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Interview   

Grorr : le film qui s’est envolé


Fort d’un nouveau line-up accueillant le chanteur Franck Michel en 2016, la formation prometteuse Grorr était sur la bonne voie pour frapper encore plus fort avec le successeur de The Unknown Citizens paru en 2014. Puis comme dans une « espèce de vortex » pour reprendre les mots du guitariste Yoann Estingoy, les années sont passées très vite et il faudra attendre fin 2020 pour entendre un nouveau titre studio. Le combo, qui brasse ses influences du djent au metal progressif, mêlées à la musique du monde et même aux bandes originales de film, revient alors en force avec Ddulden’s Last Flight qui rassure les fans, certains pensant même que le groupe s’était séparé, en l’affirmant haut et fort : ils n’ont chômé à aucun instant.

Pour cet entretien Yoann est accompagné de Sylvain Kansara aux rôles multiples dans la composition de Grorr, à la fois machiniste et manipulant les divers instruments traditionnels que l’on peut entendre dans leur musique dont la diversité et la richesse sont centrales. Cette pluralité est aussi artistique, puisque en parallèle de cet album les deux compères confient avoir pensé et réfléchi un film d’animation qui pour de multiples raisons ne verra pas le jour. Parmi les nombreux sujets de la discussion, nous revenons sur ces années de travail, de composition et de réflexion, ainsi que sur l’histoire de l’envol de Ddulden, ce personnage créé qui n’aura peut-être pas son film mais a déjà sa bande originale.

« Nous avons eu l’impression d’être tout le temps actifs, puis nous nous sommes réveillés un matin en nous disant : « Putain, ça fait six ans ! » Nous n’avons pas vraiment fait de pause, nous avons beaucoup bossé sur l’album. »

Radio Metal : Il s’est écoulé six ans entre The Unknown Citizens et l’EP II qui est sorti en 2020. Qu’est-ce qui s’est passé durant ces six années, est-ce que vous avez peaufiné votre concept ? Etait-ce le temps d’enregistrement de l’album ?

Yoann Estingoy (guitare) : Nous avons eu pas mal de changements de line-up, parce que juste avant la sortie de The Unknown Citizens, Bertrand nous avait annoncé qu’il allait arrêter. L’album est sorti en 2014 mais nous savions déjà que nous allions tourner pendant un an avec lui et qu’ensuite il allait quitter le projet, donc il a fallu que nous recherchions quelqu’un, ce qui n’a pas été chose facile mais nous n’avons pas mis tant de temps que ça à trouver le remplaçant. Ensuite nous avons très vite commencé à écrire le nouvel album. En fait, nous faisons tout le temps des concepts albums, donc nous en avions un sous le coude, et nous avions aussi des morceaux épars. Nous nous sommes dit que nous allions sortir un EP de chansons éparses et le concept album. Après, nous avons traîné parce que nous avons eu une bassiste qui a intégré le groupe, nous avons recomposé au moins cinq fois l’album et après il y a eu le processus de mix… Il y a eu pas mal de péripéties qui font que les années sont passées très vite, c’était une espèce de vortex [petit rires]. Nous avons eu l’impression d’être tout le temps actifs, puis nous nous sommes réveillés un matin en nous disant : « Putain, ça fait six ans ! » Nous n’avons pas vraiment fait de pause, nous avons beaucoup bossé sur l’album. C’est vrai que nous avons recommencé pas mal de fois, peut-être que nous avons un peu tardé, un peu trop peaufiné les choses.

Pourquoi vous avez choisi de le faire en deux parties cet album, c’est-à-dire avec l’EP et l’album ?

Sylvain Kansara (machiniste, instruments traditionnels) : Les morceaux de l’EP techniquement viennent de chutes de l’album. Nous n’avons pas vraiment compté, mais je pense que nous avons fait plus de quatre heures de musique pour avoir à la fin cet album de quarante minutes. C’était des morceaux « labo » qui devaient nous permettre de peaufiner notre son avec le nouveau line-up, d’expérimenter des choses… Quand bien même ce ne serait pas la même sonorité que nous avons sur cet EP que sur cet album. Nous savions que nous allions sortir ces deux titres quoi qu’il arrive à un instant T. C’est Thomas [Hörnkvist, gérant du label ViciSolum Productions] qui nous a proposé cette stratégie de le sortir à part et de le rajouter en pistes bonus de l’album.

Yoann : Il faut dire qu’au départ, les deux titres de l’EP auraient dû sortir beaucoup plus tôt. Nous pensions faire le lien et ça aurait permis de faire patienter pour la sortie de l’album. Ça a traîné un peu et nous nous sommes retrouvés avec les deux sorties très serrées, mais ce n’était pas ce que nous avions prévu au départ.

Sylvain : A vue de nez, je pense qu’ils étaient prêts en 2018…

Yoann : Je dois même avoir des premières maquettes de 2016 [rires]. Nous avons très vite composé les titres, c’est les premiers que nous avons composés avec Franck [Michel], le nouveau chanteur. Ces morceaux ont été prêts très tôt.

Concernant la manière dont vous construisez vos albums, est-ce que le propos et le concept viennent avant la musique ou est-ce qu’il y a d’abord une inspiration purement musicale ?

Sylvain : C’est dur à dire… Je sais pas si tu as un avis tranché Yoann mais moi je ne saurais pas dire qu’est-ce qui précède, la musique ou le concept.

Yoann : Je pense que l’un se nourrit de l’autre, parce que nous pouvons avoir une idée arrêtée sur un concept au départ, nous commençons à écrire et puis nous nous rendons compte que nous dévions aussi… Sur le plan initial de cet album, nous avions envie d’aller plus loin et nous avions envie de faire une musique de film et de faire le film musical avec. Nous étions un peu partis là-dessus et nous avons essayé de travailler sur les deux en même temps. Au bout d’un moment, nous avons dû abandonner le projet d’avoir un film pour accompagner la musique. C’est peut-être à ce moment-là que nous nous sommes un peu plus retournés sur la musique. En tout cas, ce n’est jamais arrivé que nous ayons l’image avant la musique comme les compositeurs de musique de films.

Sylvain : Oui, parce que nous sommes à la fois compositeurs et réalisateurs de ce film, dans le sens où nous avons tout écrit.

Yoann : Nous avons écrit un synopsis et plus ou moins un scénario du film que nous aurions voulu avoir avec la musique, donc nous écrivions les deux en parallèle. C’était aussi histoire d’avoir une cohérence dans la musique et le projet, c’était de faire passer dans la musique l’histoire que nous avions écrite.

Pourquoi ce film n’a-t-il pas été achevé ?

Sylvain : C’est surtout qu’il n’a jamais existé, mais dans notre tête, c’est tout comme. Nous, nous nous le projetions, nous nous sommes fait des storyboards, etc. mais nous n’avons pas réussi techniquement à le mettre sur pied.

Yoann : C’est financier quand même. Nous avons l’habitude de travailler avec Médéric Grandet, qui est devenu un ami et presque un membre du groupe qui nous faisait tous nos clips en stop motion. Nous voulions un film en animation, du coup il fallait commencer à calculer un projet où quelqu’un comme Médéric passerait plus d’une année de sa vie. Il est intermittent, donc ça commençait à être un budget conséquent. C’était un dossier à monter pour essayer d’avoir des aides, c’était vraiment un gros truc. Nous avons donc pris des rendez-vous, nous avons bossé un peu dessus, mais nous nous sommes assez vite rendu compte que ça allait être très compliqué de réunir assez d’argent pour que quelqu’un puisse travailler aussi longtemps sur un film en animation. Ça ne semblait pas viable, malheureusement.

« Sur le plan initial de cet album, nous avions envie d’aller plus loin et nous avions envie de faire une musique de film et de faire le film musical avec. Nous étions un peu partis là-dessus et nous avons essayé de travailler sur les deux en même temps. Au bout d’un moment, nous avons dû abandonner le projet d’avoir un film pour accompagner la musique. »

On peut imaginer qu’il y aura quand même des briques. Vous avez déjà un clip animé pour « Orang Lao ». Est-ce qu’il y en aura d’autres pour l’album ?

Sylvain : Ce que nous essayons d’avoir pour cet album, c’est quelque chose de plus spécial. Nous sommes en train de creuser plein de possibilités pour pouvoir avoir du support vidéo ne serait-ce que sur scène. Nous tordons notre concept de manière à ce que ça colle à quelque chose de visuel qui serait en cohérence avec ce que nous avons voulu transmettre initialement.

Yoann : Nous aimerions bien essayer de faire une sorte de ciné-concert. C’est quand même pas mal basé sur le live puisque nous voulions faire un film musical… Nous nous disons dit que faire quelque chose qui ne serait que sur YouTube, quarante minutes de vidéo avec de la musique, ça ne serait pas forcément le meilleur média pour voir le spectacle. Clairement, nous voudrions faire un spectacle où nous jouerions la musique et où il y aurait de la vidéo pendant tout le concert. Maintenant, nous ne sommes pas arrêtés sur ce que nous allons faire exactement.

Pour en revenir à la conception de l’album, puisque vous nous avez dit que vous aviez quatre heures de musique : cet opus a-t-il été pensé dans son ensemble comme des grandes plages sonores découpées en morceaux ou il y a vraiment des morceaux qui émergent et ensuite vous faites un assemblage ?

Sylvain : C’est assez inégal. Nous ne pouvons pas prédire ce qui va arriver pour chaque morceau que nous composons, mais ce qui est sûr, c’est que des versions initiales, il y a encore des restes, notamment quelques riffs, parce que nous avons quand même eu, non pas une pensée linéaire, mais une idée qui reste cohérente du début du processus jusqu’à la fin. Quand nous abandonnons un morceau, c’est souvent au profit d’un autre, c’est-à-dire qu’il y a des idées qui sont mises sur la table et nous nous disons : « Pour dire ce qu’on avait voulu dire à ce moment-là, cette idée est meilleure. » Des fois ce ne sont pas des morceaux, ça peut n’être que des riffs, comme nous pensons cinématographiquement ça peut être juste un pont, etc. Nous n’avons donc pas forcément de longues plages. C’est une recette avec beaucoup d’ingrédients différents qui sont sollicités. Des fois ce sont des instruments aussi qui ont articulé notre écriture. Ce n’est pas une méthode complètement arrêtée. Nous faisons des petites constructions par briques.

Yoann : Nous partons quand même de scènes. Nous essayons d’avoir quelque chose d’assez digeste, donc c’est quand même découpé en morceaux qui sont relativement courts, avec des structures qui ne sont pas si complexes. Nous voulons quand même que ça reste « facile à écouter », que ça ne soit pas trop dur de rentrer dans le truc.

Sylvain : Mais ça n’a pas toujours été le cas ! [Rires] Il y a des versions de l’album que j’ai en tête, où ce n’est pas que nous faisons n’importe quoi, mais c’est avec le temps que nous avons bridé et que nous l’avons structuré de cette manière pour que ça soit effectivement plus digeste. Mais il y a des versions de l’album qui sont beaucoup plus expérimentales !

Avec ce troisième album, même s’il y a toujours ce côté « instruments musique du monde », on a l’impression que vous avez trouvé un certain équilibre et que c’est peut-être moins chargé que le l’album précédent et qu’il y a une certaine justesse…

Sylvain : C’est marrant, car si nous devions réagir à la phrase « c’est moins chargé », il y en a qui diraient le contraire, par exemple l’ingénieur du son qui a bossé dessus et qui a fait un super boulot ! [Rires] Par rapport à l’album précédent, la forme est quelque part plus classique puisqu’il avait une ligne éditoriale hors des sentiers, c’était trois morceaux divisés en trois chacun, c’est une structure qui n’est pas très commune. Là nous avons quand même fait des chansons. Le résultat des courses, c’est peut-être ça qui fait que c’est « moins lourd ».

Yoann : Oui, et je pense qu’avec le temps nous progressons un peu dans notre écriture. Je le prends comme un compliment, ça veut dire que nous nous sommes améliorés !

Par rapport aux instruments traditionnels, ethniques : lesquels sont des vrais instruments et est-ce qu’il y a une part de numérique ?

Sylvain : Oui, complètement ! Dans les vrais il y a tabla, il n’y plus kanjira car nous avons fini par le virer, il y a guimbarde, sitar, vièle mongole, les chants diphoniques… Après, les grosses percus japonaises, les taikos, j’aurais bien aimé avoir ça chez moi pour les enregistrer, mais je pense que mes voisins en auraient décidé autrement ! [Rires] Les « trucs numériques », c’est surtout les ensembles, par exemple les cordes symphoniques et cuivres symphoniques, ce genre de choses.

Donc c’est toi Sylvain qui t’occupes de ces instruments pour la plupart ?

Sylvain : Absolument, oui. Je m’occupe du numérique et du réel dans tous les cas. Après, pour les chants diphoniques, nous nous sommes partagé la tâche avec Franck. Nous nous sommes appris mutuellement à le faire. Mais pour la composante qui n’est pas guitare/basse/batterie, c’est moi qui m’en occupe, oui.

« Il y a des versions de l’album que j’ai en tête, où ce n’est pas que nous faisons n’importe quoi, mais c’est avec le temps que nous avons bridé et que nous l’avons structuré de cette manière pour que ça soit effectivement plus digeste. »

Comment en es-tu venu à apprendre une telle diversité d’instruments ?

Sylvain : Je vis plus ou moins de la musique, donc j’ai la chance de passer mes journées à faire de la musique. Avant d’intégrer Grorr, je jouais déjà pas mal d’instruments – de la guitare, de la batterie, du clavier, etc. – mais mon intérêt spécifique pour les instruments du monde est venu avec Grorr. Ça devait être en 2013, le challenge a été lancé, Yoann a trouvé un sitar électrique sur internet en disant que ce serait cool de tester. Nous l’avons donc acheté, nous nous sommes fait livrer – il a mis trois mois à arriver. Par la suite, je me suis vraiment passionné pour le sitar et je me suis acheté un vrai sitar, car le sitar électrique, c’était un truc de voyage, un genre de modèle réduit, mais qui marche quand même et qui est très bien. Ça, c’était les doigts dans la prise et ensuite, je me suis intéressé à plein de trucs, comme les chants diphoniques, les flûtes, les percussions… J’étais prof de batterie avant, donc de manière générale, les percussions m’intéressaient. Et là je me suis mis au thérémine depuis quelques mois ! [Rires] Des fois ça me prend, il y a un instrument qui me passionne… Par exemple, j’ai une passion inconditionnelle pour la guimbarde qui m’est venue il y a quelques années, ça sort un peu de nulle part et j’ai fait du forcing dans Grorr pour en mettre. C’est ma passion : sur mon temps libre, je pratique de l’instrument traditionnel.

Je passe un peu pour le hippie du groupe, mais pas du tout, en fait ! Je ne viens pas du tout d’un background new age ou quoi que ce soit. Je suis un rockeur pur et dur dans l’âme, j’aime le metal et le stoner. Mais c’est Grorr qui a fait ça – j’ai eu un peu la maladie Grorr [rires]. C’est vraiment le groupe qui est l’origine de cette passion. Tu m’aurais dit il y a dix ans que j’allais m’intéresser à ça, je ne t’aurais peut-être pas cru. Ça a été une vraie rencontre pour moi. J’ai eu plein de projets musicaux dans ma vie et Grorr est celui qui m’a le plus tenu en haleine en termes d’intérêt et humainement. Ce qui est rigolo, c’est que quelques mois avant que j’intègre le groupe pour la tournée Anthill, je ne connaissais pas – ça faisait partie de la scène locale de Pau – et je crois que c’est en soirée, des potes bourrés m’ont dit : « Ah, écoute ça ! C’est trop bien ! » Et c’est vrai que ça m’avait frappé, je m’étais dit que c’était génial ces instruments – ils en mettaient déjà avant, mais ils faisaient ça avec des banques de sons, des VST. C’est ensuite que je les ai rencontrés vraiment par hasard… Bref, Grorr m’a complètement retourné le cerveau.

Il y a quand même beaucoup d’instruments, et notamment des instruments qu’on n’a pas forcément l’habitude d’entendre en Occident. Ça ne doit pas toujours être évident de se mettre sur certains d’entre eux…

Sylvain : Par exemple, par personnes interposées, j’ai eu un maître de sitar pendant trois ans. J’habite à Nancy, dans le Nord-Est, donc à chaque fois que je faisais des allers-retours dans le Sud, je passais par Paris et j’allais prendre mon cours de sitar. Pour le reste, quand j’ai besoin d’avoir des ressources pour apprendre des instruments, c’est compliqué de trouver des profs pour tout, donc je me renseigne par moi-même et je lis énormément d’ethnomusicologie – je prends des bouquins, je vois sur YouTube, etc. J’essaye aussi de contacter des gens dans le milieu de la musique mongole, par exemple, pour bien apprendre l’instrument avec les vraies techniques. Après, ce n’est pas que je ne vais pas jusqu’au bout, mais je ne te cache pas qu’une fois que j’ai passé trois ans sur un instrument et que je me sens assez libre dessus, je passe à un autre. Surtout, ce que je fais dans Grorr, en général, c’est ma limite. C’est-à-dire que je ne vais pas forcément pousser, techniquement, au-delà de ce que peux accomplir dans le groupe, car je ne peux pas prétendre maîtriser réellement ces instruments – c’est la pratique de toute une vie normalement pour bien faire. Je profite d’avoir du temps pour faire le maximum que je peux, mais je ne vais pas m’instituer demain spécialiste de quoi que ce soit sur ces instruments. Par contre, je suis quand même sérieux dans mes recherches et dans le temps que je passe dessus.

Tu parlais du chant de Franck : cette nouvelle sortie est aussi l’occasion de le présenter en tant que chanteur en studio, car c’est la première fois qu’il apparaît sur un de vos albums. Lorsque vous avez fait vos recherches, vous avez dit que vous aviez trouvé assez rapidement. Vous cherchiez un timbre commun pour garder une certaine continuité avec les deux précédents opus ?

Yoann : On va dire que c’est un « accident ». Ça doit être parce que nous aimions bien la voix de Bertrand et du coup nos goûts se sont tournés vers ça un peu par hasard. Ce n’était pas une volonté. Nous cherchions une voix qui provoque quelque chose, que nous aimions et qui nous donne des frissons quand nous l’entendons. Après, nous aimons bien ce type de voix qui est chanté avec du timbre et du grain. Nous avons un ou deux concerts avec Franck et des morceaux de l’ancien répertoire, et il n’était pas plus à l’aise que ça avec les anciens titres, donc il n’était pas mécontent que nous partions sur du nouveau matériel.

Sylvain : Qu’on s’entende bien, il s’est très bien débrouillé quand même, lui n’était pas à l’aise et ne se sentait pas forcément bien mais il a géré comme un chef ! Avant de tomber sur lui, nous avons « fait passer des auditions », nous avions mis des morceaux tests pour que les chanteurs qui veulent essayer chantent dessus. Il y en a avec qui nous avons essayé, il y en a bon… C’était… Je n’ai pas envie d’être méchant. Par contre, nous n’étions pas fermés. Nous avons envisagé des chanteurs avec des voix qui étaient très différentes. J’ai le souvenir de quelques-uns pour qui nous nous sommes dit que ça pourrait être pas mal et qui avaient une voix qui n’avait rien à voir avec ça. C’est un heureux hasard.

Yoann : Je me rappelle quand nous avons su que Bertrand partait et que nous étions déjà sur notre concept, or nous aimons bien donner à certains instruments des personnages, « des rôles » dans le film, et nous nous étions dit que nous allions avoir des personnages différents dans notre histoire.

Sylvain : Oui, il y a une version de l’album où nous avions quasiment casté un chanteur ou chanteuse par morceau !

« Nous faisons ce qu’on appellerait vulgairement des « chinoiseries », c’est-à-dire que le but du jeu n’est pas tant d’évoquer certaines régions du monde, mais de faire voyager. Sur un morceau où il peut y avoir un ensemble de percussions africaines, il y a aussi du chant amérindien et du sitar. Ça n’a aucun sens, mais ça fait voyager. »

Il y a quand même une approche très « japonisante » ou « orientalisante » que ça soit dans le visuel ou dans les sons. Pourquoi ce choix culturel si marqué ?

Sylvain : C’était déjà marqué par rapport à Anthill. C’est vrai que dans The Unknown Citizens, ça allait vers autre chose… Je pense que la réponse simple c’est que ça nous fait triper et que ça nous inspire, sur l’imaginaire par rapport au film que nous avions idéalisé. Il n’y a pas que ça, car il y a un morceau où j’ai utilisé concrètement des trucs d’Afrique de l’Ouest, et c’est à ce moment-là où il fait des chants amérindiens. Nous faisons ce qu’on appellerait vulgairement des « chinoiseries », c’est-à-dire que le but du jeu n’est pas tant d’évoquer certaines régions du monde, mais de faire voyager. Sur un morceau où il peut y avoir un ensemble de percussions africaines, il y a aussi du chant amérindien et du sitar. Ça n’a aucun sens, mais ça fait voyager. Nous ne savons pas où, mais nous imaginons que ça fait voyager.

Yoann : C’est comme dans les musiques de film, il n’y a pas forcément de cohérence géographique dans les instruments utilisés. Après, nous étions partis sur un film en animation et je pense que du fait de notre expérience, nous avions forcément des images des films de Miyazaki qui nous trottaient dans la tête, donc je pense que ça a joué dans l’inconscient et dans la création du truc.

Ddulden’s Last Flight raconte l’histoire d’un protagoniste qui s’appelle Ddulden. Comment résumeriez-vous avec vos mots l’histoire de ce personnage ?

Sylvain : Je vais commencer par un préambule explicatif : il y a plusieurs strates d’histoire, plusieurs sens de lecture qui ont motivé notre façon de composer et d’écrire. Ce qu’on peut dire en surface par rapport à qui est Ddulden, c’est que le personnage qui nous a inspiré ce nom est un personnage historique qui aurait soi-disant existé et qui est lié à un mouvement qui s’appelle le luddisme. Nous nous sommes servis de cette figure historique pour fabriquer un personnage imaginaire qui évoluerait dans un récit plus classique de voyage et parcours du héros. Ce qui nous intéressait, c’était le sujet sociétal que ça évoquait, donc cette figure de Ddulden incarnait ça. En même temps, on peut comparer son histoire au personnage d’Icare. Je ne sais pas si peux me permettre de raconter l’histoire dans le détail, mais dans les grandes lignes c’est ça, et ça nous a permis d’insuffler beaucoup de choses et d’aspects que nous voulions mettre dedans.

Yoann : Dès le départ, c’est un personnage qui a des rêves. En l’occurrence, c’est une espèce d’inventeur qui construit une machine et qui rêve de voler. On suit son parcours. Dans les prémices, il rêve son projet, ça commence un petit peu à marcher, il s’envole, il s’écrase, il est un peu désespéré, on l’aide à le relever, il a des gens qui lui apportent des moyens pour aller plus loin dans son rêve, ça finit par bien marcher pour lui, et puis il se rend compte qu’en fait il y a un revers de la médaille, qu’il s’est fait un peu utiliser, que sans s’en rendre compte, en poursuivant sa passion, il s’est trouvé du mauvais côté de la barrière. A la fin, la question se pose s’il va vivre avec ça ou s’il va tout abandonner. Quand je le raconte, c’est toujours un gars avec sa machine volante, mais il y a plusieurs niveaux de lecture, notamment un niveau qui rappelle notre propre histoire, quand on commence un groupe, qu’on a plein de rêves, plein d’ambitions et tout ce qui s’ensuit. A chaque fois que nous écrivions, il y avait ça en tête. Nous nous sommes aussi approprié toute la thématique du luddisme, avec le progrès technique et l’avancée technologique. Ça nous a remis un peu dans l’état du monde actuel. Ca fait tout un gros bazar et nous nous sommes dit que ça marchait bien.

Sylvain : Avec cette trame, à l’écoute de l’album, normalement, nous essayons de transmettre des émotions qui sont liées aux étapes de ce récit. Nous n’avons pas spoilé la fin, mais a priori la manière dont cette histoire se termine est limpide. On vous laissera en juger [rires].

Le choix du luddisme est assez particulier car c’est un mouvement et un conflit assez restreint temporellement et géographiquement. Vous, vous l’utilisez parce que ça faisait écho, pour vous et dans la narration, à la société actuelle ?

Sylvain : C’est juste un filtre quelque part, c’est un angle de lecture, donc la finalité est de proposer une clé d’analyse par rapport au monde contemporain. Quand nous le prenons sous le filtre du luddisme, notre histoire se passe du début de l’ère industrielle jusqu’à aujourd’hui. Ce n’est pas un propos qui traite juste de ces dix dernières années ou de l’ère d’internet, c’est quelque chose qui est ancré au début de l’ère industrielle. Par rapport aux thématiques actuelles, nous ne sommes pas concrètement en train de faire une critique papier noir sur blanc et de dire « aujourd’hui c’est de la merde » ou « aujourd’hui c’est mieux ». Ce n’est pas dans ce sens-là que nous avons utilisé le luddisme, en tout cas.

Comment vous arrivez justement à faire cette distinction dans votre œuvre entre l’aventure et la critique ?

Sylvain : Je répondrais de la façon dont Miyazaki a abordé ce genre de sujets. Cette espèce de morale déterministe et un peu stoïque qui embrasse sa destinée, on va dire. Je pense que c’est la façon dont nous l’avons écrit, parce que je ne nous vois pas discuter du luddisme en disant : « Oui, ça c’est bien ça ce n’est pas bien. » C’était le matériel, le support et les idées qui étaient intéressants, mais nous ne sommes personne pour dire que le luddisme est la clé ou pas.

« Nous trouvons que c’est bien aussi que les gens se fassent leur propre film. J’aime bien le faire, quand j’écoute de la musique, je me fais ma propre histoire. Des fois je suis même très surpris ou déçu quand je découvre la vraie histoire [rires]. »

Vous vous y retrouviez dans cette position mais partiellement, c’est-à-dire que vous n’êtes pas porte-parole de ce mouvement-là, c’est peut-être plus un constat que vous partagez.

Sylvain : Oui. Après, est-ce que nous en avons concrètement discuté, je ne sais pas, mais c’est un sujet qui de toute façon nous touche tous. Pour n’importe quel groupe de débat ou de parole, si on lance un sujet comme ça, je pense que tout le monde peut avoir un avis dessus. Mais nous n’avons pas débattu dessus, en tout cas s’il y a eu des débats, je ne m’en souviens pas, et s’il y en a eu, ce n’est pas ce qui a motivé notre écriture. Après, je pense que si nous en débattions, nous aurions des réponses différentes. J’ai ma propre vision de la chose que peut-être les collègues de mon groupe ne partagent pas [rires].

Yoann : En personnage de fiction, il se trouve que ça marchait bien aussi. Sans trahir des trucs, au début il avait une machine, ça ressemblait à un planeur et c’était fait de bois, et au bout d’un moment il découvrait la ville, les méchants industriels qui lui fournissaient un réacteur et il avait une super machine, il était très content et il allait très vite, et il se rendait compte qu’en fait… ils étaient méchants ! [Rires] Et on tombe sur cette histoire de luddisme, et on s’est dit que ça marchait bien. Mais comme dit Sylvain, nous n’avons pas embrassé la cause pour autant. Il y a eu le néo-luddisme qui est apparu plus récemment, il y a des trucs intéressants, mais je suis pas sûr d’être très en accord avec ça non plus.

Sylvain : Désolé si nous sommes un peu cryptique quand il s’agit de parler du fond de l’histoire parce que ce qui nous intéressait, ce n’était pas forcément qu’il y ait de notice ou qu’elle soit juste là pour motiver l’existence de notre musique. Il y a des choses que nous avons décidé de révéler ou de ne pas révéler. C’est aux spectateurs de se faire leur idée, c’est ça aussi le but du jeu.

Yoann : D’ailleurs, nous nous posions beaucoup la question avec un film qui supporte la musique, à quel moment l’image est plus importante que le son. En sachant que nous faisons quand même de la musique et que nous ne sommes pas réalisateurs, donc ça peut nuire aussi. A partir du moment où nous nous sommes rendus à l’évidence que nous n’aurions pas de film derrière, nous nous sommes vraiment posé la question de savoir si nous faisions une pochette, si nous mettions les paroles, si nous parlions de l’histoire que nous avons imaginée ou si nous laissions une page blanche et nous laissions les gens se faire leur propre film dans la tête. Nous trouvons que c’est bien aussi que les gens se fassent leur propre film. J’aime bien le faire, quand j’écoute de la musique, je me fais ma propre histoire. Des fois je suis même très surpris ou déçu quand je découvre la vraie histoire [rires].

Sylvain : A titre personnel, je suis assez fier. Six ans, ça a été long et ça a été beaucoup de travail, et maintenant quand je vois des chroniques de l’album qui sortent, il y a des gens qui arrivent à comprendre des clés de l’histoire. Personnellement, je ne m’y attendais pas ! Je ne sais pas si je manque d’ambition, mais en tout cas ça veut dire que c’était ce que nous voulions.

Vous avez parlé de Miyazaki. Il y a un aspect très onirique dans votre musique, ce qui fait que ce lien est pertinent, mais quelles sont vos autres références artistiques en matière de musique et cinéma ?

Yoann : En visuel, nous avons effectivement beaucoup tourné autour de Miyazaki. Après, nous aimons beaucoup tout ce qui est cinéma en stop-motion. J’ai beaucoup regardé L’Etrange Noël De Monsieur Jack et les films faits par ce studio. J’aimais beaucoup aussi les travaux du studio Laika.

Sylvain : Sur notre « bureau de travail », dans les choses que nous nous sommes mises et que nous nous partagions pour créer l’album, dans les BO de films, il y avait la BO du Dracula de Coppola ou celle de Conan Le Barbare, par exemple. J’aime bien les compositeurs japonais que ça soit Kenji Kawai, Joe Hisaishi… Ce sont des choses qui allaient de soi à ce moment-là. Si on prend la dernière série produite par Ridley Scott, Raised By Wolves, il y a un moment de l’album ou de l’histoire, c’est exactement ce que j’imaginais. Il y a des moments de fulgurances comme ça ! De toute façon, en six ans, nous nous en sommes partagé des choses, nous en avons écouté, etc.

Yoann : Après, nous ne nous sommes pas mis de films devant les yeux pendant que nous écrivions. Nous nous sommes nourris de tout ce que nous consommons et avons consommé. Nous avons aussi puisé dans la bande dessinée, dans la littérature et dans notre propre imaginaire.

Sylvain : Nous parlions de Miyazaki et tout, nous avons pas mal regardé des estampes japonaises du dix-huitième siècle. Esthétiquement, même si ce n’est pas forcément des choses qui ont abouti in fine sur notre matériel visuel, nous avons regardé pas mal de choses qui, picturalement, pouvaient nous intéresser. Par exemple, nous avons tout un dossier sur comment nous imaginions la machine de Ddulden, nous avons tout un dossier sur comment nous imaginons la ville sur laquelle il tombe, nous avions regardé des trucs à droite et à gauche… Il y a des films qui abordaient plus ou moins ce genre de sujet, comme Mortal Engines de Peter Jackson, il y avait aussi Alita: Battle Angels…

Yoann : Oui, tout ce qui est un peu steam-punk…

« Nous nous sommes nourris de tout ce que nous consommons et avons consommé. Nous avons aussi puisé dans la bande dessinée, dans la littérature et dans notre propre imaginaire. »

A un moment vous avez envisagé de laisser un horizon blanc sur la pochette, donc comment s’est incarné ce visuel qui au final donne une direction ? Comment cet univers s’est-il cristallisé dans l’artwork ?

Sylvain : A l’origine, en parallèle de tous nos projets mégalos de films et tout ça, il y a un moment où nous voulions carrément une fresque qui raconterait l’histoire chronologiquement de gauche à droite dans le style d’estampes japonaises. Nous avions commencé à maquetter ça, à nous demander comment composer les plans. En sachant que, puisque nous sommes originaires du Sud-Ouest, de Pau, la montagne a toujours été là, depuis le début de ce projet. Nous imaginions donc que cette fresque était la chaîne de montagnes. Nous avons finalement abandonné cette idée, parce que juste matériellement nous ne savions pas comment le faire imprimer… Après, pour la pochette, avec toutes les idées que nous avons eues, à un moment donné nous nous sommes dit qu’il fallait prendre une décision. C’est ma belle-sœur qui est dessinatrice professionnelle – elle fait de la BD et ce genre de choses – qui a fait la pochette, et nous nous sommes arrêtés sur une composition de plans. Nous voulions aussi que la pochette soit déclinable en affiche de film, chose qui a été faite d’ailleurs – normalement, dans le pack avec le vinyle, il y a le format affiche de film. Nous avons un peu médité dessus en nous demandant ce qu’était une bonne affiche de film, ce qui devait apparaître ou pas, s’il faut que ça raconte toute l’histoire, etc. Après moult conversations, débat d’idées autour de sujets, parce qu’il y en a eu quand même quelques-uns, il y a eu cette composition de plans qui nous a paru sympa, donc d’avoir le personnage au premier plan sur la falaise et qui devait faire face à « sa Némésis » qui prend beaucoup de place dans le plan aussi. Il fallait la vallée, il fallait qu’il y ait du feu, il fallait qu’il y ait de la nature, etc., tout ça chapeauté par les esthétiques d’estampes à la Hokusai et Hiroshige, ce genre de peintres.

Yoann : C’est vrai que ça dirige beaucoup l’auditeur, puisque dès qu’on a une pochette, ça guide un peu l’inspiration. Ça me rappelle aussi que nous avons eu un peu le trip, et on peut le dire maintenant parce que nous ne le ferons pas… Nous nous sommes dit que nous allions faire le concept du film perdu, qu’en gros ça allait être la musique d’un film qui avait disparu et qu’on ne verra jamais. Nous nous sommes dit que c’était bien d’avoir l’affiche du film…

Sylvain : Il y a des éléments de cette idée-là qui figurent sur cette affiche encore. Ce n’est même pas en easter eggs parce que tout le monde s’en fout, mais nous, ça nous a fait tripper, nous avons imaginé ce réalisateur qui aurait disparu et aurait été victime d’un genre de complot, avec le compositeur de sa musique. Nous avions même imaginé tous les films qu’il a faits : sa filmographie, la discographie de son collègue compositeur, un contexte géopolitique qui est complètement dystopique, etc. Nous avons imaginé tout ce truc de manière à ce que nous fassions notre… Comment s’appelle ce truc de Nine Inch Nails où il a créé tout un univers, tout un site ? Enfin, il y en a d’autres qui l’ont fait et qui ont plus de résonances que nous pour le grand public. Nous avions prévu tout un plan autour de ça, effectivement.

Vous nous avez beaucoup parlé de cinéma. Est-ce que quand vous concevez votre musique, vous diriez que vous êtes plus inspirés des bandes originales que du milieu du metal ?

Yoann : En tout cas, sur ce projet oui, complètement ! C’était le but. Après, il faut savoir que Sylvain, durant les six années, il s’est dirigé vers le métier de compositeur de musique à l’image, donc encore plus maintenant. Il n’en reste pas moins qu’il y a quelques groupes de metal qui nous ont inspirés quelques passages. En plus, nous avons une vraie volonté parce que toute la partie metal de l’album était censée représenter la machine dans sa version améliorée. Ça n’apparaît pas tout le temps, il y avait une vraie volonté que ça ne se soit pas seulement un disque de metal, ce n’est pas une composante principale de l’album.

Sylvain : Mais il ne fallait surtout pas que ça soit un album symphonique non plus. C’était un des trucs dans lesquels nous ne voulions pas tomber. Nous avons poussé les curseurs petit à petit, mais c’est vrai qu’au début nous nous bridions beaucoup dessus. A titre personnel, je suis content que ce ne soit pas trop.

On voit que vous jouez avec les paradoxes musicalement. Les parties djent se rapportent un peu plus à la technique, à quelque chose de très réel et très actuel, alors que les inspirations des musiques du monde et les moments plus aérés que tu rapportes avec tes instruments, Sylvain, on est plus dans l’ordre de l’évasion. Il y a donc une volonté d’opposer les choses et de les fusionner…

Sylvain : Je ne suis pas sûr que nous ayons mis des mots sur cette volonté-là, ce qui est sûr c’est que c’est comme ça que nous faisons ! Quand nous discutons de la suite ou même sur les morceaux précédents, c’est comme ça que nous procédons. Est-ce que ça vient d’une volonté ou de quelque chose de conscient, je ne saurais pas le dire, personnellement.

Yoann : Je pense quand même que oui, parce que même si ce n’est pas tout le temps vrai, nous avons vraiment voulu attribuer à certains sons des rôles. Le côté saturé, un peu djent, mécanique, ça allait effectivement bien avec tout ce qui était technologie et industrie. Il y avait un côté un peu plus traditionnel, et ça allait bien avec l’histoire.

Sylvain : Mais nous n’avons pas forcément fait ça pour marquer une forme d’opposition. Il me semble que nous cherchions une homogénéité quand même, malgré tous les écarts que nous faisons et les paradoxes, comme tu disais. Il y a eu une version de l’album où il était carrément divisé en deux parties, très naturaliste sur la première moitié et très mécanique sur la dernière moitié. Je suis content rétrospectivement que nous n’ayons pas fait ça. Après, c’est une question, je pense que nous pourrions y répondre pendant des heures, c’est un peu des strates philosophiques.

Yoann : A l’arrivée, nous ne voulions pas non plus être esclaves du concept, nous recherchions quand même l’équilibre et quelque chose qui ne mette pas l’auditeur de côté. Ça peut avoir des limites d’être jusqu’au-boutiste dans le concept, ça peut être inécoutable à la fin. Nous voulions quand même que ça soit cool à écouter.

« Nous n’allons pas être les gars qui vont faire des circles pits, qui vont faire sauter tout le monde. C’est plutôt le trip de s’asseoir et de profiter, quitte à fermer les yeux. »

En 2017, vous avez participé au Metal Oper’art pour un concert un peu atypique : qu’est-ce que vous avez retenu de cette expérience ? Est-ce qu’elle a influencé votre manière de penser la composition ?

Sylvain : Je ne crois pas. Je crois que ça nous a juste confortés sur le fait que nous étions à notre place dans un truc atypique. Même si nous avons déjà fait des concerts plus classiques, à l’ancienne, que ça soit dans des bars, des SMAC (scènes de musiques actuelles, NDLR), faire ça dans ce contexte-là avec des groupes qui sont tous des groupes un petit peu atypiques aussi, ça m’a conforté dans l’idée que c’était là que nous devions être à ce moment-là.

Yoann : Pour moi, c’était beaucoup de stress avec la caméra dans la gueule [rires]. C’est passé comme dans un rêve, c’est passé beaucoup trop vite. En tout cas, c’est sûr qu’avec les concepts que nous avons, vu les ambiances que nous créons, c’est compliqué d’être dans un concert… Nous n’allons pas être les gars qui vont faire des circles pits, qui vont faire sauter tout le monde. C’est plutôt le trip de s’asseoir et de profiter, quitte à fermer les yeux. Effectivement, il faut pouvoir profiter de la musique, donc oui, nous sommes à l’aise dans un endroit atypique.

Sylvain : Je peux répondre quelque chose quant à la manière dont ça a impacté la composition. C’est à titre très personnel, par rapport à ce que je fais dans le groupe et dans des concerts comme ça. Je ne pense pas que c’était un truc qui ait changé radicalement l’album, mais c’était notre premier concert au clique et, en fait, depuis le début, je suis pour qu’il n’y ait pas de clique. Le but du jeu c’est que ça puisse rester vivant et que je puisse sortir les samples en temps réel en m’adaptant à la musique. Niveau infrastructure, c’est un bousin sans nom. Nous n’avons pas eu trop d’accidents, il y a eu quelques couacs avec ça, mais ce qui est sûr, c’est qu’un concert comme ça, ça me conforte dans l’idée d’avoir des choses « automatisées » et ça m’a poussé, pour l’album Ddulden’s Last Flight, à me demander en amont du processus de composition ce que j’allais jouer sur scène. J’ai cherché à avoir une proportion d’instruments réels pour avoir à faire quelque chose et à laisser les trucs symphoniques et tout sur une bande-son.

Imaginons que la vie reprend et qu’il n’y a plus de pandémie, comment vous comptez honorer cet album en live ? Est-ce qu’il y aura des musiciens de sessions au vu de la richesse des instruments que tu manipules Sylvain ? Et comment vous concevez l’aspect cinématographique que vous avez développé ?

Sylvain : Ça c’est la conversation que nous avons eue le plus avec Yoann ces deux dernières années, je pense [rires]. Je ne sais pas s’il y a une réponse claire pour le moment. Parce que de toute façon c’est simple, avant qu’il y ait la pandémie, nous avions des dates qui étaient fixées. Ça a dû être repoussé éternellement à cause des retards de l’album pour des raisons X ou Y. Nous avions plein de scénarios possibles, au moins pour une release. Depuis la pandémie, je ne sais pas où nous en sommes dans cette conversation.

Yoann : Nous nous sommes dit que nous avions le temps d’y réfléchir. Je pense que si nous jouons pour le concert de sortie que nous ferons chez nous à Pau, dans la salle dans laquelle nous avons l’habitude de jouer et dans laquelle nous pourrons faire une résidence, je pense que nous aurons l’occasion d’avoir quelques invités pour avoir un maximum d’instruments. Il y a aussi tout ce qui est chœur, nous avons des feats sur le chant aussi, donc nous essaierons d’avoir les gens que nous pouvons avoir. Après, c’est vrai que dès qu’on commence à tourner, il y a un aspect logistique et financier, et ça nous l’avons déjà prévu d’ailleurs, nous aurons les samples de l’album et les passages où Sylvain a prévu de jouer en live qui ont été réfléchis en amont. Le gros chantier, ça va être tout l’aspect visuel à l’arrière qui a beaucoup avancé dans nos têtes mais pas beaucoup dans les faits. Nous avons un peu hiberné à ce niveau-là [rires]. Il faut que nous nous y recollions.

Yoann, peux-tu nous dire un petit mot sur le festival que vous tenez sur Pau ?

Yoann : Au départ, c’était une initiative venant de nous et après c’est devenu une association. Maintenant, ça s’est un peu élargi à d’autres musiciens de la scène paloise. C’est le GroFest. C’est un petit festival qui a déjà eu trois éditions, il devait y avoir la quatrième l’année dernière. Ça ne s’est pas fait avec la pandémie. Nous attendons avec impatience que ça se décante et puis nous essaierons de continuer le truc. Ce n’est que des bénévoles et des passionnés, donc nous faisons ce que nous pouvons sur deux, trois jours. Nous essayons de faire jouer la scène locale et de programmer des groupes qui nous tiennent un peu à cœur, que nous trouvons vraiment intéressants. C’est sûr que nous ne pouvons pas faire des folies, nous n’avons pas un budget de dingue mais nous avons réussi à faire venir Humanity’s Last Breath, nous avons fait jouer Hypno5e, Klone, des groupes que nous aimons bien. Nous aurions dû faire venir la première année Hacride, nous sommes mal tombés, c’est juste le moment où ils ont arrêté.

Interview réalisée par téléphone le 10 mars 2021 par Jean-Florian Garel & Erik Melkhian.
Retranscription : Jean-Florian Garel.

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