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Interview   

Haken et son bestiaire progressif


Le règne animal est d’une incroyable richesse. La musique d’Haken est d’une incroyable richesse. Alors quoi de plus logique que de voir Haken faire un album conceptuel sur le règne animal ? Sur Fauna, gnous, veuves noires, éléphants, rossignols, rhinocéros blancs ou encore méduses défilent au son de riffs djent, de mélodies pop, d’électronique, d’envolées théâtrales, de rythmes funky, de phrasés jazzy, etc. Haken n’a pas voulu se mettre de limites, proposant son album le plus varié de sa discographie à ce jour et montrant la vaste étendue de sa maîtrise musicale, mais aussi thématique. Car les animaux ne sont en réalité que prétextes pour parler de l’homme voire d’eux-mêmes.

C’est pendant une heure et demie durant laquelle nous avons taillé le bout de gras avec le guitariste Richard Henshall et le batteur Raymond Hearne (également joueur de tuba) que nous avons discuté de tout ça. Nous évoquons également, parmi moult sujets, le retour du claviériste Peter Jones qui avait officié au sein du groupe à l’époque des démos, avant la sortie du premier album Aquarius, et nous revenons épisodiquement, tout au long de l’entretien, sur les débuts du groupe et leurs premiers pas en tant que musiciens.

« Nous nous sommes mis sur cet album en essayant de ne pas le rendre conceptuel, en écrivant simplement des chansons indépendantes, sans nous soucier de créer un lien entre toutes, mais je pense que nous ne sommes pas capables de travailler ainsi. Nous ressentons toujours le besoin de trouver une sorte de fil rouge. »

Radio Metal : Virus est sorti en juin 2020 et la composition de Fauna a débuté fin 2020. Avez-vous eu l’impression d’avoir pratiquement enchaîné les deux albums ?

Richard Henshall (guitare) : Il y a quand même eu un peu de temps entre les deux. Généralement, nous finissons un album et il y a tout un processus pour que ce soit pressé en vinyle, or à ce moment-là c’était particulièrement long à cause du Covid-19, et il a fallu bien six mois entre la livraison du master et la sortie de l’album. Il y a donc eu au moins la moitié d’une année qui s’est écoulée avant que nous commencions à travailler sur de nouvelles idées, peut-être même plus, ce qui est largement suffisant. Les deux derniers albums étaient très orientés sur un son metal. Naturellement, en réaction à ça, nous voulions faire un album différent, créer quelque chose qui sonnait un peu plus ouvert et plus en phase avec nos goûts à tous aujourd’hui. Je trouvais que le laps de temps était suffisamment sain entre les deux albums pour parvenir à nous détacher de Virus et à faire ça.

Avez-vous profité du temps mort dû à la pandémie pour être encore plus détaillés et méticuleux avec la musique que vous composiez ?

Raymond Hearne (batterie) : Peut-être bien. Ceci dit, il y a toujours une phase vers la fin du processus d’écriture où nous réalisons que nous avons une deadline à respecter. C’est là que nous nous passons la seconde en termes de travail et que nous devenons plus méticuleux pour finaliser les détails. Avant d’en arriver là, nous sommes généralement assez détendus, mais dès que nous avons une vraie date butoir, c’est-à-dire qu’un créneau est calé pour enregistrer, que nous avons une date de sortie, etc., ça nous donne un gros coup de pied aux fesses, pour être honnête. Je pense qu’il n’y a pas moyen d’éviter ça. Nous avons besoin d’une forme de motivation, comme une deadline, pour être sûrs que nous finissions l’album.

Richard : J’ai toujours eu du mal avec mes albums solos en n’ayant aucune deadline et personne avec qui échanger des idées. Il a pu m’arriver de tourner en rond pendant un an sur un passage d’une minute dans une chanson, genre : « Qu’est-ce que je suis en train de faire de ma vie ? Je tourne en rond ! » Donc, comme l’a dit Ray, le fait d’avoir une deadline imposée par le label ou l’ingénieur de mix est très utile pour avoir un objectif en ligne de mire. Après, nous sommes toujours sur la même longueur d’onde et nous travaillons ensemble, donc le processus est très efficace.

Ray : Et presque à chaque fois, sans faute, je suis là : « Les gars, on ne va pas y arriver. Ce n’est pas possible. Je ne sais pas comment vous pensez qu’on va arriver à honorer la deadline. » Et je ne sais pas comment, au final, nous y arrivons !

Richard : Ton boulot est probablement le plus stressant, car nous autres, nous enregistrons confortablement chez nous, donc nous pouvons prendre une tasse de thé, enregistrer un solo, repartir faire plus de thé, revenir enregistrer des riffs, et faire ça de façon décontractée sans contrainte de temps ou pression. Alors que Ray est obligé d’apprendre tout l’album pour ensuite enregistrer. Tu fais des prises complètes de chansons, ce qui est assez stressant. Donc j’imagine que dans ta tête, tu es là : « Vais-je être capable d’apprendre ça à temps pour aller au studio et jouer efficacement tout l’album ? » Tu stresses beaucoup plus que nous.

Fauna a un concept assez intéressant : son postulat est que chaque chanson a un animal qui lui est assigné. Comment avez-vous eu cette idée ?

Nous parlions de différentes idées et c’est peut-être Charles [Griffiths] ou Ross [Jennings] qui a suggéré ça sur, globalement, le règne animal. Ça a été une très bonne base de travail pour ces chansons, car le règne animal est très vaste et éclectique par nature, or la musique sur cet album est elle-même très éclectique, ça semblait donc parfaitement la refléter.

Ray : Ceci dit, je crois que le concept est venu relativement tard. Nous avons composé et travaillé sur des idées pendant un an avant de vraiment commencer à trouver une thématique et des concepts pour les paroles. D’ailleurs, nous nous sommes mis sur cet album en essayant de ne pas le rendre conceptuel, en écrivant simplement des chansons indépendantes, sans nous soucier de créer un lien entre toutes, mais je pense que nous ne sommes pas capables de travailler ainsi. Nous ressentons toujours le besoin de trouver une sorte de fil rouge, car je pense que ça nous aide dans le processus. Surtout dans les dernières étapes, quand nous sommes en train de travailler sur les paroles, l’artwork et tout, nous avons besoin de quelque chose qui rassemble le tout.

« Nous avons tous un vaste éventail d’influences dans le groupe, allant du jazz à la musique électronique, au metal, au prog traditionnel, même à la country – Ross est un grand fan de country. Nous avons tous balancé des idées dans la marmite et nous avons été très ouverts d’esprit tout au long du processus. »

Richard : Oui. Certains de nos précédents albums ont un concept plus narratif, alors que cet album est plus comme The Mountain. Ce n’était pas vraiment un récit, mais un thème plus large qui englobait toutes les chansons. Pour le nouvel album, le thème étant le règne animal, nous avons simplement pris divers animaux ou espèces et nous avons regardé comment ça nous inspirait. C’était vraiment amusant. Mais je pense que tu as raison, Ray, il est clair que ça nous aide avec le processus. Le fait d’avoir un fil conducteur qui lie le tout, avec des thématiques et même des thèmes musicaux qui reviennent dans l’album, c’est clairement quelque chose que nous avons souvent exploré par le passé.

Curieusement, un autre groupe de prog a récemment fait quelque chose de similaire : Long Distance Calling, avec leur dernier album Eraser. Chaque morceau représente une espèce animale en voie d’extinction.

Je crois que, malheureusement, aucun de nous n’était au courant de ça. Ouah, c’est cool. Il faut que j’écoute cet album !

Ray : J’avais un peu oublié Long Distance Calling. Je n’étais pas au courant qu’ils avaient sorti un nouvel album, donc j’étais encore moins au courant de sa thématique, mais c’est un super groupe !

Il se trouve qu’ils ont essayé de traduire musicalement les caractéristiques des animaux. Avez-vous eu parfois une approche similaire, malgré le fait que le concept soit intervenu sur le tard ?

Richard : C’est un groupe instrumental, n’est-ce pas ? Ce serait plus dur d’aborder ce genre de thématique en instrumental sans essayer de recréer musicalement les caractéristiques des animaux, et c’est clairement intéressant à faire, mais je ne peux pas dire que nous l’ayons fait avec notre album. J’ai l’impression que la musique est venue en premier et ensuite, suivant l’atmosphère de celle-ci, nous avons choisi un animal qui reflétait ça. Par exemple, la chanson « Eyes Of Ebody », qui est le dernier morceau de l’album, est très émotionnel par nature. Son thème, c’est celui du rhinocéros blanc et, plus particulièrement, de la disparition du dernier mâle de l’espèce. J’ai décidé d’utiliser ça comme une métaphore pour mon père qui est décédé durant le processus de composition. La musique semblait très bien convenir, car elle est très chargée en émotion. Il y a un grand crescendo à la fin… Au départ, nous n’avions pas prévu de mettre cette chanson à la fin, mais en réécoutant, nous avons trouvé ce crescendo vraiment émouvant et ça semblait être la fin parfaite pour l’album. Je pense que ça va de pair. Parfois c’est la musique qui guide les thématiques et parfois ce sont les thématiques qui mènent la musique dans une certaine direction.

Ray : Nous ne sommes pas trop concrets dans notre approche à ce niveau-là. Même si la majorité de la musique est peut-être écrite avant les paroles et que nous ayons l’idée des thématiques, une fois que celles-ci sont établies, ça façonne en retour une partie de la musique ; elle devra être retravaillée pour que ça aille bien avec. Ce n’est pas tout noir ou tout blanc, nous ne disons pas : « Voici la musique. Maintenant, il faut tout caser dedans. » C’est un processus assez flexible.

Haken a toujours touché à une grande variété de styles et d’atmosphères, mais comme tu le sous-entendais au début, Richard, Fauna est probablement votre album le plus varié à ce jour…

Richard : Ça fait, disons, quatre albums que nous aiguisons cet art de la collaboration. J’ai l’impression qu’avec Fauna, nous avons collaboré plus que pour tout autre album et nous avons tous un vaste éventail d’influences dans le groupe, allant du jazz à la musique électronique, au metal, au prog traditionnel, même à la country – Ross est un grand fan de country. Nous avons tous balancé des idées dans la marmite et nous avons été très ouverts d’esprit tout au long du processus. Nous ne filtrions rien. Nous envoyions tous ce que nous avions et nous voyions ce que ça donnait. Tout le monde avait son mot à dire. Je pense que le résultat, c’est effectivement, sans doute, notre album le plus éclectique, mais aussi, bizarrement, le plus cohérent. Même s’il y a énormément de sons, de couleurs et d’idées, je trouve honnêtement que c’est fluide, plus que tous nos autres albums.

On retrouve des passages vraiment heavy voire djent comme le riffing à la Meshuggah de « Eyes Of Ebony » mais aussi plus électroniques, jazzy et calmes comme dans « The Alphabet Of Me » ou pop voire dansants dans « Lovebite ». Donc diriez-vous que tout est permis avec Haken ?

Clairement en ce qui concerne cet album. Comme je disais, les deux derniers albums, Vector et Virus, étaient un peu plus focalisés. Nous tendions vers une approche plus metal. Mais avec cet album, nous étions là : « Ecrivons ce qu’on veut et voyons où ça nous mène. » Nous avons même balancé des influences reggae là-dedans, des trucs comme The Police. Il y un groupe qui s’appelle Everything Everything – c’est de la pop électro indé – dont nous sommes tous de grands fans et on retrouve clairement ça dans le mélange. Je pense effectivement que tout est permis. Nous ne freinons et limitons rien du tout.

« Ross et moi, nous nous connaissons depuis nos cinq ans. Nous sommes allés à l’école primaire ensemble, tout comme Pete et Ray. Puis nos chemins se sont croisés dix ans plus tard. »

Ray : Comme disait Richard, Fauna est probablement une réaction à Vector et Virus. En ayant fait deux albums d’affilée axés sur une direction précise, nous voulions nous lâcher. Donc oui, tout est permis.

Richard : Ray venait chez moi et nous jammions sur des trucs – il arrivait que Pete [Jones] nous rejoigne aussi. Une fois, pendant qu’il était en chemin – car il a deux heures de route à faire –, j’ai commencé à écrire une idée. C’était juste une rythmique, et c’est devenu le refrain de « Lovebite ». Ensuite, Ray a débarqué et nous avons créé la structure de la chanson en à peine une journée, ce qui n’est pas du tout habituel. En général, ça nous prend des semaines ou des mois voire une année parfois pour avoir la structure d’une chanson. Mais là, nous l’avions, elle a évidemment un peu changé avec le temps, mais nous voulions qu’elle soit aussi courte et concise que possible. D’après mes souvenirs, c’est ainsi que cette chanson a vu le jour. « Eyes Of Ebony » a démarré avec une idée à la guitare, je crois. C’était une de ces septièmes majeures qui remontent le manche de la guitare… En fait, non, celle-ci a commencé avec le groove du couplet, n’est-ce pas ? Ensuite j’ai écrit ces parties de guitare qui donnent l’impression d’être syncopées par-dessus le rythme. L’un de mes passages préférés dans l’album, c’est la partie centrale de cette chanson, qui doit être ce dont tu parles et qui est clairement un clin d’œil à des gens comme Tigran Hamasyan et Avishai Cohen, qui sont de grandes influences pour nous. Ils sont simplement incroyables. C’est cette idée de son de piano très grave et percutant, qui imite presque le son d’une guitare, mais ensuite, nous l’avons effectivement doublé avec une guitare. C’était un passage vraiment amusant à créer.

Ray : Concernant « The Alphabet Of Me », elle a un son un peu pop au début, mais ensuite, on tombe sur tout un passage central avec un côté rock indé. C’est l’un des rares de l’album qui s’installent sur une atmosphère particulière pendant plus de vingt secondes. Il y a tellement de directions différentes dans chaque chanson, donc c’est sympa quand ça s’ouvre, que c’est un peu plus spacieux et que ça se stabilise. Ensuite, il y a aussi l’outro qui, là encore, se fixe sur une idée toute simple et la laisse se développer. Nous avons aussi intégré un solo de trompette par-dessus, juste parce que c’est marrant. Je crois que quelqu’un a mentionné que ça sonnerait super avec ça, donc il fallait que nous le fassions ! Miguel Gorodi est un ami à moi, un trompettiste éblouissant. Il est venu à un moment où je faisais une pause dans les enregistrements de batterie et il a enregistré environ huit prises par-dessus cette section. D’ailleurs, je ne sais pas si tu l’as entendu ou si c’est même déjà disponible, mais la version instrumentale de l’album, qui sera sur un disque bonus, contient un solo de trompette allongé, car il n’y a pas de chant. C’est trente seconde voire plus de shred à la trompette. C’est génial !

Y a-t-il déjà eu des moments par le passé où vous vous êtes délibérément restreints, où vous avez dit que vous ne pouviez pas faire ci ou ça ?

Richard : Je n’en ai pas souvenir. Evidemment, parfois tu apportes une idée, mais tout le monde ne la sent pas forcément, mais pas parce que c’est trop barré ou loufoque. Les gens dans le groupe sont ouverts à quasi n’importe quoi. C’est plus une question de goûts ; si les gens ne le sentent pas, ils le disent. Il ne me semble pas que nous ayons déjà eu ce genre de discussion par le passé.

Ray : Non, je ne crois pas non plus. Il n’y a rien de spécifique que j’éviterai intentionnellement si je travaille sur une idée pour Haken. J’écris ce qui me vient naturellement et avec un peu de chance, les autres gars aimeront aussi.

A propos de son départ du groupe, Diego Tejeida a déclaré qu’« au fil des dernières années, il est devenu indéniable que les autres membres et [lui] ont des visions musicales très différentes ». Comment décririez-vous vos visions respectives, et comment est-ce devenu irréconciliable ?

Richard : Je suppose qu’il est naturel que les goûts changent au fil du temps. Il a juste exprimé son envie de partir faire son propre truc. Il n’est pas vraiment rentré dans les détails. Nous avons respecté sa décision et nous avons continué à faire ce que nous faisions. Voilà vraiment comment ça s’est passé.

Les sons électroniques et de clavier sonnent assez neufs sur Fauna. Vu que c’est le premier album d’Haken depuis le retour de Peter Jones, avez-vous l’impression qu’il a joué un rôle important pour rafraîchir le son du groupe, malgré le fait que ce soit un ancien membre ?

Oui, il a énormément évolué au fil des années en tant que musicien. Il était dans le groupe à quinze ans, à l’époque des démos, et ensuite il est parti. Il avait quel âge ? Environ dix-huit ans. Il est parti étudier la physique théorique et a énormément grandi en tant que personne mais aussi musicien. Il a beaucoup développé son style. Dans le temps, il était beaucoup plus influencé par le classique, mais en cours de route, il a pris des influences jazz et de grosses influences électroniques. Il a un projet qui s’appelle Nested Shapes, il y fait des choses incroyables. C’est de la musique électronique très complexe qui évolue et se développe. Il a donc incorporé pas mal de ça dans la musique d’Haken ainsi que des influences jazz. De façon générale, il a donné un second souffle au processus et il nous a nous-mêmes revigorés, car après le Covid-19, le moral était bas mais il voulait que nous nous y remettions. C’était donc super qu’il soit là. Il est plein d’énergie et il a permis au processus d’être vraiment amusant. Lui et moi avons formé un autre groupe qui s’appelle Nova Collective, avec Dan Briggs de Between The Buried And Me, et c’est beaucoup plus orienté fusion. C’était une bonne façon de raviver cette relation, musicalement parlant.

« J’aime l’idée d’être un chat pour pouvoir flemmarder et ne rien faire de la journée, et être caressé de temps en temps. »

Ray : Il a aussi sa propre petite niche musicale avec son projet solo pour lequel il citerait probablement quelques personnes dans le monde de l’électro, comme Max Cooper et Rob Couth, deux gars en particulier qu’il adore et qui travaillent avec plein d’éléments de dingue, très détaillés. C’est quelque chose qui a déteint sur lui, et au final, sur nous aussi. D’ailleurs, à l’époque de Vector, je ne sais pas s’il y a d’autres passages, mais il y en avait un dans « Puzzle Box » sur lequel il a collaboré avec moi. Il a un peu cherché à revenir dans le groupe depuis. Mais ce côté électronique est vraiment unique chez lui. De même, au-delà de ce genre d’influences, il a un style et une approche très différents de Diego. Il utilise beaucoup le piano, déjà. Il est généralement très pianistique. Il a un background légèrement différent, peut-être plus classique, plus traditionnel. On trouve donc beaucoup plus de piano et de son de Rhodes, ce qui, encore une fois, apporte peut-être à Fauna un côté légèrement plus jazz fusion, comparé aux albums précédents. Pete a été très impliqué dans le processus d’écriture, donc le fait qu’il soit de retour, qu’il apporte une voix supplémentaire – ou une nouvelle voix, je suppose – à l’ensemble au sein du processus créatif, ça a clairement permis d’élargir le son.

Richard : Oui, il a instantanément mis son empreinte sur le son de l’album. Ce sera vraiment excitant de voir où ça va nous mener dans les prochaines années. Avec un peu de chance, ça va naturellement évoluer avec notre son.

Vous avez tous les deux l’habitude de jammer ensemble chez toi, et cette fois, comme tu l’as précisé Richard, Pete a également été inclus dans ces sessions vu qu’il est aussi au Royaume-Uni contrairement à Diego qui était au Mexique. Pensez-vous que ça a aussi permis d’avoir un processus plus riche et dynamique ?

Oui, c’est vraiment génial. Nous vivons tous pas très loin – excepté Conner [Green] qui vit en Amérique. Pete habite dans la même rue que moi, dans le sud de Londres, Charlie est à dix minutes de chez moi également et Ray est un peu plus loin au nord. Donc, je pense que nous nous sommes plus réunis pour cet album qu’aucun autre. Nous nous retrouvions par petits groupes pour travailler sur des idées centrales, les envoyer au reste du groupe et ensuite les faire évoluer ensemble à distance par internet. Nous avons même eu une semaine où nous nous sommes tous réunis. Le plan complet de la majorité des chansons était dessiné à ce stade et nous avons essayé d’établir toutes les lignes de chant par-dessus toutes les structures que nous avions. Mais oui, nous avons beaucoup plus collaboré en personne avec cet album.

Ray : Ça permet au processus d’être un peu plus fluide quand il y a plus de membres du groupe qui se voient en personne durant ces premières étapes créatives. Ça nous aide à filtrer les idées que nous aimons et celles que nous n’aimons pas en tant que groupe, plutôt que de travailler chacun seul chez lui. Il est clair que ça change et transforme la dynamique et le son global de l’album de travailler de cette façon.

Vous connaissez Peter depuis qu’il a quinze ans, ce qui veut dire que vous êtes tous devenus amis quand vous étiez très jeunes. Dans quelle mesure ça aussi, ça aide quand on fait de la musique ?

Richard : Ray et Pete se connaissent même depuis qu’ils ont cinq ans, je crois.

Ray : Oui, quatre ou cinq ans !

Richard : Ils ont donc la chance d’avoir cette relation depuis vingt-cinq ans. C’est comme Ross et moi, nous nous connaissons depuis nos cinq ans. Nous sommes allés à l’école primaire ensemble, tout comme Pete et Ray. Puis nos chemins se sont croisés dix ans plus tard.

Ray : Je ne me souviens plus quand Pete et moi avons commencé à jouer de la musique ensemble, c’était il y a tellement longtemps, mais nous avons été dans divers groupes, orchestres, chœurs, peu importe ce qu’il y avait à l’école, et ensuite nous avons travaillé sur notre propre musique originale, que ce soit ensemble dans une forme de groupe ou individuellement en partageant l’un avec l’autre ce que nous faisions. Nous avons toujours été créatifs ensemble depuis aussi longtemps que je me souviens. C’était donc tout naturel qu’il revienne dans le groupe et travaille sur des idées musicales. Il n’y a eu aucune résistance, aucune difficulté.

Richard : Je pense qu’à force de travailler ensemble au fil des années, on apprend les goûts de chacun, ce qui permet de dire : « J’ai ce passage mais je suis enlisé sur cette partie. Peut-être que tu pourrais prendre le relais ? » Alors je peux proposer une idée, Ray peut suggérer une partie plus rythmique ou Pete peut se charger de quelque chose qui serait de nature plus pianistique. Nous avons vraiment aiguisé cette relation avec les années et il est clair que c’est d’une grande aide pendant le processus.

« Il y a des personnalités plus fortes et d’autres plus réservées dans le groupe, mais très franchement, nous ne sommes pas très rock n’ roll dans l’âme. Nous sommes assez ennuyeux et bien élevés en dehors de la scène. »

On peut entendre beaucoup de batterie électronique sur « The Alphabet Of Me ». As-tu travaillé avec Pete là-dessus, Ray ?

Ray : Curieusement, malgré ce qu’on vient de dire, Pete n’était pas du tout impliqué dans cette partie de la chanson. Enfin, plus tard, bien sûr, tout le monde a été impliqué, mais au début du processus, je crois que Hen et moi plaisantions sur ce groove qui venait de quelque chose que j’avais envoyé… D’ailleurs, je l’ai envoyé à Pete aussi. Je l’ai envoyé aux deux, pour différentes raisons. Rien n’en est ressorti quand je l’ai envoyé à Pete, donc je l’ai envoyé à Richard. Tu en as fait une toute petite partie musicale et il me semble que tu l’as mise sur Addictive Drums – qui est une bibliothèque de samples ?

Richard : En gros, Ray m’a envoyé un solo de batterie de trois minutes en disant : « Qu’est-ce que t’en penses ? Est-ce que c’est une bonne chanson ? » J’étais là : « C’est un solo de batterie ! » Je crois que j’ai pris environ une mesure et je l’ai décalée. Je l’entendais différemment. Je l’entendais en commençant sur le second temps de la mesure, il me semble, ou un des autres temps. Donc j’ai tout décalé. Toute la chanson découle de cette seule mesure ou de ces quelques petits trucs. Mais oui, je l’ai mise dans ce logiciel baptisé Addictive Drums, qui est vraiment cool, avec un son électro distordu. C’est le son qu’on retrouve d’ailleurs dans l’album, n’est-ce pas ? C’était sur la démo et nous l’avons gardé car nous l’adorions.

Ray : Je pense que c’était mon essai manqué à écrire une chanson en partant de la batterie et rien d’autre. Habituellement, nous ne travaillons pas comme ça. Il se peut que nous travaillions avec un groove de batterie, mais ce serait seulement sur une mesure ou deux, et ensuite nous développons à partir de ça. Nous n’avons jamais une structure de chansons rien qu’à la batterie pour tout construire par-dessus. C’était un peu mon idée à ce moment-là et, de toute évidence, ça a échoué. Enfin, nous avons quand même obtenu une chanson, mais pas de la façon dont je l’avais imaginé au départ. Mais peut-être est-ce quelque chose que nous pourrons essayer de faire davantage dans le futur, si quelqu’un voudra prendre la peine d’écouter tout ce que je compose [rires].

Richard : Parfois, les plus petits trucs déclenchent la créativité. Ce peut être un tout petit passage rythmique et alors, tout d’un coup, ça devient le thème de la chanson. Cette chanson, en particulier, est probablement… En fait, je ne vois pas d’autres chansons que nous ayons faites comme ça.

Ray : Peut-être « Sempiternal Beings » ? Là encore, ça a commencé avec une idée très simple, c’était juste une mesure que nous avions dans « Earthrise » quand nous travaillions sur Affinity. Nous avons utilisé ça comment point de départ de la chanson pour plusieurs de ses versions initiales. Nous avions écrit entre cinq et dix minutes de musique à ce moment-là, et cette idée qui avait lancé la composition de la chanson a fini par être jetée à la poubelle. Nous ne l’avons même pas utilisée [petits rires]. Mais c’est ce qui a mis la machine en route et nous a amenés à écrte tout le morceau.

Vous avez loué une maison en février 2022 dans la campagne de Surrey pour finaliser les lignes de chant. Avez-vous besoin d’être ensemble dans un environnement spécial pour ce genre de travail ? Était-ce un processus collaboratif là aussi ?

A cent pour cent. Nous avons eu un processus similaire pour finaliser Virus, car nous étions en tournée avec Devin Townsend et l’album en était à peu près à la même étape. Une grande partie de la musique était déjà écrite, il s’agissait juste de finaliser les arrangements, et de travailler sur les mélodies de chant et les paroles. Nous n’avions jamais fait ça avant, en tout cas pas en étant tous les six ensemble. Ça a fait une grande différence. Ça nous a permis d’être tous sur la même longueur d’onde. Quand on travaille à distance, ça peut être très difficile et les gens peuvent se faire une mauvaise idée ou il peut y avoir des incompréhensions. Le fait de louer un Airbnb et d’y loger pendant une semaine, et de travailler intensivement en compagnie des uns et des autres durant cette période, a fait que c’était beaucoup plus fluide et facile. Nous étions vraiment en phase et ça a grandement aidé le processus.

Richard : Nous avions tous dans l’idée de faire de longues randonnées et de profiter d’un tas de films que nous voulions regarder, mais il ne s’est rien passé de tout ça. Nous nous levions, je ne sais pas, à huit heures du matin et nous travaillions pendant quinze heures d’affilée jusqu’à presque trois heures du matin certains jours. Nous allions nous coucher, nous nous levions et c’était reparti. C’était une part intégrante du processus, car le chant est vraiment l’élément le plus important de notre son. Les paroles intéressent beaucoup de gens et les mélodies vocales sont ce qui les accroche. Nous faisons énormément attention aux refrains. Nous passons beaucoup de temps à essayer de leur trouver des lignes de chant accrocheuses. Comme l’a dit Ray, le fait que nous étions tous présents a fait que le processus était nettement plus rapide et naturel. Nous chantons tous. Nous avions un microphone dans la pièce et nous disions : « J’ai une idée maintenant. Je vais essayer ça. » Puis les autres gars pouvaient dire : « Non, je ne le sens pas » ou « Ouais, ça sonne super », et nous avancions comme ça. Quand nous travaillons à distance, chacun chez soi, tout ce processus peut parfois prendre des semaines rien que pour obtenir une mélodie de refrain. C’était donc très utile.

« La musique a un côté animal. Elle saute d’un endroit à l’autre. Elle sonne très spontanée parfois, voire très brute, crue et bestiale, c’est certain. Mais au moment où nous la faisons, c’est très contrôlé. »

Est-ce que ça veut dire que vous avez écrit les paroles tous les six ensemble ?

Non, nous n’avons pas vraiment écrit de paroles durant cette semaine-là. Il s’agissait purement de planifier les mélodies de chant. Ceci étant dit, il y a quelques phrases qui sont naturellement ressorties en raison du son et des contours des mélodies de chant, et certaines sont restées. Par exemple, l’idée de « Lovebite » est venue, je crois, suite à quelque chose que tu as dit, Ray…

Ray : Honnêtement, je ne me souviens plus de qui c’est venu, mais c’était la phrase : « I see you’ve eaten somebody else ». Nous avons saisi cette idée d’une araignée cannibale entretenant une relation jalouse. La chanson nous a vraiment emballés avec cette thématique et ça a fait boule de neige sur d’autres idées pour d’autres chansons et d’autres animaux que nous pouvions commencer à explorer. Mais pour ce qui est de travailler sur des textes, je pense que c’est un processus beaucoup plus personnel. Je ne sais pas si ça pourrait marcher que nous travaillions tous ensemble, à six, sur des paroles. Nous pourrions essayer, mais ça a tendance à être plus sensé quand, pour chaque chanson, seuls un ou deux d’entre nous travaillons sur les paroles. Si nous galérons avec une partie spécifique, nous pouvons échanger des idées.

Vous avez déclaré que « conceptuellement, ça [vous] rappelait The Mountain », dans le sens où « [vous] pouv[ez] vous identifier personnellement aux animaux de Fauna ». Pensez-vous que ce soit plus facile de parler de vous, de votre quotidien ou de sujets personnels quand c’est fait de manière détournée ou au travers d’une métaphore ?

Richard : Ce rapprochement que j’ai fait avec The Mountain, c’est essentiellement sur l’esprit de l’album. J’ai l’impression que nous l’avons approché de façon similaire, c’est-à-dire de manière très ouverte. En termes de concept, l’album est basé sur une idée très générale. Avec The Mountain, il s’agissait de l’idée de surmonter des obstacles et de la façon dont ça nous parlait, et nous avons utilisé différentes métaphores dans le monde humain pour illustrer ça. C’est pareil avec cet album : on a toutes ces espèces animales différentes et ça ne renvoie pas forcément toujours à nous personnellement, mais ça peut renvoyer à quelque chose au sein de la société qui suscite notre intérêt. Un exemple serait Taurus. Le catalyseur pour cette chanson était la migration des gnous. Ross a pris cette idée et l’a utilisée comme métaphore pour l’immigration des réfugiés. Un autre exemple, que j’ai mentionné tout à l’heure et qui est beaucoup plus personnel, serait « Eyes Of Ebony ». J’ai l’impression que le fait d’avoir cette base pour l’album a grandement aidé le processus d’écriture des textes.

Ray : Je suis d’accord. Au final, il faut qu’il y ait une forme de connexion personnelle dans ce qu’on écrit. C’est une part naturelle du processus créatif. Que ce soit explicite, qu’on puisse le déduire, l’entendre et le comprendre dans la musique, ou que ce soit plus subtil, il y a toujours une forme de reflet.

Richard : Avec le temps, comme je le disais tout à l’heure, nous collaborons beaucoup plus et ça vaut aussi pour les paroles. Avant, nous n’écrivions pas tous des paroles. Ross s’est taillé la part du lion sur les deux premiers albums, mais depuis The Mountain, nous avons commencé à tous écrire. Je pense que ça a vraiment élargi les thématiques des albums, car nous avons tous eu des expériences.

Ray : Connor a écrit ses premières paroles sur cet album, d’après de ce que j’ai compris.

Richard : Oui, il s’est chargé de « Beneath The White Rainbow ». Il s’est lâché dessus et a créé un texte extraordinaire. Il l’a basé sur The Mad Fox, un film japonais de 1962. Il a créé de magnifiques paroles. Je suis surpris qu’il n’ait pas vraiment essayé avant. Ça semble être naturel pour lui.

Ray : Parce qu’il est tellement réservé ! Il a plein de talents cachés.

Richard : Je sais ! Il sait faire du tofu.

Comme vous l’avez dit, même si les chansons parlent du règne animal, il y a des connexions aussi avec le monde humain. Pensez-vous que nous, les êtres humains, agissons plus comme des animaux que nous ne voulons l’admettre ?

Oui. Nous sommes des animaux, donc c’est logique. Je pense que nous avons tous ce lien. Le monde humain a un spectre très vaste. Certains comportements sont très bestiaux. Il y a clairement de nombreux liens.

Ray : C’est sûr. C’est inévitable.

« Une fois que le rhinocéros blanc aura disparu, ce sera fini, il ne reviendra pas. C’est une chose tellement belle qui prend fin. C’est un peu ça la mort. Quand quelqu’un meurt, c’est fini. C’est très difficile d’essayer d’intégrer l’idée qu’on ne reverra plus cette personne. »

Si vous deviez associer un animal – comme un animal totem – à chacun des membres du groupe, quel serait-il ?

Richard : C’est une question difficile ! Eh bien, mon surnom, c’est Hen (Poule, NdT). On m’appelle comme ça depuis le lycée, mais c’est un peu facile et ça ne me représente pas vraiment. J’aime l’idée d’être un chat pour pouvoir flemmarder et ne rien faire de la journée, et être caressé de temps en temps. J’opte donc pour ça. Charlie serait un ours.

Ray : Charlie est clairement un ours ! Ça va sans dire. C’est un gros ours en peluche.

Richard : Ross adore la musique de cowboys, donc c’est un cheval. Je l’imagine bien galoper dans les collines en écoutant de la country.

Ray : Absolument. D’ailleurs, il me semble que nous avons déjà eu cette conversation. Qui reste-t-il ? Connor est le pygargue à tête blanche sur la pochette. Qu’en est-il de Pete ?

Richard : Pete pourrait être le singe sur la pochette. Il est poilu et très distingué. Je l’imagine bien en costume en train de boire du porto. Ça me paraît bien. Et toi t’es quoi Ray ? Je te voyais bien aussi en pygargue à tête blanche…

Ray : Donc il y en a deux dans le groupe. Connor en est un normal et moi j’en suis un dont on aurait rasé la tête blanche, donc je suis un pygargue à tête blanche chauve [rires].

On associe souvent aux groupes de rock n’ roll une attitude instinctive voire animale. Evidemment, Haken est un groupe de metal progressif, qui est un genre musical beaucoup plus cérébral. Malgré tout, parvenez-vous à maintenir un côté instinctif, que ce soit en studio ou en live ?

Pour ma part, en live oui, clairement. Je me lâche lorsque je joue, pour ainsi dire. Quand je suis sur scène, je suis très différent. Honnêtement, nous le sommes tous. Globalement, nous sommes assez réservés ; enfin, il y a des personnalités plus fortes et d’autres plus réservées dans le groupe, mais très franchement, nous ne sommes pas très rock n’ roll dans l’âme. Nous sommes assez ennuyeux et bien élevés en dehors de la scène.

Richard : Pour contextualiser ça, sur la dernière tournée, nous avons regardé les trois saisons de Love On The Spectrum ensemble dans le bus. Donc, nous faisions le concert, retournions dans le bus, faisions du thé et ensuite, nous regardions tous Love On The Spectrum plutôt que de sortir pour nous bourrer la gueule dans une boîte de nuit [rires]. Ce n’est pas trop notre genre. Nous sommes beaucoup plus réservés que d’autres groupes.

Ray : Je suppose que ça s’insinue aussi dans le processus créatif. Nous sommes très méticuleux et nous prenons clairement notre temps. Ceci étant dit, certaines des meilleures parties musicales que nous faisons sont des choses qui arrivent accidentellement, que ce soit en studio quand nous sommes en plein enregistrement ou quand nous composons méticuleusement et programmons des trucs ; il peut nous arriver de décaler quelque chose vers la mauvaise partie de la mesure et tout d’un coup : « Oh, ça sonne pas mal du tout ! » Mais pour ce qui est de faire les fous et d’être spontanés, ce n’est pas très habituel chez nous.

Et en termes purement musicaux, pensez-vous qu’il peut y avoir parfois quelque chose d’animal dans vos morceaux ?

Richard : C’est dur à dire. Notre musique est très émotionnelle, mais comme le disait Ray, c’est un type de musique très contrôlé. Nous ne mettons pas en place un micro pour enregistrer spontanément, et ce qu’on enregistre constituera l’album. Nous y passons beaucoup de temps. C’est très calculé. On ne retrouve pas forcément ce côté brut inné que de nombreux animaux auraient.

Ray : Ceci dit, je pense que la musique, quand elle est vraiment terminée, a un côté animal. Elle saute d’un endroit à l’autre. Elle sonne très spontanée parfois, voire très brute, crue et bestiale, c’est certain. Mais au moment où nous la faisons et trouvons ces idées, ce n’est pas vraiment… Enfin, oui, tout ça a aussi lieu dans notre tête et il y a des échanges, mais au final, c’est très contrôlé.

Richard : Il y a un exemple qui vient de me venir en tête. C’est « Beneath The White Rainbow ». Il y a un passage au milieu. C’était lors de cette semaine de session d’écriture que nous avons faite, et nous avions une de ces idées de dingues de Pete au piano. Je crois que Ross a commencé à crier dessus. Nous étions là : « En fait, ça sonne vraiment cool ! » Il y avait un côté à la Mike Patton, Mr. Bungle. C’était très brut et cette idée est restée. Pour moi, ça sonne presque comme un animal.

Ray : Oui, c’est clair. C’était littéralement Ross qui criait ce qui lui venait en tête, juste pour trouver un phrasé, et nous avons construit la partie avec ça. De même, si on prend « Taurus », on peut difficilement faire plus brut et cru que le début de cette chanson, avec ces harmoniques superposées. Ça sonne affreux. J’ai vu des commentaires dire : « J’aime bien la chanson. Je n’aime pas son intro. » Et c’était un peu l’idée. C’est censé être assez inconfortable et désagréable à écouter. Nous en avons d’ailleurs discuté. Nous nous demandions sur combien de temps nous pouvions faire tourner ça.

« Si tu compares ces trois gars et leurs trois projets solos, ainsi que ce que Pete fait en solo, on aurait du mal à croire qu’ils jouent tous dans un groupe ensemble et qu’ils pourraient trouver un terrain d’entente dans une formation comme Haken. »

Richard : Oui, cette partie sonne très dissonante. Ça met vraiment mal à l’aise. Nous n’avions jamais vraiment commencé un album de cette façon. C’était assez amusant à explorer. Nous aimions l’idée de peut-être entrer sur scène avec ces harmoniques diffusées hyper fort dans la sono. Ce serait cool, nous pourrions l’allonger sur dix minutes et jouer ça au public…

Ray : … Jusqu’à ce qu’ils soient tous partis !

Richard : Oui, ils partiraient et nous irions nous coucher plus tôt. Nous pourrions regarder Love On The Spectrum, prendre une tasse de thé, et au lit.

Ray : Il y a aussi un riff avec un changement de tempo imprévu au milieu de la chanson, qui, là encore, est très agressif et inattendu. Il y a plein de choses comme ça. C’est juste que, peut-être, ce n’est pas aussi animal lorsque nous sommes dans le processus créatif.

Comme tu l’as dit, Richard, tu as utilisé la chanson « Eyes Of Ebony » pour faire un parallèle entre le rhinocéros blanc qui est quasi éteint et ton père qui est mort récemment d’une crise cardiaque. Comment as-tu abordé la comparaison ? Fais-tu le lien entre la gravité de la perte de toute une espèce et le fait de perdre son père ?

Richard : Oui. Tout d’abord, écrire à propos de la mort de mon père a été assez thérapeutique. C’était très dur, parce qu’il a été un d’un grand soutien au fil des années pour moi en tant que musicien et, évidemment, en tant que personne. Et pas seulement pour moi, car il a influé sur tout le groupe. Dans le temps, il envoyait des démos à tous nos fans partout dans le monde et ce, gratuitement. Il a créé une biographie pour nous et il leur envoyait des photos, et il n’a jamais réclamé d’argent pour ça, il faisait tout gratuitement. Il venait tout le temps nous voir jouer. Comme un vrai fan de prog, il avait une liste de concerts où il était allé. Il était allé à plus de cent concerts et il ne voulait jamais qu’on le mette sur la liste des invités, il a toujours payé sa place parce qu’il voulait soutenir le groupe. Il nous a donc toujours beaucoup soutenus. Je crois que c’est toi, Ray, qui as suggéré ça, tu as dit : « Pourquoi est-ce qu’on n’écrirait pas une chanson sur ton père ? » J’étais là : « Oui, c’est une super idée. » Nous avons fini par lui dédier l’album, car c’était un grand fan. C’était probablement le plus grand fan d’Haken. Tout le processus a été très thérapeutique pour moi. C’était très dur de gérer ça, de saisir le concept de la mort. Je ne l’avais jamais ressenti comme ça avant et j’essayais de trouver une bonne métaphore ou quelque chose qui rendrait vraiment justice à ce sentiment. Une fois que le rhinocéros blanc aura disparu, ce sera fini, il ne reviendra pas. C’est une chose tellement belle qui prend fin. C’est un peu ça la mort. Quand quelqu’un meurt, c’est fini. C’est très difficile d’essayer d’intégrer l’idée qu’on ne reverra plus cette personne. J’ai donc essayé de refléter ça dans les paroles du mieux possible.

D’ailleurs, la dernière phrase dans chanson et donc de l’album, c’est : « Tu m’as donné le pouvoir de rêver, tandis que nous marchions à grands pas vers le sommet de la montagne. » Ça montre bien l’importance qu’a eue ton père pour toi et pour le groupe…

Oui. Je ne saurais trop insister là-dessus. Il m’a vraiment énormément soutenu. Il a toujours été celui qui me poussait à accomplir plein de choses dans la musique. Donc ces paroles sont absolument poignantes et signifient beaucoup pour moi. Il m’a vraiment donné le pouvoir de rêver et m’a donné l’impression que je pouvais accomplir ce que je voulais dans la vie. Il a toujours été très flexible par rapport à ma carrière dans la musique. Il ne m’a jamais poussé dans une direction donnée et c’était un grand fan de musique. J’ai donc grandi en écoutant des groupes comme Pink Floyd et Yes, et aussi pas mal de blues. Ma mère était aussi professeure de piano, donc j’avais les deux. J’étais inspiré et influencé par la musique des deux côtés. Naturellement, j’ai suivi cette voie, mais il était là : « Tu fais ce que tu veux. » J’imagine que c’était pareil pour tes parents, Ray. Ils ne t’ont pas forcé à être médecin ou avocat. Tu t’es intéressé à la musique et en bons parents, ils t’ont permis de suivre ta propre voie.

Ray : Oui, mais je pense que ton père avait une passion débordante pour la musique en général, et clairement pour le groupe en particulier. Il était plein d’énergie, surtout lors des concerts, s’il était dans le public, quand on le voyait après, c’était pratiquement à chaque fois comme une expérience religieuse pour lui. Il faisait entièrement un avec le groupe. C’était comme le septième membre, on pourrait dire.

Richard : Il disait toujours : « C’était le meilleur concert où je suis allé, c’était la meilleure fois que vous ai vus jouer. » Et nous étions là : « Bon ça allait. On a loupé quelques notes. » Il était là : « Fais-moi confiance, c’était le meilleur », à chaque fois. Je pense qu’il était sincère. Il le croyait vraiment. Il vivait dans un petit appartement à Londres et chaque pan de mur était couvert de souvenirs, de vieux billets de concerts, de photos de tous les membres du groupe. Il y avait évidemment des photos d’autres membres de ma famille aussi, mais Haken prenait beaucoup de place dans son appartement.

« J’ai entendu Petrucci en écoutant l’album Awake. Il m’a complètement bluffé. Je n’arrivais pas à croire que quelqu’un puisse jouer aussi vite. J’ai vraiment cru que c’était truqué. Je pensais que c’était du synthétiseur, de la guitare programmée ou autre. Je ne pouvais pas croire que c’était réel. J’ai regardé une vidéo et j’ai vu qu’il jouait vraiment ces parties. J’étais stupéfait. Ça a été un vrai tournant pour moi. »

Tu as dit qu’avec Taurus, vous aviez fait un parallèle entre la migration des gnous et l’immigration des réfugiés. Evidemment, c’est dur actuellement de ne pas y voir ce qui est en train de se passer avec les Ukrainiens en Europe. Dans quelle mesure ça vous a touchés ?

Ross a écrit les paroles de celle-ci, mais j’ai le même sentiment que lui, et ça doit être pareil pour Ray. C’est vraiment horrible. Nous vivons relativement en sécurité au Royaume-Uni, donc c’est dur de vraiment nous mettre dans la position de quelqu’un qui a été poussé hors du confort de sa maison et n’a plus la sécurité d’un toit au-dessus de sa tête. Rien que l’idée d’avoir été viré de chez soi et forcé à partir, à aller dans un autre pays, parfois d’entreprendre un voyage périlleux sans être sûr d’y arriver, car beaucoup meurent en route, c’est incroyablement tourmentant. Je suis de tout cœur avec ceux qui doivent vivre ça. Je suppose que c’est ce que Ross a utilisé comme inspiration pour ces paroles.

« Lovebite » est plus ironique. Ça parle d’une veuve noire donc la femelle tue et dévore le mâle après l’accouplement. Est-ce votre vision des femmes ? Attention à ce que vous allez dire…

Oh non, ce n’est pas du tout misogyne. C’est juste que nous aimions l’idée de créer un contraste entre cette chanson très légère, spacieuse et pop – ça me rappelle un mélange de Toto et de Devin Townsend – et ces paroles très sombres, presque death metal. Nous avons essayé de les rendre aussi gore que possible pour un divertissement maximum. Ross s’est vraiment lâché avec ce texte. Ce sera un morceau bien marrant à jouer !

« Elephants Never Forget » est évidemment le gros morceau de l’album, avec ses onze minutes. Pensez-vous que vous aviez besoin d’une énorme chanson pour représenter un énorme animal ?

Ray : Cette chanson aurait pu être plus longue, honnêtement. Elle concentre tellement d’idées en un temps relativement court. J’imagine que c’est parfaitement logique. C’est complètement givré, c’est énorme. Peu d’animaux conviendraient mieux à cette chanson que l’éléphant. C’était vraiment amusant de travailler dessus. Il y a d’ailleurs pas mal de matière musicale qui a été retirée de la version finale.

Richard : Elle a fait un sacré voyage. Charlie a planté la première graine pour celle-ci. Ce n’était pas du tout le cas au début lorsqu’il nous a présenté l’idée, mais une fois qu’il y a intégré ces couplets syncopés fous, c’est devenu un hommage assumé à Gentle Giant, qui est une de nos grandes influences. Mais comme l’a dit Ray, il y a tellement d’idées là-dedans, tellement de riffs que ça aurait pu être beaucoup plus long, ça aurait pu aller jusqu’à vingt minutes si nous l’avions voulu, mais il faut bien qu’il y ait une limite, car ça peut parfois être indigeste. Cette chanson est incessante. Si c’était vingt minutes de riffing en continu, ce serait trop. Nous essayons toujours de trouver le bon équilibre.

C’est probablement le morceau le plus drôle de l’album aussi…

Ray : Je pense que l’éléphant peut être drôle. Il a d’ailleurs souvent été dépeint comme un animal comique. A la fois, c’est probablement l’un de mes animaux préférés. Je ne sais pas si nous tournons forcément les éléphants en dérision. C’est juste un morceau amusant et une excuse pour exploiter ce côté plus prog, excentrique et fou de notre musique. Certains fans aiment utiliser le terme « musique de cirque » et il y a clairement un peu de ça là-dedans.

Richard : Je pense qu’au fil des années, nous avons appris à nous focaliser sur certains sons dans certaines chansons. Dans le temps, nous faisions ce genre de chose sur tout l’album et c’était éparpillé sur toutes les chansons, mais avec l’expérience, nous avons appris à tout concentrer dans peut-être une chanson de l’album qui serait alors la chanson décalée. « Cockroach King » en est un bon exemple sur The Mountain. Cette chanson a une nature excentrique d’un bout à l’autre, mais il y a d’autres chansons sur cet album qui sont de nature beaucoup plus relax, plus émotionnelle. Sur le nouvel album, « Elephants Never Forget » est ce genre de chanson. Elle est clairement plus loufoque que les autres, mais tout est concentré dedans.

L’illustration signée Dan Goldsworthy est vraiment magnifique et complète bien la musique en étant très riche et détaillée. On y retrouve même un tas d’easter eggs, comme vous le faites dans votre musique. Pensez-vous que ça représente visuellement ce que « progressif » signifie ?

Ray : Je ne sais pas si c’est forcément la représentation du progressif, mais il est clair que c’est l’accompagnement parfait pour l’album. Nous avons déjà discuté du caractère varié et éclectique de l’album, et l’illustration est vraiment du même acabit. C’est extrêmement coloré, très varié, très dense. Il se passe tellement de choses dessus, il y a tellement à assimiler. C’était super de travailler avec Dan. Il est relativement méconnu, en particulier dans ce genre musical. Il a fait beaucoup plus d’illustrations dans la scène death metal. Mais cette pochette est juste incroyable. Je ne sais pas comment il fait tout ça !

Richard : Oui, c’est vraiment cool de travailler avec lui. Certaines de nos pochettes précédentes étaient beaucoup plus minimalistes et nous nous sommes toujours dit : « La musique est tellement barrée et il s’y passe tellement de choses que peut-être, un jour, il nous faudra une pochette qui reflète vraiment sa nature éclectique. » Je trouve que Dan s’est vraiment lâché. Il nous a dit être un énorme fan d’Haken avant même qu’il ne commence à travailler sur l’album. Donc, j’ai l’impression qu’il a injecté beaucoup d’amour pour cette musique dans son illustration. Comme Ray l’a dit, c’est l’extension parfaite de la musique. Ça va de pair. J’adore. Les illustrations de chaque chanson ressemblent à des chefs-d’œuvre. Il y a aussi un énorme potentiel pour faire des t-shirts [rires].

« J’ai vraiment essayé de faire carrière en tant que joueur de tuba en orchestre, car autant j’étais dévoué à Haken, autant c’était – et ça reste – un business risqué. »

Ray : C’est inestimable quand on a un artiste qui non seulement est exceptionnel dans son art, mais qui est aussi fan de ta musique et s’y investit. Ça apporte une tout autre dynamique et relation à leur travail. Nous avons beaucoup de chance d’avoir trouvé quelqu’un comme Dan. J’ai hâte de voir si nous pourrons travailler davantage ensemble à l’avenir, parce qu’il semble avoir adoré et nous avons adoré. Avec un peu de chance, nous pourrons continuer à travailler ensemble.

Vous avez sorti la chanson « Nightingale » dès avril 2022, donc presque un an avant la sortie de l’album. Pourquoi avoir donné un avant-goût de l’album aussi tôt ?

Richard : Parce que Pete a rejoint le groupe et, je suppose, la nouvelle n’était pas très répandue à ce moment-là. Je crois que c’est quelque chose que le label a suggéré. Ils étaient là : « Peut-être que vous devriez enregistrer une chanson, ce serait une bonne manière de présenter Pete aux fans. » Il me semble que c’est un morceau sur lequel toi et Pete avez tout de suite commencé à travailler ensemble, n’est-ce pas ?

Ray : Oui, c’était l’une des premières ébauches de chansons qui ont été présentées pour l’album quand nous avons commencé à plancher dessus. Ça semblait être une bonne représentation de ce qu’était Haken et, avec un peu de chance, de ce qu’il allait devenir, et aussi de notre musique dans son ensemble et du groupe maintenant que Pete est de retour. Evidemment, comme Pete a été très impliqué dans sa composition, c’était pertinent que ce soit la chanson avec laquelle nous le réintégrions, simplement pour montrer ses capacités d’écriture et son jeu. Même si c’était il y a un petit moment maintenant, elle s’insère bien dans le contexte de l’album. Je trouve que ça s’est bien goupillé.

Richard : Car à ce moment-là, nous ne savions même pas si elle serait sur l’album. Nous étions en train de composer à l’époque, mais celle-ci était probablement la plus développée quand le label a suggéré cette idée. Quand nous l’avons sortie, nous pensions qu’elle pourrait être sur l’album, mais nous n’en étions pas sûrs. C’est très inhabituel pour nous de faire ça. Généralement, à l’approche de l’album, il y a une promo sur trois mois qui se met en place. On sort le premier single, le suivant un mois plus tard et l’album deux mois plus tard. Mais là, nous avons sorti cette chanson et je crois que beaucoup de fans ont présupposé qu’un album sortirait deux ou trois mois plus tard, mais finalement, c’était le silence radio car nous étions encore en train de travailler dessus. Donc, nous ne savions pas si ce serait sur l’album, mais en fin de compte, ça a été le cas car c’est une excellente chanson. Comme l’a dit Ray, ça va très bien avec l’atmosphère des autres chansons.

Etant la première chanson que vous ayez terminée, est-ce qu’elle a servi un peu de tremplin pour le reste de l’album ?

Je ne sais pas. J’ai l’impression, de toute façon, que nous travaillons toujours en tandem. C’était juste une chanson parmi d’autres, mais structurellement, elle semblait être la plus développée, et elle s’est ensuite mise en place beaucoup plus facilement que les autres. Mais oui, le fait de sortir une chanson nous a clairement poussés à finir les autres et l’album, c’est certain.

Ross et Charlie ont tous les deux fait des projets solos et parallèles dernièrement. Pensez-vous qu’ils sont revenus dans Haken revigorés – surtout Ross qui est allé dans une musique plus pop voire acoustique ?

Ray : J’imagine, oui. C’est différent d’écrire de la musique en tant qu’artiste solo et pour soi plutôt que de façon collaborative avec d’autres gens. On peut explorer différents domaines qu’autrement on ne pourrait peut-être pas explorer. Donc, je pense que pour tous les deux, le fait qu’ils aient pu faire ça, surtout compte tenu du temps que beaucoup de gens ont eu durant les années de pandémie, je suis sûr que ça leur a donné toutes sortes de perspectives en revenant et en retravaillant dans le contexte d’un groupe. De même, ils ont tous les deux fait de très bons albums. Je trouve ça vraiment cool. C’est pareil pour les trucs solos de Richard. Le fait d’entendre ce dont ces gars sont capables quand ils sont livrés à eux-mêmes est très inspirant. Ce qu’ils font est très varié aussi. Si tu compares ces trois gars et leurs trois projets solos, ainsi que ce que Pete fait en solo, on aurait du mal à croire qu’ils jouent tous dans un groupe ensemble et qu’ils pourraient trouver un terrain d’entente dans une formation comme Haken. Nous arrivons tout juste à faire en sorte que ça fonctionne, je pense !

Ross joue de la guitare sur son album solo et dans le projet D’Virgilio, Morse & Jennings, et c’est d’ailleurs un instrument qu’il a appris à jouer à un très jeune âge. Avez-vous songé à le laisser être une sorte de troisième guitare dans le groupe ?

Richard : Nous n’en avons jamais vraiment discuté, pour être honnête. Au début d’Haken, il jouait un peu de guitare. Il a d’ailleurs joué de la guitare avant moi. J’étais beaucoup plus souvent à la basse et au piano quand j’étais au lycée et que nous étions dans un groupe ensemble à jouer des reprises de Radiohead. A l’époque, je m’intéressais plus au clavier et à la basse, et lui jouait de la guitare. Ensuite, je suppose qu’il a pris la décision de se concentrer davantage sur le chant. Il se passe déjà beaucoup de choses dans notre musique, c’est assez intense en termes d’arrangements. Il y a du clavier – parfois il y en a deux –, mais ensuite il y a les guitares, et parce que ce sont des huit-cordes, elles peuvent descendre assez grave, donc elles couvrent déjà une grande partie du spectre fréquentiel. Mais nous sommes ouverts à l’idée. Je crois que nous avons même essayé une fois lors d’une croisière où nous avons joué des reprises. Il a gratouillé sur « Solsbury Hill » [de Peter Gabriel] et « Nothing Else Matters » de Metallica. Ça a plutôt bien marché. C’est le genre de textures qu’on a aussi parfois sur album, il y a de la guitare acoustique dans le fond sur diverses sections. Donc ça pourrait clairement fonctionner en live.

« J’adorerais voir Ray porter un tuba sur le dos et ensuite, en pleine chanson, le faire pivoter autour de lui et envoyer un solo de tuba venu de nulle part ! »

Tu as dit que tu avais commencé au clavier et à la basse, et que tu t’intéressais plus à ces instruments à l’époque. Comment es-tu passé à la guitare, surtout en allant vers ce niveau de maîtrise musicale et de technique ?

J’ai commencé au piano parce que ma mère était prof de piano, donc j’ai grandi avec ça dans la maison. Tous les weekends elle enseignait et ça m’inspirait, donc j’ai suivi cette voie. Ensuite, il y avait toujours une guitare à la maison, donc j’avais pour habitude de la prendre et de gratter dessus. J’ai appris tout seul. J’ai fini par tomber, d’abord, sur Metallica et j’adorais Kirk Hammett. Je trouvais que c’était le meilleur guitariste de tous les temps – et c’est un grand guitariste – mais ensuite j’ai entendu Petrucci en écoutant l’album Awake. Il m’a complètement bluffé. Je n’arrivais pas à croire que quelqu’un puisse jouer aussi vite. J’ai vraiment cru que c’était truqué. Je pensais que c’était du synthétiseur, de la guitare programmée ou autre. Je ne pouvais pas croire que c’était réel. J’ai regardé une vidéo et j’ai vu qu’il jouait vraiment ces parties. J’étais stupéfait. Ça a été un vrai tournant pour moi. A ce moment-là, j’ai décidé de prendre la guitare bien plus au sérieux et je me suis consacré aux exercices six à dix heures par jour. Je ne suis pas sorti, je n’ai eu aucune vie sociale pendant environ cinq ans. Je ne faisais que du shred, j’essayais de jouer tous les sweep et toutes les gammes possibles. Ça n’a pas aussi bien marché pour moi [petits rires], mais je continue d’essayer de m’améliorer à la guitare. Mais oui, c’était le fait d’entendre des gens comme Petrucci, Malmsteen et Paul Gilbert qui m’a inspiré à être un shreddeur.

Ray, quand as-tu commencé à la batterie ?

Ray : J’avais environ douze ans quand j’ai commencé à jouer de la batterie. Je jouais déjà du piano et de l’euphonium, un genre de petit tuba. Je me suis fait à la batterie assez… Enfin, je trouvais que je m’y faisais assez naturellement au début, en tout cas, car je pouvais déjà lire la musique. J’avais déjà des notions de base en matière de rythme et tout. Je pense avoir progressé assez vite à la batterie. Ensuite, j’ai rencontré ces gars quand j’avais environ quinze ou seize ans et nous avons jammé ensemble. Et ça a évolué à partir de là.

Richard : Il y a même un moment dans ton parcours où tu as envisagé ne pas faire d’Haken ton truc. Tu as étudié le tuba et tu as même auditionné pour le London Symphony Orchestra.

Ray : Oui. Je n’en fais plus tellement maintenant, mais j’ai beaucoup fait de boulots de session dans des orchestres par le passé. J’ai vraiment essayé de faire carrière en tant que joueur de tuba en orchestre, car autant j’étais dévoué à Haken, autant c’était – et ça reste – un business risqué. Ce n’est pas encore quelque chose avec lequel nous pouvons vivre. Je joue encore pas mal de tuba. C’est juste une autre facette de mon activité musicale.

Richard : Ce qu’il y a de bien, c’est que nous aspirons toujours à être meilleurs dans notre domaine, pas seulement en tant que groupe. Nous continuons à nous développer en tant que groupe et nous avons encore une grande marge d’amélioration en tant que business, mais en tant que musicien, j’essaye toujours d’être un meilleur guitariste. Je sais qu’il y a encore énormément de choses que je pourrais apprendre. Ça vaut pour chacun d’entre nous et je pense que c’est cet esprit qui fait qu’Haken grandit.

Tu as utilisé du tuba sur quelques chansons d’Haken…

Ray : En effet, même si pas énormément non plus. Il y a quelques parties plus exposées et quelques autres qu’on n’entend pas forcément, qui servent plus de texture, mais oui, le tuba est apparu à quelques reprises et il pourrait réapparaître à l’avenir. On verra. N’importe quelle excuse pour jouer, je suis partant. Je crois que la première fois que nous l’avons utilisé, c’était pour « Celestial Elixir » sur Aquarius. C’est très décalé, façon un peu cirque, et c’est parfait pour une jolie apparition du tuba. Les gars n’ont probablement pas eu l’occasion d’essayer de m’arrêter de jouer du tuba là-dessus, il n’y a pas eu la moindre hésitation. Ceci dit, je n’en ai pas encore joué sur scène avec Haken.

Richard : Je pense que sur le plan logistique, essayer de mettre un tuba dans un avion doit être un peu délicat. Nous avons toujours des galères avec les restrictions sur les bagages. Nous essayons d’entasser tout ce que nous avons dans une petite valise et il n’y a jamais assez de place. Mais j’adorerais voir Ray porter un tuba sur le dos et ensuite, en pleine chanson, le faire pivoter autour de lui et envoyer un solo de tuba venu de nulle part ! A Londres, nous pourrions le faire.

Ray : Oui. Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas !

Si vous faites un jour un album plus jazzy, peut-être que tu pourrais davantage en mettre voire en faire ton instrument principal. D’ailleurs, vous avez déjà fait une version jazz d’une de vos chansons…

Oui, c’était « The Architect ». J’ai joué une horrible trompette dessus. Il est clair qu’il nous arrive de faire des expérimentations un peu absurdes avec des cuivres.

Ça me fait penser à Liquid Tension Experiment qui a fait une reprise de Gershwin…

Oh oui, « Rhapsody In Blue » ! C’était sympa. D’ailleurs, Pete a joué la version originale de ce morceau avec l’orchestre du lycée à l’époque. Quand nous avions environ dix-huit ans, les musiciens les plus doués du lycée se voyaient offrir une sorte de concerto et Pete a fait « Rhapsody In Blue », ce qui est vraiment son genre. C’était bien amusant, je m’en souviens !

Richard : J’allais justement dire que Gershwin est une énorme inspiration pour Pete. C’est clairement une part importante de sa palette harmonique. De même, avec Nova Collective, de nombreuses idées qu’il a apportées étaient assez Gershwin-esques.

Ray : Nous avons joué du Gershwin dans un groupe d’instruments à vent à l’école. Pete jouait de la clarinette et j’étais au tuba. Nous avons joué un tas de medleys de Gershwin. C’était l’éclate ! C’est vraiment de la musique extraordinaire.

Interview réalisée par téléphone le 19 janvier 2023 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Max Taylor Grant.

Site officiel d’Haken : hakenmusic.com

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