Qu’il suscite la peur ou l’admiration, le nom de Hans Ruedi Giger, que l’on relie instantanément aux décors et à la créature du film Alien Le Huitième Passager (1979) de Ridley Scott, laisse rarement indifférent. Au terme d’un parcours de vie incroyable, le célèbre peintre, sculpteur, illustrateur, plasticien et designer nous a quittés ce lundi 12 mai dernier à l’âge de 74 ans suite à une chute mortelle. Une carrière, une vie, consacrée à l’art et aux interactions entre les divers domaines de celui-ci, qui a tissé au fil des années un certain nombre de liens avec la sphère musical rock, puis metal à travers certaines collaborations marquantes en tant qu’illustrateur de pochettes d’albums.
Retour sur un parcours et une œuvre où, par la peinture, la chair devient métal, et où le métal prend chair.
Dans ses jeunes années, contre l’avis de son père chimiste qui le prédestinait à des études en pharmacie, Hans Ruedi Giger étudia à Zürich l’architecture et le dessin industriel. Après un bref passage dans une école de design et de décoration en intérieur, démotivé par ses professeurs, il décide de se consacrer à ses œuvres personnelles, privilégiant l’aérographe et le pochoir. Petit à petit, il fit connaître son travail en participant à plusieurs expositions en dehors de sa ville. Ses tableaux et sculptures dressent le portrait de nos peurs primales (les siennes surtout) et la véritable nature humaine en composant avec la Destruction, le Sexe, la Natalité ou la Mort. Habillé par une architecture biomécanique, le monde cauchemardesque de Giger met en scène une horde de déesses humanoïdes, êtres organiques parasitoïdes, monstres occultes ou extra-terrestres, animés par les plus viles perversions, et tous sortis d’une autre dimension. L’artiste explore concrètement les tréfonds les plus sombres de l’âme, peignant avec noirceur l’inconscient que Freud se contentait de théoriser au travers de la psychanalyse. D’ailleurs, le Grison se plaisait à raconter en interview que la majeure partie de ses visions provenait de ses rêves et des terreurs nocturnes dont il était victime dans sa jeunesse.
En 1969, tandis que des centaines de milliers de hippies vibrent à Woodstock au son de la guitare de Jimi Hendrix dans une ambiance chaleureuse, c’est avec un visuel beaucoup moins festif que Giger illustre sa première pochette d’album avec The Shiver du groupe de rock progressif helvétique Walpurgis. En 1973, il est heureux de pouvoir réaliser la pochette de l’album Brain Salad Surgery du groupe de rock progressif britannique Emerson Lake & Palmer (ELP) dont il est grand fan. Cet artwork a contribué à faire de l’album un des plus grands succès du groupe. Pourtant, cette pochette n’a pas valu que joie à l’artiste puisque, en plus de n’avoir pas été payé pour son œuvre, celle-ci aurait aussi été initialement créditée au nom d’un autre illustrateur proche de ELP…
Quoi qu’il en soit, quatre années plus tard, Giger signe à nouveau la pochette d’un autre groupe de rock progressif, Island avec le psychédélique Pictures. Le Zurichois continue de mijoter dans cette scène psychédélique, puisqu’en 1978, c’est la pochette de l’album Attahk du groupe français Magma qui a l’honneur de passer sous ses pinceaux. Le créateur de cette formation atypique de rock progressif (appelée zeuhl), Christian Vander, souhaitait un visuel accrocheur pour cet album-charnière dans l’histoire du groupe. La peinture de Giger met ainsi en scène deux personnages aux visages gras, bouffis de bébés démoniaques, sortes de cosmonautes mutants semblables au futur cénobite Butterball de Clive Barker pour la série des films Hellraiser. Récompensé d’un Oscar des meilleurs effets visuels en 1980 pour les décors et le xénomorphe star du film Alien le huitième passager, Giger acquiert une cote de popularité internationale, mais cette nouvelle notoriété ne le galvanise pas, et il continue de travailler sur son œuvre personnelle en toute quiétude dans sa maison de Zürich. Poursuivant ses collaborations, il illustre en 1981 la pochette de Koo Koo, album de la chanteuse américaine Debbie Harry (Blondie), représentant le visage de la chanteuse transpercé par des clous, et conçoit même le visuel des clips « Backfired » et « Now I Know You Know ».
Sa coopération avec des artistes plus énervés va réellement survenir à partir de 1985, lorsque Tom Gabriel Fischer (surnommé Tom Warrior), leader du groupe suisse de metal extrême Celtic Frost tombe sous le charme du tableau de Giger Satan I, représentant le Malin utiliser le Christ bras écartés comme un lance-pierre, et demande à pouvoir l’utiliser pour la pochette de son album To Mega Therion. Outre la musique novatrice à cette époque de Celtic Frost et des influences pour le death metal et le black metal, le dessin de Giger jouit d’une visibilité plus que jamais élargie aux yeux du monde, l’artiste devenant de plus en plus courtisé pour son art.
La même année, c’est le groupe de punk anarchiste américain Dead Kennedys, ne faisant jamais dans la dentelle dans ses paroles ou son image, qui souhaite ardemment utiliser une peinture de Giger pour le visuel d’un poster accompagnant l’album Frankenchrist. La réaction à la sortie de l’album ne se fait pas attendre, une plainte contre le groupe est déposée par la mère d’une jeune adolescente l’ayant acheté. Puis c’est le puissant Parents Music Resource Center (PMRC), créateur du logo Parental Advisory, qui s’empare du dossier dans cette croisade pour le bon goût par Tipper Gore, et poursuit Dead Kennedys, ainsi que les différentes personnes impliquées dans la confection de l’album dont Giger. La sulfureuse image est une reprise de son tableau Penis Landscape qui représente à la manière d’un paysage la superposition de plusieurs coïts vaginaux. Au terme d’une procédure de deux ans, Dead Kennedys et Giger échappent à toute condamnation, mais la censure du PMRC couplée à son implacable armada juridique et médiatique ont eu raison du succès de l’album et du groupe qui splittera deux ans plus tard.
Plus tard, le groupe de death metal allemand Atrocity lui fait les yeux doux en 1990 pour la pochette de leur album Hallucinations, dans lequel les thèmes traitent principalement de la fantasmagorie, de la drogue et de la démence. Puis c’est Glenn Danzig, parrain de l’horror-punk, lui aussi impressionné par le trait du Zurichois, qui souhaite plus que tout travailler avec Giger pour une de ses pochettes d’albums, ce qui surviendra en 1992 pour le visuel de Danzig III How the Gods Kill, aux accents plus doom et gothique que sur les précédentes réalisations du groupe. L’image (cf. ci-dessus) est extraite du tableau Meister und Margeritha peint par Giger en 1976, mettant en scène une sorte de papesse qui a le pouvoir sur un couple de monstres, sortes d’Adam et Eve xénomorphes dont les bouches sont séparées par le corps d’un serpent. Pour les uns il s’agit d’un tableau délirant sur l’amour à trois, pour d’autres une interprétation personnelle des cartes des amoureux et du diable dans le tarot divinatoire, ou un énième délire érotique, ce à quoi Giger n’a de cesse de répondre que la pornographie qui s’incruste dans chacun de ses dessins n’a pas pour but initial de choquer le public, mais représente pour lui l’acte de destruction par l’Homme sur l’Homme.
Dans la foulée de Danzig, Giger enchaîne avec la pochette de Heartwork, quatrième opus des pionnier du death-grind britannique Carcass, mise à jour d’un croquis d’une sculpture détournant le symbole de la paix, transformé en espèce de table de torture tournante sur laquelle un être basique à une tête et un bras unique à deux mains est sanglé, et peut-être électrocuté. En 1994, le dessin d’un masque créé par Giger est repris dans la pochette de l’album solo de Hide, ex-chanteur du groupe de Visual Kei X-Japan. C’est aussi à cette époque que Giger ne souhaite plus peindre de nouveaux tableaux, préférant s’adonner à la sculpture et aux arts plastiques. En 1998, il travaille à l’implantation de son propre musée dans la ville médiévale de Gruyères, située dans le canton suisse de Fribourg. L’année suivante, c’est pourtant une nouvelle collaboration marquante avec le monde du metal qui va survenir. En effet, Jonathan Davis, chanteur du groupe de néo-métal Korn, lui commande une structure bio-mécanique qui puisse être utilisée comme pied de micro en vue des concerts. Le Californien lui laisse carte blanche, mais insiste pour que sa création soit à la fois érotique, métallique, majestueuse et mobile.
Ses deux dernières collaborations autour de pochettes d’albums furent Eparistera Daimones (2010) et le tout récent Melana Chasmata (2014) du groupe suisse Triptykon, dont le leader n’est nul autre que Tom Warrior, ex-fondateur de Celtic Frost, et qui a noué une forte amitié avec l’artiste au point de l’assister occasionnellement mais de façon anonyme sur certaines de ses œuvres. Le musicien revient d’ailleurs sur cette association entre Giger et lui, dans une récente interview sur notre site : « Nous sommes de très proches amis, mais c’est fondé sur nos émotions et pas sur le fait que nous ayons eu des vies similaires. Il me semble que ma musique, de manière très modeste, reflète la même chose que ses peintures. Évidemment, c’est un génie alors que je ne suis qu’un musicien ; je l’admire énormément, c’est un véritable artiste. C’est le plus grand peintre surréaliste vivant, jamais je ne me mettrai à son niveau. Mais nous avons tous deux senti que nous essayons d’exprimer les mêmes émotions avec notre travail, et c’est, je crois, ce qui fait que nous pouvons mettre en relation ses peintures et ma musique. Les deux premières fois, avec Celtic Frost puis avec Triptykon, c’est moi qui l’ait approché, mais comme il ressent la même chose, cette fois c’est lui qui est venu vers moi pour participer à cet album. C’est quelque chose de mutuel. »
Depuis parmi les différents artistes évoqués ici, nombreux ont déjà témoigné leur respect et leur tristesse suite à ce décès. Le réalisateur Ridley Scott d’abord, déclare au Times : « C’était un véritable artiste et un grand excentrique, un vrai original, mais par dessus tout un homme vraiment bon. Il nous manquera. » Emerson, Lake & Palmer, en pleine période de réédition, pour son quarantième anniversaire, de Brain Salad Surgery, a salué le visionnaire, « l’architecte de rêves et de cauchemars ». Alexander Krull, chanteur d’Atrocity, encore reconnaissant du travail de Giger sur l’album Hallucinations, se souvient du jour où ils ont été mis en contact pour la première fois : « HR Giger était une personne tellement inspirante, si ouverte d’esprit, qui nous a ouvert les portes de sa maison montrant sa grande amitié et son soutien quand nous lui avons rendu visite. Il avait un sens hors-du commun de notre art d’expression. Il était unique et sera toujours remémoré comme tel. » Jonathan Davis, ressortant des archives une photo le montrant autour d’une table avec Giger, travaillant sur le projet de pied de micro, déclare : « Nous avons perdu un maître dans son art. Reposez en paix mon ami, je chérirai éternellement le temps passé avec vous. »
Mais, bien sûr, parmi eux, c’est Tom G. Warrior de Triptykon qui offre le plus important et touchant hommage : « Pour la première fois en 74 ans, la nuit dernière n’a pas été une nuit éclairée par l’indescriptible génie de H.R. Giger.
H.R. Giger est devenu notre mentor, contre toute attente, quand, de manière assez audacieuse, nous avons établi le contact la première fois il y a près de trente ans. A une époque où presque tout le monde tournait en ridicule, méprisait, ou même barrait la route à la musique créée par ce groupe underground suisse, Hellhammer, alors quasi complètement inconnu, Giger nous a écouté, nous a parlé, et nous a donné une chance. Qui plus est alors qu’il était à l’un des nombreux sommets de son parcours.
Un peu plus d’un an plus tard, son art exceptionnellement étourdissant a rendu ce qui devait être l’un des plus importants albums de Celtic Frost, To Mega Therion, encore plus important. Les autres liens avec l’univers de Giger se sont aussi manifestés d’eux-mêmes, comme si c’était prédestiné.
A la longue, après bien d’autres années, le mentor est devenu un ami. C’était une amitié et une connexion auxquelles j’accordais une infinie valeur, ce qui incluait sa merveilleuse femme Carmen et bien d’autres personnes remarquables faisant partie de son cercle.
Quand Celtic Frost a si amèrement touché à sa fin en 2008, H.R. Giger e sa femme ont été parmi ceux qui ont été témoins de mon irrépressible désespoir et sont restés auprès de moi. Que Giger ait ensuite accepté de collaborer avec mon nouveau groupe, Triptykon, et nous permette ainsi de sortir notre premier album, Eparistera Daimones, avec l’une de ses peintures les plus dramatiques sur la pochette, cela représentait tout pour moi.
Apparemment, cela plaisait aussi à Giger. Il me l’a souvent dit, et il m’a totalement stupéfait quand en octobre 2011 il m’a proposé de poursuivre cette collaboration entre lui et Triptykon. Je n’aurais jamais demandé une telle chose, car je n’aurais jamais voulu me montrer insatiable. Il a mis de côté toute réserve, et son mentorat, son amitié et son art nous ont permis une fois encore de sortir un deuxième album où musique et pochette forment une symbiose sans trace de séparation. Il y a seulement quelques semaines il a pu tenir entre ses mains le résultat et a aimé ça.
Néanmoins, quoi que j’écrirais à propos de H.R. Giger, aucun mot ne saura jamais le décrire en vérité, fidèlement, en tant que personne et ami. Il est tout à fait inconcevable d’imaginer un monde sans son esprit, sa perception, son génie, son horizon, sa détermination, son humour, son amitié, et son incommensurable gentillesse. Et cependant, nous sommes exactement dans un tel monde. »
C’est avec un grand respect que nous saluons l’œuvre unique de HR Giger qui marqua indéniablement à jamais de son empreinte le monde artistique, et dont l’univers conservera sans doute longtemps une grande influence auprès des musiciens metal.
repose en paix toi le monstre sacré qui ma fasciné avec ton falluce carnassié je songerais à toi en penssant aux planète inconnus et à leurs danger LV4.26 sera ton tombeaux
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