Le deuil est toujours un moment compliqué à vivre, en particulier pour un groupe, non seulement à un niveau affectif mais aussi pour toutes les questions que cela soulève. Le deuil du guitariste de Riverside Piotr Grudziński, Mariusz Duda, le chanteur-bassiste et tête pensante du groupe, l’a affronté à trois reprises comme il fait remarquer lui-même : deux albums de son projet solo Lunatic Soul et désormais un nouvel album de Riverside, Wasteland, qui fait table rase, ou presque, et ouvre une nouvelle ère.
L’album inaugure ainsi une nouvelle géométrie pour Riverside, en trio, Mariusz Duda récupérant en majorité la fonction de guitariste. Si l’album est l’un des plus sombres du groupe, point de déni ou de réelle colère, Riverside en est aujourd’hui à l’acceptation. Le groupe regarde vers le vaste horizon de l’avenir, dans un monde dévasté par l’apocalypse, où il faut lutter pour sa survie mais où tout reste entre nos mains. Riverside élabore ainsi un album conceptuel, dans lequel chacun y verra les analogies qu’il voudra. Nous en discutons avec Mariusz Duda ci-après.
« Le sujet de Wasteland, ce n’est pas le passé. C’est principalement le futur, et c’est nous, ça parle de survie. […] C’est pourquoi c’était si important pour moi de créer cet album en trio, rien que pour prouver qu’il n’y a rien d’impossible et qu’il est possible de survivre même si on est confronté à la fin du monde. Cet album est un guide de survie. »
Radio Metal : Wasteland est le premier album de Riverside réalisé en trio, mais avant ça, vous avez fait votre première tournée depuis le décès de votre guitariste Piotr Grudziński. Comment c’était de monter sur scène sans lui à vos côtés ?
Mariusz Duda (chant, basse & guitare) : Au tout début, c’était très dur pour nous. Nous avons dû nous y faire. Les deux premiers concerts étaient les plus douloureux ; je me souviens, c’était les plus gros examens de ma vie ! Mais après, chaque concert était de mieux en mieux, et je pense que maintenant, sur scène, avec Maciej Meller, nous formons une très bonne équipe et les gens nous ont acceptés, parce que nous nous sommes acceptés. Donc pendant la tournée de Wasteland, je pense que ce sera encore mieux. Mais quand nous avons dit que nous continuons notre carrière, nous avons aussi dit que ce serait bien de créer quelque chose de nouveau en studio, pas seulement d’en rester à donner des concerts. C’était donc très important pour nous de faire cet album, Wasteland.
Tu as d’ailleurs déclaré que vous deviez prouver votre capacité à survivre, non seulement en jouant des concerts, mais surtout en enregistrant un nouvel album. Est-ce que le processus de création de cet album était imprégné de cette pression ?
Bien sûr ! Il y a toujours une pression avant quelque chose de nouveau, parce que j’essaye toujours de faire quelque chose de marquant, qui soit important. Je n’ai pas envie de créer des albums qui n’ont rien à dire. Mais dans ce cas particulier, c’était très dur pour moi. J’ai dû prouver que nous pouvions y parvenir, que nous pouvions être un trio en studio aussi, mais… D’accord, ce n’était pas si difficile parce que la musique venait toute seule. Heureusement, j’ai fait deux albums avec mon projet solo, Lunatic Soul, avant. Donc Wasteland était le troisième album d’affilée que je faisais, et grâce à ça, c’était plus facile de travailler sur les nouvelles chansons. Je n’ai pas du tout galéré, c’était très naturel. Je me souviens, en octobre et décembre, la musique est venue toute seule et j’avais presque tout. Michał [Łapaj] a juste ajouté une chanson à l’ensemble de chansons que j’avais composé, et nous avions un nouvel album ! Le seul défi pour nous était de trouver quelque chose de différent de ce que nous avions avant. Je ne voulais pas faire comme si rien ne s’était passé et créer le même album qu’avant. C’est pour ça que j’ai décidé d’intituler l’album ainsi et de recommencer, faire quelque chose un peu autrement. Wasteland n’est que le début d’une nouvelle aventure, d’un nouveau chapitre de Riverside. Cet album est d’ailleurs un peu lié à notre autre album Second Life Syndrome, parce que ceci, quelque part, est à nouveau notre syndrome de la seconde vie [petits rires]. C’est pour ça que j’ai utilisé ces titres pour les premières et dernières chansons de l’album, car ça fait référence à l’album Second Life Syndrome.
Tu as dit que c’était un recommencement, le début d’une nouvelle aventure. Etait-ce un peu comme partir dans l’inconnu et redécouvrir une nouvelle dynamique de groupe ?
Nous avons décidé d’être un trio désormais, et étant un trio, j’ai dû jouer de la guitare, je devais maintenant être responsable de notre son, plus que jamais. Pour cette raison, c’était assurément un nouveau départ pour moi. Et la part émotionnelle des chansons est aussi différente. Je pense aussi qu’avec Wasteland, nous avons créé quelque chose de moins prog mais plus alternatif, donc c’est une autre histoire. Après, je sais que notre batteur, Piotr, a dit que c’était comme si c’était notre second premier album, mais je n’irais pas non plus jusque-là, ça reste la suite de l’histoire de Riverside et tout ce que nous avons fait avant.
La dernière fois qu’on s’est parlé, en 2016, tu nous as dit : « Ce sera différent, c’est certain. Et peut-être est-ce le moment de revenir à quelque chose de plus heavy. Et ce sera, assurément, bien plus ouvert d’esprit artistiquement, car maintenant, nous ne sommes pas un simple groupe classique et normal. » Comme tu l’as dit, tu as pris en charge la guitare sur l’album, mais à quel point cette nouvelle configuration de groupe vous a poussé à davantage expérimenter ?
Beaucoup. Parce que nous n’avions pas de guitariste et que nous n’avons pas composé durant un brainstorming dans notre salle de répétition, nous avons dû maintenant expérimenter en tant que trio. Donc le son de guitare, c’est trente à quarante pour cent un son de basse piccolo mêlé à une guitare. Grâce à ça, en l’occurrence, nous avons obtenu un son relativement original, qui se situe quelque part entre le metal, le stoner et un son étrange comme, je ne sais pas, Royal Blood. Nous avons donc trouvé des sons intéressants avec la guitare, j’ai commencé à chanter plus bas sur certaines parties, nous avons un son de batterie plus ample, et le niveau d’émotion est totalement différent aujourd’hui. Beaucoup de passages dans l’album sont très profonds et émotionnels. Mais ça vient, évidemment, des circonstances par rapport à ce qui s’est passé. Si nous l’avions fait de façon classique, probablement que nous aurions fait un autre album à la Pink Floyd, mais là, nous avons dû expérimenter et peut-être grâce à ça, l’album sonne très différent de ce à quoi nous nous attention, et j’en suis heureux.
Et pourquoi as-tu très tôt pensé que vous prendriez une direction plus heavy, plus intense ? Même si, d’un autre côté, tout n’est pas heavy dans l’album…
Je pense que c’était l’ennui ! Je ne voulais simplement pas me répéter, je ne voulais pas faire un autre album calme, ambiant et électronique, ou quelque chose proche de la pop, comme c’était le cas avec Love, Fear And The Time Machine. Je voulais juste faire quelque chose de différent. Ce genre de son me manquait. En plus, le sujet de l’album se prête bien mieux à des choses un peu sales et heavy que des morceaux doux, calmes et mélancoliques. Mais j’essaye toujours de trouver un bon équilibre. Mon style musical est toujours de trouver l’équilibre entre les choses heavy et douces. Je voulais relier ces deux aspects dans cet album, trouver des trucs heavy et des trucs calmes dans les bonnes proportions.
« Certaines personnes se comportent comme si quelqu’un manipulaient des fils attachés à leurs mains et leur cou, c’est étrange. Je pense qu’on devrait être davantage éveillés. Je crois que l’on vit une époque difficile mais on a toujours une chance de la changer, et je crois en ça. »
L’album contient une riche instrumentation, avec, pour la première fois, des violons joués par Michał Jelonek, mais aussi un kit de batterie étendu, tout un tas de basses, de guitares acoustiques et électriques, un orgue Hammond et autres synthétiseurs analogiques… Tout ça, c’était pour combler le vide laissé par Piotr ?
Je voulais juste faire un autre album de Riverside et ne pas faire comme si Piotr était toujours avec nous. Il fallait donc que ce soit différent. Mais je voulais aussi créer une autre histoire, et Wasteland est une histoire se tenant dans un monde post-apocalyptique. J’ai choisi ce sujet parce que c’était la fin du monde dans notre groupe. Et j’ai pensé que ce serait un bon début. Imagine simplement que c’est la fin du monde, et tu n’as rien. La seule chose que nous avions était, disons, les guitares. Je voulais me débarrasser des sons électroniques et tout. Quand nous avons commencé à travailler sur l’album, nous nous sommes dits que cette fois nous nous focaliserions sur les sons organiques, et je suis content que nous l’ayons fait, parce que c’est plus en phase avec l’idée de « terrain en friche ». Pour Michał, notre claviériste, ça ne change rien [petits rires], il joue sur ses instruments, comme avant, mais en l’occurrence, nous avons pris ce gars aux violons cette fois parce que j’ai pensé qu’un violon collerait parfaitement au sujet de l’album. Et je voulais aussi jouer davantage sur des guitares acoustiques, donc il y en a pas mal et il y a beaucoup d’espace. Evidemment, l’album est différent : Piotr n’est pas avec nous, donc il n’y a pas de solo à la Pink Floyd cette fois. Nous avons commencé quelque chose de nouveau.
Ce ne sera pas compliqué de reproduire ça en live ?
Il y aura des moments où nous pourrons faire appel à un violoniste, mais nous pouvons jouer certaines parties avec différents instruments, et utiliser des samples. Donc non, ce ne sera pas du tout compliqué [petits rires].
Te sens-tu aussi à l’aise en tant que guitariste que bassiste ? As-tu eu des inquiétudes par rapport à ça au départ ou bien étais-tu confiant ?
J’ai dû me charger de la guitare mais je ne voulais pas tout jouer moi-même, parce que je me disais que si nous faisions appel à notre ami qui joue les concerts avec nous, les solos seraient bien meilleurs [petits rires]. J’ai surtout joué la guitare rythmique. Je ne suis pas un guitariste soliste. J’ai quand même joué un solo dans « Lament » qui allait très bien. Grâce à Lunatic Soul, mon projet solo, je joue plein d’instruments. Je ne suis pas juste un bassiste et un chanteur. On me connait surtout pour Riverside et quand je joue de la basse et quand je chante, mais je joue de la guitare, du clavier, plein d’instruments. C’est donc complètement naturel pour moi. Dans Walking On A Flashlight Beam de Lunatic Soul, j’étais le seul gars à jouer tous les instruments. Donc faire ce genre de choses avec Riverside était très naturel pour moi. J’ai pris une guitare, c’est tout, et ça allait. Si j’avais dû jouer des solos comme Eric Clapton, d’accord, là ça aurait été un défi [petits rires]. C’était différent. Donc pour moi, ça n’a pas vraiment posé de problème. En live, je ne vais pas jouer de guitare parce qu’il y a de meilleurs musiciens pour ça, mais en ce qui concerne les compositions, je peux m’occuper de ça sans problème.
Tu as mentionné ta nouvelle basse piccolo que tu as utilisée. Ce n’est pas un instrument très commun dans le rock…
Je suis un genre différent de bassiste, je ne m’intéresse pas seulement aux quatre cordes les plus graves, je veux expérimenter, j’ai besoin d’expérimenter, de jouer plein d’instruments. Plus j’ai d’instruments étranges, mieux je me porte [petits rires]. J’ai toujours eu cette envie d’aller plus vers le jeu de guitare, en parlant du jeu de basse, par rapport à la plupart des bassistes normaux. J’ai donc décidé de me procurer une basse piccolo, parce que j’ai un ami qui en fabrique, et il m’a dit : « Je vais te fabriquer ce type d’instrument pour toi. Je pense que tu seras très surpris parce que ça sonnera comme une guitare, c’est parfait pour toi. » Lorsque j’ai commencé à jouer là-dessus sur Fractured et sur Under The Fragmented Sky de Lunatic Soul, j’ai dit : « Maintenant je sais comment l’utiliser. Je peux l’utiliser dans Riverside. » J’ai donc trouvé que la basse piccolo était très sympa, qu’on pouvait obtenir des sons intéressants. J’ai donc voulu l’utiliser dans Wasteland autant que possible.
Tu as dit plus tôt que « Wasteland est une histoire se tenant dans un monde post-apocalyptique. [Tu as] choisi ce sujet parce que c’était la fin du monde dans [votre] groupe. » Tu as l’impression que le groupe a vécu une apocalypse en perdant Piotr ?
D’une certaine façon, oui, mais je voulais créer quelque chose qui soit multidimensionnel. Ceci n’est pas une histoire qui parle de la perte de Piotr. C’est une histoire sur la fin du monde, sur l’époque que nous vivons, parce que nous vivons une époque incertaine. Dans certaines chansons, c’est juste une observation de ce qui se passe aujourd’hui. Car au niveau thématique, pour certaines personnes, Wasteland peut juste être leur train-train quotidien, leur vie normale, pour d’autres personnes, ça peut être l’histoire du groupe, pour d’autres, ça peut être une situation relationnelle ou sur des choses personnelles. Je pense que c’est vraiment multidimensionnel, et j’ai choisi ceci parce que j’ai toujours voulu utiliser ce thème post-apocalyptique. Je suis un énorme fan de ce film ou livre, The Road de Cormac MacCarthy, ou les films Mad Max, ou des jeux vidéo comme Fallout ou The Last Of Us. J’ai toujours voulu faire ça et j’ai pensé : « D’accord, maintenant c’est le moment. » Quand on doit faire quelque chose d’un peu heavy, un peu sombre, avec beaucoup d’espace, ce sujet est vraiment bien. J’aime cette idée d’être seul dans un grand espace et on a besoin de survivre, j’aime ce genre d’ambiance, et j’ai voulu l’exprimer dans ma musique sur l’album Wasteland. Il y a quelque chose d’intéressant là-dedans. J’ai toujours été attiré par ce genre de film, je ne sais pas pourquoi. Peut-être simplement parce que j’aime ce genre d’espace sur grand écran. Pour moi, la musique est comme un espace, c’est pour ça qu’on a appelé une compilation Eye Of The Soundscape ; j’ai tendance à parler de « paysage sonore ».
Tu as mentionné les jeux Fallout et The Last Of Us : tu es un joueur ?
Oui. Je suis un joueur mais je n’ai pas trop le temps pour ça en ce moment. Mais ouais, depuis 2007 ou 2008, j’essaye de jouer à des jeux de temps en temps. Pour moi, c’est autant une forme d’art que les films ou la musique. Les jeux vidéo m’inspirent, comme la littérature ou les films. Je puise mon inspiration partout ! Je mets dans ma musique ce que j’aime vraiment. D’ailleurs, d’autres formes d’art que la musique influencent plus ma musique que d’autres musiciens. La chanson « Panic room » sur Rapid-Eye Movement est inspiré par les jeux The Silent Hill [petits rires]. Je le dit haut et fort, pour moi, faire de grands jeux vidéos, c’est de l’art. J’adore jouer à un super jeu vidéo lié à un film, par exemple, ou d’autres formes d’art. Je ne suis pas du genre à jouer à Grand Theft Auto ou Fifa, non. J’essaye de jouer à des jeux connectés à l’art, comme Quantum Theory, Heavy Rain, ce genre de jeux.
« Ce truc avec le prog, c’est un peu problématique parce que je n’écoute pas de musique progressive, je ne me sens pas comme un musicien de progressif, je n’ai pas envie d’être comme Mikael Åkerfeldt à brandir le drapeau du prog, comme si être un musicien prog était cool. »
Comme tu l’as mentionné, tu as sorti deux albums de Lunatic Soul avant ce nouvel album de Riverside, et tu as déclaré que tu « as réservé le cri intérieur pour la fin », c’est-à-dire cet album de Riverside. Est-ce que tu internalisais ces sombres émotions ? Y avait-il quelque chose qui couvait en toi et n’attendait que le bon moment pour exploser ?
Probablement ! Oui. Je suppose que, pour ce qui est de la musique de Riverside, il y a probablement quelque chose de plus sombre qui était caché, qui attendait le bon moment. C’est pour ça que des chansons comme « Lament » ou « River Down Below » ont un énorme impact émotionnel. Je ne savais pas quel type de résultat nous obtiendrions sur le nouvel album, mais lorsque j’ai composé les chansons, j’ai réalisé que les émotions les plus sombres sont ressorties dans Riverside. Donc probablement qu’inconsciemment, je n’ai pas tout utilisé dans Lunatic Soul avant. Lorsque je travaille sur un album, j’essaye toujours de trouver une idée et faire la musique à partir de ça, mais je n’avais pas de musique pour Wasteland avant ou pendant la composition des albums de Lunatic Soul. C’est arrivé après ces albums de Lunatic Soul ; je voulais peut-être juste revenir aux sonorités plus sombres. A côté de ça, j’ai pensé que Riverside devrait aussi traiter de toute la situation. Ce qui est drôle, c’est que quand on regarde bien, d’après mes souvenirs, Fractured est sorti le 5 octobre, plus tard en mai j’ai sorti Under The Fragmented Sky, et Wasteland sort le 28 septembre. Ça signifie qu’en une année, j’ai sorti trois albums. Ça fait beaucoup ! [Rires] Donc il fallait probablement que j’affronte trois fois la perte, et j’ai donc refait une sorte de trilogie, inconsciemment, sans même le savoir. Mais le sujet de Wasteland, ce n’est pas le passé. C’est principalement le futur, et c’est nous, ça parle de survie. C’est le thème principal. Toute la situation avec Piotr ne concerne peut-être que deux ou trois chansons et plane peut-être sur le concept général, mais ce n’est pas un album mémorial pour lui. L’album se focalise principalement sur ceux qui restent, nous trois. C’est pourquoi c’était si important pour moi de créer cet album en trio, rien que pour prouver qu’il n’y a rien d’impossible et qu’il est possible de survivre même si on est confronté à la fin du monde. Cet album est un guide de survie. Mais je pense qu’avec cet album, assurément, nous passons à autre chose. Je ne suis pas sûr dans quelle direction mais nous allons de l’avant. Quand on regarde les espaces, quand on considère la ressemblance avec les films d’Ennio Morricone / Sergio Leone, les films de western spaghetti et ce genre de choses, ça parle d’aventure, ça parle de l’avenir, principalement, je pense. Donc j’ai voulu refléter ce genre d’émotions dans le nouvel album. Ça parle plus de ce qu’il y a devant nous que de ce qu’il s’est passé avant.
Tu as dit que « c’est une histoire sur la fin du monde, sur l’époque que nous vivons. » Tu crois que nous nous dirigeons vers une apocalypse ?
Probablement. Petit à petit. Oui. On devrait être davantage unis, alors que maintenant les gens se divisent en groupes de plus en plus restreints. Je ne sais pas ce qu’il va se passer dans le futur, mais je crois toujours dans l’humanité et la sagesse. On peut se sauver aussi mais il faut qu’on prenne conscience des choses. Certaines personnes se comportent comme si quelqu’un manipulait des fils attachés à leurs mains et leur cou, c’est étrange. Je pense qu’on devrait être davantage éveillés. Je crois que l’on vit une époque difficile mais on a toujours une chance de la changer, et je crois en ça. J’essaye toujours de laisser des portes ouvertes dans mes albums. Quand j’écris des paroles, j’écris sous un angle psychologique. Mon but est de trouver au fond de quelqu’un la réponse à la question « est-il heureux ou pas ? » ; si on est heureux, alors on devrait le dire haut et fort. Je sais que beaucoup de gens se sentent malheureux de nos jours, mais ce qui est marrant est qu’ils ne font pas grand-chose de leur vie, ils ne font qu’attendre que quelqu’un les aide. Imaginez une seconde que c’est la fin du monde, vous avez perdu tous vos amis, toute votre famille, et vous êtes seuls dans le désert : d’accord, vous pouvez vous asseoir et attendre la mort, les vautours qui vous tournent autour en vous voyant comme de la nourriture, mais vous pouvez aussi faire quelque chose, aller quelque part, marcher devant vous, et peut-être que vous trouverez, je ne sais pas, de l’eau, un oasis, un refuge. C’est le message. L’album parle de comment survivre dans un monde qui a pris fin. Et la chanson « The Night Before » parle de ça, de survivre, c’est juste comme une mère et un enfant qui ont trouvé refuge, ils attendent le jour suivant, et ils espèrent toujours qu’ils pourront survivre, c’est notre message global.
Tu as mentionné ce lien à l’album Second Life Syndrome, avec quelques similarités, comme les chansons d’ouverture et de clôture, le démarrage a-cappella, les neuf pistes… Tout ça était délibéré ? Est-ce que Wasteland est à considérer comme un successeur direct à Second Life Syndrome ?
Je l’ai fait exprès, mais ce ne sont que des références. Pour moi, Wasteland ouvre un nouveau chapitre, donc je n’ai pas voulu faire quelque chose comme, je ne sais pas, ce que Mike Oldfield a fait avec Tubular Bells II [petits rires]. Ce n’est qu’un clin d’œil, principalement. Ce qui renvoie à Second Life Syndrome aussi, c’est un peu le retour à un son plus heavy et le fait d’utiliser une chanson instrumentale sur l’album, parce que jusqu’à présent, nous mettions ce genre de choses sur des disques bonus et des compilations comme Eye Of The Soundscape, mais jamais sur un album principal. Donc pour la première fois depuis Second Life Syndrome, nous avons une instrumentale sur l’album principal, qui est « The Struggle For Survival ». Mais c’est tout, pour ce qui est des références. Je voulais juste faire ce lien, de façon très subtile, c’est tout.
« The Struggle For Survival » est une longue instrumentale. Qu’est-ce qu’elle exprime, et pourquoi l’exprimer instrumentalement plutôt qu’avec des mots ?
Je me suis simplement imaginé quelque chose dans ce désert, à lutter avec les autres gens, et je sais que ce monde post-apocalyptique est dangereux. Quand nous avons commencé à faire la musique, je voulais mettre ça en avant, mais c’est tout ! Je trouve ça très rafraichissant. Ce qui est marrant, c’est que j’ai utilisé un thème que j’avais en tête depuis vingt ans. Celui qui fait [chante le thème], ça vient de mon tout premier groupe Xanadu – un groupe de progressif inspiré par Rush, car j’ai joué de la musique progressive avant Riverside, tandis que les autres gars ne jouaient pas de musique progressive ; j’étais le seul à jouer de la musique progressive, donc quand on a fondé le groupe, j’étais préparé [rires]. Mais bref, c’est marrant que je n’ai cessé d’attendre pendant si longtemps pour finalement, après toutes ces années, avoir la chance d’utiliser ce thème [petits rires]. Donc je suis content.
La chanson éponyme aussi est quasi-instrumentale…
Oui, mais avec un genre d’introduction western [petits rires]. Je voulais mettre en avant le fait que, dans ce monde post-apocalyptique, il y a beaucoup d’espace. Je voulais refléter dans ma musique quelque chose qu’on peut voir sur la pochette, cet espace. Les chansons avec du chant parfois nous submergent, et les parties instrumentales nous font dire « ok, il a plein d’espace. » Grâce à ça, je crois avoir obtenu la bonne quantité d’espace dans la musique.
« J’étais un énorme fan de Steven Wilson par le passé mais plus maintenant […]. Nous nous respectons mais ce n’est pas quelqu’un dont j’écoute les albums en pensant que je veux faire comme lui ou autre. Mais plein de gens le croient encore. Il y a eu des moments par le passé où ça m’a fait souffrir [petits rires], parce qu’être un second Steven Wilson n’est pas du tout un compliment pour moi. »
Tu as dit que « les autres gars ne jouaient pas de musique progressive. » Comment les as-tu amené à faire du progressif ?
En fait, ils voulaient jouer du prog mais ils ne savaient pas comment ! [Rires] Car ils venaient du monde du metal et ils étaient très fans de Marillion, donc ils ont simplement voulu commencer un groupe avec lequel jouer ce type de musique, mais ils ne savaient pas comment jouer ça avant que je ne débarque dans leur salle de répétition. J’ai apporté des idées et nous, ensemble, avons commencé à faire de la musique, et tout d’un coup nous avions l’album Out Of Myself. Enfin, ce n’était pas juste grâce à moi, mais grâce à tout le monde qui a fait cet album. C’était le début du groupe. Bien sûr, le début du véritable groupe a commencé sur Second Life Syndrome quand nous avions le bon claviériste, mais le tout début, avec Out Of Myself, c’était aussi un début très sympa qui amenait vers quelque chose de nouveau. Mais ce truc avec le prog, c’est un peu problématique parce que je n’écoute pas de musique progressive, je ne me sens pas comme un musicien de progressif, je n’ai pas envie d’être comme Mikael Åkerfeldt à brandir le drapeau du prog, comme si être un musicien prog était cool. Je ne voulais pas vraiment jouer des chansons plus longues, je voulais juste jouer avec des claviers. Ce ne sont que les gens plus tard qui m’ont dit que je joue du prog et que c’est assimilé au prog. Je voulais juste faire quelque chose qui soit un peu heavy, un peu doux, court, long, et ils aimaient ce genre d’idées, donc c’est ce que nous avons fait tous ensemble avec la musique, et c’est tout, et tout d’un coup, quelqu’un nous disait que c’était du rock progressif. J’ai dit : « D’accord, pas de souci. Ainsi soit-il, c’est un groupe de progressif ! »
L’album contient des éléments renvoyant à des BO de films western, on retrouve aussi des côtés road movie, ce qui en fait un album assez cinématographique, et tu as toi-même mentionné l’influence de films. Est-ce que cet album a été conçu comme une BO ?
La musique, pour moi, c’est une aventure, c’est comme un film. C’est comme ça que je crée les albums. Je m’imagine assis dans une salle de cinéma en train de regarder un film du début à la fin. C’est ce que je veux obtenir avec ma musique. Je veux que les gens écoutent ma musique du début à la fin, de la première à la dernière chanson. C’est mon but, c’est ce que je fais. Donc ouais, ça peut être une BO pour toi, si tu le veux, c’est parfait. C’est une BO pour partir sur la route, quelque part dans le monde post-apocalyptique. Ça pourrait être la BO d’un western spaghetti de Sergio Leone mélangé à Mad Max, quelque chose comme ça. Les westerns et les films post-apocalyptiques sont assez similaires à mes yeux.
Tu as déclaré que « Riverside a trouvé son style une bonne fois pour toutes […]. Ça n’a pas grand-chose à voir avec la musique des groupes avec lesquels [nous étions] comparés avant. » Est-ce que ça signifie que vous n’aviez pas vraiment trouvé votre style avant ça, qu’avant vous vous reposiez encore beaucoup sur vos influences ?
Je pense que Riverside a son propre style depuis le tout début mais nous avons toujours eu plein d’influences venant d’autres groupes. C’est toujours le cas mais je suis content que nous nous soyons débarrassés de toutes ces influences prog. Bon, peut-être pas, parce que d’accord, on peut toujours entendre un peu de Pink Floyd ou peu importe, mais ce sont des groupes auxquels on nous comparait constamment : Porcupine Tree, Dream Theater, ce genre de choses. Je ne crois pas qu’on retrouve ça dans cet album. Maintenant, c’est moins prog, plus alternatif. Parfois c’est plus proche des sonorités de Nick Cave, voire Johnny Cash, que de n’importe quel groupe de prog. Il y a plein d’influences différentes cette fois. Mais pour moi, c’est très important, je voulais changer un peu ces influences de rock british pour en faire quelque chose qui soit plus à moi, et cette fois, nous avons intégré plus de mélodies slaves que jamais, comme dans « Lament » ou même « Vale Of Tears ». J’ai ce projet solo, Lunatic Soul, où j’ai fait plein de choses liées à la musique folk, j’adore ça. J’ai juste pensé cette fois que je devais essayer quelque chose de différent. J’ai commencé à chanter autrement, parfois plus dans des mélodies du style patriotique, un peu polonaises. Je viens de Pologne, donc j’ai voulu faire des choses qui se rapportent à ma culture slave. Pour certaines personnes ça peut même être un peu médiéval. C’est la musique que j’aime vraiment et c’est lié au style de Riverside. Et sur cet album, il y a plein de mélanges en tout genre. Il est donc certain que nous avons développé notre style, nous avons à nouveau trouvé une niche, et j’en suis heureux.
As-tu souffert part le passé d’avoir été trop comparé à d’autres groupes, comme Porcupine Tree, en l’occurrence ?
Je m’en fichais. Je recherchais des sons originaux et je les ai trouvés dans Lunatic Soul. Avec Riverside, c’était un peu dur. J’ai peut-être souffert à ce niveau-là et c’est toujours le cas quand quelqu’un me dit qu’un plan sonne comme Steven Wilson, parce que nous n’avons rien en commun maintenant. J’étais un énorme fan de Steven Wilson par le passé mais plus maintenant, nous sommes juste amis, nous sommes juste collègues. Nous nous respectons mais ce n’est pas quelqu’un dont j’écoute les albums en pensant que je veux faire comme lui ou autre. Mais plein de gens le croient encore. Il y a eu des moments par le passé où ça m’a fait souffrir [petits rires], parce qu’être un second Steven Wilson n’est pas du tout un compliment pour moi. Mais c’est déjà de l’histoire ancienne, je pense que plein de gens ont arrêté de penser ainsi. Avec The Wasteland, je pense qu’il n’y a aucune comparaison possible avec Porcupine Tree, Dream Theater ou d’autres groupes comme ça. Plein de gens le savent déjà, donc j’en suis content, que nous ayons trouvé notre voie. Dans les albums précédents, nous avions toujours ce genre d’influence de rock britannique qui peut être comparé à ci ou ça, mais maintenant, c’est plus lié à la Pologne, avec les mélodies slaves, ce qui était très important pour moi.
Maciej Meller, votre guitariste live, a enregistré des solos pour l’album, ainsi qu’un solo de Mateusz Owczarek. Je sais que Riverside est un trio aujourd’hui parce que vous refusez de remplacer Piotr, et eux ne sont que des invités ou guitaristes live de session. Mais pourriez-vous envisager de redevenir un quartet dans le futur ?
Une chose : nous sommes un trio non pas parce que nous refusons de prendre quelqu’un d’autre, nous voulions juste essayer ce que ça donne en trio. Nous avons perdu une voix importante mais le noyau de Riverside est resté intact, c’est pour ça que nous sommes ainsi. Mais à savoir si nous allons redevenir un quartet, on verra. Pour l’instant, nous avons fait l’album en trio, nous n’avions pas besoin d’un gars supplémentaire pour aider sur les compositions, parce que nous pouvons gérer ça nous-même, mais pour le futur, je ne sais pas, on verra ce qu’il adviendra ! Quinze ans, c’est beaucoup, nous n’avions simplement besoin de personne pour nous aider. Mais bien sûr, nous avons fait appel à Maciej et quelques autres personnes pour faire leurs propres trucs sur l’album, car c’est normal, tout le monde fait ça. Mais on verra, si ça fonctionne, nous resterons en trio avec des musiciens live, mais s’il un besoin se fait sentir de redevenir un quartet, nous redeviendrons un quartet.
La dernière fois qu’on s’est parlé, tu nous as dit que tu es « le genre de personne qui regarde plein choses sous une perspective plus large, sous une perspective à long terme, et clairement, [tu] aimerais faire un autre chapitre de Riverside qui contiendrait plus qu’un seul album. Et les trilogies, c’est cool. » Donc, Wasteland est-il le début d’une nouvelle trilogie ?
Je ne considère pas Wasteland comme le début d’une nouvelle trilogie mais peut-être que ça peut être le début d’un nouveau chapitre, on verra. Mais pour le moment, je voulais juste faire un album autonome. Mais pour le futur, il y a toujours cet énorme double album, probablement, qui attend son tour [rires]. Donc peut-être que nous ferons un album de 90 minutes un de ces jours.
Interview réalisée par téléphone le 16 août 2018 par Nicolas Gricourt.
Transcription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Oskar Szramka.
Site officiel de Riverside : riversideband.pl
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