Hangman’s Chair n’y va jamais par quatre chemins : si le titre de leur album précédent, This Is Not Supposed To Be Positive, en disait long sur leur vision du monde sombre et pessimiste, celui de leur dernier opus, Banlieue Triste, a lui aussi valeur de manifeste, et annonce d’entrée de jeu les kilomètres de goudron suintant de mélancolie d’où il émerge. Les Parisiens – faut-il préciser les banlieusards ? – ont au fil des années peaufiné un style et une esthétique uniques. Tenant autant du sludge que du grunge, empruntant volontiers ses atmosphères glacées à la cold wave, leur musique est le son des bas-fonds, des tours vétustes et des cités-dortoir minées d’angoisse et d’ennui. « C’est notre vie », nous a expliqué Julien Chanut, guitariste du groupe : Hangman’s Chair revendique sa transparence tout comme son idiosyncrasie.
En effet, lors d’une discussion qui aborde autant l’évolution du groupe que ses racines, Julien évoque la genèse de Banlieue Triste et le vécu qui s’y est retrouvé cristallisé. Une fois de plus, ce n’est pas censé être positif…
« Pour nous, le titre Banlieue Triste et cette pochette c’est un petit retour en arrière, il y a un côté nostalgique de notre adolescence. »
Radio Metal : Comme vous le disiez déjà il y a quelques années, This Is Not Supposed To Be Positive vous a ouvert pas mal de portes. Beaucoup de gens vous ont découvert avec cet album, vous avez joué dans des gros festivals, vous disiez même que vous avez l’impression que les gens ont commencé à comprendre votre musique à ce moment-là. Deux ans plus tard, est-ce que tu restes sur cette impression ?
Julien Chanut (guitare) : Ouais, carrément. Pour beaucoup de gens, c’est un peu notre premier album. Les autres étaient très confidentiels, nous ne faisions jamais de promo, nous nous en foutions un peu. Alors que pour This Is Not Supposed To Be Positive, nous nous sommes entourés d’une petite équipe, une manageuse, attachée de presse etc., et ça change tout. Nous sommes devenus peut-être pas plus professionnels, mais beaucoup plus impliqués en dehors de la musique.
En quoi ça a pu nourrir Banlieue Triste ?
Ça nous a réconforté dans notre choix de direction, dans le fait qu’en allant là où nous voulions aller, ça pouvait plaire. Ça rebooste un peu, ça donne confiance.
Presque paradoxalement, c’est peut-être votre album le plus explicite ; le titre comme la pochette évoquent de manière très claire ce dont vous parlez depuis le début. C’est lié à ça ?
Une fois de plus, nous avons travaillé avec Dave Decat, qui avait déjà fait les artworks de Hope///Dope///Rope et This Is Not Supposed To Be Positive, et là cette fois, il voulait partir sur une photo, donc c’est dans cette direction que nous sommes allés. Peut-être que c’est un peu plus personnel… En tout cas, c’est la première fois que nous avons eu la pochette avant la fin de l’album. Nous l’avons eue vraiment au milieu de la composition et avons donc composé certaines chansons en ayant cette pochette en tête, ce qui fait que la pochette colle vraiment à la musique, et que les deux forment une véritable entité.
L’esthétique en noir et blanc, assez naturaliste, prend complètement le contre-pied des couleurs flashy de This Is Not Supposed To Be Positive. Est-ce que c’est quelque chose de délibéré, de votre part ou de celle de Dave Decat ?
Oui, c’est vrai qu’à chaque fois nous avons eu des couleurs marquantes – rouge et bleu pour Hope///Dope///Rope, rose pour This Is Not Supposed To Be Positive –, pas vraiment habituelles dans le milieu du metal. Là, c’est Dave Decat qui est à l’origine de tout ça, nous l’avons vraiment suivi, nous lui faisons complètement confiance. Cette fois-ci, il était sur quelque chose d’un peu plus noir, un peu plus dark.
Vous avez ressorti Hope///Dope///Rope entre temps avec quelques titres supplémentaires. Est-ce que tu penses que le fait de vous remettre un peu là-dedans a pu avoir une influence sur Banlieue Triste ?
Nous l’avons réédité il y a peut-être un an ou six mois. Nous ne l’avions sorti qu’en vinyle, et il est sold out. Music Fear Satan nous a toujours dit qu’il était prêt à le ressortir sur CD, donc nous nous sommes dit : « Banco, on le fait. » Nous avons ajouté trois titres qui proviennent des splits mais qui appartenaient à la même session studio que Hope///Dope///Rope. Ça nous faisait aussi une petite actualité.
L’album est sorti depuis le 9 mars. Quels ont été les premiers retours ?
Nous sommes contents, nous avons fait la couverture de New Noise, Noisey aussi a fait un chouette article sur nous, nous avons fait pas mal d’interviews pour plein de magazines… C’est vraiment très positif. Nous avions confiance, nous étions vraiment contents en sortant du studio, mais pour nous, c’est un bon retour des choses.
Avec cet album, vous passez officiellement le périph. C’était sous-jacent dans les albums précédents dans la mesure où comme vous le disiez la dernière fois, l’équivalent contemporain des Apaches de Pigalle et de Ménilmontant, ce sont les cailleras de banlieue – à Paris-même, ça n’a plus rien à voir, ces quartiers sont très gentrifiés, etc. Comment tu le vis, toi ? Tu penses que le vrai Paris c’est la banlieue, maintenant ?
Finalement, moi habite en banlieue mais travaille sur Paris, je vois vraiment que ceux qui habitent Paris ce sont surtout des gens qui viennent de province, qui voulaient vraiment habiter Paris parce que pour eux, ça veut dire quelque chose. Nous, nous sommes parisiens mais nous avons toujours habité en banlieue. Pour nous, le titre Banlieue Triste et cette pochette c’est un petit retour en arrière, il y a un côté nostalgique de notre adolescence. C’était vraiment pour montrer notre environnement.
Dans une interview, je vous ai entendu mentionner Renaud, Balavoine, Eddy Mitchell, tous ces chanteurs des années 80. La pochette fait allusion à cette période aussi, qui était la période de votre enfance je pense. Ça aussi c’est par nostalgie ?
Balavoine, Eddy Mitchell, même Jean-Jacques Goldman, en tant que Français, tu ne pouvais pas passer à travers ça, c’était ce que nous écoutions à la radio dans les années 80. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, ça a fait partie de notre environnement musical, ça nous a touchés. Nous nous sommes rendu compte que même au niveau de la texture de l’album, nous avons utilisé des sons chorus qui pouvaient correspondre à cette période-là, beaucoup de sons clairs dans ce style… C’est quelque chose que nous voulions mettre en avant. La pochette, pour nous, c’est typiquement du Renaud. Quand nous l’avons vue pour la première fois, nous n’avions pas encore le titre de l’album, et nous nous sommes dit : « C’est vraiment « Banlieue Rouge » de Renaud ! » Nous avons transformé ça en Banlieue Triste.
Le fait que cette fois ce soit un titre en français, ça a une signification spéciale ?
Non, comme je te le disais, c’est vraiment venu de la pochette. Ce que représente cette pochette, c’est typiquement français, les Français peuvent reconnaître directement cette espèce de petite banlieue où il ne se passe rien… Quand nous avons vu ça, à nos yeux, il ne pouvait pas y avoir un titre en anglais ou autre, il fallait que ce soit connoté français. Elle parle d’elle-même, cette photo…
« Type O c’est un groupe qui nous parle parce qu’à la base il était vraiment lié au New York hardcore, et puis ils sont citadins, ça se sent. Si nous devions nous comparer à un groupe, ce serait vraiment à celui-là, même s’ils sont à des kilomètres au-dessus de nous ! »
Comment vous choisissez l’ordre des morceaux ? Vous avez ces morceaux instrumentaux au début, à la fin et au milieu qui donnent à vos albums un côté très cinématographique, comme nous en avions parlé la dernière fois. Est-ce que vous avez envisagé les choses comme ça pour cet album aussi ?
Oui, nous envisageons toujours nos albums comme une entité, comme une espèce de film où il doit y avoir une intro et une fin, et au milieu des passages de respiration, des vrais morceaux évidemment… Pour nous les interludes sont importants pour qu’il y ait de la nuance, du relief dans l’album. Nous ne pourrions pas mettre bout à bout des morceaux, pour nous ce serait trop indigeste. Après, pour revenir sur l’ordre des morceaux, même avant la composition, il y a des morceaux qui s’enchaînent naturellement ; par exemple sur Banlieue Triste, nous savions déjà que les trois premiers morceaux, intro comprise, allaient s’enchaîner comme ça. Après, au moment de l’enregistrement en studio, nous faisons des essais pour voir comment certains morceaux peuvent s’enchaîner. Nous réfléchissons beaucoup à ça, ce n’est pas quelque chose que nous laissons au hasard.
Vous avez écrit l’album sur une longue période ? J’ai lu quelque part qu’il y a un morceau qui date de 2015…
Oui, il y a plusieurs morceaux que nous avons composés à l’époque du split avec Greenmachine, et donc qui datent de 2015-2016 peut-être. Nous composons en permanence – là, je dois avoir deux ou trois morceaux de prêts pour le prochain album –, ce qui nous laisse le temps de les faire mûrir, de pouvoir les composer sur la longueur. Par exemple moi, avant de proposer un morceau aux garçons, je vais le retravailler pendant quelques mois chez moi jusqu’au moment où je suis sûr du morceau et qu’il ne bougera plus. Ensuite, nous pouvons commencer à le travailler. Mais disons qu’il n’y a pas un moment précis où nous nous disons : « Tiens, maintenant ce serait bien de composer… » Ça se fait vraiment sur la longueur.
Sur cet album, le morceau instrumental, « Tara », fait très cold wave. C’est une esthétique qui est très froide et très urbaine aussi ; c’est quelque chose qui vous parle ?
Carrément, c’est ce que nous écoutons. Moi par exemple, en ce moment j’écoute beaucoup de Sisters Of Mercy, The Cure bien sûr, Lycia, des choses qu’on peut qualifier de goth ou de cold wave, des sonorités très froides avec beaucoup de chorus, beaucoup de reverb, qui donnent une ambiance… C’est un peu ça que nous voulions introduire dans l’album. Dans « Full Ashtray » par exemple, la dernière chanson de l’album, il y a un passage au milieu avec une grosse nappe de guitare qui ressemble à du synthé. Pour nous c’était important de réussir à intégrer ça dans l’album. Même si on nous catalogue toujours un peu doom, nous nous en éloignons de plus en plus, par notre volonté justement de vouloir intégrer ce genre de sonorités.
Est-ce que ça a un rapport avec le fait que vous ayez sur cet album un featuring avec Perturbator sur « Tired Eyes », un artiste avec qui on ne vous aurait pas nécessairement imaginé des affinités a priori ? Comment vous avez eu l’idée de cette collaboration, et comment elle s’est déroulée ?
Oui, c’est vrai que c’est un peu surprenant ! En fait, nous avons le même tourneur. Nous connaissions un peu Perturbator, et quand notre tourneur était en tournée avec lui aux États-Unis, il nous a dit : « Ouais, on est dans le tourbus, on écoute votre album, il l’adore ! » Mehdi [Birouk Thépegnier, batterie] lui a dit : « Demande-lui s’il veut que nous fassions un featuring parce que nous sommes en studio, là ! » Il a répondu oui, ça s’est fait comme ça. Quand il est revenu des États-Unis, nous lui avons envoyé le morceau que nous voulions faire, un vieux morceau que nous avons ressorti pour l’occasion parce que tous nos morceaux étaient déjà faits. Ensuite, il nous a envoyé une première maquette. Nous avions un peu peur que ça vire trop electro ou que ça fasse remix, nous voulions vraiment une collaboration, et je crois qu’il a tout de suite compris : il nous a envoyé des nappes de synthé, et nous nous sommes dit : « Ouais, mortel, ça fait à mort Type O, c’est vraiment ce que nous voulions ! » C’était exactement ce qu’il voulait faire aussi. Il est passé au studio pendant une journée, nous a remis sa partie, puis nous avons fait le mix de notre côté. Nous ne le connaissions pas avant, ça s’est vraiment fait par connexion : nous aimons ce qu’il fait, il aime ce que nous faisions, et voilà. Ce que nous avons apprécié, c’est qu’il s’est mis au service de notre musique sans chercher à trop se mettre en avant ou à en faire son propre morceau. Nous allons jouer ensemble, la même journée, au Motocultor cet été. Nous sommes très contents. Et puis c’est un gros nom, ça va peut-être permettre à certaines personnes de nous découvrir. C’était super intéressant comme collaboration.
Tu en parlais un peu plus tôt : comment vous vous sentez par rapport au doom, maintenant? Est-ce que tu penses que vous en avez fait un peu le tour ? Est-ce que c’est quelque chose qui vous tient à cœur ?
On nous catalogue là-dedans, mais moi je ne viens pas de la scène doom ou même de la scène sludge ou stoner. Nous venons de la scène hardcore, donc ce que nous gardons de ça, c’est la lourdeur, je crois, le sens du riff toujours lourd. C’est ce qui nous raccroche toujours au doom. Je pense qu’il y a pas mal de gens qui sont justement déçu ou qui ne comprennent pas nécessairement comment nous évoluons, mais c’est justement parce que nous ne sommes pas attachés à cette scène-là.
La constante, c’est en effet Type O Negative…
Type O c’est un groupe qui nous parle parce qu’à la base il était vraiment lié au New York hardcore, et puis ils sont citadins, ça se sent. Si nous devions nous comparer à un groupe, ce serait vraiment à celui-là, même s’ils sont à des kilomètres au-dessus de nous !
On doit beaucoup vous le demander, mais qu’est-ce qu’il s’est passé le 4 septembre 2016 (04.09.16) ?
L’un d’entre nous s’est fait hospitaliser pour un problème de drogue. D’habitude, quand nous parlons de drogue, d’alcool, nous utilisons ça de manière un peu imagée. Ça nous arrive à nous, c’est notre vie, mais nous l’utilisons toujours de manière imagée. Ce jour-là, il s’est vraiment passé quelque chose de dur, donc c’était important pour nous de s’en servir, c’était intéressant. Ce texte-là, ça a été la porte ouverte aux autres textes, c’est par lui qu’ils sont arrivés. Après cet événement, il y a eu des crises d’angoisses, nous en parlons dans « Full Ashtray » et dans « Naive », le fait de pas pouvoir s’endormir, d’avoir des insomnies, ce que nous racontons dans « Sleep Juice »… C’est le point de départ des textes de l’album.
« D’habitude, quand nous parlons de drogue, d’alcool, nous utilisons ça de manière un peu imagée. […] Ce jour-là, il s’est vraiment passé quelque chose de dur, donc c’était important pour nous de s’en servir, c’était intéressant. »
C’est comme si l’espèce de voile de fiction qu’il pouvait y avoir dans vos albums précédents s’était déchiré, que les paroles étaient plus directes, finalement…
Oui, plus terre-à-terre je dirais. Après comme je te dis, tout ce que nous racontions avant, nous l’avions vécu aussi, mais là c’est vrai que nous avons cherché à être plus directs. Ça donne sûrement un effet un peu plus personnel, j’imagine. Nous voulions parler de ça de manière très simple, très terre-à-terre.
Est-ce que vous l’avez vécu comme une sorte de signal d’alarme ?
Surtout la personne à qui s’est arrivé, oui, qui en effet a tout arrêté. Et c’est vrai que ça nous a tous affectés aussi parce qu’on se voit tous les jours, et puis il y a aussi le fait que nous approchons la quarantaine, notre corps ne réagit plus comme avant… Nous avons d’autres problèmes. Avant, quand tu as vingt ans, tu en rigoles, tu te dis que ça tient, et tu n’en as rien à foutre. Mais c’est vrai que maintenant tu comprends vraiment que quand ça fait mal, ça fait mal. Il se passe quelque chose. Maintenant, nous avons d’autres soucis ; les crises d’angoisse, les insomnies, ça fait partie des nouveaux problèmes que nous avons pu avoir. Ça va, ce n’est pas la mort non plus, mais c’est ce qui nous arrive aujourd’hui, et comme nous parlons toujours de choses qui nous arrivent, c’était normal que ça se répercute dans nos textes.
Les paroles ne sont pas toujours évidentes à entendre, vous utilisez énormément de reverb’ sur la voix, c’est presque une caractéristique du groupe depuis quelques albums d’ailleurs cette voix un peu noyée dans le son. C’est délibéré pour vous de la traiter presque comme un instrument comme les autres ?
Pourtant, techniquement parlant, la voix est toujours un peu au-dessus dans le mix. Ça se ressent beaucoup plus sur This Is Not Supposed To Be Positive. Sur Banlieue Triste, nous l’avons un peu plus noyée dans la reverb’ c’est vrai pour qu’elle se mélange mieux à la musique, mais elle est toujours un peu au-dessus du mix. Il ne faut pas que ce soit de la variété non plus, il faut laisser de la place à la guitare, à la batterie etc. C’est un peu le même procédé que nous utilisons avec les guitares, en fait : il y a vraiment une espèce de voile, de reverb’, qui donne une certaine ambiance.
Avec Sidi Bel Abbes, vous vous éloignez encore plus de Paris. Qu’est-ce que cette ville représente pour vous ?
Notre premier guitariste, qui est mort il y a quelques années, est enterré là-bas. Nous avons voulu lui rendre hommage comme ça. C’est un titre que nous avons choisi après coup par contre. C’est Mehdi qui a composé la chanson, il l’a travaillée pour qu’il y ait Marc [De Backer] de Mongolito et Wolvennest dessus et que sa guitare remplace la voix. Nous l’avons vraiment pensé comme ça. Une fois enregistrée, Marc est venu 24 heures en studio avec nous, il fait ses prises, tout le monde était content, mais au moment de trouver et mettre en place les titres, nous nous sommes rendu compte que nous n’en avions pas vraiment pour cette chanson. C’est toujours un peu spécial de trouver un titre pour les morceaux sans chant. Là, nous nous sommes regardés avec Mehdi, et comme il y a ce côté un peu arabisant, nous avons tout de suite pensé à Sid Ahmed, notre guitariste décédé, et nous nous sommes dit que c’était le morceau où on devait lui rendre hommage. Nous n’avions jamais fait de morceau pour lui avec des paroles parce que ce n’est pas notre genre de faire ça, ce que nous aurions eu envie de lui dire est difficile à exprimer avec des paroles. Finalement c’est venu tellement naturellement que nous avons eu l’impression que c’était fait exprès. Sid, c’était un pur soliste… Finalement, quand tu mets ensemble les pièces du puzzle, ce morceau était fait pour lui être dédié. Voilà pourquoi nous avons choisi le nom de sa ville. Pour nous, ça a du sens. Ce qui résume le plus cet album, c’est que nous avons voulu mettre du sens un peu partout. La pochette a du sens pour nous parce qu’elle nous rappelle notre enfance, par exemple. Et le morceau « Tara » est intitulé comme ça parce que c’est le prénom de ma fille, c’est un morceau que je joue souvent avec elle, je sais que c’est son préféré. Quand il a fallu lui donner un titre, personne n’avait d’idée, donc j’ai dit : « Vous savez quoi ? On va l’appeler Tara comme ma fille parce que c’est son morceau préféré. » Pour les gens, c’est sans doute un peu énigmatique, mais pour nous, le sens y est, et ça permet aux gens de se questionner. Et puis les réponses arrivent !
Il y a deux ans, vous parliez d’un projet potentiel avec Wolvennest. Est-ce que c’est devenu cette chanson, vu la présence de Marc De Backer ?
Oui, c’est clair que ça a abouti à cette chanson, mais ce que nous voudrions vraiment, c’est sortir un split vinyle ou CD non pas où chacun ferait ses chansons mais où nous travaillerions et jouerions vraiment ensemble. C’est quelque chose que nous voulons faire, mais malheureusement, ça n’a pas pu se faire jusqu’à maintenant. Là, il y a eu au moins ce morceau, mais ce n’était qu’avec Marc. À l’avenir, nous avons vraiment envie de faire ça avec eux. C’est encore dans les tuyaux en tout cas.
Vous faites assez régulièrement des splits entre les albums. Tu sais déjà avec qui sera le prochain ?
Pour l’album, nous avons enregistré quatorze ou quinze morceaux et en avons gardé dix. Il y en a quatre ou cinq que nous devons retravailler un peu, nous allons retourner en studio. Normalement nous allons faire un split avec Fange, un groupe français de sludge, pour sortir ces morceaux. Nous faisons toujours un peu ça, nous gardons des morceaux pour pouvoir les utiliser dans ces cas-là. Ça nous permet de toujours avoir une petite actu, et ça nous force à retourner en studio pour retravailler certaines choses. Nous aimons bien faire ça.
« Ce qui résume le plus cet album, c’est que nous avons voulu mettre du sens un peu partout. »
Est-ce que pour vous, ça fait partie du même cycle, ça forme un tout esthétiquement cohérent avec l’album qui précède, ou est-ce que c’est vraiment indépendant ?
Là, comme ça fait partie de la même session studio que Banlieue Triste, pour nous c’est vraiment la suite. Mais par exemple pour le split avec Greenmachine, nous étions vraiment allés en studio pour enregistrer ces morceaux-là. Ça nous avait surtout servi pour faire des tests avant Banlieue Triste. Sur ce split, il y a un morceau, « Can’t Talk », qui est très cold wave : pas de saturation, que des guitares claires avec beaucoup de chorus. C’était vraiment pour se tester avant l’album, pour préparer Banlieue Triste. Pour les autres, c’étaient à chaque fois des morceaux soit qui ne trouvaient pas leur place dans l’album, soit un peu face B, où nous étions moins sûrs de nous.
La dernière fois, nous avions un peu discuté de votre utilisation des samples, et notamment de vos citations finales, qui sont à chaque fois quasiment des manifestes. Dans cet album il y en a un seul, mais il est très long et il est placé juste à la fin de l’album. C’est une longue citation de Georges Bataille – un passage de « La conjuration sacrée » qui a été publiée dans la revue Acéphale. Pourquoi ce choix ?
Au départ, nous ne voulions même pas mettre de sample sur cet album. Nous ne savions pas où en mettre, et puis quand il ne faut pas en mettre, il ne faut pas en mettre. Dans les albums précédents, ils servaient le propos. Là, nous ne savions pas trop. Il faut savoir que ce sample-là, nous avions failli le mettre dans This Is Not Supposed To Be Positive, mais nous n’avions pas trouvé la place. Il est très long, et nous ne voulions pas le couper. Quand nous avons commencé à mixer les morceaux, Francis Caste, notre ingé son, nous a dit : « Ben alors les mecs, pas de sample cette fois-ci ? » Nous avons répondu que non, que nous ne savions pas trop, mais en même temps nous nous disions que sur ce dernier morceau, il faudrait mettre une fin comme nous l’avons toujours fait – il y a toujours une intro et une fin sur nos disques. Et finalement, j’ai ressorti ce sample-là. J’ai pas mal de documentaires où je me dis « ça je pourrais l’utiliser », je marque même les temps, et ce sample vient d’une espèce de film d’étudiants qui s’appelle Acéphale et qui date de 1968-69. Il y a un moment où nous avons songé le couper, mais comme je te l’ai dit, nous voulions vraiment le laisser comme ça. C’est osé de mettre un texte de 4 minutes, donc nous nous sommes dit que nous allions le mettre à la fin. J’avais des sons de guitare un peu neo folk pour pouvoir l’habiller, et voilà. Nous sommes contents parce ça marche, et puis c’est un texte qui parle de lui-même.
C’est un auteur qui vous tient à cœur, ou du moins ses idées vous parlent ?
Oui, nous avons lu des bouquins de lui, et puis ça résumait bien le moment où on était.
Vous avez rejoué avec Es La Guerilla en fin d’année dernière, vous êtes deux dans le groupe à jouer dans Arkangel : comment tu gères ces différents groupes ? Est-ce que d’une certaine manière, ils se complètent ?
Pour Es La Guerilla, à chaque fois, nous jouons quand des potes nous parlent d’une reformation. Nous essayons de le faire tous les six mois. Pour le coup, là, c’était juste à la fin de l’enregistrement de Banlieue Triste, nous sommes sorti de studio et nous sommes remis directement dans les repets avec La Guerilla, ce qui était un peu dur parce que nous n’avions pas du tout la tête à ça. Nous l’avons fait, mais là je pense que nous allons attendre un peu plus longtemps avant de refaire quelque chose avec ce groupe histoire que nous en ayons vraiment envie. Avec les mecs d’Arkangel, nous nous connaissons depuis avant Arkangel, depuis 97-98, presque depuis que nous sommes gamins. Nous partons du principe que c’est leur groupe à eux. Je n’ai pas nécessairement envie d’intervenir dedans… Je ne m’y investis pas énormément, je ne me prends pas trop la tête dessus. Nous faisons le concert et ça nous suffit. Par exemple, nous ne répétons jamais. Nous arrivons au concert sans avoir répété ! C’est toujours comme ça, nous répétons juste chacun de notre côté. J’aime bien ce côté un peu frais. À l’inverse avec Hangman’s Chair nous sommes très répèt’, nous le faisons toutes les semaines, c’est une espèce de machine… Avec Arkangel, tu peux faire un concert pourri comme tu peux faire un concert génial, mais tu ne te fais jamais chier. Là, nous avons commencé à composer quelques morceaux. Ils sont venus à Paris, nous avons un peu répété, donc il y a peut-être moyen que nous sortions quelque chose dans peu de temps. Mais comme je te le dis, je n’ai pas nécessairement envie de donner mes choix, c’est leur projet à eux. Et je pense que ça marche bien comme ça : une ou deux têtes pensantes par groupe, ça suffit. Si tout le monde commence à donner son avis, ça ne ressemble plus à rien.
Vous avez pas mal de dates prévues en France avec Hangman’s Chair, vous en avez déjà fait quelques-unes. Comment ça s’est passé ?
Nous avons fait Toulouse et Avignon le week-end dernier. C’est la première fois que nous avons fait quatre jours de résidence – une espèce de grande balance que tu fais sur plusieurs jours – parce que nous avons un nouveau set d’une heure et il fallait vraiment travailler les sons, et puis maintenant nous avons un show lumière, un lighteux nous accompagne, il y avait vraiment beaucoup de choses à travailler. C’est ce que nous avons fait pendant une semaine. Comme maintenant, nous avons vraiment une équipe derrière nous, c’était beaucoup plus stressant – tu ne comptes plus uniquement sur toi –, mais ça s’est bien passé ! Nous avions bien répété, nous connaissons bien nos morceaux ; passé le truc du stress avant le concert, c’était nickel. Ensuite, nous allons faire un festival en Allemagne, après nous retournerons dans le sud. L’année dernière, nous n’avions fait que Marseille et Bordeaux, là nous en profitons pour faire pas mal de dates dans le sud.
Dans de vieilles interviews, vous faisiez remarquer que c’était presque plus facile pour vous de faire des dates à l’étranger que hors de Paris en France…
Avant, oui. Depuis This Is Not Supposed To Be Positive, nous avons été un peu découverts par le public français, donc nous avons vraiment pu travailler certaines régions de France. C’est bien, c’est quand même important. Après This Is Not, nous avons fait le Roadburn, une ou deux dates en Allemagne et en Belgique bien sûr, mais sinon nous nous sommes vraiment concentrés sur la France. Là, nous allons jouer en Angleterre pour la première fois au Great Escape festival. C’est une espèce de festival pour les professionnels, un peu comme le MaMA festival à Paris, où viennent plein d’agents, des gens des maisons de disque, même si c’est aussi ouvert au public. Ce ne sont que des groupes comme nous, un peu en développement, qui sont programmés, donc c’est vraiment très bien pour nous. Après, nous ferons une date à Londres, à l’Underworld, parfait quoi !
Pour la suite, vous avez un split dans les cartons, plusieurs dates de concert de prévues… Vers quoi vous vous dirigez ?
Je pense que nous allons pas mal jouer, nous sommes bookés jusqu’à cet été. Nous ne faisons pas trop de festivals, comme nous en avons fait plusieurs avec This Is Not Supposed To Be Positive, nous allons encore attendre un an. L’année prochaine, j’espère que nous referons le Roadburn, le Hellfest, ce genre de festivals. Nous allons continuer à jouer, en Angleterre comme je te l’ai dit, et puis peut-être que nous allons privilégier aussi l’étranger que nous n’avons pas trop fait depuis deux ans. Ensuite, il y aura le split. Nous sommes aussi en train de travailler sur une sortie à l’étranger, un gros truc à l’international, nous sommes en train de signer les papiers, je ne peux pas encore te dire qui ça va être mais c’est un gros label. J’espère qu’avec ça, nous allons un peu tourner en Europe. Et après, nous composons comme je te le disais, donc prochain album !
Interview réalisée par téléphone le 15 mars 2018 par Chloé Perrin.
Transcription : Chloé Perrin.
Photos : William Lacalmontie (2, 4 & 5) & Nicolas Gricourt (1).
Page Facebook officielle de Hangman’s Chair : www.facebook.com/hangmanschair.
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