voit tout ce qu’il y a autour de soi et les mythes disparaissent, parce que beaucoup de mythes viennent d’histoires obscures, d’une phase où on a les sens brouillés. Il faut reconnaître que depuis l’arrivage de l’éclairage public dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, quand le bec de gaz commence à se diffuser dans les rues des grandes villes et quand l’électricité est arrivée, bizarrement, beaucoup de mythes ont disparu, ou en tout cas des mythes nocturnes, parce que nous avons pu les mettre au jour et les rationaliser. Quand il fait jour, on voit le monde tel qu’il est – juste notre petit monde, notre petite sphère – alors qu’en levant les yeux au ciel, on ne voit pas grand-chose mais on se rend compte de l’immensité qui nous entoure. La nuit on voit cette purée d’étoiles et on ne se sent rien du tout, ça force à une certaine humilité. C’est un petit peu ce jeu, cette ambivalence que je voulais évoquer. Là, la notion d’hubris est clairement étudiée, poncée pour ce dernier album. Le but est d’en finir avec cette arrogance, cet enfer pavé de bonnes intentions. Après, il n’y a pas qu’une seule interprétation et il y a du positif. C’est pourquoi dans tous mes textes, il y a des variations, c’est protéiforme en termes d’images, en laissant une part à l’interprétation. La musique explore plusieurs temps, des temps agressifs, des temps plus joyeux. Ce n’est pas une musique monotone, il y a beaucoup de variations pour ce style, et je trouve que c’est important que [les textes] suivent un petit peu cela.

Tu disais qu’il y avait un côté un peu plus frontal, et pour rester sur le côté thématique, au sujet de « We Are The Sun Gods », tu as déclaré que, finalement, les hommes se prennent pour les dieux du soleil. C’est une manière de remettre en question les plus grandes instances de pouvoir, que ce soit la politique ou la religion, face à cette découverte de l’infiniment grand et du fait qu’on soit infiniment petits. Il s’agit de remettre en question la légitimité du pouvoir face à tout cela. Est-ce ainsi que tu le perçois ?

Il y a plein de façons de le percevoir. C’est justement fait exprès. J’ai laissé plein de portes entrouvertes et puis à chacun de s’en accommoder. Ce qui revient de toute façon, c’est que le maître à penser pour lequel j’ai suivi la ligne directrice dans cet album reste Aldous Huxley. Ces dernières années, George Orwell a beaucoup eu le vent en poupe – entre La Ferme Des Animaux, 1984 et j’en passe –, beaucoup d’écrits ont refait surface au sein d’idéologies plus ou moins fumeuses, et il est vrai qu’on parle un petit peu moins d’Huxley en général. Pourtant, il est célèbre avec Le Meilleur Des Mondes, mais ce qui est beaucoup moins connu dans son œuvre, ce sont ses essais philosophiques. Ce sont des choses que je lis depuis que je suis au lycée. J’ai toujours aimé sa vision des choses, que je trouve un peu différente de celle d’Orwell. Il est un peu moins trivial dans sa façon de voir les choses. Il va un peu plus loin dans la spiritualité et dans le rôle que peut avoir l’environnement dans lequel on évolue. Il traite justement très fortement des différents principes de petites idolâtries, c’est-à-dire d’idolâtries spirituelle, morale et technologique. Que ce soit dans « We Are The Sun Gods » ou dans « Chrematheism », c’est un petit peu le même sujet, c’est le fait d’élever au rang d’idoles, de déifier des objets que l’on aurait conçus nous-mêmes, qui seraient des sortes d’icônes. Si on étend ça à la technologie, on peut le voir comme nos téléphones qui nous ont littéralement asservis et auxquels on voue un culte sans faille. S’il n’y a plus d’électricité, qu’est-ce qu’on va faire ? Qu’est-ce qu’on va devenir ? Cela prouve à quel point cet outil de communication, qui permet de s’affranchir des rivières, des reliefs, de la géographie qui nous sépare, a une place importante. Grâce à cette hubris technologique, on peut communiquer aux quatre coins de la planète. Forcément, on peut ressentir une espèce de toute-puissance par rapport à cela, mais si on nous l’enlève, qu’est-ce qu’il nous reste ? C’est toujours un peu ce questionnement, cette forme d’humilité, et de montrer à quel point l’idolâtrie technologique est extraordinairement ingénue. Et pour cela, je reste beaucoup dans les pensées d’Aldous Huxley.

Vous avez choisi un artwork plutôt sobre cette fois-ci, contrairement à ce qu’on a pu voir passer sur vos albums. Pourquoi avoir fait ce choix ?

C’est bien de changer de visuel régulièrement. Karol, notre batteur, qui est très versé dans tout ce qui est électro, futuriste et compagnie, et qui connaissait déjà les travaux de Jérôme Charbonnier, nous a montré ce qu’il faisait. Nous avons trouvé ça génial. En plus, c’était quelqu’un du coin. L’intégralité de cet album a été fait uniquement dans une localité très réduite. C’est-à-dire que c’est Matthieu qui a enregistré l’album. C’est notre ingé son live qui a fait le mixage. Le mastering a été fait dans un studio à Bordeaux. Jérôme est un artiste bordelais qui est installé dans le coin et qui, en plus, a fait des trucs modernes qui collaient très bien avec l’idéologie et les thèmes abordés. Et celui qui a fait les séances de photographies, c’est tout simplement le photographe avec qui Jérôme partage son atelier. C’est un cercle ultra-fermé et nous avons voulu chercher une forme de cohérence totale au niveau des intervenants. Nous aimons bien la variation, ne pas rester dans l’immobilisme, qu’il y ait un petit peu de fraîcheur. Je trouve que Jérôme a très bien effectué son travail.

Interview réalisée par téléphone le 2 mars 2023 par Jean-Florian Garel & Clément Demarquet.
Retranscription : Julie Dubreuil.
Photos : Pierre Wetzel (2, 4, 5).

Facebook officiel de Gorod: www.facebook.com/GorodOfficial

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