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Interview   

Grave Pleasures surfe l’Apocalypse


En à peine cinq ans de carrière, Grave Pleasures, connu précédemment sous le nom de Beastmilk, a eu une histoire pour le moins agitée : débuts tonitruants, changements de line-up, reconfiguration quasi complète, nouvelle identité, deuxième album en demi-teintes… Le groupe, qui chante la destruction et la résurrection sur fond de mélodies death rock endiablées, semble ne pas hésiter à mettre la théorie en pratique, réconciliant pour de bon les blackeux et les adeptes des sonorités 80s, quelque part entre la reprise de A Forest de The Cure par Carpathian Forest et Perturbator. Avec Motherblood, l’enjeu est crucial : il s’agit de consolider le groupe dans sa nouvelle incarnation, et pour Mat McNerney, sa tête pensante, d’exprimer avec plus de clarté que jamais sa vision du monde.

C’est à l’occasion de la sortie de cet album placé sous le patronage de la redoutable Kali que nous avons discuté de tout cela avec le musicien. Artiste prolifique à l’œuvre protéiforme mais au propos remarquablement cohérent, il nous explique le concept derrière les mélodies redoutablement accrocheuses de Motherblood, nous parle des périodes houleuses de Grave Pleasures, remet ce projet en perspective du reste de sa carrière, et nous offre sa vision de la musique en général, du live, et de la sienne en particulier. Un entretien éclairant avec un artiste fasciné par nos parts d’ombre.

« Motherblood représente le fait que notre heure est presque venue, mais aussi la Mère que nous sommes en train de dévorer. Nous en faisons le sacrifice. »

Radio Metal : La soirée de lancement de Motherblood va avoir lieu demain et le disque va sortir dans quelques jours. Comment te sens-tu ? Qu’est-ce que tu penses des premiers retours ?

Mat « Kvohst » McNerney (chant) : Ils sont super ! En ce qui nous concerne, nous sommes très contents de l’album. Tout se passe bien au sein du groupe. Quand les premiers retours positifs ont commencé à arriver, ça a été génial. Nous nous doutions bien que nous étions sur la bonne voie et que l’album était très bon, mais on ne peut jamais savoir comment les gens vont y réagir avant qu’il ne sorte. Pour le moment, c’est très positif.

Ces dernières années ont été assez agitées pour Grave Pleasures : il y a eu beaucoup de changements parmi le line-up du groupe, l’un des membres fondateurs est parti, votre nom a changé, et votre dernier album, Dreamcrash, a reçu un accueil mitigé. Comment est-ce que ça vous a affecté en tant qu’artistes ?

Ça a été une période un peu compliquée, mais Dreamcrash était vraiment l’album que nous voulions faire à ce moment-là. En effet, il a divisé les fans, mais nous nous doutions que ce serait le cas de toute façon. Nous avons pris la décision de faire l’album d’une certaine manière, de la manière dont nous voulions qu’il sonne et soit. En faisant ce genre de choix, tu sais que tu vas susciter ce genre de réaction. D’un côté, c’était notre premier album en tant que Grave Pleasures, d’un autre, c’était la continuation de Beastmilk… C’était inévitable. Et puis Dreamcrash a posé les bases pour ce nouvel album, il a rendu Motherblood possible. Parfois en tant qu’artiste tu as besoin de ça, il faut que tu te purges d’un besoin, et c’était notre cas à l’époque. C’était un moment très difficile pour nous, Beastmilk s’était séparé, les groupes des nouveaux membres venaient de splitter aussi, l’ambiance était un peu lugubre. Maintenant, notre line-up est très solide et nous en sommes tous très heureux, c’est un véritable regain d’inspiration. Ça s’entend dans le son de Motherblood je pense, il est plus positif, plus confiant… Les thèmes sont toujours sombres, mais le son a quelque chose de positif, il est à nouveau bien plus énervé.

Il semblerait que le consensus autour de ces premiers titres de Motherblood, c’est : « Beastmilk est de retour. » Est-ce que ça a été une intention délibérée de votre part ?

C’est sans doute dû au fait que nous sommes retournés à pas mal des sources d’inspiration que nous avions à l’époque de Beastmilk. Lorsque la période Dreamcrash s’est terminée, le groupe a perdu quelques membres, Uno [Bruniusson, batterie] et Linnéa [Olsson, guitare] sont partis, et j’ai traversé une longue période d’introspection où je me suis demandé ce que ce groupe symbolisait pour moi, et ce qu’il devait être comme groupe. D’une certaine manière, il s’agissait de revenir à ses fondements en termes d’inspiration. Le line-up est à nouveau intégralement finlandais, et je crois que les musiciens finlandais sont très inspirés par la scène post-punk des années 80 qu’il y a eu ici. Consciemment ou non, c’est une source d’inspiration très présente, parce que ces groupes des années 80 ont influencé quantités de groupes actuels, donc même en puisant son inspiration parmi des groupes contemporains, c’est toujours cette influence années 80 qui se transmet. C’est vraiment dans l’ADN du groupe, qui je pense est vraiment un groupe finlandais avec un chanteur britannique. C’est ce qui lui donne son son particulier, cette espèce de choc entre des sonorités différentes. C’était un peu bizarre avec le line-up précédent, certains membres du groupe étaient Suédois et vivaient à Berlin, et je crois que ce feeling ne collait pas vraiment avec Grave Pleasures, en fait, le résultat n’a pas été des plus heureux. Maintenant, nous puisons tous notre inspiration à la même source à nouveau, et c’est sans doute ça qui fait penser à Beastmilk.

Le clip d’ « Infatuation Overkill » est l’une des premières choses que l’on a entendu de cet album je crois, et ça ressemble pas mal à une sorte de bande-annonce qui présenterait toutes les obsessions du groupe. Est-ce que c’est comme ça que vous l’avez conçue ?

Oui, nous voulions vraiment arriver avec une sorte de manifeste très fort. C’est ce qu’est cet album aussi : il a été intitulé Motherblood pour une raison, parce qu’il retourne vraiment à ce qui fait notre essence, à notre naissance, à nos racines en tant que groupe. Je pense que c’est un nouveau départ pour Grave Pleasures plus qu’un premier album, mais c’est aussi la définition du groupe, en quelque sorte. C’est pour cela que nous avons vraiment voulu que la vidéo soit très forte, que ce soit un enchaînement de thèmes qui symbolisent l’essence du groupe : la dualité entre la vie et l’obscurité, entre la mort et la renaissance.

Il me semble que la dimension visuelle a toujours été importante pour Beastmilk comme pour Grave Pleasures – et comme dans tous tes projets, en fait –, du visuel pour White Stains à la pochette de Motherblood. Est-ce que tu envisages les deux dimensions, la musique et les visuels, comme un tout ?

Parfois, ces deux dimensions émergent en même temps, parfois ce n’est pas le cas. Je ne pense pas qu’elles soient toujours combinées, mais parfois, tu en as une intuition très forte et tu sais exactement ce que tu veux. Je crois qu’au tout début, quand j’ai commencé à réfléchir au concept de Motherblood qui allait accompagner la musique que nous écrivions, j’avais déjà cette image de Kali en tête. J’ai toujours des images en tête quand je travaille, mais je n’ai pas toujours envie d’être la personne qui conçoit les visuels parce que si c’est très bien d’être au plus près de tes propres idées, les chansons doivent avant tout être universelles, et donc être ouvertes à toutes les interprétations. C’est pour cela que pour notre dernier clip, « Joy Through Death », c’est vraiment le réalisateur qui a choisi la direction que nous prendrions et son interprétation de la chanson. C’est très intéressant quand d’autres personnes s’approprient ton travail et en proposent leur propre interprétation. La dimension visuelle est très importante dans ce que nous faisons, clairement, mais tout n’est pas nécessairement conçu en même temps.

« En tant qu’artiste, tu es toujours à la recherche de ce que tu essaies de dire et d’où tu veux aller […]. J’ai vraiment l’impression d’avoir une histoire à raconter avec ce projet, et que je ne l’ai pas encore assez bien racontée, que j’ai encore des choses à en dire. »

Comme tu le disais, sur la pochette de Motherblood, c’est Kali que l’on peut voir, la déesse de la mort et de la renaissance dans l’hindouisme pour le dire vite. De manière un peu surprenante, c’est un symbole que l’on croise chez certains groupes de black metal comme Cult Of Fire, Impaled Nazarene et évidemment Dissection. Dans le cas de Grave Pleasures, pourquoi l’avez-vous choisie ?

Kali est un symbole religieux très fort. Ce que je voulais représenter, c’est notre situation actuelle dans le monde en tant qu’espèce, la manière dont nous sommes en train de détruire l’ordre naturel des choses. Motherblood représente le fait que notre heure est presque venue, mais aussi la Mère que nous sommes en train de dévorer. Nous en faisons le sacrifice. Dans les religions anciennes, la Mère symbolise souvent le sacrifice, et ses enfants finissent par manger sa chair ou boire son sang. C’est ce qui a été transposé de nos jours dans le sacrement de l’Eucharistie chez les Catholiques, où la Mère a été remplacée par une figure masculine, Jésus. Mais Jésus a été utilisé sur des millions de pochettes d’album, et je trouve qu’à l’inverse, Kali est un symbole religieux vraiment sous-estimé et sous-exploité. Elle symbolise aussi l’idée d’une religion qui tournerait autour de la peur du nucléaire. Il y a un documentaire qui parle justement de ce que nous allons faire des déchets nucléaires, et de la manière dont nous allons devoir nous y prendre pour signaler aux générations futures le danger qu’ils représentent. L’idée, c’est qu’il faudrait sans doute créer une religion autour de tout ça pour empêcher les gens de s’approcher de ces déchets très dangereux. C’est intéressant, parce que si on pense aux hiéroglyphes de l’Égypte antique que l’on trouve sur les anciennes tombes par exemple, même si nous les comprenons et si nous voyons qu’ils signalent qu’il ne faut pas entrer dans ces tombes, les gens y sont allés quand même. La durée pendant laquelle les déchets nucléaires représenteront un danger pour l’humanité est à peu près du même ordre. On voit bien que les langages ne suffisent pas, ils ne durent pas assez longtemps, il faut penser en terme de symboles. Je pense que Kali ferait un bon symbole pour ça, pour la manière dont l’humanité a créé cette mort éternelle. Nous avons créé notre propre forme de Kali. D’une certaine manière, c’est nous, Kali, nous représentons le chaos et la destruction de l’univers.

Ce thème de l’angoisse autour du nucléaire est très important dans votre musique, et là où on aurait pu s’imaginer que ça fait partie de votre esthétique death rock année 80 qui rappelle l’époque de la Guerre Froide etc., l’actualité de ces derniers mois en fait un thème extrêmement contemporain ! Qu’est-ce que tu en penses ?

C’est le cas depuis un moment en réalité, il se trouve seulement que les journalistes en parlent plus en ce moment comme on a désormais ce leader très controversé à la tête des États-Unis et qu’en face il y a un leader en Corée du Nord qui lui aussi envenime les choses politiquement… Les infos en parlent énormément, mais en regardant les choses dans le détail et en étant un peu sensible à ces questions, on pouvait le voir venir à des kilomètres. C’est évidemment une coïncidence que tout ça se produise au moment de la sortie de Motherblood, mais ça aurait pu être le cas à n’importe quel autre moment, parce que c’est ça, c’est l’état actuel du monde. À mes yeux, le disque est moins un parti-pris politique qu’une description de la manière dont nous nous considérons en tant qu’espèce : nous ne nous envisageons pas de manière scientifique du tout, nous avons tendance à nous abstraire de notre environnement, nous pensons que nous sommes spéciaux, que nous sommes différents. Je pense que nous devrions nous regarder, nous et ce que nous représentons, bien en face – et nous représentons un paquet de mauvaises choses. Nous n’aimons pas être confronté à ça en tant qu’espèce, nous n’aimons pas être confronté au fait que nous sommes autant mort que création.

J’imagine que c’est aussi pour ça que vous avez choisi Kali ? Les religions et les spiritualités orientales ont tendance à être moins dualistes, et à la fois le bien et le mal sont alliés dans Kali, qui représente autant la mort que la renaissance…

Exactement ! Elle est magnifiquement belle, et en même temps, c’est une figure absolument terrifiante. Je voulais vraiment qu’elle fixe le spectateur pour qu’ils puissent se regarder dans les yeux. C’est une figure qui a un côté méduséen, et je crois qu’en elle nous voyons ce que nous sommes. Kali, c’est le miroir de l’univers. Je pense que c’est comme ça que nous devrions nous voir : comme une force très destructrice, mais qui en même temps procréé, se reproduit, et se multiplie en tant qu’espèce. Je crois que les gens n’ont pas très envie de voir la part sombre de l’humanité, mais nous aimons mettre ça dans notre musique parce que c’est très libérateur, et parce qu’après tout, c’est de ça que sont censés parler le death rock et le rock’n’roll. Ça doit parler de mort et de destruction.

À ce propos, je me demandais comment tu en étais arrivé à jouer ce genre de musique. Auparavant, tu étais surtout connu pour ton implication dans des groupes de black metal comme Code et Dødheimsgard…

J’ai toujours écouté des styles musicaux très variés, j’ai toujours été un fondu de musique, et je n’ai jamais été puriste d’un genre en particulier. Même si j’ai été très impliqué dans la scène black et notamment en lien avec la scène black norvégienne, j’ai toujours été une sorte d’outsider. Quand j’ai déménagé en Finlande après avoir quitté Dødheimsgard, en réaction j’ai voulu faire quelque chose de complètement différent. Ça a été une décision délibérée d’aller dans une direction complètement différente. Je voulais remettre au goût du jour plein de trucs que j’écoutais beaucoup à l’époque (et que j’écoute toujours), et exploiter plus de facettes de mes goûts musicaux dans ma musique, et pas seulement le black metal. Le black metal, surtout à l’époque, si tu voulais le faire bien, il fallait le faire comme il faut, et je crois que ça me bridait un peu trop sur le plan créatif pour que je continue à m’y investir. Il m’a semblé que j’avais fait le tour de ce que ça pouvait m’apporter.

Et peut-être que le death rock et le rock gothique ont finalement eu ce même rôle que le black metal consistant à nous confronter à cette part sombre de l’humanité que nous ne voulons pas voir, non ?

Oui, je pense que c’était une dualité et ça se retrouve complètement dans la musique ; pour moi, c’est la meilleure manière de l’exprimer. Je suis une personne assez sombre à la base donc une grande partie de nos paroles sont assez extrêmes, mais la musique peint une image complètement différente. C’est vraiment ça que je veux, je veux présenter une vision plus large de la vie et de la mort. J’aime l’idée que notre musique puisse fonctionner à plusieurs niveaux, et je crois que c’est le problème du black metal à vrai dire : c’est un style qui, je trouve, a moins de dimensions différentes que ce que je fais maintenant. Ça n’engage que moi, et je ne parle pas en tant qu’auditeur, mais en tant qu’artiste, de ce que ça m’inspire. J’écoute toujours énormément de black metal et je suis toujours très fan, mais en tant qu’artiste, ce que je fais maintenant m’apporte plus, me permet de me donner de nouveaux défis et de transmettre mon message plus efficacement.

« La musique simple voire minimaliste est finalement la plus technique, parce que c’est très difficile de faire à la fois simple et bon. »

Peut-être que c’est pour cette raison que tout au long de ta carrière, tu as été dans des groupes esthétiquement très différents ?

Oui, je crois ! En tant qu’artiste, tu es toujours à la recherche de ce que tu essaies de dire et d’où tu veux aller, et je crois que peu à peu, avec le temps, je commence à découvrir ma voie, c’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai décidé de persévérer avec Grave Pleasures et que ce nouvel album va sortir : j’ai vraiment l’impression d’avoir une histoire à raconter avec ce projet, et que je ne l’ai pas encore assez bien racontée, que j’ai encore des choses à en dire. C’est ce que ces chansons représentent.

Un peu plus tôt, tu parlais de dualité, et c’est intéressant parce que j’ai un peu tendance à voir les deux groupes dans lesquels tu es en ce moment, Grave Pleasures et Hexvessel, en termes de dualité justement. Ce sont deux projets très différents, au point peut-être qu’ils se complètent : Grave Pleasures paraît très urbain, froid, désespéré, alors qu’Hexvessel semble plus lié à la nature, plus organique… Comment ces projets s’articulent pour toi ? Ils tournent tous les deux autour de la mort, cela dit…

Oui [petits rires]! Je ne vois pas vraiment les choses comme ça, mais c’est toujours intéressant d’avoir des opinions extérieures et de voir comment les gens font sens des choses, ce qui est aussi vrai et légitime que ma propre vision. En ce qui me concerne, ce n’est pas vraiment une manière de représenter des parties différentes de ma personnalité, au contraire, je pense que ces deux projets sont vraiment moi, et je m’investis pleinement dans les deux. Ce sont juste deux histoires différentes, ou peut-être plutôt deux manières différentes de dire la même histoire. Hexvessel a une dimension mystique naturelle en effet, c’est une chose dans laquelle je suis très investi, mais à mes yeux, Grave Pleasures est aussi quelque chose de très spirituel. C’est un aspect différent. Les deux projets tournent autour de la relation de l’humanité à son environnement. En fin de compte, ils racontent vraiment la même histoire, mais de manières différentes. Je crois que Grave Pleasures est un groupe aussi écolo dans ses thématiques qu’Hexvessel, mais c’est exprimé différemment. Les deux groupes sont nécessaires à mon équilibre. Pour être inspiré pour l’un, j’ai besoin de l’autre, et vice-versa. Il me faut les deux dans ma vie et je prends autant de plaisir avec l’un qu’avec l’autre. J’en ferais sans doute plus si j’avais le temps, mais il faut que je sois réaliste, vu mon âge et ma situation familiale, quant au temps que j’ai à ma disposition. Je ne suis pas vraiment du genre à m’éparpiller, j’aime faire les choses comme il faut. Je veux faire tout ce que je fais du mieux que je peux, c’est pour cela que je me limite à ces deux projets.

C’est intéressant que tu parles de la dimension spirituelle de Grave Pleasures parce que sur cet album, vous avez en invité David Tibet, le grand mystique de Current 93, sur la chanson « Atomic Christ ». Comment s’est déroulée cette collaboration ?

J’ai toujours été un très grand fan de son travail, et très inspiré par sa musique et ses paroles. J’ai toujours eu le rêve de travailler avec lui un jour dans un coin de ma tête, mais je n’aurais jamais cru que ça pourrait se réaliser. Quand j’ai écrit la chanson « Atomic Christ », j’y ai vraiment entendu quelque chose de Current 93. Je me suis rendu compte que la manière que j’avais d’envisager les paroles et le chant faisaient vraiment penser à ce groupe. J’ai donc écrit à David Tibet pour lui expliquer tout ça, et je lui ai demandé s’il voulait y participer d’une manière ou d’une autre. Il a seulement répondu que si il devait contribuer, il écrirait sa propre partie, parce que c’est comme ça qu’il s’y prend – il n’est jamais un simple invité. C’est comme ça que nous avons commencé à travailler sur l’introduction du morceau. Nous avions un peu échangé avant de nous y mettre parce qu’il approche tout ce qu’il fait d’une manière très éthique : il faut qu’il soit sûr de vraiment pouvoir être fier non seulement de la chanson en elle-même, mais aussi de s’associer au groupe, etc. C’était merveilleux, ça a été une expérience riche en enseignements pour moi, et je pense qu’il a donné un certain poids à Motherblood, un peu de la même manière qu’un grand acteur peut donner du poids à un film. Sa performance ouvre une chanson qui je crois a un rôle très important dans sa manière d’élargir le monde de Grave Pleasures. Quand tu arrives à cette chanson lorsque tu écoutes l’album, il s’ouvre vraiment et ce dont le groupe est capable devient vraiment évident, c’est la preuve que Grave Pleasures peut être plus que tout ce que vous avez pu en entendre jusqu’à ce moment-là. Je trouve que ça ouvre de larges perspectives pour le groupe, de nouvelles directions possibles. Et les paroles que David Tibet prononce sont cruciales dans l’histoire que raconte cet album. Que ce soit lui que l’on entende à ce moment précis, c’est très important. Le fait d’avoir travaillé avec lui, ce que ça veut dire de nos influences pour cet album, c’est vraiment très important. Je suis très heureux que nous ayons eu l’occasion de le faire.

Juho Vanhanen d’Oranssi Pazuzu joue dans Grave Pleasures. Tout comme toi, il a manié des styles très différents tout au long de sa carrière, du rock psychédélique au metal extrême. Comment est-ce que vous travaillez ensemble ?

Nous avons commencé à travailler ensemble sur l’album précédent, Dreamcrash. Au départ, il venait pour écrire les parties de guitare lead pour l’album. Nous ne savions pas trop s’il serait un musicien de session ou un membre à part entière du groupe, mais assez rapidement, il a été évident qu’il serait un membre à part entière, il a tout fait avec nous pour cet album et il est parti en tournée avec nous. Lorsque les autres membres sont partis, il y a eu énormément de choses que nous avons voulu faire ensemble – nous avions déjà écrit quelques chansons pour Dreamcrash que j’aimais beaucoup mais qui n’avaient pas été gardées pour l’album parce qu’elles étaient trop différentes du reste. Nous étions très enthousiastes à l’idée de travailler sur autre chose. Juho a été dans plein d’autres groupes avant et en plus d’Oranssi Pazuzu, il produit des albums, c’est un musicien très prolifique qui est aussi professeur de guitare ; il est très impliqué dans la scène musicale de Tampere. J’ai fait sa connaissance parce que nous vivons dans la même ville et parce que nos groupes ont toujours eu des membres en commun. Nous sommes très proches, et nous étions très contents à l’idée de travailler ensemble sur cet album. Cette fois-ci, il a vraiment été au pilotage ; au lieu de se contenter d’écrire les parties de guitare lead, il a écrit les chansons avec moi. Il a une grande part de responsabilité dans le résultat final de l’album, et c’est aussi le cas des autres membres du groupe. C’est un musicien très éclectique qui sait manipuler toutes sortes de styles différents. Je crois que Grave Pleasures est un bon groupe pour lui parce qu’il lui permet de montrer vraiment de quoi il est capable. Oranssi Pazuzu est un groupe très technique, mais comme on dit – et c’est vrai ! – la musique simple voire minimaliste est finalement la plus technique, parce que c’est très difficile de faire à la fois simple et bon. Beaucoup de ces groupes des années 80 semblaient écrire des chansons très simples, mais ce n’est pas vrai, en fait c’est très difficile de jouer et d’écrire ce genre de mélodies.

« Le live est une forme de magie parce que c’est seulement toi, le public, et la conversation qui se créé entre vous deux. […] Ce qui se passe à ce moment précis, que ce soit sur scène ou dans le public, c’est indescriptible, c’est vraiment une expérience. »

Je suppose qu’il faut être d’autant plus efficace ?

Oui ! Écrire une mélodie qui ne soit ni cucul ni agaçante, mais qui soit atemporelle, c’est très difficile, je trouve, et je pense que beaucoup de choses que Juho a écrites pour cet album sont très classiques, très atemporelles, justement. C’est de la musique très bien écrite.

La scène de Tampere en Finlande a l’air assez unique et très orientée vers le psychédélisme et l’expérimentation – je pense à Hexvessel et Oranssi Pazuzu bien sûr, mais aussi à Dark Buddha Rising ou à Atomikylä, par exemple. En tant qu’étranger – encore que tu ne l’es sûrement plus vraiment ! –, comment est-ce que tu la vois ?

C’est une scène unique en Finlande et une scène unique au monde. Un groupe de Tampere se reconnaît facilement parce qu’il y a ce son… La scène musicale y est très riche, il y a énormément de groupes et de concerts, je crois que c’est quelque chose qui suscite pas mal d’intérêt. Les gens qui ne veulent pas aller à Helsinki pour faire carrière vont généralement s’installer à Tampere. C’est la ville alternative. Beaucoup d’artistes et de musiciens qui n’ont pas une vision des choses très commerciale s’y retrouvent. Voilà ce que c’est, Tampere : on l’appelle « Tampere rock city » pour une raison. C’est un super endroit pour voir des groupes jouer, il y a une scène punk très riche, par exemple.

Hexvessel et Grave Pleasures ont signé chez Century Media dernièrement. Qu’est-ce que ça a changé pour toi et pour ces deux groupes ?

C’est une maison de disque qui m’apporte beaucoup de soutien. Je les ai connus par Hexvessel, ils avaient très envie de travailler avec moi et ce groupe en particulier. Century Media, c’est un bon équilibre entre un label « overground » qui fait partie de Sony et une sensibilité underground. Ils s’occupent bien de leurs groupes, ils s’intéressent de près à tout ce que tu fais et ne se contentent pas de juste sortir la musique. Ils travaillent étroitement avec toi. Ils ont une très bonne équipe qui connaît bien son travail, ce qui fait que tu n’as pas à te préoccuper d’autre chose que de ta part du projet. Ça me plaît beaucoup, j’ai besoin d’un label qui m’apporte beaucoup de soutien parce que c’est tellement de boulot de s’investir dans les vidéos, les visuels, les dossiers de presse, etc. Je suis artistiquement impliqué à chaque niveau, donc j’ai vraiment besoin d’un label qui puisse prendre en charge la partie business, qui puisse faire son boulot comme il faut, et c’est leur cas. Jusqu’à maintenant, tout s’est très bien passé.

J’ai lu une interview de toi dernièrement où tu compares la musique et l’art en général à la magie. Je me demandais l’influence que ça pouvait avoir dans ta manière d’envisager la musique live…

Je pense que le live est une forme de magie parce que c’est seulement toi, le public, et la conversation qui se créé entre vous deux. Il faut pouvoir divertir les gens. Ce que ça signifie, c’est rendre les gens heureux, les faire rêver, les sortir de leur train-train quotidien, et les transporter quelque part où ils pourront avoir une expérience dont ils se souviendront. C’est pour cela que je n’aime pas regarder un concert en filmant avec mon téléphone ou ce genre de chose. Je trouve que c’est très important de partager cette expérience avec le groupe, c’est entre toi et le groupe et c’est tout. Ce qui se passe à ce moment précis, que ce soit sur scène ou dans le public, c’est indescriptible, c’est vraiment une expérience. C’est pour ça que la musique live est encore quelque chose qui bouleverse tout le monde. Dans ces moments-là, c’est comme un voyage dans le temps, tu sors de ton corps, tu peux avoir des expériences complètement folles. C’est très inspirant. Ton travail en tant qu’artiste est très important, c’est une grosse responsabilité. Je ne crois pas qu’il faille le prendre à la légère. J’aime beaucoup quand une performance peut fonctionner à plusieurs niveaux : ça peut être quelque chose de très profond et de très significatif, mais ça peut aussi être très punk, très sauvage, vraiment ancré dans l’instant. Je réfléchis beaucoup à tout ça, je fais pas mal de recherches en rapport avec ça, je lis beaucoup, ça m’intéresse vraiment de comprendre ce que ça veut dire être un entertainer et le rôle que ça te donne dans la vie des gens et dans la tienne propre. Je prends ça très au sérieux et j’adore ça, c’est un aspect très important de ce que nous faisons, peut-être même le plus important d’ailleurs. Surtout maintenant que la musique enregistrée semble secondaire par rapport à la musique live…

Oui, je m’étais justement fait la réflexion en vous voyant live que c’était sûrement de la musique faite pour être écoutée dans ce contexte-là, non ?

Oui, et maintenant plus que jamais. C’est dans cette optique-là que nous avons écrit les nouveaux titres, ils sont très orientés live et notre groupe est très orienté live aussi. Il y a une très bonne alchimie entre les musiciens.

Il me semble que vous avez déjà quelques dates de concert prévues…

Oui, nous avons quelques dates prévues au Royaume-Uni et en Allemagne, mais nous sommes en train de mettre sur pied de plus grandes tournées.

Je suppose que c’est ce qui va vous occuper les mois à venir ?

Oui ! Nous mettre à jouer tout ça en live. Nous avons désormais trois albums dont nous pouvons choisir des titres pour composer différents sets, des sets plus longs et vraiment bien, donc ça promet !

Interview réalisée par téléphone le 21 septembre 2017 par Chloé Perrin.
Retranscription & traduction : Chloé Perrin.

Site officiel de Grave Pleasures : gravepleasures.com.

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