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Chronique Focus   

Haken – Fauna


La musique progressive est un paradoxe. En repoussant les limites à des fins exploratoires, elle rend, à chaque étape, sa propre croissance plus difficile. Pas de quoi effrayer Haken, habitué de la discipline. Après un duo conceptuel – Vector et Virus – un tantinet « sage » car moins diversifié et plus axé metal et gros riffs (sans que le groupe se trahisse pour autant), les Londoniens rempilent et mettent les bouchées doubles avec Fauna, un album conçu sans la moindre restriction stylistique. Cette sortie marque le retour du claviériste Peter Jones, après pas moins de quatorze années loin du groupe. Celui-ci comble avantageusement le vide laissé par un Diego Tejeida parti de son propre côté, doté d’une « vision différente ». Comme si le mélange d’influences des membres déjà présent (incluant le classique, le jazz, la country, le reggae ou encore l’électro) ne suffisait pas, voilà que ce revenant enrichit un peu plus l’ADN d’Haken avec moult tendances jazzy et électroniques glanées au cours de son exil. Cette profusion de styles, plutôt que d’être perçue comme une entrave, est vue par Haken comme une huile permettant de faire circuler les idées de manière fluide. Il est quasi exceptionnel de voir Fauna faire du surplace pour plus de vingt secondes. Ainsi, la recherche d’un concept aussi éclectique que sa musique a amené Haken à concevoir un album sur lequel chaque piste se voit associée à un animal. Une pluie de métaphores déroule une œuvre à plusieurs couches, à travers lesquelles les morceaux se connectent également au genre humain et, parfois, à un vécu personnel.

L’amorce du disque se démarque par sa dissonance, avec des notes incisives qui auraient eu leur place dans une œuvre black metal. Le décollage de ce « Taurus » ne se fait toutefois pas attendre, avec quelques-uns des nombreux passages aériens de l’album. Ce titre évoque, à travers la migration d’un million de gnous, les réfugiés et les déplacements forcés de populations (une thématique en l’occurrence directement inspirée par la guerre en Ukraine). Si certaines sonorités de guitares rappellent volontiers la mouvance djent (jusqu’à empiéter sur le territoire de Meshuggah sur « Eyes Of Ebony »), le jeu des membres est loin de s’y cantonner. On entendra entre autres des déchirures à la Gojira agrémentant leur virtuosité. Les claviers, quant à eux, sont sur Fauna des citoyens de première classe, mis en avant comme pour célébrer le retour de Peter. Ils se drapent occasionnellement de poussière pour un résultat old school (« Nightingale »), brouillé par des effets électroniques plus modernes. Un certain doigté et des notes éparses, millimétrées, associées à une voix douce, évoquent les récentes propositions de Leprous – un phénomène tout sauf nouveau mais de plus en plus frappant.

Fauna se permet à peu près tout. Il enchaîne un « Sempiternal Beings » mystique et un « Beneath The White Rainbow » un peu barré, n’ayant pas grand-chose à envier en matière d’excentricité à Mr. Bungle et compagnie. Ross Jennings y fait mine de s’égosiller d’une voix à peine reconnaissable. Les allégories sont autant d’occasions de créer des contrastes humoristiques. Ainsi, « Lovebite » emploie une araignée cannibale pour décrire des relations infortunées, le tout sur fond de vocalises outrageusement sucrées et de rythmes pop dansants. Personne ne s’étonnera si Devin Townsend compte parmi les influences du groupe. « Elephants Never Forget » nous catapulte d’ailleurs en scène, avec une approche théâtrale – on devrait même parler de cirque. On y croise initialement une fantaisie proche des instants les plus débridés de Queen, prélude à des développement extravagants, passant par aussi bien une emphase quasi lyrique que des rythmes funky. Ce pachyderme de plus de dix minutes explore des sons plus rudes, imposants et déterminés par la suite, avant de s’envoler comme Dumbo vers une conclusion plutôt poétique. Il n’est pas toujours simple de s’y retrouver, mais on se plaît dans cette narration tortueuse et pleine de rebondissements. Des pistes comme « The Alphabet Of Me » pourraient aussi bien être qualifiées d’électro-pop que de labyrinthe inaccessible aux profanes du prog ; caractériser l’œuvre d’Haken reste ardu. Le groupe préfère cependant dorénavant rassembler les idées vraiment farfelues dans un même titre plutôt que de trop en saupoudrer l’album. Fauna se conclut par le math rock de « Eyes Of Ebony », hommage au père du guitariste Richard Henshall, décédé pendant l’écriture et fervent soutien du groupe, avec un parallèle au rhinocéros blanc du Nord, espèce animale quasi condamnée.

L’empreinte d’Haken est paradoxalement d’autant plus marquée grâce à la diversité affichée par Fauna. Cette liberté permet d’éviter de tomber dans le cliché de la « contrefaçon de Dream Theater », groupe cité à profusion dans les discussions autour du groupe. En émerge une forme de concept au-delà de la thématique officiellement affichée : comme une ambition tacite de réconcilier plusieurs pans de la musique progressive, ce qui constitue une forme de progression en soi.

Clip vidéo de la chanson « Taurus » :

Clip vidéo de la chanson « The Alphabet Of Me » :

Clip vidéo de la chanson « Nightingale » :

Album Fauna, sortie le 3 mars 2023 via InsideOut Music. Disponible à l’achat ici



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