Les Parisiens de Hangman’s Chair ont su se créer une place à part dans le paysage du sludge français. Affiliés à des groupes de metalcore (L’Esprit Du Clan et surtout Es La Guerilla), longtemps signés sur un label de grind (Bones Brigade Records), ils trouvent leur formule avec l’arrivée de Cédric Toufouti au chant sur Leaving Paris en 2010 : le son très « NOLA » du groupe se teinte alors de tonalités mélancoliques nettement grunge. Après un Hope///Dope///Rope très remarqué en 2012, le quatuor signe sur Music Fear Satan pour sortir un nouvel opus attendu au tournant.
« This is not supposed to be positive », donc. Lorsque l’on connaît l’univers des musiciens, le titre frôle le pléonasme : entre apathie, dépression, pulsions suicidaires, impasses crades et paradis artificiels, les Parisiens ont toujours élevé la négativité au rang d’art. Ici, ils le proclament fièrement sous une guillotine graphique signée Dave Decat. « This is not supposed to be positive, this music is negative because these streets are negative » explique le monstre du rap américain Ice T dans une interview connue pour avoir été samplée par les New-yorkais de Mobb Deep. On ne doit pas s’étonner d’une influence aussi urbaine annoncée d’entrée de jeu, tout d’abord parce qu’en terme d’atmosphère, sombre et délétère à souhait, le groupe tient en effet autant de Mobb Deep que de The Cure époque Pornography ou, évidemment, d’EyeHateGod, mais aussi parce qu’au lieu de se contenter de plagier ses illustres prédécesseurs que sont Down ou Crowbar et de plonger dans le bayou, le quatuor mobilise toutes les ressources puisées dans ces influences diverses pour exprimer l’atemporel spleen de Paris. Le Paris des faubourgs de la Belle Époque que leur imagerie convoque sans cesse, avec sa guillotine, son Moulin Rouge et ses Apaches, mais aussi son équivalent actuel, ses derniers bastions mal famés et sa banlieue : la misère et le désespoir n’ont pas d’époque, mais avec Hangman’s Chair, ils ont trouvé leur lieu et leur son.
Riffs plombants, chant clair et plaintif plus grunge que jamais – Soundgarden n’est pas loin –, on est en terrain familier, et pourtant. Si fondamentalement, il mêle toujours lenteur doom et crasse sludge, le groupe semble s’autoriser de plus en plus de libertés, à l’image de son chanteur qui n’hésite pas à chanter plus haut, quitte à parfois désarçonner un peu, et s’affirme dans son style bluesy très émotionnel, qui peut faire écho à celui de Dax Riggs, mais surtout à celui de Layne Staley. Dans « Flashback » notamment, il mobilise toute l’étendue de son talent pour un résultat qu’on peut d’emblée compter parmi les classiques du groupe. Les musiciens suivent le même mouvement : si l’on retrouve les riffs écrasants et les arpèges aux tonalités élégiaques qui font la patte du groupe, ils se permettent des incursions du côté de la ballade (« Your Stone »), et offrent même un très beau break quasi gothique – le désespoir n’a pas d’époque, on vous dit ! – dans « No One Says Goodbye Like Me. » On percevait déjà une inflexion dans cette direction avec Hope///Dope///Rope : là où leur sludge, dense, collait au macadam sale de la Capitale, désormais il s’évapore et s’élève dans son air corrompu.
L’album se déploie en deux phases autour d’un titre instrumental mélancolique et pessimiste à souhait, « Les Enfants Des Monstres Pleurent Leur Désespoir », placé en son centre, comme une respiration : les premiers titres posent le décor – « Requiem » notamment est une sorte de parfait résumé du groupe –, et le quatuor monte en puissance dans une deuxième partie très réussie, émotionnellement très dense, parfois déchirante. Passages lourds, plus bluesy voire atmosphériques sont soigneusement entrecroisés, souvent au sein d’une même chanson : les transitions entre les titres en deviennent presque imperceptibles, faisant de l’album un tout cohérent au propos d’autant plus clair. Entre le rouge pour le sang – l’exécution – et le bleu pour la grâce – la rémission – le groupe balance, alterne entre riffs qui vous clouent au sol et intermèdes plus vaporeux, entre spleen et idéal, et ne reste fidèle en fin de compte qu’à la maussaderie bipolaire qui fait sa griffe, et à la crasse de Paris, évidemment, « toujours Paris ». Peut-être pas aussi tranchant que la pochette le laissait présager, à la lame aiguisée de la guillotine il substitue un poison lent et douloureux. On le savoure jusqu’à la lie, et on en redemande.
Ecouter « Cut Up Kids » :
Album This Is Not Supposed To Be Positive, sortie le 15 septembre 2015 chez Music Fear Satan.