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Interview   

Greg Puciato : de l’autre côté du miroir


L’une des conséquences des périodes d’isolement forcé qu’on a dû endurer pendant la pandémie est qu’on s’est tous retrouvés face à soi-même. Certains l’ont bien vécu, d’autres ont eu le plus grand mal à gérer ce « reflet » et ce qu’ils y voyaient. C’est ce que Greg Puciato appelle la « cellule en miroir », Mirrorcell en anglais, nom qu’il a donné à son second album solo réalisé justement pendant la pandémie et qui retrace son vécu intérieur et son cheminement psychologique durant cette période où il s’est retrouvé seul avec lui-même. Une sorte de journal intime d’un homme qui s’était construit par rapport à son art et son travail, et découvrait maintenant que ça s’était fait au détriment d’autres facettes de sa personnalité. Quelque part, Mirrorcell poursuit le cheminement personnel de l’artiste qui avait donné naissance à son premier album solo, Child Soldier. Frustré et réprimé par l’image unidimensionnelle et « cartoonesque » qu’il pouvait renvoyer avec The Dillinger Escape Plan, il tenait à montrer qu’il était bien plus que ça.

Musicalement, en revanche, Mirrorcell est différent à bien des égards. Simplement parce que, malgré le court écart entre les deux albums, Greg Puciato a vécu de nouvelles expériences. La pandémie évidemment, mais aussi sa rencontre avec des gens comme Jerry Cantrell (Alice In Chains) ou Reba Meyers (Code Orange) qui ont durablement impacté sa vie et donc sa musique. Il est question de tout ceci dans l’entretien encore une fois très introspectif qui suit, où il est également question d’énergie, d’introversion, de valeur intérieure, de trouble du déficit de l’attention et de la manière dont tout ceci influe sur son art et sa vie.

« J’ai été un canon à haute pression la majorité de ma vie d’adulte. Tu vas à fond et tu es récompensé pour ton explosivité, et tu dois être constamment explosif pour faire les concerts et écrire de la musique. Quand je me suis retrouvé sans cet exutoire, il a fallu que je comprenne d’où tout ça venait, quel genre de dégâts j’avais accumulé ce faisant au fil du temps et quel genre de blessures j’avais peut-être causé chez d’autres personnes. »

Radio Metal : Mirrorcell est sorti tout juste un an et demi après Child Soldier. Comment t’es-tu retrouvé à faire un second album solo aussi vite après le premier ? Était-ce parce que tu n’avais rien d’autre à faire qu’écrire de la musique durant cette période ou était-ce aussi parce que cet exutoire solo a été une telle libération créative pour toi que tu as voulu rapidement t’y remettre ?

Greg Puciato (chant, guitare & basse) : Je n’y pense pas beaucoup. Tu sens que tu as en réserve des choses qui peuvent sortir de toi ou pas. Je n’ai strictement rien composé depuis. J’ai commencé à revouloir composer il y a à peine une semaine. C’est plus une question de sentir qu’on a quelque chose à sortir et quand ça arrive, il faut agir en conséquence. Personnellement, si je ressens un besoin d’écrire et que je ne le fais pas, je suis énormément frustré. Pour je ne sais quelle raison, peut-être parce que nous avions beaucoup de temps libre, mêlé à l’excitation d’avoir cet exutoire solo et le fait de ne pas avoir d’autres… Par exemple, par le passé, j’aurais travaillé sur Dillinger, sur un nouveau Killer Be Killed ou sur un nouveau The Black Queen. Il n’y avait rien de tout ça, donc tout ce qui me venait allait dans mon projet solo. C’est étrange, car quand j’y repense, je ne le comprends pas tellement non plus. Je suis là : « Merde, ça fait beaucoup ! » Beaucoup de choses sont sorties de moi en très peu de temps, d’autant que ces albums ne se ressemblent pas vraiment. Ce n’est pas comme si Mirrorcell était la seconde partie du premier album, ils sonnent très différents. Parfois, tu rentres dans une petite période de productivité et parfois, tu n’as rien envie de faire. J’ai l’impression que c’était la fin d’un grand réservoir pour moi. Je dirais qu’à peu près à l’époque de One Of Us Is The Killer, j’ai commencé à énormément composer et ça a donné le premier album de Killer Be Killer, le premier Black Queen, le second Killer Be Killed, le second Black Queen, deux albums de Dillinger, un paquet de trucs solos, et maintenant je me dis : « Je ne travaille sur rien. » Ça fait du bien. Au départ, j’étais là : « Merde, je n’ai plus de jus. Je n’ai plus rien d’autre à dire. » Mais maintenant, je me dis : « Tu sais quoi ? Très bien. Je vais vivre ma vie un peu, faire des choses normales. »

J’imagine que c’est important de vivre sa vie aussi…

Il le faut. Je ne l’ai pas assez fait. Quand tu es en tournée la majorité de ton temps, tu es dans un cycle d’écriture, tournée, écriture, tournée, et la majorité de ta vie se résume à ton groupe ou aux tournées. Tu n’as pas l’occasion de t’attaquer très longtemps à plein de choses que les gens font à la maison ; tu n’es chez toi qu’un temps très limité. C’est donc quelque chose qui me plaît maintenant. Tu te réveilles et tu es content de faire des trucs qui ne sont pas liés à la musique.

Je me souviens du guitariste Ron Thal qui donnait comme conseil aux jeunes musiciens de vivre leur vie, car si on passe tout son temps à s’exercer dans sa chambre, on se retrouvera avec rien à raconter.

Oui. On n’essaye pas juste de donner aux gens des notes sur un bout de papier ou un album pour leur montrer à quel point on s’est entraîné. Il faut que quelque chose d’émotionnel sorte de soi. Pour y parvenir, il faut sortir et s’ouvrir un peu.

Derrière le titre, Mirrorcell, il y a l’idée d’être enfermé seul et de n’avoir que soi à regarder. C’est une référence évidence aux deux années et demie passées, et particulièrement aux confinements. On connaît le Greg Puciato extraverti qui peut « exploser » lors des concerts, donc comment ce gars a géré cette « cellule en miroir » ?

Quand tu ne bouges pas et que tu n’as pas cet exutoire pour exploser, toute cette énergie est quand même là et elle commence à aller vers l’intérieur. Quand tu ralentis et que tu dois vraiment faire le point et regarder tout ce qu’il y a autour de toi et en toi… J’ai découvert qu’il y avait plein de choses dont je n’étais pas véritablement satisfait, plein d’éléments de ma personnalité qui étaient sous-développés parce que j’avais vécu à un rythme effréné toute ma vie. J’ai commencé à tourner sans relâche avec Dillinger quand j’avais vingt et un ans. Quand nous étions partis avec System Of A Down, c’est l’âge que j’avais. J’ai donc été un canon à haute pression la majorité de ma vie d’adulte. Tu vas à fond et tu es récompensé pour ton explosivité, et tu dois être constamment explosif pour faire les concerts et écrire de la musique. Je suis naturellement une personne très explosive, donc quand je me suis retrouvé sans cet exutoire, il a fallu que je comprenne d’où tout ça venait, quel genre de dégâts j’avais accumulé ce faisant au fil du temps et quel genre de blessures j’avais peut-être causé chez d’autres personnes. Une grande partie de ces choses sont là juste devant toi et tu ne peux pas leur échapper. Il n’y a pas d’échappatoire car le lendemain tu es encore confiné, le surlendemain tu es encore confiné, le sur-surlendemain tu es encore confiné, et il n’y a rien d’autre que toi. Greg Puciato, le gars de The Dillinger Escape Plan ou le musicien publique, ça n’a pas d’importance dans cette situation. Tu ne peux pas vraiment te cacher derrière ça quand tout se résume à de la putain de survie post-apocalyptique.

« Je me sens épuisé quand je passe trop de temps auprès de gens. Je passe beaucoup de temps seul. C’est nécessaire. Je perds de l’énergie. C’est tout ce que veut dire être introverti, ça veut dire qu’on reçoit de l’énergie quand on est seul, on se recharge, et ensuite, quand on est avec des gens, on exporte cette énergie. »

C’est un peu ce à quoi tout le monde a été confronté : jusqu’où va-t-on aller ? Dans un scénario à la Mad Max ou une vie d’être humain primitif ? Si ça devait arriver, s’il n’y avait plus d’industrie musicale, plus de concerts, si ton boulot ou peu importe ce que tu fais pour gagner ta vie ne te définissait plus, tu te retrouverais seul avec toi-même, tes proches, tes tendances et ta perception de soi, et comme je l’ai dit, j’ai découvert que ceci était très sous-développé par rapport à mon moi musical ou celui qui travaille. Il a fallu que je me fasse à tout ça. Ça rejoint ta première question : j’ai l’impression que plus tu as de travail à faire sur toi-même, plus abondant sera ton art ; tu créeras davantage. Quand tu essayes de résoudre quelque chose, tu as plus de carburant artistique. La plupart des fois où les gens ont été confrontés à des problèmes, c’est aussi les moments de leur vie où ils ont écrit toutes sortes de trucs et d’œuvres extraordinaires, car ils ont été confrontés au même moment à certaines choses. Avec un peu de chance, tu commences à t’y attaquer. Je ne sais pas si ça change son art ou l’amoindrit, mais à ce stade, je m’en fiche. Il faut à un moment donné gérer ses merdes.

On dirait que cette cellule en miroir t’a poussé à faire pas mal d’introspection…

Oui. J’ai découvert plein de choses déprimantes. L’album, sur le plan des textes, est assez déprimant, assez lugubre. Le titre du premier morceau, c’est « In This Hell You Find Yourself ». Evidemment, c’est un double sens, mais pour moi, le sens originel était : « dans cet enfer, tu te réveilles », et ensuite, le second sens est évidemment que tu finis par te trouver toi-même dans cet enfer, en le traversant. Mais oui, tout l’album est une sorte de voyage accidentel en temps réel où je me dis : « Merde, j’ai beaucoup plus de conneries à gérer que je le pensais. »

J’ai mentionné le fait qu’on connaissait le Greg Puciato extraverti, mais je t’ai lu dire que tu étais très introverti dans la vie. C’est presque comme s’il y avait deux Greg Puciato : celui qu’on connaît sur scène et celui hors scène, mais le premier serait-il la conséquence du second et peut-être inversement ?

J’ai remarqué que beaucoup gens qui sont vraiment, non pas agressifs, mais… Bon sang, quel est le mot que je cherche ? Les gens voient les artistes de scène comme moi comme étant des performeurs captivants ayant un côté explosif, or ces personnes sont souvent introverties. Souvent, quand je rencontre d’autres gens qui me paraissent avoir un truc similaire dans leurs performances, je remarque que ce sont toujours des personnes très introverties. Je ne suis pas sûr à cent pour cent pourquoi c’est ainsi ; évidemment, comme nous ne nous extériorisons pas tout le temps, nous emmagasinons beaucoup. Je me sens épuisé quand je passe trop de temps auprès de gens. Je passe beaucoup de temps seul. C’est nécessaire. Je perds de l’énergie. C’est tout ce que veut dire être introverti, ça veut dire qu’on reçoit de l’énergie quand on est seul, on se recharge, et ensuite, quand on est avec des gens, on exporte cette énergie. Mais la plupart des gens gagnent de l’énergie en étant auprès d’autres gens : ils sortent, ils sont dans un environnement entourés d’un tas de personnes, ils ont l’impression d’absorber leur énergie et ça les recharge. Pour moi, c’est généralement le contraire. Jouer des chansons et me produire en concert est l’un de mes exutoires pour me débarrasser de toute cette charge accumulée durant tout le temps passé seul. Enfin, même les concerts, pour moi, c’est une expérience intérieure et non extérieure. Je n’essaye pas vraiment de pousser les gens à taper des mains en rythme ou quoi que ce soit de ce genre. J’essaye d’aller aussi loin que possible à l’intérieur pour canaliser ce qui est dans la chanson ou dans cette expression pour le faire sortir devant les gens.

Beaucoup de gens ont eu du mal à gérer le fait d’être seul. Est-ce seulement parce qu’on est des créatures sociales ou penses-tu que c’est aussi parce qu’on a désappris à être seuls et à faire face à soi ?

Oui. Evidemment, le fait d’être constamment connecté est à double tranchant. C’est super d’avoir des smartphones, je ne reviendrais jamais en arrière pour me retrouver sans. C’est super qu’on ait internet et la 5G ou peu importe ce que c’est, et qu’on puisse s’envoyer des textos et ne pas avoir à attendre qu’une lettre arrive à destination, à écouter des boîtes vocales ou à posséder un répondeur téléphonique. C’est génial de pouvoir parler aux gens en temps réel peu importe où on se trouve, mais ça crée aussi chez les gens une angoisse de dingue à l’idée d’être seul. Vous ne verrez jamais quelqu’un péter plus un câble que quand il a oublié son téléphone à la maison alors qu’il est sorti. La personne est là : « Oh mon Dieu, j’ai oublié mon téléphone ! Il faut que j’aille le chercher ! » Les gens deviennent fous maintenant s’ils n’ont pas leur téléphone sur eux. C’est étrange. On est censé savoir passer du temps seul. C’est précieux, ça nous donne tu temps pour bien réfléchir. Il m’arrive souvent de ne rien faire. Les gens me demandent : « Qu’as-tu fait aujourd’hui ? » Je n’ai fait strictement rien. Que dalle. Je n’ai rien accompli. Je ne suis allé dans aucun magasin. Je ne suis pas sorti traîner. Je n’ai regardé aucun film. Je n’ai absolument rien fait et c’est précieux.

« Le simple fait d’aller dehors et de marcher dans un parc, dans les bois, sur la plage, dans la nature ou ailleurs sans son téléphone, de penser, de faire le point, de ressentir l’air autour de soi et de se sentir comme un être vivant sur la planète, pas juste un membre d’une société basée sur la consommation ou la production, c’est précieux. »

Le simple fait d’aller dehors et de marcher dans un parc, dans les bois, sur la plage, dans la nature ou ailleurs sans son téléphone, de penser, de faire le point, de ressentir l’air autour de soi et de se sentir comme un être vivant sur la planète, pas juste un membre d’une société basée sur la consommation ou la production, c’est précieux. On peut sortir et se promener dans les bois sans son téléphone, ce n’est pas un problème. A cause de cette connectivité constante, beaucoup de gens l’ont oublié, mais honnêtement, je pense qu’on est en train d’y revenir. Les gens commencent à aspirer à un peu plus à la simplicité, car cette cadence est en train d’épuiser tout le monde ; être constamment connecté épuise tout le monde, avoir l’impression de constamment devoir répondre à quelqu’un épuise tout le monde. Je le sais de ma propre expérience. J’ai commencé à mettre mon téléphone en mode « ne pas déranger » durant la majeure partie de la journée. Je le retire deux ou trois fois par jour pour répondre aux gens et ensuite je le remets. C’est beaucoup plus sain pour moi, je trouve, que d’être constamment bombardé par des communications.

Les gens ont été obligés de se regarder dans les miroirs de cette cellule, et peut-être aussi que ce que certains ont vu n’était pas très beau…

Oui. Comme je l’ai dit, on peut être beau à l’extérieur, on peut avoir l’air d’avoir beaucoup de succès et d’avoir accompli beaucoup de choses dans son domaine, ou peut-être qu’on a une belle famille, une belle maison et un boulot dans lequel on a accompli de grandes choses, mais à l’intérieur, on peut avoir une très faible estime de soi ou plein de problèmes qui n’ont pas été gérés. Nous vivons une époque où on va en thérapie, on prend des médicaments et ce genre de choses. Donc on s’en sort peut-être mieux qu’avant, mais j’ai vraiment l’impression qu’à notre époque, on se focalise beaucoup sur qui on est à l’extérieur, à coups de capitalisme, de divertissement et de consommation. On valorise beaucoup les gens qui ont accompli quelque chose extérieurement. Ça n’accroît pas pour autant leur valeur intérieure. Quand on n’est pas capables d’être ces gens extérieurs ou qu’on nous a retiré ça, comme ça a été le cas durant le Covid-19, on est contraints de regarder la personne intérieure et, comme tu l’as dit, peut-être qu’on n’aime pas ce qu’on voit ou peut-être qu’elle n’est pas aussi développée qu’on aurait aimé qu’elle soit.

Tu as mentionné le fait que Mirrocell était très différent de Child Soldier, et tout comme ton premier album solo, il offre encore des nuances et facettes musicales nouvelles et différentes de Greg Puciato. Comment définis-tu la direction que tu prends avec une chanson ? Suis-tu simplement ta muse, peu importe où elle t’emmène, ou est-ce que ça implique quand même une forme de réflexion ?

Non, c’est vraiment ça. J’essaye juste de suivre ce qui m’emballe, peu importe ce que c’est. Je ne sais pas pourquoi, peut-être est-ce parce que je n’avais pas d’album de Dillinger sur lequel travailler ou je ne travaillais pas sur Killer Be Killed, je ressentais un grand manque de guitare ou de musique heavy. Mais quand je repense à cet album, il a deux composantes. Il y a évidemment le côté guitare-basse-batterie et le fait que c’est un album globalement plus heavy que Child Solider, mais je trouve aussi que la composition est un peu plus élaborée. Je pense que c’est en grande partie parce que j’ai énormément côtoyé Jerry [Cantrell]. Jerry est un compositeur très traditionnel ; il est très doué quand il s’agit d’écrire de très bonnes chansons traditionnelles, c’est-à-dire couplet-refrain-couplet-refrain. Donc l’ayant beaucoup côtoyé et ayant vécu longtemps dans ce monde de chansons orientées guitare-basse-batterie, plus à la manière d’un auteur-compositeur mais avec des éléments metal, ça s’est probablement insinué stylistiquement dans mes chansons. Mais ça n’était à aucun moment un choix. Je ne me pose pas pour essayer d’écrire un quelconque type de chanson. J’ai constamment un tas d’instruments autour de moi et de temps en temps, je suis excité à l’idée de jouer l’un d’eux. Durant ces dernières années, j’étais très branché guitare et basse pour composer, au lieu d’utiliser un clavier, un logiciel, une boîte à rythmes ou un autre type d’élément électronique ; j’avais envie de revenir aux bases que j’aimais quand j’étais gamin. Quand j’avais treize ou quinze ans, j’étais à fond à jouer de la guitare et de la basse, et à composer des chansons sur ces instruments. Je suppose vers le début de The Black Queen, j’ai commencé à beaucoup m’intéresser aux éléments électroniques, mais peut-être que ces deux dernières années, je suis davantage revenu vers les instruments rock traditionnels. Mais je ne planifie rien. Ce n’est pas drôle sinon. Je me contente de faire ce que j’ai envie de faire.

« On valorise beaucoup les gens qui ont accompli quelque chose extérieurement. Ça n’accroît pas pour autant leur valeur intérieure. »

Tu as mentionné l’influence de Jerry Cantrell, et il y a des influences claires d’Alice In Chains dans des chansons comme « No More Lives To Go » et « Never Wanted That », autant dans le riffing que dans le chant. On dirait effectivement qu’il a déteint sur toi !

Oui. Pour moi, tes albums ou ce que tu crées doivent être une photographie de ta vie à ce moment-là, pas juste émotionnellement, mais par rapport à ce qui t’intéresse et ce que tu absorbes. Je n’ai jamais été autant en contact avec la musique de quelqu’un que je l’ai été avec celle de Jerry ces dernières années. Je n’avais jamais connu une situation où je devais me plonger complètement dans la discographie ou le style d’écriture de quelqu’un d’autre et vraiment tout apprendre sur toutes ces chansons qu’il avait composées. C’est impossible de vivre ça, de s’immerger dans quelque chose, sans que ça rentre en nous et que ça ressorte au travers de notre propre filtre. Avec certains riffs, et encore plus avec les harmonies vocales, comme tu l’as dit, dans les refrains de « No More Lives To Go » et dans deux-trois autres passages, je me dis : « Oh ouais, ça sonne comme Alice In Chains » ou « Ça sonne comme Jerry ». Quand j’entendais ces trucs, il y a des moments où je me demandais : « Est-ce trop proche ? Devrais-je m’en débarrasser ? Devrais-je le changer ? » mais ça aurait été contre l’intérêt. L’intérêt, c’est de ne pas se faire obstacle, de prendre une photographie en temps réel de là où on en est à cet instant. Si à cette période je passais beaucoup de temps à apprendre tous les trucs de Jerry, pourquoi voudrais-je lutter contre ça si c’est ce qui ressort de moi ? C’est une véritable image qui me représentait, donc si j’avais délibérément cherché à m’en dévier, ça aurait donné une fausse représentation.

Qu’as-tu appris aux côtés de Jerry à propos des « secrets » de sa musique ?

C’est dur à exprimer avec des mots. J’ai relevé plein de petites choses pour lesquelles il est très doué. C’est aussi un compositeur très lyrique. Je ne parle de texte ou de mots ; je parle de mélodies, de phrasés, etc. qui donnent l’impression que quelqu’un est en train de te parler. Ses riffs sont très lyriques. Ses mélodies de chant sont très lyriques. Ses solos de guitare sont très lyriques ; ce n’est pas un shredder. Il est très bon quand il s’agit de ne pas se faire obstacle. Il ne passe pas beaucoup de temps à délibérer sur une partie. Il la trouve et soit il l’aime, soit il ne l’aime pas, et s’il l’aime, il continue avec. J’étais moi aussi déjà comme ça, mais le fait d’être auprès de quelqu’un d’aussi talentueux que lui à un tel niveau qui fonctionne également comme ça, ça a renforcé ça chez moi. Il se lève et fredonne quelque chose dans l’enregistreur vocal de son téléphone et ça devient un putain de riff, qu’il transforme en chanson. C’est épatant ! Il n’y a pas énormément de réflexion. Soit tu as quelque chose de bien qui te plaît, soit pas. Tu n’es pas obligé de trop compliquer les choses. Tu n’es pas obligé d’écrire dix refrains différents pour essayer de choisir le meilleur. Celui qui te vient est celui pour lequel tu optes. A cet égard, il fait hautement confiance à son instinct. Je pense que c’était important pour moi de voir ça, d’être auprès de quelqu’un d’autre qui fonctionne comme ça. Ça a vraiment déteint sur moi.

J’ai aussi beaucoup appris sur le plan technique. Honnêtement, le mixage est vraiment là où j’ai le plus appris, car tous les morceaux d’Alice In Chains contiennent énormément de couches, il se passe plein de choses avec les guitares, plein de choses avec les parties de voix… Même les parties où on croit qu’il n’y a qu’une piste de chant ou de guitare, souvent, il y a des empilements de sons différents qu’on ne remarque pas vraiment quand on écoute la chanson, mais quand on entend les sessions et les mix, ou qu’on le voit faire, on se rend compte que telle partie guitare est en fait constituée de trois guitares différentes superposées les unes sur les autres. T’es là : « Oh merde ! D’accord, c’est comme ça qu’il fait. » Tu apprends comment ajouter de petites choses pour que ça sonne plus gros. Ou si tu as plusieurs parties de guitares qui sont jouées en même temps et que tu dois rajouter une partie de chant, tu ne peux pas les laisser toutes occuper le même espace, tu dois les éloigner les unes des autres pour que tout s’entende en même temps. J’ai fini par mettre en pratique dans mon album des petits trucs bizarres comme ça. Plein de petites choses. Ça a été une bénédiction, honnêtement. Je n’exagère pas quand je dis que j’ai énormément grandi en travaillant avec lui.

C’est drôle, parce que la dernière fois, tu m’avais dit comment Jerry t’avait ouvert les yeux sur l’idée de sortir de la musique sous ton propre nom, car tu avais du mal avec ça. D’un autre côté, nous avons échangé avec Jerry il y a près d’un an et il nous a dit que tu lui avais ouvert les yeux sur l’idée de faire un album en indépendant. On dirait que ça a été une rencontre importante pour tous les deux, que vous vous êtes mutuellement beaucoup apporté…

Oui. Il y a truc entre nous, c’est sûr. Il arrive parfois dans la vie que tu rencontres des gens et tu as l’impression que tu étais censé rencontrer cette personne à ce moment précis, que ce n’est pas accidentel. Nous ne sommes pas religieux, mais nous sommes tous les deux pas mal spirituels, genre un peu hippies perchés, c’est-à-dire que nous croyons que l’univers nous offre certaines choses à certains moments pour certaines raisons. Parmi les personnes que j’ai rencontrées dans ma vie, il y en a quelques-unes avec qui j’ai le sentiment – ça peut paraître dingue – que nos âmes sont liées à un certain niveau, c’est-à-dire que nous étions faits pour apprendre l’un de l’autre. Il est clairement l’une de ces personnes, et je sais qu’il ressent la même chose. Donc oui, comme je l’ai dit, nous avons commencé à immédiatement et très rapidement grandir grâce à notre interaction. C’est étrange ! On ne sait jamais quand vont se produire ces rencontres avec des gens qui changeront notre vie à un tel degré. C’est cool qu’il ressente la même chose.

« Jerry Cantrell et moi croyons que l’univers nous offre certaines choses à certains moments pour certaines raisons. Parmi les personnes que j’ai rencontrées dans ma vie, il y en a quelques-unes avec qui j’ai le sentiment que nos âmes sont liées à un certain niveau, c’est-à-dire que nous étions faits pour apprendre l’un de l’autre. Il est clairement l’une de ces personnes, et je sais qu’il ressent la même chose. »

Je vous ai vus au Hellfest cette année. C’était la première fois que je te voyais dans un autre contexte que The Dillinger Escape Plan. C’est drôle comme il y a presque une sorte de tension contenue dans ta présence scénique, avec de brefs sursauts d’énergie dans tes mouvements. As-tu l’impression de te forcer à contrôler cette énergie dans le contexte d’un tel groupe, qui est évidemment très différent de Dillinger où tu pouvais ouvertement la libérer ?

J’ai l’impression de mettre cette énergie davantage dans ma voix, alors que Dillinger, c’était une performance vocale mais aussi physique. J’ai l’impression que rester immobile ou en tout cas ne pas autant bouger me permet… C’est comme ce dont on parlait au sujet de ne rien pouvoir faire durant le Covid-19, tu te tournes plus vers l’intérieur. Je me concentre sur les petites nuances du chant ou j’essaye de pousser autant que possible quand je sors les plus grosses notes, comme dans le refrain de « Man In The Box ». Ta puissance s’exprime différemment. Surtout, je portais tout le temps des retours intra-auriculaires avec Jerry, alors que je n’en portais pas avec Dillinger. Ça permet d’entendre la moindre petite nuance de sa voix, ce qui n’est pas le cas quand on écoute des retours sur scène. Donc le fait à la fois de porter des retours intra-auriculaires et de ne pas autant bouger… Et puis ce serait déplacé de ma part de grimper sur des trucs pour sauter et de courir partout. La musique ne s’y prête pas. Ce n’est pas l’expression qu’il livre avec cette musique. Donc oui, j’ai effectivement un peu l’impression d’être un lion en cage, mais de façon positive. J’ai le sentiment d’avoir beaucoup de puissance tout le long de la prestation. Je me sens chargé à bloc, comme si j’avais un réservoir d’énergie que je pouvais utiliser vocalement jusqu’à la fin du set, alors qu’avec Dillinger, c’est comme si les vannes étaient ouvertes à fond dès la première seconde de la première chanson. Monter sur scène et retenir tout le temps sa puissance, c’est très différent de monter sur scène et laisser tout sortir en même temps, tout de suite.

D’un autre côté, tu as sauté hors de scène à un moment donné, donc j’imagine que c’est plus fort que toi…

En effet. Je suis quelqu’un de très physique. Je suis en train de tourner en rond en même temps que je réponds à cette interview. J’ai beaucoup d’énergie physiquement, donc je ne peux pas complètement m’en débarrasser. Mais c’était un bon concert ! Je m’en souviens parfaitement. C’était la première fois que nous jouions en extérieur en nocturne et c’était une atmosphère sympa. Dillinger a joué au Hellfest il y a quelques années également, donc ça me paraissait familier. C’est agréable de se dire : « Oh ouais, je suis déjà venu ici. » C’était sympa d’être dans un environnement familier dans un festival de metal. Je suis allé dans un million de festivals de metal avec Dillinger mais aucun avec Cantrell, donc c’était sympa. Je me disais : « Oh, ok. D’accord. Je suis toujours dans la même vie. Ce n’est pas tellement différent. » C’était dingue le nombre de personnes qu’il y avait là-bas, je n’arrivais pas à y croire. Nous avons regardé Scorpions et j’étais là : « Bordel de merde ! » Ce festival est devenu tellement énorme ! C’est vraiment cool. Il n’existe rien de semblable ailleurs. J’ai joué partout dans me monde, mais ce truc est vraiment devenu comme la Mecque des festivals de metal. Très cool !

L’un des temps forts de l’album est sûrement « Lowered » avec Reba Meyers de Code Orange. Apparemment, c’est une chanson avec laquelle tu galérais avant que Reba n’arrive et ne la sauve…

Oui. J’avais gardé cette chanson pour la fin, car je n’avais pas de chant pour aller avec. Merde, attends une seconde… Elle est justement en train de m’écrire par texto ! C’est curieux. Je lui dis que je suis en train de parler d’elle. Bref, nous ne nous connaissions pas vraiment avant. Code Orange avait ouvert pour Dillinger en 2017, mais nous n’avions presque pas interagi. Nous avons dû parler à peine une minute. Je ne la connaissais pas du tout. J’ai aussi vu Code Orange jouer à Los Angeles après la fin de Dillinger, et là encore, nous n’avons jamais interagi, je ne la connaissais pas du tout. Je ne pensais pas à un chant féminin pour cette chanson. Je ne savais pas quoi faire. J’avais essayé plein de fois de me remettre sur cette chanson. Elle était finie, elle était depuis longtemps complètement composée musicalement. C’était l’une des premières chansons que j’avais écrites pour cet album, mais nous manquions de temps. Nous en étions arrivés à un point où il ne nous restait plus que quatre jours avant que Steve Evetts, notre producteur, doive commencer le mixage, car il avait un autre projet qui allait commencer deux semaines plus tard. Il était là : « Ecoute, mec, si tu ne trouves pas quelque chose pour cette chanson, il va falloir qu’on la retire de l’album. » Je me disais : « Fait chier ! Je n’ai vraiment pas envie de faire ça. » J’aimais beaucoup la chanson musicalement ; je trouvais la mélodie de guitare vraiment forte. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles j’avais autant de mal avec ce morceau, car je n’arrivais pas à trouver une autre mélodie ; cette mélodie de guitare, c’était la mélodie que j’avais, donc je me disais : « Merde, comment je vais trouver un refrain fonctionnant avec une autre mélodie existante et qui soit tout aussi bonne ? » Je n’arrivais pas à trouver de solution.

« Le fait que Reba Meyers arrive et fasse ressentir sa présence de façon vraiment agressive était très impressionnant. J’ai tout de suite été impressionné, genre : ‘Bordel, cette fille débarque prête à attaquer !’ Elle s’est mise au niveau où il fallait qu’elle soit, car je suis une personnalité très dominante en studio. Si elle était venue apeurée, ça n’aurait pas marché. »

Ensuite, j’étais en train de regarder sur Instagram – ce qui est drôle car ça faisait longtemps que je n’y étais pas allé – et il te recommande des gens ou peu importe, donc tout d’un coup, sa vidéo est apparue dans mon fil et elle était à fond, en train de déchirer, headbanguer et tout. J’étais là : « Oh putain ! » Je me suis souvenu d’elle et du fait d’avoir été impressionné par sa voix et sa présence scénique quand le groupe avait joué avec nous. Ça peut paraître loufoque, mais pour je ne sais quelle raison, mon cerveau se disait : « Vois si un duo ne pourrait pas être cool. Peut-être qu’avoir une chanteuse aiderait ou débloquerait un peu la chanson. » Je n’ai aucune idée pourquoi j’ai pensé ça ; c’était une idée instantanée. Je lui ai donc envoyé un message privé et j’ai dit : « Eh, ça te dirait de peut-être faire du chant en tant qu’invitée sur mon album ? » Elle a répondu : « Ouais, je serai justement à Los Angeles dans un jour. » Elle était en tournée avec Slipknot et ils terminaient à Los Angeles, c’était le timing parfait. J’étais là : « Oh merde, d’accord. Tu serais partante pour rester quelques jours après ta tournée, pour venir au studio et qu’on regarde ça ensemble ? » Elle était là : « Bien sûr, carrément. Allons-y ! » Elle est donc venue au studio à sept heures du soir un lundi, et à minuit, nous avions terminé la chanson. Je ne sais pas pourquoi, mais le fait qu’elle soit là, d’avoir une énergie différente a suffi à… Il y a tout de suite eu une étincelle. L’une des choses les plus difficiles quand on est en solo, c’est qu’on n’a personne pour prendre le relais. Si tu tombes sur un mur, tu es coincé devant ce mur jusqu’à ce que tu trouves le moyen de le contourner, alors que quand tu es dans un groupe, quelqu’un d’autre peut prendre l’idée et te proposer quelque chose auquel tu n’as peut-être pas pensé. C’est ce qui s’est passé.

Elle n’est pas simplement venue pour faire le strict minimum et repartir. Elle s’est impliquée à fond. Elle n’était pas timide – c’était ça le plus impressionnant. Elle m’a dit plus tard qu’elle était très tendue, mais elle ne l’a pas montré. Tout de suite, elle me disait ce qu’elle pensait de certaines idées. Si j’étais en train de chanter, elle était là : « Oh, j’ai bien aimé quand tu as fait ça. C’était cool. » « Je n’aime pas quand tu as fait ça. » Je me disais : « Bordel mais qui t’es pour me dire ce que tu aimes et n’aimes pas ? Je ne t’ai pas demandé de venir pour me dire ce que tu n’aimais pas » [rires]. Mais c’était important. Elle s’est mise au niveau où il fallait qu’elle soit, car je suis une personnalité très dominante en studio. Si elle était venue apeurée, ça n’aurait pas marché. Steve Evetts est également une personnalité très dominante en studio et nous travaillons ensemble depuis Miss Machine, donc nous avons une relation de travail très intense. Donc, le fait qu’elle arrive et fasse ressentir sa présence de façon vraiment agressive était très impressionnant. J’ai tout de suite été impressionné, genre : « Bordel, cette fille débarque prête à attaquer ! » Puis, une fois la chanson terminée, elle a eu aussi l’idée du clip. Quand elle est partie, elle m’a dit : « Eh, j’ai une idée pour une vidéo. » J’étais là : « Hein ? Je ne t’ai pas non plus demandé ça » [rires]. Elle m’a ensuite envoyé un e-mail avec une longue idée de clip, et presque tout ce qu’on voit dans le clip final vient de son e-mail, ce qui est dingue. Nous avons aussi fini par faire un remix de la chanson. C’était vraiment une pure collaboration. J’ai même du mal à appeler ça une chanson solo, car sa présence et sa contribution ont été vraiment précieuses. Je veux dire que la musique venait de moi, mais vocalement et en termes d’énergie, nous étions à peu près à cinquante-cinquante. Cette chanson n’aurait pas vu le jour sans elle. Elle lui appartient également. Elle est vraiment arrivée bourrée d’énergie et a élevé le morceau à un autre niveau. C’est une force de la nature. C’est une personne incroyablement créative. C’est comme quand je parlais de Jerry et des gens qu’on rencontre pour une raison, elle en fait partie aussi. Donc c’était vraiment cool.

Vous aviez invité Code Orange à faire votre première partie sur deux des trois derniers concerts de Dillinger en décembre 2017 – dont le dernier. C’est un groupe qui a le même genre d’esprit et d’énergie que Dillinger : était-ce un peu comme un passage de flambeau ?

Il est que, pour moi, c’est l’un des groupes heavy les plus intéressants. Ils ont commencé un peu comme nous, en étant un groupe très agressif, heavy et violent, et ensuite ils ont commencé à incorporer de la mélodie, de l’électronique et du chant. Ils ont énormément de talent dans ce groupe. J’ai le sentiment qu’ils ne l’ont pas encore pleinement utilisé, mais ils sont intéressants. On ne sait pas exactement quelle direction ils vont prendre. Ils ont plein d’outils à leur disposition. Tout le monde dans le groupe est vraiment une force créative, surtout elle. Je ne savais pas grand-chose d’eux quand ils ont fait ce concert. Je les ai entendus et j’étais là : « Oh putain ! » Ils étaient jeunes et intéressants. Ils semblaient avoir beaucoup de potentiel. Je ne sais pas tellement si nous avons passé le flambeau, c’est plus que nous les avons un peu pris sous notre aile comme des grands frères. Maintenant, comme je l’ai dit, elle et moi sommes assez proches, donc j’ai entendu toutes les démos et tout. Je trouve que c’est vraiment l’un des rares groupes heavy qui essaient de repousser leurs propres limites et de ne pas faire deux fois le même album et les mêmes choses. C’est sympa de voir un autre groupe aussi jeune – car ils étaient très jeunes quand ils ont commencé, ils étaient adolescents – essayer de faire quelque chose de différent à chaque fois ou d’aller au-delà du succès qu’ils ont déjà.

« Je suis plus en paix que quand j’ai écrit Child Soldier, c’est certain, mais pour y arriver, il a fallu le processus d’écriture de cet album et tout le temps que j’ai dû passer seul ces dernières années. Il faut bien trouver une forme de paix, sinon on devient fou. »

Leur dernier album Underneath est assez impressionnant et même innovant…

Oui, la programmation est dingue. Ce gosse, Shade [Eric Balderose], est plus doué dans ce domaine que les gens ne le réalisent. Il aurait pu faire carrière dans la musique électronique s’il avait voulu. Il a énormément de talent. Tous ceux qui font de l’électronique courent le risque de sonner comme Nine Inch Nails. C’est très difficile d’incorporer de l’électronique dans de la musique basée sur la guitare sans sonner comme Nine Inch Nails, et c’est l’un des premiers groupes que j’ai entendus faire quelque chose de frais avec ça, c’est différent et vraiment neuf, ça sonne beaucoup plus frais qu’un groupe à guitares qui décide tout d’un coup d’inclure des sons industriels. C’est un peu plus complexe. Il s’y passe beaucoup de choses.

Nous avions parlé la dernière fois du fait que, même en faisant un album solo, c’est important d’avoir quelqu’un pour te stimuler. Cette fois, tu avais Steve Evetts en tant que producteur pour ça, mais apparemment, il y a aussi eu une véritable collaboration avec le batteur Chris Hornbrook. Tu as dit qu’il t’envoyait « des choses qui pouvaient changer un peu [ton] chant ». Comment un batteur peut-il avoir un tel impact sur la voix ?

La batterie dans Dillinger était très proéminente dans pas mal de mes phrasés. J’ai l’habitude d’écrire des phrasés très rythmiques et ça vient souvent de la batterie. Alors qu’avec ce type de musique, c’est beaucoup plus basé sur la mélodie. Nombre de mes phrasés sont écrits autour des parties de guitare, car je les écris plus ou moins en même temps. Je ne réagis pas à de la musique que Ben [Weinman] ou quelqu’un d’autre a écrite. J’écris la musique et le chant presque ensemble. J’ai beaucoup moins l’occasion de réagir à une partie de batterie. Je donnais donc des démos à Chris. Ces démos avaient déjà de la batterie programmée et j’avais déjà ce que je pensais devoir être le rythme de batterie pour une partie donnée. Il aurait facilement pu se contenter d’apprendre les parties de batterie que j’avais programmées, venir et les jouer, mais il ne l’a pas fait. Il prenait souvent pas mal de liberté créative, en disant : « Eh mec, écoute ça. J’ai fait quelque chose de différent, jette une oreille. » Parfois, c’était même drastiquement différent de la partie originale. Ensuite, j’étais là : « Oh merde, c’est encore meilleur. Il faut que je change un peu mon chant parce que ça a l’air balourd maintenant avec cette nouvelle partie de batterie. » Encore une fois, c’est une belle élévation. Quelqu’un débarque, se montre intrépide, prend un peu les rênes et ne fait pas juste le strict minimum, ça élève la chanson. La première fois, j’ai l’impression qu’il faisait surtout ce que je lui avais dit de faire, mais cette fois, il a vraiment commencé à mettre beaucoup plus sa propre patte, ses propres idées et sa propre créativité dans les morceaux. Ça a vraiment emmené les chansons ailleurs.

Autant il y a un côté très années 90 dans Mirrorcell, autant la chanson « We » rappelle beaucoup les années 80 et des choses comme The Cure. Tu es né en 1980, donc qu’est-ce que cette décennie représente pour toi ?

Cette décennie jusqu’à environ 94 était la période où j’ai presque tout absorbé… La source de ce que je fais est dans cette période, car ça se loge beaucoup plus profondément en soi lorsqu’on absorbe des choses quand on est enfant ou jeune adolescent que quand on est plus vieux. Quand j’étais gamin, je n’avais pas internet, donc j’écoutais tout ce que je pouvais trouver. Evidemment, c’était principalement la radio et MTV : j’étais posé devant ça une grande partie de ma jeunesse. A cette époque, il y avait une explosion alternative – c’est-à-dire que ça allait de The Cure et Depeche Mode à Soundgarden et ainsi de suite. Je passais le plus clair de mon temps à absorber tout ça. J’aime toujours autant. J’écoute probablement plus de musique issue de cette période de ma vie que quoi que ce soit de nouveau. J’y reviens sans arrêt tellement j’aime ça. C’est ancré en moi, c’est tellement fondamental que j’ai du mal à m’en éloigner. Et cette époque était extrêmement fertile. Il y a tellement de musiques mélodiquement extraordinaires venant de cette époque que c’en est incroyable, que ce soit la pop de l’époque, le RnB de l’époque, le rock alternatif de l’époque, il y avait tellement de bonnes parties de chant, de bonnes compositions et de qualité dans tellement de styles de musique que ça n’a de cesse de m’inspirer.

La chanson, en soi, était difficile à placer. Je ne savais pas exactement où la mettre dans l’album, mais une fois que nous avions fini « Lowered », je trouvais qu’elle avait plus de sens enchaînée à celle-ci, en créant une petite baisse de régime au milieu de l’album. J’ai songé un instant à ne pas l’inclure et à peut-être en faire une chanson de The Black Queen, mais je suis content de ne pas l’avoir fait, elle me paraît bien dans l’album. Ceci dit, même ce morceau a été écrit sur une guitare et une basse. Ce n’est pas une chanson électronique.

« C’est comme un cercle vicieux : le fait d’être perçu comme ce cartoon agressif unidimensionnel me rendait encore plus agressif au sein de ce groupe. Mais ça m’a fait aussi me sentir réprimé et cette frustration a eu pour conséquence de me faire écrire beaucoup de musiques différentes. »

Mirrorcell s’ouvre avec « In This Hell You Find Yourself », une intro qui est presque le négatif de « Heaven Of Stone » qui ouvrait Child Soldier. L’une est bruyante, électrique, dissonante, l’autre est calme, acoustique, harmonieuse… Qu’est-ce que leur incipit dit de ces deux albums et de leur lien ?

J’ai ouvert cet album dans le chaos parce que c’est ainsi que je me sentais intérieurement. Ça avait du sens pour moi d’ouvrir l’album avec une sorte de cacophonie bruitiste et laide, d’une certaine façon, mais en ayant quand même une ligne de guitare mélodique. Pour moi, une grande partie de cet album est faite de juxtaposition d’éléments laids et d’éléments mélodiques. Le premier album était sorti après Dillinger, donc il s’agissait plus de plonger dans quelque chose de différent. Peut-être qu’il y a un peu d’introspection, de tristesse ou de répit par rapport à l’agressivité et l’intensité des deux ou trois années précédentes, alors qu’avec ce nouvel album, j’étais dans un tout autre état d’esprit, beaucoup plus agressif et chaotique. Comme je l’ai dit, ton écriture n’est que le reflet de ce que tu es à ce moment-là. Quand j’entends cet album, j’entends où j’étais quand je l’ai fait ; quand j’entends Child Soldier, j’entends où j’étais il y a trois ans. Maintenant, je suis plus en paix que quand j’ai écrit Child Soldier, c’est certain, mais pour y arriver, il a fallu le processus d’écriture de cet album et tout le temps que j’ai dû passer seul ces dernières années. Il faut bien trouver une forme de paix, sinon on devient fou.

Le but de ce projet solo est de ne pas se restreindre et c’est pourquoi il y a un spectre musical aussi vaste. Penses-tu que les gens ont une bonne idée maintenant de qui est Greg Puciato en tant qu’artiste ou y a-t-il plus à découvrir ?

J’ai sorti suffisamment de musique maintenant pour ne pas me sentir piégé. J’ai l’impression d’avoir fait du bon boulot pour représenter un portrait assez honnête de ce que je suis, mais on fait tous un voyage, tout le monde fait de nouvelles choses en cours de route, donc je ne sais pas exactement où je serai dans dix ans ou quel genre de musique j’écrirai dans vingt ou cinq ans. Mais oui, je suis content de la représentation artistique de moi-même qui existe désormais. Je me sentais très frustré durant Dillinger car je ne montrais pas autant de dimensions. Je me sentais publiquement, musicalement et artistiquement comme quelqu’un de très unidimensionnel, alors que je savais avoir beaucoup plus en moi. Comme je l’ai dit, aujourd’hui, je me sens plutôt en paix avec tout. Si je n’écrivais rien pendant un an, ça ne me gênerait pas.

Avec tout ce que tu as fait depuis l’arrêt de Dillinger, entre The Black Queen, Killer Be Killed et ton projet solo, penses-tu que les gens aient changé leur regard sur toi ?

Je n’en ai aucune idée. Peut-être. C’est dur à dire. J’ai même du mal à comprendre que j’intéresse les gens ou qu’ils me connaissent. Je ne sais pas trop. Ça fait tellement longtemps que je fais ça. Enfin, il faut bien, mais on évolue tous en même temps. Le public ne reste pas non plus statique. Ce n’est pas comme si on jouait devant les mêmes personnes. Si quelqu’un écoute depuis vingt ans, il n’est plus la même personne aujourd’hui qu’il y a vingt ans, donc on change tous en même temps. Les opinions des gens ont changé. J’imagine que ton opinion, artistiquement ou musicalement, de quelqu’un qui a sorti le nombre d’albums que j’ai sortis depuis Dillinger sera forcément différente de celle que tu avais il y a cinq ans, mais je n’en ai aucune idée.

Je dis ça car les gens avaient tendance à te voir comme ce fou qui faisait des trucs de dingue lors des concerts, et peut-être qu’ils ont changé leur regard en découvrant que tu étais bien plus que ça.

J’espère. C’était la source d’une grande partie de ma frustration : j’avais l’impression d’être un cartoon agressif. Ça commençait justement à me rendre plus agressif. C’est tellement bizarre. C’est comme un cercle vicieux : le fait d’être perçu comme ce cartoon agressif unidimensionnel me rendait encore plus agressif au sein de ce groupe. C’est assez drôle comment ça fonctionne. Mais ça m’a fait aussi me sentir réprimé et cette frustration a eu pour conséquence de me faire écrire beaucoup de musiques différentes. Donc ça a fini par se solutionner.

« Les gens atteints de TDA n’ont pas vraiment la capacité de conceptualiser le futur, ils vivent constamment dans le présent. Ça peut être une entrave à bien des égards, mais ça peut aussi être un vrai avantage quand il s’agit de créer, car je ne pense pas du tout à ce que j’ai déjà fait ou ce qui arrivera, je me contente de faire ce que je fais à cet instant et je le sors. »

Je t’ai lu parler de « permanence de l’objet ». Comment avoir une déficience dans ce domaine affecte ta vie et ton approche de la musique ?

J’ai effectivement du mal avec la permanence de l’objet. La permanence de l’objet est quelque chose avec lequel les gens souffrants de trouble du déficit de l’attention ont du mal. Le TDA est un trouble de la perception du temps, quand on ne comprend pas vraiment le passé et le futur ; on ne comprend que le présent, et c’est pourquoi les gens atteints de TDA sont tout le temps en retard, parce qu’ils n’ont pas vraiment la capacité de conceptualiser le futur, ils vivent constamment dans le présent. Ça peut être une entrave à bien des égards, mais ça peut aussi être un vrai avantage quand il s’agit de créer, car je ne pense pas du tout à ce que j’ai déjà fait ou ce qui arrivera, je me contente de faire ce que je fais à cet instant et je le sors. Je pense que c’est la raison pour laquelle j’ai sorti autant de choses différentes. Pas parce que j’y ai pensé ou parce que j’avais envie d’écrire un certain type de musique, mais simplement parce que je fais ce que je trouve excitant sur le moment. Ça veut aussi dire que je ne peux pas travailler sur plus d’une chanson à la fois. Je me concentre généralement sur une jusqu’à ce qu’elle ait atteint sa forme finale et ensuite je passe à la suivante. Je vois ça comme le fait de retirer de la nourriture qui cuit sur le feu. Tu as plusieurs feux, mais tu dois gérer ce qui cuit sur le premier feu. Quand c’est cuit, tu mets l’aliment sur le côté, et tu passes au suivant, tu le mets sur le premier feu, il est cuit, tu le mets de côté, et ainsi de suite. Si j’ai plein de choses en cours en même temps, c’est juste un cauchemar mentalement pour moi, je n’arrive à rien terminer.

Ça amène aussi son lot de difficultés dans d’autres aspects de la vie. Par exemple, je ne peux pas avoir trop de pièces chez moi, car sinon je n’y vais jamais. Je ne ferais qu’y entreposer des choses et elles se transformeraient en placards, car si quelque chose n’est pas tout le temps près de moi, je l’oublie et je ne l’utilise jamais. Je n’ai pas la capacité de me souvenir que les choses existent quand elles ne sont plus dans mon champ de vision – c’est ça la permanence de l’objet. Je n’ai pas la capacité de vraiment retenir les souvenirs. Les souvenirs de quand j’avais quinze ans me paraissent dater de la même période qu’il y a trois ou cinq ans. Tout est une grande masse indistincte. Ils ne me paraissent ni vieux, ni récents. Ils me donnent juste l’impression de ne pas être le présent. Ça a ses bons et mauvais côtés, comme tout dans la vie. Quand tu sais à quoi tu as affaire, tu peux y travailler un peu. Je sais que je suis comme ça. Je dois être plus minimaliste. Je dois tout avoir à portée de main, presque tous mes vêtements et instruments de musique sont visibles. Il faut que je limite les choses que je planifie de faire. Ou si je dis qu’il faut que j’aille quelque part, il faut que je me donne du temps pour m’y préparer. Et je ne peux pas prévoir trop de choses dans une même journée, car sinon je serais en retard à chaque fois ou j’en louperais. Je perds tout le temps des choses. Si je ne mets pas mes clés ou mon portefeuille au même endroit tous les jours, je les perds. Tous mes amis le savent, donc ils m’aident un peu. Si on me tend quelque chose, par exemple un ticket de parking, et que je suis avec une personne, tout de suite, elle est là : « Donne-moi ça. » Elle me le prend parce qu’elle sait que je vais le perdre dans la seconde ; parfois il ne faut pas plus de cinq minutes. Si tu parles ouvertement de tes handicaps, les gens t’aident.

Ces dernières années, pendant la pandémie, tu as fait un album avec Jerry Cantrell, un autre avec Killer Be Killer, et bien sûr ton album solo, mais j’ai lu que tu as aussi pas mal joué à des jeux vidéo… Est-ce l’une de tes évasions en dehors de la musique ?

Oui. C’est drôle parce que j’adorais ça quand j’étais gamin. Quand j’étais petit, j’étais obsédé par la Nintendo – la NES classique est sortie dans les années 80. On ne peut pas exagérer à quel point la NES était dingue quand elle est sortie, ou l’importance des salles d’arcade dans les années 80 et début 90. J’étais à fond dans tout ça. Puis je m’en suis détourné et je n’ai plus joué à des jeux vidéo de probablement 95 à 2013. Pour je ne sais quelle raison – j’étais tellement à fond dans la musique et je ne sais ce qu’il n’y avait d’autre dans ma vie –, les jeux vidéo ne m’intéressaient plus. Steve [Alexander] de The Black Queen adore les jeux vidéo et vers 2013, il m’a fait replonger dedans quand nous étions en train de travailler sur Fever Daydream. Cantrell adore aussi ! J’étais entouré de gens qui m’ont rappelé : « Oh merde, j’adorais les jeux vidéo avant. Pourquoi est-ce que je n’y joue plus ? Je ne sais pas ! » Je n’avais pas d’explication. Je me suis dit : « Je vais m’y remettre et voir si j’aime toujours. » Et c’est le cas ! Reba joue beaucoup, Jerry joue beaucoup, Steve de The Black Queen joue beaucoup, donc j’ai un petit groupe de gens maintenant avec qui je joue à des jeux en ligne et autres, genre Mario Kart, Fortnite, peu importe, des trucs stupides.

J’aime pas mal de vieux jeux, simplement parce que je viens de cette époque. Je joue à de vieux jeux d’arcade réadaptés à notre époque, mais aussi à de nouveaux jeux, comme Inside sorti il y a cinq ou six ans. Castlevania, qui existe depuis une éternité, est l’un de mes jeux préférés de tous les temps ; il y a un dessin animé sur Netflix maintenant qui s’appelle Castlevania, mais j’étais un grand fan de toute la série de jeux vidéo. Je suis aussi un énorme fan de Street Fighter II. C’est une façon de déconnecter. C’est ce que j’adore dans les jeux vidéo : c’est dur de déconnecter dans la vie, on pense toujours à quelque chose, même quand on est occupé, on pense à autre chose, alors qu’un jeu vidéo, c’est une activité très machinale. Ça ne nécessite pas beaucoup de réflexion. C’est comme le sport, la façon dont les gens parlent du surf ou autre, c’est une activité qui nécessite qu’on soit vraiment dans l’instant présent à la milliseconde près. C’est pareil pour les jeux vidéo et c’est quelque chose d’apaisant pour moi. Si je suis surchargé, si je travaille beaucoup et que je suis devant un mur, ou si je suis très stressé par quelque chose, je joue à un jeu vidéo pendant une heure et ça envoie mon cerveau ailleurs où j’oublie tous mes tracas. Je ne pense à rien d’autre. Quand on souffre de TDA, c’est un peu comme du crack, car les jeux vidéo vont tellement vite, c’est tellement dans l’instant présent que c’est facile pour le cerveau de s’y accrocher et ne plus avoir à penser à quoi que ce soit d’autre. Pour moi, c’est comme des vacances miniatures pour le cerveau. Je suis aussi quelqu’un de très compétiteur, donc ça m’aide de pouvoir avoir quelque chose d’idiot pour faire la compétition. On peut s’amuser avec ses amis.

Interview réalisée par téléphone le 6 septembre 2022 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Jim Louvau & Nicolas Gricourt (4 & 10).

Facebook officiel de Greg Puciato : www.facebook.com/gregpuciatoofficial

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  • « Frustré et réprimé par l’image unidimensionnelle »

    « Réprimé » ?

    • Oui, qu’est-ce qui te gêne dans ce terme ?

    • Arf ce Louis, bon photographe mais toujours bien sec et sonnant dans ses propos, jamais un merci pour l’excellent travail exécuté par Radio Metal, bref pète un coup, ça ira mieux ensuite tu verras. Frustré et réprimé peut-être? ?

  • Red Hot Chili Peppers @ Lyon
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