Ces dernières semaines, on a beau avoir laissé la Terre respirer en restant confinés chez nous, on peut continuer à avoir l’impression que notre planète nous échappe. Parmi les interprétations qu’il peut y avoir derrière le titre Leaving et la pochette du deuxième EP de Hauméa, c’est celle qui s’impose le plus naturellement vu le contexte actuel.
Le groupe normand est fortement engagé sur les questions environnementales et ne s’en cache pas à travers ses textes. Des textes qui sont en anglais et en français, pour mieux utiliser les spécificités de chaque langue et pour faire passer le message plus efficacement. Des textes qui ont eu, par moments, une importance telle qu’ils ont impacté la musique elle-même.
Même le batteur Sébastien est sorti de sa zone de confort, motivé par son engagement chez Sea Shepherd, pour s’essayer à l’écriture de paroles. Il nous en parle ci-après.
« Quand nous avons des choses plus fortes à dire, elles vont être dites en anglais. Et quand nous avons des choses plus douces, plus calmes à dire mais qui ont quand même de la profondeur, ça va être en français, parce que le français peut être beaucoup plus métaphorique que l’anglais. »
Radio Metal : Vous avez enregistré ce disque au Swan Sound Studio. C’est la deuxième fois que vous y allez. Vous avez par contre délocalisé le mastering. Pourquoi avez-vous choisi de rester dans le même studio, et qu’est-ce qui vous a plu dans la manière de travailler de ce studio-là ?
Seb (batterie) : Nous avons réédité chez Guillaume Doussaud pour la simple et bonne raison que c’est un petit peu comme être à la maison. Déjà, c’est quelqu’un de très compétent, qui est à l’écoute du désir de l’artiste, et qui s’engage artistiquement auprès de lui. S’il y a quelque chose qui ne va pas, il va le dire. Il participe réellement au projet, et c’était cela que nous cherchions. Nous cherchions un partenaire artistique avec nous. Parce que faire de la musique, c’est très bien. Après, pour savoir si on est dans le vrai ou dans le faux artistiquement, on a toujours besoin d’un regard extérieur et d’un soutien. Rester chez Guillaume, c’était l’opportunité pour nous de faire partie aussi de son catalogue d’artistes. Quand ça se passe bien avec quelqu’un, pourquoi aller voir ailleurs ?
Vous avez donc choisi de quitter la France pour le mastering, et de travailler avec Magnus Lindberg de Cult Of Luna, qui a, cela dit, travaillé avec beaucoup de groupes français tels que Tagada Jones, No One Is Innocent, ou encore Bukowski. Qu’est-ce qu’il y a dans sa manière de masteriser qui attire les groupes français, à ton avis ?
Je pense que ce qui peut attirer les groupes français, c’est cette espèce de sonorité que lui arrive à mettre pour avoir un son très typé rock/metal US. Je le vois comme ça, je ne suis pas non plus un expert… Dès que j’écoute un CD ou un morceau sorti de chez lui, et un morceau sorti d’un studio français, je retrouve vraiment la patte américaine dans ce son-là, qu’il n’y a pas dans la patte française. Et c’était ce que nous recherchions, de vraiment passer à un son plus international, plutôt que d’avoir un son un peu typé français.
Pourquoi ne pas avoir contacté directement quelqu’un aux États-Unis pour travailler sur un son plus américain ?
C’est au fil des recherches. C’est un truc tout bête, mais nous cherchions un master, et nous sommes tombés là-dessus. Comme tu as dit tout à l’heure, nous avons aussi vu que des groupes comme Tagada Jones, Ultra Vomit aussi, ont masterisé chez lui, et nous nous sommes dit : « Eux l’ont fait, pourquoi pas nous ? » Nous avons écouté ce qu’il sortait, c’était vraiment ce que nous cherchions aussi. Nous avons écouté des centaines de morceaux sortant de différents studios de mastering, et c’était lui qui ressortait le plus souvent, Magnus Lindberg.
Apparemment, c’est Andy qui compose majoritairement la musique, et chacun y ajoute ensuite sa pierre. Est-ce que d’autres manières d’écrire ont été essayées, où est-ce que c’est un processus qui s’est imposé naturellement ?
On va dire que c’est Andy qui apporte majoritairement la structure musicale et tous les riffs guitare. Niko amène les chants. Nous avons travaillé différemment pour « Bones », où nous étions deux à écrire le texte. Sinon, Andy amène le riff guitare, et après c’est vraiment en collégiale que nous faisons tous les arrangements. Je dirais que c’est un peu comme une entreprise : chacun s’affaire à son rôle, sans bouffer dans le tas de l’autre. Par contre, ça n’empêche pas d’avoir des réunions de groupe de travail, comme quand nous faisons une répète. C’est un petit peu le moment où nous essayons de re-centraliser toutes les idées. C’est notre manière de faire.
Beaucoup de titres alternent entre l’anglais et le français. On dirait que vous utilisez le français lors des passages plus poétiques, avec les phrases les plus complexes sur les passages où, musicalement, c’est un peu plus dépouillé. Par contre, l’anglais est plus utilisé pour lancer des punchlines plus directes, plus simples, sur les refrains et dans les moments où la musique est un peu plus bavarde. C’est une utilisation qui semble assez intelligente des spécificités de chaque langue. Peux-tu nous parler de la façon dont vous travaillez cette complémentarité entre les deux langues ?
En fait, tu as tout dit. L’idée d’utiliser le français, la langue de Molière, c’est la langue romantique, c’est la langue poétique par excellence. Nous le défendons parce que c’est notre langue maternelle. Et balancer des punchlines en français et des punchlines en anglais, ça n’a pas du tout la même intensité. C’est vrai que comme tu le dis, quand nous avons des choses plus fortes à dire, elles vont être dites en anglais. Et quand nous avons des choses plus douces, plus calmes à dire mais qui ont quand même de la profondeur, ça va être en français, parce que le français peut être beaucoup plus métaphorique que l’anglais. Donc nous utilisons cette complémentarité entre le français et l’anglais. Et après, pour savoir quand nous allons le faire en anglais et quand nous allons faire en français, c’est un peu au gré des répétitions. Nous la faisons tourner en français, ça passe. Nous la faisons tourner en anglais, ça passe. Après, quand l’un prend le dessus sur l’autre, nous savons que pour nous, ça va être la meilleure opportunité. Après, c’est un travail de longue haleine et nous le faisons naturellement maintenant.
Dans la chanson « I Know Them », il y a une référence à « I Wanna Be Your Dog » des Stooges. Mais elle est chantée un peu plus à la façon Slayer, sur la reprise qu’ils en avaient faite, où ils avaient changé le titre en « I’m Gonna Be Your God ». Peux-tu nous parler de ce petit clin d’œil ?
[Rires] Ce petit clin d’œil-là, ça part d’un délire en répète. Nous ne savions pas quoi mettre derrière, nous faisions tourner, tourner… Et nous étions bloqués. À un moment, nous partons sur une connerie et nous nous rendons compte que cette connerie-là, elle nous fait notre morceau. Et nous nous sommes dit : « On ne va pas faire une banale reprise, on va la faire à notre sauce. » Du coup, c’est de là qu’est née la punchline qu’il y a sur la fin. C’est un gros clin d’œil à Iggy Pop, c’est un gros clin d’œil à la scène de cette époque-là… Ça fait aussi partie de notre berceau.
Tu as mentionné le fait que tu as été coécrit la chanson « Bones ». Qu’est-ce qui a fait que tu aies voulu t’impliquer dessus ? Que représente ce morceau pour toi ?
Un jour, j’avais envie de faire un morceau qui parle d’écologie, de massacre animal, parce que je suis sympathisant d’une organisation qui s’occupe de ça. Et Niko m’a dit : « Si tu veux le faire, écris le texte, et je le chanterai. » Du coup, j’ai écrit le texte. Et après, avec Niko, nous avons fait tous les arrangements pour bien poser les paroles, et c’est de là qu’est né le texte de « Bones ».
« J’ai envie de te dire qu’on est des gros débiles et qu’au final, on va continuer ce qu’on faisait avant, sans prêter attention aux bienfaits qu’on a pu faire pendant la période du confinement. C’est notre nature humaine qui est comme ça. »
C’est un morceau qui évoque en effet le constat alarmant d’un futur incertain pour les hommes, ce qui est d’autant plus d’actualité, vu ce que nous vivons actuellement. Est-ce que dans ta réflexion sur cette thématique-là, le scénario d’une pandémie comme le Covid-19 était quelque chose que tu avais un peu envisagé ?
En fait, je l’ai pensé à l’inverse. Justement, je fais le constat que l’on est, nous, le virus qui tue la Terre. Au final, en ce moment, c’est l’inverse, c’est un virus qui tue les hommes et c’est ça que je trouve assez délirant. Au final, c’est un virus qui tue le virus, à l’heure actuelle. Ça reste quand même vachement d’actualité. C’est ça qui est assez drôle, sans que nous le sachions, nous avons sorti un truc d’actualité ! [Rires]
Vous avez dû avoir une réaction un peu bizarre quand il y a eu l’arrivée du virus, le confinement, etc. Vous avez dû vous ressentir une forme d’ironie avec ce morceau-là…
Tu as ce côté-là, et tu as aussi le titre de l’EP, Leaving, alors qu’on doit rester confinés. Nous sommes pris à contre-pied et je trouve ça excellent.
Ce qui peut donner à réfléchir, c’est que via le confinement, la pollution est en baisse. Vois-tu ça comme un mal pour un bien ?
Oui et non. Parce que là, pour le moment, nous sommes tous à la maison, tous confinés, donc la Terre va mieux, elle commence à respirer, ça lui fait du bien. Mais après, ça va faire quoi quand on va sortir ? Est-ce que ça va être pire qu’avant ? On ne sait pas.
Penses-tu que ça peut représenter un genre de signal d’alarme pour que les comportements changent ou, au contraire, qu’on reprendra assez rapidement nos bonnes vieilles habitudes ?
Je ne sais pas. J’ai envie de te dire qu’on est des gros débiles et qu’au final, on va continuer ce qu’on faisait avant, sans prêter attention aux bienfaits qu’on a pu faire pendant la période du confinement. C’est notre nature humaine qui est comme ça. On est trop peu nombreux à réfléchir aux bienfaits. C’est tellement fait de business, d’argent, qu’au final, c’est tout ça qui passe par-dessus le bien-être de la Terre. Ça serait utopique de dire : « Tout va changer, tout va être beau, on va faire attention. » Moi, je n’y crois pas.
Est-ce que tu peux nous parler un peu plus de ton engagement écologique et de la source de cet engagement-là ? Et de quelle façon essayes-tu de l’appliquer, personnellement, mais aussi en tant qu’artiste ?
Je défends une cause qui est défendue par l’ONG Sea Shepherd, donc c’est sur tout ce qui est protection de la faune marine, particulièrement les baleines, les dauphins et tout le tralala. Après, pour moi, le constat, c’est qu’on est au XXIe siècle et qu’on a encore des mœurs moyenâgeuses à ce niveau-là. On n’en a rien à faire, on préfère détruire plutôt que de guérir, plutôt que d’aider. Et dans mon quotidien, je ne suis pas devenu vegan non plus – parce que j’aime la viande, faut pas déconner, c’est bon la viande – mais j’essaye de minimiser mon impact sur l’animal. J’essaie de varier. Comme dans Kaamelott, je mange des graines, un petit peu… [Rires]. J’essaie de varier à fond. Artistiquement, j’ai mis sur ma grosse caisse le symbole de Sea Shepherd, et mon chanteur est sympathisant aussi. Nous sommes deux fervents défenseurs. On n’a pas besoin d’avoir l’étiquette Sea Shepherd pour pouvoir défendre les causes animale ou écologiste. On se rattache à quelque chose qui est visible publiquement. Il y a de l’action publique qui est visible de partout, donc c’est encore plus facile de pouvoir se rallier à leur cause, parce qu’au niveau de la visibilité, à l’échelle individuelle, on ne peut rien faire. Après, dans l’esprit collectif, on peut faire de grandes choses.
Il y a de plus en plus d’artistes et de festivals qui se questionnent sur l’impact écologique de leur action. Je pense à un festival comme Metal Days, en Slovénie, qui essaie de plus en plus de faire un festival qui respecte l’environnement. Je sais qu’il y a des groupes qui se posent beaucoup plus la question de savoir comment ils vont partir en tournée pour polluer le moins possible. Est-ce qu’à votre échelle, à l’échelle d’Hauméa, il y a aussi ce questionnement-là sur votre activité de groupe, vos déplacements, etc. ?
Nous ne sommes pas tous sur le même palier au niveau de l’écologie au sein d’Hauméa. Après, notre idée, c’est de jouer, de défendre notre cause, de défendre cette cause écologiste. À notre échelle, nous avons besoin de nous déplacer. Nous ne pouvons pas y aller en vélo, ce n’est pas possible. Nous avons besoin d’avoir du déplacement. Après, oui, nous essayons de minimiser au mieux l’impact que nous pouvons avoir sur l’environnement par rapport à notre déplacement. Nous n’allons pas faire des allers-retours impunément, alors si nous pouvons faire un circuit, nous allons le faire. Nous essayons d’être intelligents par rapport à ça. Mais il y a aussi un autre festival en Belgique qui est vegan, tous les groupes sont vegans, c’est assez extraordinaire…
Pour aller sur le terrain de la musique de l’album, on va justement parler de « Bones ». C’est l’un des morceaux les plus sombres de l’album, parce qu’il y a son gros riff d’ouverture, il y a sa mélodie de refrain, il y a ce tapping à la fin, très lancinant et répétitif… On dirait presque que le morceau a été écrit avec les paroles en tête. Peux-tu nous parler plus généralement du dialogue entre les textes et la musique ?
Sur « Bones », particulièrement, le texte a été fait en même temps que la musique. D’ordinaire, les lignes de chant sont faites après la composition, avant tous les arrangements, comme ça le chanteur a déjà sa ligne musicale pour pouvoir intégrer ses chants. Là, pour « Bones », tout a été fait quasiment en même temps. C’était une expérience à faire et elle était intéressante à produire. De là à dire qu’à l’avenir nous le referons, je ne sais pas, peut-être d’une autre manière. Peut-être en ayant le texte avant, pour ensuite créer la musicalité, c’est une chose que nous ne faisons pas non plus.
L’album s’appelle Leaving. Sur la pochette, on voit une main essayer de retenir une femme sur le départ. Il y a une idée de rupture, mais il y a aussi un côté inéluctable, parce qu’on voit bien que cette main ne peut rien faire pour retenir cette personne. Quelle est l’idée principale là-derrière ?
L’idée de la pochette était que nous voulions faire transparaître le titre « Breath » à l’intérieur. Quand on regarde le clip de « Breath », on voit qu’inéluctablement, la nana se barre et que même lui, s’il a envie qu’elle reste, il ne fait rien. Il a beau tendre la main, peu importe ce qui va se passer, le choix de la femme est fait, elle s’en va. Après, c’est peut-être la première lecture. La deuxième lecture, c’est qu’au final, l’image de la femme qui s’en va, ça peut être l’image de la Terre. On peut aussi la voir sous une idée écologique : on a beau tendre la main, la Terre se barre parce que potentiellement, elle ne veut pas de nous. On peut espérer au travers de cette jaquette-là avoir plusieurs interprétations.
Interview réalisée par téléphone le 13 avril 2020 par Philippe Sliwa.
Retranscription : Robin Collas.
Facebook officiel d’Haumea : www.facebook.com/Haumea136108.
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