Il y a un peu plus de dix ans Havok sortait son premier album Burn. Un thrash juvénile, ultra-énergique, qui ne cachait pas ses sources d’inspiration parmi les ténors apparus dans les années 80 – Metallica en tête, dans le cas du frontman David Sanchez. Aujourd’hui, Havok sort son cinquième album, sobrement intitulé V, et a sacrément mûri, mais l’énergie et la hargne de ses débuts sont intactes. Poursuivant sur la lancée d’un Conformicide (2017) technique voire progressif, le combo originaire de Denver trouve avec V un équilibre entre tradition et évolution, mais aussi entre colère et philosophie.
Loin de l’image que le style peut parfois renvoyer, Havok démontre – si tant est que ce soit encore nécessaire – que le thrash sait être intelligent, en témoigne une approche des instruments qu’ils qualifient de « symphonique », et non, Havok ne s’est pas mis aux violons et flûtiaux… Une musique dont l’un des desseins est de réveiller ses auditeurs, les sortir de la torpeur et les faire réfléchir, comme par exemple ici sur le suicide infantile ou les dangers de la technologie, quitte à partager et assumer une opinion nuancée, à contre-courant des tendances, comme le fait David Sanchez au sujet du président américain, Donald Trump, dans l’entretien qui suit.
« Metallica est la raison pour laquelle je me suis mis à la guitare et ai voulu commencer à jouer de la musique. Ce groupe a complètement changé ma vie et a fait que je suis tombé amoureux de la musique. »
Radio Metal : On va commencer cette interview avec à peu près le même sujet qu’on avait commencé notre précédente interview pour l’album Conformicide : le groupe a une nouvelle fois vécu un changement de bassiste. Cependant, vous avez réalisé une vidéo amusante pour présenter votre nouveau bassiste, Brandon Bruce, sur laquelle Nick Schendzielos lui-même apparaît. Etait-ce important de dédramatiser le départ de Nick ?
David Sanchez (chant & guitare) : Nous voulions nous amuser avec ça parce qu’aucun de nous n’avait déjà vu un changement de line-up être annoncé de cette manière. Nous voulions faire rire tout le monde et les amuser avec ça. Nous sommes toujours en bons termes avec Nick et c’est bien plus sympa de rester positif et de s’amuser, plutôt que de déprimer tout le monde en sortant un communiqué de presse classique. Du coup, dans l’histoire de la vidéo, Nick a dû quitter la Terre pour conquérir la scène des bassistes martiens. Il n’y a pas beaucoup de bassistes là-bas, donc il y a vraiment moyen de dominer le marché ! Plus sérieusement, tout ce qui s’est passé peut se résumer à des différends créatifs. Il y a des choses sur lesquelles, en termes créatifs, nous n’étions pas sur la même longueur d’onde, donc nous avons décidé de préserver notre amitié et ne plus être dans un groupe ensemble, au lieu d’essayer de faire rentrer un carré dans un trou rond en restant dans le même groupe pour que, finalement, ça empire et que nous ne puissions plus être amis. C’est malheureux mais je préfère ne pas être dans un groupe avec lui mais toujours être son ami que d’être ensemble dans le groupe, que les choses s’enveniment et que nous ne nous apprécions plus, et il était d’accord !
Du coup, comment s’est passé le vrai recrutement de Brandon ?
Brandon a découvert que nous avions besoin d’un bassiste, il s’est porté volontaire pour le poste. Nous lui avons envoyé des pistes de basse et lui avons dit d’apprendre ces chansons et de nous envoyer des vidéos de lui en train de les jouer. Il nous a renvoyé des vidéos de lui maîtrisant à fond les parties. Et puis nous étions déjà amis avec lui, nous avions déjà tourné avec lui. Ça avait parfaitement du sens de choisir quelqu’un d’ambitieux et qui voulait le poste, plutôt que de passer par des auditions et devoir gérer tous les appels téléphoniques, les e-mails, toutes les questions et toutes les incertitudes qui vont avec. Nous avons donc choisi Brandon à la fois parce que ça l’intéressait et parce que nous le connaissions tous, nous sommes amis, ce qui a facilité la transition. Nous avions également besoin de quelqu’un de compétent sur son instrument et de musicalement créatif, et il se trouve que Brandon possède ces deux qualités. Brandon a apporté plein de bons trucs dans le nouvel album et nous ne sommes pas du tout déçus. Tout s’est bien arrangé.
Tu as déclaré que pour le nouvel album, « une grande partie de la musique a été expédiée hors de [vos] cerveaux en très peu de temps ». Comment est venu ce flot d’inspiration ?
Quand ça fait un moment que tu ne composes pas, tu commences à stocker des riffs et ensuite, tu penses de temps en temps à ces riffs et tu te dis : « Oh, celui-ci pourrait bien aller avec ça. Celui-là pourrait bien aller avec ci. » Quand est venu le moment de vraiment se poser pour se concentrer sur la composition, nous avons pu balancer des trucs très rapidement, car quand tu ne composes pas pendant un certain temps et que tu accumules les idées musicales, c’est comme un chef qui a tous les ingrédients prêts à être utilisés quand c’est le moment de cuisiner le plat, et tu vas plus vite parce que tu as déjà lavé et préparé tous tes ustensiles.
D’un autre côté, l’album a été écrit sur une bonne partie de l’année 2019 et a bénéficié de plus de temps. Comment ça s’est traduit ?
Une petite partie a été de la composition mais beaucoup de temps a été passé à expérimenter avec le son. Nous avons passé beaucoup de temps à essayer différents instruments, différentes peaux de batterie, différentes cymbales, différents micros, différentes enceintes, tout un tas de trucs comme ça. C’était beaucoup plus un travail de geek. Nous avons été beaucoup plus pointilleux sur le son et sur quel type d’astuce employer pour obtenir certains sons, etc. Il s’agissait de prendre le temps pour peaufiner la production et ça a vraiment pris plus de temps que prévu, mais ce n’était pas un problème parce que ça a été pour le meilleur, je trouve. L’album sonne super bien ! Notre opinion à tous les quatre est que nous avons créé le meilleur album d’Havok jamais créé. Le résultat parle de lui-même !
Qu’est-ce qui vous a poussés à être aussi pointilleux niveau production ?
Le simple fait que Mark Lewis, le producteur, m’a demandé si ça m’intéressait d’essayer neuf enceintes de guitare. Je lui ai dit : « Ouais ! » Je suis un geek audio, donc j’étais carrément partant pour faire des expériences et voir vraiment comment ces enceintes sonnaient. C’est impossible de s’en rendre compte sans les entendre de tes propres oreilles. Si tu écoutes sur des vidéos d’essais sur YouTube, ce n’est toujours pas un environnement où tu as complètement le contrôle et avec lequel tu peux mener à cent pour cent l’expérience.
« La colère est une émotion forte et ça parle à beaucoup de gens, mais tout le monde ne veut pas entendre constamment de la colère et tout le monde ne ressent pas constamment de la colère. […] Je n’ai pas envie d’avoir l’air d’un disque rayé. »
Apparemment, « plus que pour n’importe quelle fois auparavant, c’était un travail collaboratif ». Etant donné que Conformifice était déjà un travail collaboratif, quelle était la différence cette fois ?
Littéralement, plus de collaboration ! Je veux dire que chaque nouvel album a tendance à être de plus en plus collaboratif et sur cet album, il y a clairement eu plus de contribution de la part de tout le monde dans le groupe. Brandon a apporté des riffs de guitare, Reece [Scruggs] a apporté plein de riffs, Pete [Webber] a partagé plein d’idées personnelles pour la musique… Instrumentalement parlant, tout le monde a davantage mis son grain de sel que sur les albums précédents, ce qui en fait un album un petit peu plus varié. Et puis un truc important sur lequel nous nous sommes concentrés sur cet album était de nous assurer que les trois instruments à corde jouent très souvent des parties différentes. Au lieu de tous nous caler sur un riff et d’être unidimensionnels, nous avons fait un gros effort pour expérimenter avec ce qui était possible sur un instrument à cordes et essayer de faire que ce soit musicalement plus dense et intéressant, en termes d’harmonisation, de contrepoint et de syncope, ce genre de chose. Le fait que nous écoutons différents styles de musique – beaucoup de funk, de groupes de rock progressif, etc. – a beaucoup aidé à façonner cette mentalité et cette vision que nous avons aujourd’hui.
Conformicide était un album très progressif et technique qui a marqué une grande évolution de la part du groupe. Ce que l’on peut remarquer cette fois avec V est que vous poursuivez en partie sur cette voie, avec des chansons complexes, mais aussi d’autres chansons très directes qui, elles, renvoient plutôt à vos albums d’avant (« Fear Campaign », « Merchants Of Death »). Penses-tu qu’avec cet album vous avez atteint une forme d’équilibre entre tradition et évolution, le vieux et le nouveau, le passé et le futur ?
Absolument. Je pense que cet album marie parfaitement notre vieux son et notre nouvelle direction. Même une chanson qui, niveau composition, va droit au but, comme « Fear Campaign », techniquement, sur les instruments, comme par exemple durant les refrains, les parties de Pete et Reece ne sont pas très simples et faciles à jouer. Donc même si la composition peut parfois paraître assez simple, il y a quand même pas mal de prouesse technique. Ça passe peut-être inaperçu parce que la structure est simple, mais la musicalité, la technicité et la complexité sont quand même présentes dans les parties.
Penses-tu que Conformicide manquait un peu de cet équilibre ?
Je ne crois pas forcément que cet équilibre manquait. C’est un album différent. Nous avions un autre bassiste dans le groupe. Nous étions dans un autre état d’esprit créatif. Avec un peu de chance, les choses changent à mesure qu’un artiste progresse. Si ta nouvelle musique sonne exactement comme ta vieille musique, je ne suis pas sûr que c’est forcément une bonne chose. Même si ta nouvelle musique sonne comme ta vieille musique, il faut espérer au moins qu’elle soit meilleure. Ce n’est pas génial quand un groupe donne l’impression de s’auto-plagier et de le faire mal, qui plus est.
Tu as déclaré que vous utilisez vos instruments « plus comme une symphonie » aujourd’hui. « Symphonique » n’est pas forcément un terme qu’on associe souvent au thrash metal. Peux-tu développer ce que tu appelles une approche « symphonique » ?
Oui, quand je parle d’avoir une approche symphonique, je parle de dynamique et d’avoir différentes lignes qui s’entremêlent pour créer une grande et vaste œuvre musicale tissée. Quand je parlais de notre volonté de mieux utiliser nos instruments à cordes, c’est justement de le faire comme le ferait un orchestre symphonique. Je veux dire que lorsqu’on écoute Beethoven, Mozart, Prokofiev et ce genre de compositeur, dans leurs morceaux, les cinquante ou cent musiciens de l’orchestre ne jouent pas tous la même partie. Il y a plein de lignes différentes qui s’entrecroisent et qui apportent à l’ensemble. Ce n’est pas qu’un hamburger, c’est très complexe, il y a plein de saveurs différentes qui enrichissent le plat, pour ainsi dire. Donc lorsque je dis que nous avons voulu aller dans le sens d’une musique plus symphonique, je voulais simplement dire que nous ne voulions pas que ce soit simpliste. Nous voulions créer des lignes différentes qui ne jouaient pas la même chose mais plutôt en fonction des autres, exactement comme ce que l’on entend dans plein de musiques classiques.
Penses-tu que le thrash metal soit plus proche de la musique classique qu’on pourrait croire ?
Parfois oui, parfois non [rires]. Tout dépend de l’exemple que l’on prend. Un exemple qui me vient en tête, c’est l’album And Justice For All [de Metallica]. Il y a plein de parties dans cet album où les guitares ressemblent à une symphonie distordue de six-cordes. Il y a plein de lignes qui se déroulent simultanément et qui ont été assemblées pour créer une œuvre musicale très dense.
Tu as mentionné le mot « dynamique », qui semble être un mot clé pour Havok : la dynamique est-elle une composante essentielle du thrash, tel que tu le conçois ?
Oui. Il est clair qu’on retrouve de la dynamique chez mes groupes préférés. Quand il n’y a que de la vitesse et de l’agressivité, ça devient vite ennuyeux. Il faut qu’il y ait de la dynamique si on veut retenir l’attention des gens.
« Nous sommes tous des handicapés. Nous utilisons tous la technologie comme une béquille. […] La technologie offre plein de super choses mais, à la fois, c’est devenu une grosse béquille et possiblement néfaste pour l’intelligence globale de notre société. »
C’est intéressant que tu ais mentionné And Justice For All, parce que V commence avec la chanson « Post-Truth Era » d’une manière très similaire à la façon dont « Blackened » commence And Justice For All. Je ne peux pas croire que c’est une coïncidence… Si ?
Absolument pas ! Quand l’idée de l’intro a été suggérée pour la première fois, nous nous sommes demandé : « Est-ce trop similaire au début de la chanson de Metallica ‘Blackened’ ? » Nous étions tous d’accord pour dire que oui, c’était très clairement un clin d’œil, mais au final, aucun d’entre nous n’avait entendu quelque chose comme ça depuis And Justice For All qui est sorti il y a trente-deux ans. Nous n’avons pas volé un riff ou un morceau de musique. Nous avons juste pris une astuce de production, pas très différente de lorsque quelqu’un fait sonner tout bizarre ses toms comme Phil Collins dans la chanson « In The Air Tonight » ; c’est devenu un son hyper-populaire dans les années 80 et ce n’était qu’une astuce de production. Nous avons donc simplement emprunté une astuce de production à l’un de nos groupes préférés, nous l’avons reproduite et nous nous la sommes appropriée.
Il est clair que ça rappellera Metallica à plein de gens, mais ça ne nous pose aucun souci, parce que nous adorons tous Metallica, et encore une fois, ça fait trente ans que nous n’avons rien entendu de semblable. On retrouve souvent ce genre de chose dans notre musique. Nous faisons des clins d’œil à un tas de groupes différents, de temps en temps, dans certaines parties de chansons. Je ne vois pas de mal à ça. Ça fait des lustres qu’on voit de de telles choses dans la musique. Par exemple, dans la chanson de Metallica « Whenever I May Roam », il dit : « Where I lay my head is home ». L’autre jour, j’écoutais les Isley Brothers et dans la chanson « Papa Was A Rolling Stone » (une chanson de The Temptations en réalité, NDLR), ils disent : « Where he laid his head was home » (la phrase exacte est : « Wherever he laid his hat was his home », NDLR). Donc ce genre de clin d’œil musical aux groupes qui étaient là avant nous n’a rien de nouveau. Tout au plus, c’est juste une manière de les saluer.
Dirais-tu que c’était la même idée qu’il y avait derrière l’intro de « Ritual Of The Mind », qui peut également avoir l’air d’un clin d’œil à « The Shortest Straw » ?
C’est une idée que nous avions depuis longtemps et nous voulions d’ailleurs l’appliquer sur quelque chose dans Conformicide, mais ça ne s’est jamais concrétisé. J’imagine qu’effectivement, le fade in rappelle cette chanson parce que c’est fait sur une partie au tom basse, mais même s’il n’y avait pas eu de tom basse au début, nous allions le faire à un moment donné, quoi qu’il arrive. Les fade in ne sont pas quelque chose qu’on entend souvent.
Vu qu’il avait été dit de Conformicide que c’était votre Master Of Puppets, V est-il votre And Justice For All ?
Je dirais que V est… [Rires] Je ne sais pas s’il doit être considéré comme tel ou s’il doit être considéré comme notre Master Of Puppets, ou s’il doit être considéré comme notre Black Album. Je ne sais pas ! C’est aux gens de décider. Je trouve que V sonne comme le cinquième album d’Havok.
La batterie, en particulier, de « Ritual Of The Mind » – pas seulement l’intro, mais aussi le reste de la chanson – est très efficace et percutante, rappelant le style pour lequel Lars Ulrich était connu durant son âge d’or. Ces gars ont-ils été des modèles pour vous ?
Pas pour Pete, je ne crois pas [rires]. Je pense que Pete était bien plus inspiré par un tas d’autres batteurs et je ne pense pas qu’il citerait Lars Ulrich comme étant une de ses principales influences pour s’être pris à la batterie. Mais pour ma part, Metallica est effectivement la raison pour laquelle je me suis mis à la guitare et ai voulu commencer à jouer de la musique. Ce groupe a complètement changé ma vie et a fait que je suis tombé amoureux de la musique. Avant d’avoir entendu Metallica et de m’être intéressé à eux, j’aimais la musique mais je n’en étais pas obsédé. Ça a changé quand j’ai connu Metallica et ce groupe a changé toute la trajectoire de ma vie, tout comme beaucoup d’autres gens. Pour énormément de musiciens metal, Metallica est ce qui leur a mis le pied à l’étrier.
L’album est divisé en deux moitiés par l’interlude tribal « Dab Tsog ». Quelle est l’idée là-derrière ?
Cette instrumentale est l’intro de la chanson « Phantom Force ». « Phantom Force » parle des gens au Cambodge qu’on appelle les Hmong et qui sont mystérieusement morts dans leur sommeil après avoir échappé à une guerre. Les Hmong croient qu’un démon s’assoit sur leur poitrine et provoque la mort mystérieuse. Dans leur culture, ils appellent ce démon le Dab Tsog. Donc le titre est directement lié au sujet de « Phantom Force » et la raison pour laquelle nous avons créé l’instrumentale est pour avoir une pause musicale sympa dans l’album et changer les idées de l’auditeur, le sortir de toute l’intensité pendant une minute, juste avant que nous ne le frappions de nouveau en plein visage avec « Phantom Force ».
« Les gens ont presque peur de dire qu’ils aiment [Donald Trump] quand c’est le cas mais, a contrario, les gens n’ont pas le moindre problème pour dire qu’il faut tuer le président, que c’est le prochain Hitler, à quel point il est raciste, etc. et je trouve une grande partie de ces affirmations assez ridicules et fondées sur l’ignorance. »
Probablement que la plus grande surprise de l’album est la chanson finale « Don’t Do It », qui est votre chanson la plus longue à ce jour, et est assez lente et maussade, avec du chant clair…
Littéralement chacun de nos albums contient un peu de chant mélodique. Donc ce n’est pas totalement étrange pour nous de faire quelque chose comme ça, mais peut-être que c’est davantage mis en évidence sur cette chanson que les autres. En fait, certains de ces riffs existent depuis de nombreuses années et nous avons enfin réussi à en faire une chanson pour cet album. Niveau texte, elle a été inspirée par une statistique très choquante que j’ai vue : en une décennie, le nombre de suicides a triplé chez les enfants. J’ai voulu écrire une chanson à ce sujet, car c’est quelque chose que j’ai connu, et maintenant que je suis plus âgé, je suis vraiment content de ne pas être passé à l’acte. J’ai voulu relayer ce message auprès des jeunes qui peut-être souffrent de soucis de santé mentale, qui ont l’impression que tout est vain et qui n’ont plus envie d’exister. J’espère vraiment que quelqu’un entendra cette chanson et qu’elle l’aidera.
L’album s’intitule V. C’est une référence évidente au fait que c’est votre cinquième album et, peut-être, à la lettre centrale d’Havok, mais doit-on également y voir une référence à V, le personnage de la bande dessinée V Pour Vendetta, vu que vous semblez partager pas mal de thématiques avec cette dernière ?
Les gens tireront un tas de choses différentes du titre V. J’ai entendu des gens demander si c’était une référence à V Pour Vendetta, demander si ça avait à voir avec « virus », demander si ça avait à voir avec « victoire », demander si… plein de choses différentes. Les gens peuvent y voir ce qu’ils veulent, mais la raison pour laquelle nous l’avons appelé V, c’est pour que les gens ne soient pas distraits par un titre d’album, afin qu’ils puissent se concentrer sur la musique et moins sur le sens subliminal du nom. Peut-être qu’au final le titre soulève plus de questions, mais c’est plus ambigu. Nous n’orientons pas votre cerveau dans une direction donnée. Nous n’orientons pas le lecteur et l’auditeur dans un état d’esprit particulier.
Thématiquement parlant, Conformicide était un album fort avec des critiques cinglantes sur notre monde, mais j’ai lu que V est plutôt considéré comme une alarme qu’une critique. Quelle est la différence cette fois ? Conformicide n’était-il pas déjà une alarme ou un avertissement, justement ?
Absolument. Je dirais que nous continuons clairement dans cet esprit ici mais il y a aussi d’autres parties dans les textes de V qui sont, je dirais, moins militantes et certaines chansons sont plus philosophiques. Evidemment, la colère est une émotion forte et ça parle à beaucoup de gens, mais tout le monde ne veut pas entendre constamment de la colère et tout le monde ne ressent pas constamment de la colère. Même les gens les plus colériques, j’en suis sûr, éprouvent du plaisir avec quelque chose de temps en temps. Je n’ai pas envie d’avoir l’air d’un disque rayé, donc les textes sont un peu plus variés sur cet album et je me suis efforcé de creuser un peu plus et toucher à des sujets que nous n’avions jamais abordés avant.
Il y a une chanson intitulée « Betrayed By Technology » : penses-tu que la technologie soit devenue notre ennemie ?
D’une certaine façon, oui. Absolument. Nous sommes tous des handicapés. Nous utilisons tous la technologie comme une béquille. Je connais énormément de gens qui ne savent pas comment lire une putain de carte ! Nous avons tous été tellement assistés par la technologie qu’il y a des gens qui ne savent même pas faire une simple opération mathématique sur un bout de papier. Il y a des gens qui ne savent pas écrire correctement. Il y a des gens qui ne savent pas comment ponctuer leur propre langue qu’ils ont apprise quand ils étaient tout petits. La technologie offre plein de super choses mais, à la fois, c’est devenu une grosse béquille et possiblement néfaste pour l’intelligence globale de notre société. Non seulement ça, mais il y a un tas de jobs qui n’existent plus à cause de la technologie. Au final, à cause de la surpopulation et de la technologie qui prend de plus en plus de place dans nos vies, on va vivre un clash vraiment brutal, et je pense que ça se passera de notre vivant.
Quelle est ta relation à la technologie personnellement, en particulier dans la musique ?
En fait, la technologie nous a grandement aidés à façonner cet album et, bien sûr, je vais avoir l’air d’un hypocrite maintenant, mais nous sommes tous des hypocrites. La technologie nous a aidés à bien des égards et, comme je l’ai mentionné, c’est aussi devenu une béquille à bien des égards. Donc quand nous avons composé cet album, nous utilisions une session sur le cloud et nous la mettions à jour et nous uploadions nos nouvelles idées pour nous les échanger. Nous avons donc énormément bénéficié de la technologie en écrivant cet album. Et bien sûr, nous avons tous un super ordinateur dans notre poche et c’est absolument génial. Je suppose que le côté négatif, c’est justement que nous avons tous un super ordinateur dans notre poche qui est capable de tracer nos moindres faits et gestes, nos moindres mouvements, d’écouter nos conversations et qui déconnecte un peu les gens, même si, à la fois, il peut aussi nous connecter davantage aux gens. C’est très intéressant de voir la dualité entre les bénéfices et les inconvénients de notre technologie moderne. Tout dépend de la façon dont on l’utilise, je suppose.
« Je veux que les gens se réveillent et sortent de leur stupeur télévisuelle et pensent de manière critique, et commencent à se poser des questions sur les choses qui sont vraiment importantes, au lieu d’être obsédés par la pop culture, les célébrités, les icônes et des choses ridicules qui n’ont aucune importance. »
L’album débute avec la chanson « Post-Truth Era », la « post-vérité » ou les « faits alternatifs » sont de nouveaux concepts apparus ces dernières années. Mais qu’est-ce que la vérité pour toi ?
C’est une sacrée question piège ! Comme Socrate l’a dit : l’homme sage sait qu’il ne sait rien. Donc je suivrai l’exemple de Socrate et me risquerai à dire que je ne sais rien. Ce qui est vrai pour une personne ne l’est peut-être pas pour une autre personne. Cependant, on vit dans une forme de réalité fondée sur des consensus et on s’accorde pour dire que l’on respire de l’oxygène, que l’on a besoin de manger et de boire pour vivre. On vit tous dans une réalité où le consensus veut que deux plus deux égale quatre et que le ciel soit bleu. Donc je ne sais pas forcément ce qui est et n’est pas vrai, mais une chose qui est sûre, c’est que l’on vit tous dans une réalité de consensus. Après, à savoir si oui ou non on vit dans une simulation ou si certaines de ces choses que l’on croit vraies sont effectivement vraies, je ne sais pas. Je ne peux pas savoir. C’est donc à peu près tout ce que je peux dire sur le sujet [rires]. Mais l’idée de la chanson est qu’il semblerait qu’on soit attaqués de toute part par les faits ou les infos, ou ce que l’on appelle des faits et des infos, et une grande partie de tout ça sont des conneries. Il faut que les gens puissent lire entre les lignes, parce que si vous croyez tout ce que vous lisez ou entendez, vous serez complètement perdus et n’aurez aucune idée de ce qui se passe. Il faut absorber l’information de tous les côtés, puis lire entre les lignes et utiliser un minimum son cerveau.
La dernière fois qu’on s’est parlé, en janvier 2017, au sujet de l’élection de Donald Trump, tu nous as dit que tu étais « très sceptique par rapport à ce qui [allait] se passer, et [que] ce sera[it] intéressant dans quelques années », en mentionnant que ça ne te faisait pas peur. Du coup, trois ans plus tard, quel est ton regard sur Donald Trump en tant que président et sur son action ?
Toujours très sceptique. Je n’ai pas envie de rentrer dans les détails, mais il y a plein de choses que j’aime dans ce que Trump a fait et il y a plein de choses que je n’aime pas dans ce que Trump a fait. J’en resterai là. Les gens peuvent imaginer ce qu’ils veulent par rapport à ce que je dis. Mais je suis éternellement sceptique face à tous les politiciens et tous ceux qui voudraient obtenir un tel mandat et avoir autant de pouvoir sur tant de gens. C’est assez dingue de vouloir une telle chose dans la vie. Donc, éternellement sceptique !
Généralement, les gens ont des avis très radicaux, dans un sens comme dans l’autre, sur Donald Trump, ce qui n’a pas l’air d’être ton cas…
Oui, enfin, tout le monde le dépeint comme le diable et ce n’est pas du tout comme ça que je le vois. Disons les choses ainsi : je trouve qu’il y a des présidents qui ont été au pouvoir de mon vivant qui ont fait des conneries bien pires que les choses qu’il a faites. Comme je l’ai dit, je suis éternellement sceptique et j’attends de voir ce qu’il se passera. Je n’adore pas tout chez lui et je ne déteste pas tout chez lui. Je sais que c’est quelque chose que la plupart des artistes ne diront probablement pas, parce que la plupart des artistes et des gens dans ce pays semblent être à l’aise pour dire à quel point notre président est un nazi, qu’on devrait l’assassiner et toutes sortes de conneries dans le genre. C’est une forme de haine du chef de notre nation que je n’ai jamais vue avant de toute ma vie. Je n’ai jamais vu autant de haine à l’encontre du président. Et il semblerait que dans ce pays, les gens ont presque peur de dire qu’ils aiment le gars quand c’est le cas mais, a contrario, les gens n’ont pas le moindre problème pour dire qu’il faut tuer le président, que c’est le prochain Hitler, à quel point il est raciste, etc. et je trouve une grande partie de ces affirmations assez ridicules et fondées sur l’ignorance.
L’illustration de l’album est à la fois très moderne et psychédélique, et est basée grossièrement sur ce que tu avais en tête. Comment doit-on interpréter cette œuvre à la lumière des thématiques abordées dans l’album ?
S’il fallait relier l’illustration à une chanson en particulier, je dirais de lire les paroles d’« Interface With The Infinite » et alors l’illustration aura probablement un peu plus de sens. En fait, le texte est venu après, mais je savais assez précisément ce que je voulais quand j’ai donné le concept à Eliran [Kantor]. Après lui avoir donné le concept, je lui ai dit que j’aimerais que ça ressemble à un croisement entre le Caravage et Dali. Je trouve qu’il a absolument tapé dans le mille ! Nous sommes tous très contents du résultat obtenu avec l’artwork.
Le groupe a beaucoup évolué depuis le premier album Burn sorti il y a dix ans. Votre musique est devenue plus complexe mais malgré tout, vous n’avez pas perdu une once d’énergie. Comment comparerais-tu le groupe que vous étiez il y a dix ans et celui que vous êtes aujourd’hui ?
Nous sommes un groupe bien plus mature, tout comme nous le sommes en tant que personnes. J’espère que nous devenons continuellement plus raffinés et matures avec notre musique, parce que certains trucs sur Burn ont été écrits quand j’avais quinze ans [petits rires]. Quand on écoute l’album, certains textes entre autres, on peut se rendre compte que ça a été écrit par un gamin de quinze ans [rires]. J’espère que notre intelligence et notre intérêt se sont améliorés au fil du temps, et j’espère que ça se reflète dans la musique. Mais nous sommes toujours fidèles à notre état d’esprit de l’époque, l’inspiration est toujours là et nous sommes toujours là pour jouer de la musique. C’est ce qui nous passionne et cette étincelle ne s’est jamais éteinte. C’est une bonne chose. A bien des égards, nous sommes toujours des gamins.
Quel est votre moteur aujourd’hui en tant que groupe ?
Notre moteur, actuellement, c’est de créer de la musique que je n’ai jamais entendue auparavant et dont je suis content, d’un point de vue créatif et artistique. Nous n’écrivons pas de la musique pour les autres gens. Nous n’allons jamais chercher à plaire aux autres gens. Nous écrivons la musique pour nous-mêmes et ensuite, si d’autres gens l’apprécient, c’est super, mais nous n’essayons pas d’être bien aimés de tout le monde. Quand on cherche à faire ça, c’est impossible de gagner, on ne peut que perdre. Nous ne pouvons pas nous soucier de la manière dont les autres gens veulent que nous sonnions. Nous voulons sonner comme nous-mêmes. Je suppose que ce qui me motive, dans les textes, c’est la même chose qui me motive depuis maintenant presque une décennie : je veux que les gens se réveillent et sortent de leur stupeur télévisuelle et pensent de manière critique, et commencent à se poser des questions sur les choses qui sont vraiment importantes, au lieu d’être obsédés par la pop culture, les célébrités, les icônes et des choses ridicules qui n’ont aucune importance. J’ai de l’espoir, parce que nous avons aujourd’hui plus de fans que jamais et que le groupe ne cesse de grossir chaque année.
Interview réalisée par téléphone le 20 mars 2020 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Site officiel de Havok : havokband.com.
Acheter l’album V.
Vous avez écrit Haken au lieu de Havok dans la colonne news de droite, sur la homepage.
De rien ! 🙂
[Reply]
Mince, bien vu ! Merci 😉 C’est ce qui peut arriver quand on s’occupe de plusieurs interviews en même temps…