Inespéré. Qui aurait imaginé il y a quelques années les chanteurs Michael Kiske et Andi Deris partager la scène, une chanson, un album, un groupe, Helloween ? Qui aurait imaginé aussi les deux Michael – Kiske et Weikath – qui se sont tant haïs finir par se rabibocher ? Pourtant, les voilà tous réunis avec le guitariste-chanteur-fondateur Kai Hansen, également de retour, lui qui a signé certains des plus grands tubes du groupe et du metal par la même occasion, et le jovial bassiste Markus Grosskopf, sans oublier le guitariste Sascha Gerstner et le batteur Daniel Löbe qui ont contribué à leur manière à faire perdurer la légende des citrouilles.
Une convergence des époques qui se matérialise aujourd’hui dans un nouvel album en forme de synthèse et de nouveau départ, simplement baptisé Helloween. Pour marquer le coup, ce n’est pas une, ni deux, mais trois interviews que nous proposons dans le magazine Radio Metal n° 4 ainsi que dans nos colonnes numériques. Michael Weikath, Michael Kiske et Andi Deris nous ont raconté cette aventure inédite ayant mené à la conception de cet album qui, espérons, ne sera pas le dernier. Les trois musiciens remontent également avec nous le fil de l’histoire pour mieux comprendre les épreuves par lesquelles ils sont passés et ce qu’est Helloween en 2021.
Note : Version sans coupes de l’interview parue initialement dans le magazine Radio Metal n°4 encore disponible aux points de distribution et en commande dans notre shop.
« C’est sympa de faire un nouvel album qui ne sert pas à rien, qui a quelque chose à dire, mais c’est impossible de rivaliser avec quelque chose qui est devenu un mythe et qui est rentré dans l’âme des gens. On ne devrait jamais essayer. »
Radio Metal : Ça fait quatre ans maintenant que tu es de retour dans Helloween. Comment comparerais-tu le Helloween que tu as quitté en 1993 et celui que tu as retrouvé en 2016 ?
Michael Kiske (chant) : Ce n’est plus du tout pareil. Il y a une énorme différence due à l’âge. Quand on est adolescent ou même quand on a la vingtaine, on est juste différent de lorsqu’on a passé les cinquante ans. Les époques sont différentes aussi, même si lorsqu’on fait des concerts, ça n’a pas du tout l’air. Le public a l’air d’être le même. J’ai eu cette impression la première fois que j’ai rejoué en live avec Avantasia, ainsi qu’avec Unisonic, le public était presque exactement le même. Les gens avaient la même allure et étaient presque habillés pareil. De même, il y a aussi des similarités au sein du groupe : il se passe des choses sur scène ou entre certains individus qui n’ont pas changé, d’une certaine façon. Mais globalement, les époques ne sont pas les mêmes et beaucoup de choses diffèrent aujourd’hui dans le groupe, et selon moi, c’est pour le meilleur car nous sommes désormais plus sages.
Tu as presque trente ans de plus maintenant. Malgré ça, penses-tu que le jeune Michael est toujours là quelque part ?
Peut-être un petit peu. En l’occurrence, quand j’ai rencontré Rob Halford, j’ai remarqué qu’il restait ce petit fan en moi. Généralement, je ne suis pas du tout impressionné par les stars parce que ce ne sont que des êtres humains comme n’importe qui. Ça nous passe avec l’âge, mais pas complètement quand il s’agit de certaines personnes avec qui on a grandi. Avec Iron Maiden, Judas Priest était l’un des principaux groupes que j’aimais quand j’étais adolescent. J’étais surexcité de le rencontrer, j’étais comme un jeune ado. En dehors de ça, j’ai beaucoup changé, notamment sur le plan spirituel. Quand tu as affaire à Rudolf Steiner, en l’occurrence, avec les informations spirituelles qu’il a données, ça te change. Il y a un secret derrière ce que les chrétiens appellent toujours le Saint-Esprit, et ce secret est que la lumière spirituelle nous nourrit. C’est vraiment quelque chose avec lequel on nourrit son âme et les parties non physiques de son être, et ça nous fait grandir en tant qu’individus autrement que la vie elle-même. La vie nous change, elle nous donne des défis, mais quand on apprend délibérément quelque chose et qu’on essaye de comprendre des sujets plus spirituels, ça nourrit notre âme. C’est ce que les chrétiens appellent le pain du ciel ou ce que les juifs appellent la manne. J’ai beaucoup fait ça et je pense que c’est très lié aux principaux changements qui ont lieu. Je pense qu’on change plus vite quand on cherche délibérément à apprendre, au lieu de simplement laisser la vie faire. Les deux nous enseignent différemment. Il y a les expériences qu’on doit traverser parce qu’il y a quelque chose qu’on doit apprendre ou éclaircir, c’est ce que certaines personnes appellent le karma, et ensuite il y a l’apprentissage individuel, la volonté d’apprendre quelque chose, le fait de choisir cette information spirituelle, de l’assimiler et d’essayer d’apprendre quelque chose grâce à ça. Quand les deux se rejoignent, on peut très vite changer.
Tu sors ton premier album avec le groupe en près de trente ans, les attentes étaient forcément énormes, autant de la part des fans que du groupe. Y avait-il la moindre forme d’appréhension avant de vous y mettre ?
Pas vraiment parce que nous n’avons même pas essayé de répondre à des attentes, ça ne fonctionne pas comme ça. Ça fait tellement d’années que nous sommes dans ce business maintenant que nous avons appris quelques trucs. On apprend notamment qu’on ne compose pas une bonne chanson quand on essaye de plaire à quelqu’un d’autre, ça ne fonctionne pas comme ça. Il faut d’abord que ça nous plaise à nous, il n’y a pas d’autre façon de faire. Si tu n’es pas excité par une chanson, comment diable est-ce que c’est censé devenir une bonne chanson ? La seule manière de créer quelque chose de bon, à mon avis, c’est si une idée nous excite, on se pose, on l’écrit, on la change, ça devient une super chanson, on la joue au groupe et ensuite, le groupe dit : « Ouah, c’est un super morceau ! On pourrait faire ça, on pourrait faire ci. » Je crois qu’aucun musicien digne d’intérêt n’a un jour composé une super chanson à partir d’un plan prédéfini, ou en essayant de plaire à quelqu’un. C’est quelque chose que tout le monde dans ce groupe a appris : comment être créatif et comment ne serait-ce qu’obtenir un résultat, quel qu’il soit, en matière de composition. C’est quelque chose qu’on apprend ou sinon, au bout d’un moment, on ne sera plus créatifs parce que ces monstres que sont le succès et les attentes vont nous bouffer vivants et notre créativité va s’éteindre. Soit on apprend à s’en libérer et alors vient ce qui vient, on essaye tirer le meilleur parti des idées qui sont là, soit on disparaît. Les attentes font partie des choses qu’on essaye de repousser.
« D’après mon expérience, ça ne marche jamais vraiment de composer quelque chose exprès, car tu le fais avec ta tête et non avec ton cœur. Comment une chanson peut-elle avoir la moindre force si ce n’est qu’un truc calculé ? »
Je trouve que cet album a cette énergie et cette force, et il ne déçoit pas les gens. Nous avons eu d’incroyables retours et c’est bien mieux que j’imaginais, nous en sommes tous très contents évidemment. Mais ce n’est possible que si on n’essaye pas de forcer les choses dans une certaine direction. La seule chose qu’on peut faire – et que nous avons faite – c’est si on a une chanson qui a un certain feeling… En l’occurrence une idée comme « Out For The Glory », ça sonnait d’emblée comme un morceau qui aurait pu être sur l’un des deux Keeper. Weiki l’avait d’ailleurs écrite il y a longtemps, c’est une vieille chanson. Ils ont déjà essayé de l’enregistrer pour le précédent album d’Helloween et le résultat n’était pas terrible, ça ne marchait pas, donc ils ne l’ont pas gardée. Il l’a changée plusieurs fois jusqu’au moment où j’ai fait le chant dessus et ça a marché. Quand on a une chanson comme ça, il faut peut-être l’accentuer un petit peu, essayer d’amplifier les éléments qui ont un certain feeling. J’aime les Keeper, je les trouvais vraiment spéciaux, ils ont un esprit très exaltant et positif, donc je suis complètement pour si une chanson sonne un petit comme ça, mais ça n’a aucun sens d’essayer de composer « I Want Out #2 ». Si une chanson sonne naturellement comme ça, nous ne la tuons pas, mais nous n’essayons pas non plus délibérément de composer dans cette veine. Je ne crois pas que ça marche comme ça.
Evidemment, les gens vont comparer cet album à vos vieux classiques…
C’est super d’avoir ces classiques. Je me souviens que nous avons joué au Japon avec Unisonic et Edguy. A un moment donné, Tobias [Sammet] est venu me voir et m’a dit qu’il aurait aimé avoir des chansons comme « I Want Out » et « March Of Time », car il voyait la réaction du public quand on a ce genre de vieilles chansons avec lesquelles les gens ont grandi. C’est sympa de faire un nouvel album qui ne sert pas à rien, qui a quelque chose à dire, mais c’est impossible de rivaliser avec quelque chose qui est devenu un mythe et qui est rentré dans l’âme des gens. On ne devrait jamais essayer. Il faut juste essayer de faire un album de telle sorte qu’il soit aussi excitant pour soi-même que possible, et alors il sera peut-être excitant pour d’autres gens. Peut-être qu’une des chansons de cet album deviendra un classique dans vingt ans, mais on n’a pas la main là-dessus. Si tu essayes, tu es sûr d’échouer. Si tu tentes quoi que ce soit, comme le fait d’écrire un tube ou un classique, c’est la meilleure manière de n’arriver à rien. Une chanson a une âme si toi, tu l’aimes, si elle t’excite, et alors elle a le potentiel de faire ressentir la même chose à d’autres. D’après mon expérience, ça ne marche jamais vraiment de composer quelque chose exprès, car tu le fais avec ta tête et non avec ton cœur. Comment une chanson peut-elle avoir la moindre force si ce n’est qu’un truc calculé ? C’est toujours le combat que n’importe quel artiste ayant connu le succès doit mener, car dès que tu as du succès avec quelque chose, ce succès devient un monstre. Il y a plein de belles choses dans le succès et il n’y a pas lieu de s’en plaindre, mais c’est aussi de la pression. C’est un monstre qui essaye de nous bouffer au quotidien et contre lequel il faut se battre pour garder sa liberté créative et son plaisir. Si on n’a pas conscience de ce type de mécanisme, on est assuré de perdre ça. Je connais plein d’artistes qui ont perdu la flamme parce qu’ils se sont fait bouffer par ce monstre. C’est une lutte permanente.
Malgré tout, Kai et toi étant revenus dans le groupe, et ayant toutes ces références sur l’artwork, c’est dur de ne pas penser à l’époque des Keeper – Weiki a même dit que vous avez essayé de revenir au son des années 80 et de donner l’impression que vous vous étiez arrêtés au Keeper II pour reprendre à partir de là. As-tu ressenti une énergie et une dynamique similaires en travaillant sur ce nouvel album ?
Un petit peu, mais c’est aussi très différent parce que nous étions très différents. Quand tu regardes Helloween en 1987 ou 1988 sur scène, c’était juste de jeunes gars qui aimaient ce qu’ils faisaient et étaient excités par les groupes qu’ils trouvaient vraiment cool. Il y a une certaine fraîcheur, naïveté et énergie dans la jeunesse qu’on ne peut pas recréer plus tard, et c’est puéril d’essayer de le recréer. Il faut toujours être soi-même. Donc ce n’est pas pareil, c’est un autre type d’énergie, mais il y a quand même un peu de ça. Je pense que ça vient plus de moi, Kai, Weiki et Markus, qui étaient les membres originels et qui refont quelque chose ensemble. C’est comme quand on cuisine une soupe et que tout le monde y met des ingrédients jusqu’à obtention d’un certain goût. C’est comme ça avec ce groupe. Nous n’essayons pas intentionnellement de copier quoi que ce soit, mais nous recherchions ce son parce que nous voulions sonner autrement à nouveau et nous aimions ce son.
« J’ai l’impression que la plupart des fans sont beaucoup plus ouverts d’esprit aujourd’hui, mais ils ont la même allure et font la fête de la même manière. Quand on regarde le public, on a l’impression de revenir aux années 80. »
Je préfère le son des années 80 et notamment celui du metal des années 80. Je pense que le son du metal des années 90 est beaucoup trop exagéré, dans une certaine mesure. Les groupes comme Slipknot, c’est vraiment infernal, je me sens mal quand je les écoute, ça me déprime parce que c’est trop négatif. Ce n’est pas ma tasse de thé, même si je comprends d’où ça vient. Quand on lit des interviews de Corey Taylor, c’est un mec sympa, on comprend son histoire, on comprend d’où viennent la colère et l’obscurité, mais ça ne change pas le fait que leur musique me déprime. J’adore les années 50, 60, 70 et 80, et ce n’est pas parce que j’ai cinquante-trois ans ou parce que je suis plus vieux, c’est à cause de la musique qui était créée à ces époques. Je pense que déjà dans les années 90, on pouvait voir la culture musicale s’éteindre. Il se passait encore quelques trucs, mais ce n’est rien en comparaison des années 80. Les années 80 étaient une explosion de créativité, non seulement dans le metal mais aussi dans la pop, il y avait plein de styles différents qui apparaissaient. Il y avait le punk, le metal, un revival rock n’ roll et rockabilly, il y avait les Stray Cats, des artistes comme Sting et The Police, je pourrais continuer éternellement ! Il y avait des centaines de milliers de groupes et d’artistes et ils faisaient de super albums. Si tu compares à ce qui se passe maintenant, nous sommes dans un désert. Je préférais même encore plus les années 70 parce que tout sonnait beaucoup plus naturel. Ce n’était pas tant la technique qui importait, mais le feeling et la prestation. Les années 70 ont engendré de superbes productions.
Tu as comparé en termes de son, mais comment comparerais-tu les fans de ces époques ?
Les fans sont plus ou moins les mêmes. Simplement, ils sont beaucoup plus ouverts aujourd’hui, ça c’est clairement quelque chose qui a changé. On ne trouve plus autant de fans fermés d’esprit. Généralement, ils écoutent plein de choses aujourd’hui. Dans les années 80, c’était presque une religion. Avoir des longs cheveux était rebelle dans les années 70. Les Beatles étaient eux-mêmes considérés comme un groupe à cheveux longs au début des années 60 quand ils ont commencé. On trouve ça drôle maintenant quand on les voit avec ces coiffures façon champignon, mais c’était considéré comme des cheveux longs à l’époque. Le heavy metal au début des années 80 et son esthétique étaient clairement rebelles. Regarde Eddie, la mascotte d’Iron Maiden, par exemple, cet affreux monstre momifié. Eddie est un cadavre, c’était l’opposé de ce qui était branché au temps de la scène disco/pop où tout devait être joli. Regarde John Travolta à l’époque du « Stayin’ Alive » des Bee Gees, c’était à la fin des années 70 et ça a perduré un peu dans les années 80. Il s’agissait d’avoir de beaux cheveux, tout le monde était beau et tout. Ça existe toujours, tout doit être beau, et on aime tous quand c’est beau, dans une certaine mesure, mais dans la scène metal, ils voulaient choquer les gens. C’était nécessaire d’être moche, bruyant et d’avoir de longs cheveux. On ne se coupait pas les cheveux, on les laissait pousser pour avoir l’air d’un Viking. Quand on regarde Bruce Dickinson quand il est arrivé dans Iron Maiden, sur The Number Of The Beast, avec sa manière de s’habiller, il avait l’air d’un chevalier médiéval, et ça lui allait bien de se battre à l’épée et ce genre de chose. Et il avait cette force et cette énergie qui nous bluffaient. C’est ce que j’aimais chez Iron Maiden, et en particulier chez Bruce Dickinson, cette énorme force qui émanait de lui. En tant qu’adolescent, c’était l’énergie dont j’avais besoin. Je nourrissais mon âme avec quelque chose à moi. A la fois, j’adorais Elvis et les Beatles. Ce n’est pas du tout que je détestais ce type de musique, mais le metal avait une certaine attitude qui nous démarquait.
Les fans de metal dans les années 80 – surtout au début des années 80 – avaient l’air différents. Nous avions ces bracelets en cuir et à piques. Ça venait de la scène punk, en fait. James Hetfield a dit un truc dans une interview qui était très sensé pour de nombreux groupes de metal, pas juste Metallica, il a dit qu’ils adoraient l’énergie du punk, mais ils n’aimaient pas le fait que les groupes de punk ne savaient pas jouer. Ils voulaient donc l’énergie du punk, mais ils voulaient aussi bien jouer. Quand on écoute Kill ‘Em All, c’est exactement ça, c’est l’énergie du punk, mais beaucoup mieux joué. Plein de groupes de metal, Iron Maiden y compris, étaient influencés par le mouvement punk anglais, mais ils voulaient jouer. Je crois me souvenir d’une interview de Steve Harris dans les années 80 où il disait aussi quelque chose comme ça. Ils aimaient le punk, mais ils voulaient être capables de jouer de leurs instruments, et c’est ce qu’ils ont fait. C’est de là que vient le metal. Mais quand j’étais adolescent, le metal était rebelle. C’était quelque chose avec lequel on s’identifiait. C’est pourquoi plein de fans de metal dans les années 80 étaient très fermés d’esprit, ils voyaient ça comme une religion – « Rien d’autre que le metal ! Tout le reste c’est de la merde ! Mort au faux metal ! », à la Manowar – ce qui évidemment est absurde. Ça n’a rien à voir avec le style de musique qu’on aime, l’honnêteté dépend de la raison pour laquelle on fait ce qu’on fait. Mais ça a changé aujourd’hui. Il y a peut-être encore des adolescents qui passent par cette phase, mais j’ai l’impression que la plupart des fans sont beaucoup plus ouverts d’esprit aujourd’hui, mais ils ont la même allure et font la fête de la même manière. Quand on regarde le public, on a l’impression de revenir aux années 80.
« Je n’aime pas les albums qui sont trop heavy. Je ne peux pas écouter de la musique ayant des sons de guitare trop brutaux comme ce qui a été développé dans les années 90, ça me donne mal à la tête. »
Ce qui est intéressant dans Helloween, c’est qu’il y a beaucoup de compositeurs dans ce groupe et ils ont tous contribué à des chansons dans cet album, sauf toi. Durant la conférence de presse, tu as expliqué que tu n’as même pas essayé de composer des chansons, car « les trucs que [tu] compose[s] n’ont pas grand-chose de metal ». Cependant, par le passé, tu as écrit des chansons metal, comme « A Little Time », la face B « Savage » ou « Kids Of The Century ». Penses-tu que c’est quelque chose que tu as perdu avec le temps ou bien te forçais-tu à l’époque ?
J’étais bien plus un metalleux à l’époque. De nos jours, je n’écoute pratiquement rien d’autre que de la musique classique. J’ai une énorme collection de CD, en particulier de Super Audio CD de musique classique. Quand j’écoute de la musique plus moderne, c’est principalement issu des années 70, genre les premiers albums d’Elton John ou de Billy Joel, je les trouve géniaux. Evidemment, il y a les Beatles, Elvis, et peut-être un petit peu de Foreigner aussi. Pour ce qui est de la musique plus heavy, j’en écoute rarement – surtout maintenant que j’en fais tout le temps, j’ai tendance à en écouter encore moins –, mais quand c’est le cas, ce sont de vieux albums. Ce sont par exemple les premiers albums de Judas Priest, ceux du début des années 80, les tout premiers albums d’Iron Maiden ou Rainbow, Heaven And Hell et Mob Rules de Black Sabbath, ou je peux parfois écouter les trois premiers albums de Metallica et prendre mon pied car ils étaient très importants pour moi quand j’étais adolescent. Les adolescents adorent cette énergie punk et agressive, ils s’en servent comme d’un moyen de protester contre les aînés. Je peux écouter ça, mais quand je compose des chansons aujourd’hui, je me contente de composer, c’est tout. J’ai juste une guitare acoustique, je trouve une mélodie et je compose une chanson. Je ne compose pas en particulier des chansons de metal, je compose juste une chanson. Si un jour je fais quelque chose pour Helloween, et je suis sûr que ça va arriver, peut-être sur le prochain album, ce sera une simple chanson, je vais la faire écouter aux gars et ils vont devoir en faire une chanson de Helloween. Ça s’est toujours passé comme ça, mais quand j’étais adolescent, j’étais bien plus un metalleux. Les trucs que je composais étaient déjà un peu dans une veine metal. Aujourd’hui, j’écris des chansons, et c’est cool si on les joue de façon rock ou metal, mais ça me va tout aussi bien si elles sont purement acoustiques.
Comment gères-tu aujourd’hui l’écart entre la musique que tu aimes écouter et celle que tu dois chanter, surtout maintenant que tu es de retour dans Helloween qui peut être assez heavy par moments ?
J’aime cette musique. J’aime ce que nous avons fait sur les Keeper. Ça ne me pose aucun problème, car j’aime bien. J’aime beaucoup chanter « Eagle Fly Free » et ce genre de chose. Bien sûr, parfois c’est un peu heavy. Si on prend un morceau comme « How Many Tears », c’est extrêmement heavy et ça me va, mais je n’écoute pas ce genre de chose en privé. Je n’aime pas les albums qui sont trop heavy. Je ne peux pas écouter de la musique ayant des sons de guitare trop brutaux comme ce qui a été développé dans les années 90, ça me donne mal à la tête. J’adore écouter Queen. J’ai deux des grands albums de Queen en mix surround sur DVD-Audio. Je crois que c’est Brian May qui avait organisé ces remix surround et ils sont impressionnants, mais ce n’est pas très heavy. Les sons de guitare, comme ceux des années 70, qui ne sont pas une surcharge de distorsion ne prennent pas toute la place dans le spectre sonore d’un album. Si c’est trop heavy, je ne le supporte pas. Comme je fais moi-même de la musique assez heavy avec Helloween aujourd’hui, en privé je préfère écouter de la musique extrêmement relaxante. J’adore la chanteuse irlandaise Cara Dillon, Kate Rusby ou Lydia Luce, leur chant et leurs compositions sont très bons. C’est entièrement acoustique, c’est de la musique très silencieuse. La musique acoustique, le vieux rock et un tas de musique classique, c’est principalement ce que j’écoute.
Il se dit généralement que si tu étais resté dans le groupe, essentiellement à cause de l’album Chameleon, tu l’aurais poussé dans une autre direction. Penses-tu que ce soit vrai, surtout compte tenu de l’évolution de tes goûts musicaux ?
Chameleon et Pink Bubbles Go Ape encore avant étaient des reflets du groupe que nous étions. Le groupe était en train de se désagréger et ça ne fonctionnait plus. Quand j’ai quitté le groupe, ils m’ont tenu pour responsable d’à peu près tout ce qui s’était passé, car c’est toujours plus facile. Le gars n’est plus dans le groupe, donc c’est sa faute. Je me retrouve encore à faire des interviews avec des gars qui m’accusent de trucs absurdes. Je n’ai jamais essayé de pousser le groupe dans une direction. Je n’ai jamais essayé de prendre le contrôle du groupe ou quoi que ce soit dans le genre. J’avais mes propres goûts musicaux et je composais mes propres morceaux. Puis le groupe décidait s’il aimait ou pas. Weiki a composé « Windmill », ce n’était pas moi. Je n’ai pas mis un flingue sur la tête de Roland Grapow ou Michael Weikath pour qu’ils composent les chansons qu’ils ont composées. Ils l’ont fait eux-mêmes. Ce n’est pas mon album. J’ai composé « I Believe », « Longing » et « In The Night » pour cet album (et « When The Sinner », NDLR), le reste a été composé par d’autres gens.
« Je me retrouve encore à faire des interviews avec des gars qui m’accusent de trucs absurdes. Je n’ai jamais essayé de pousser le groupe dans une direction. Je n’ai jamais essayé de prendre le contrôle du groupe ou quoi que ce soit dans le genre. »
Le problème, c’est que le groupe a commencé à s’effondrer quand Kai est parti. Puis un tas de sottises ont été dites publiquement. Je pense que c’était nécessaire que le groupe s’arrête à ce moment-là. Il fallait que je parte. Les années qui ont suivi ont été très importantes pour moi, pour mon développement personnel. Je n’aurais pas pu passer du temps à étudier la vieille philosophie allemande, la philosophie idéaliste ou Rudolf Steiner aussi intensément si j’étais resté dans le groupe. Le fait d’avoir quitté le groupe et d’avoir eu tout ce temps pour étudier a été très important pour moi. Ça a forgé mon caractère et m’a sauvé la vie dans une certaine mesure. Maintenant, en y repensant, je comprends qu’il fallait que ça arrive, c’était nécessaire. C’est en partie la raison pour laquelle j’ai pu si facilement pardonner à Weiki pour les choses qu’il avait faites. De tout mon cœur, je lui ai dit : « Tu es pardonné, oublie ça. C’était censé se passer comme ça. On subissait tous une influence. Il y avait des êtres autour de nous qui s’assuraient que rien ne fonctionnait parce que c’était censé être terminé. » Selon moi, c’est Andi Deris qui a sauvé le groupe. Il est arrivé dans le groupe et il avait une clarté d’esprit, ainsi que des capacités en matière de composition et de chant. C’était la force qui a sauvé le groupe dans les années 90. Sans lui, nous ne serions pas en train d’en parler là maintenant, car le groupe a porté haut ses couleurs pendant de nombreuses années, et d’après moi, c’était principalement grâce à Andi Deris. Plus tard, Sascha est arrivé et y a aussi contribué.
Pour revenir à ta question, je ne pense pas que Chameleon et Pink Bubbles Go Ape soient de mauvais albums. Je pense que nous avons écrit quelques bonnes chansons, mais il y a eu beaucoup de mauvais choix. Nous n’aurions pas dû arrêter de travailler avec Tommy Hansen comme nous l’avons fait avec Pink Bubbles Go Ape. Je crois que nous avons retravaillé avec Tommy Hansen pour Chameleon, mais à ce moment-là, le groupe n’était déjà plus un groupe. Le fait de se débarrasser de moi et de prendre Andi était la meilleure chose que le groupe pouvait faire. Mais maintenant, tout a changé, le fait de tous nous retrouver était ce qu’il fallait faire. Comme je l’ai dit, la vie est un apprentissage. On a toujours ces idées sur ce qui est important pour nous, pour notre ego, et si on écoutait notre ego, on aurait les plus belles femmes du monde, on serait riches, on serait en excellente santé, il n’y aurait pas de maladie, pas de douleur, il n’y aurait que du plaisir. C’est un fait, c’est ainsi que serait notre vie si tout se passait comme notre ego le voulait, mais on n’aurait rien appris. On deviendrait complètement décadents, c’est tout ce qui en ressortirait. Il y a donc le karma et des êtres qui s’assurent que l’on passe certains tests et vive certaines expériences. On doit vivre des moments douloureux. Ça peut sembler être une expérience de groupe chaotique et, dans une certaine mesure, ça l’a été, mais je pense que ça faisait partie de l’apprentissage. On apprend tous quelque chose grâce à ça et c’est la raison pour laquelle ces choses se produisent.
Tu as eu pas mal d’expériences depuis que tu as mené tes propres projets et travaillé avec d’autres musiciens. Est-ce que ces expériences font, d’une certaine manière, que tu comprends un petit peu mieux la position qu’avait Weiki dans la relation difficile que vous aviez dans le temps ?
Je comprends mieux tout le monde et je comprends beaucoup de choses aujourd’hui. J’ai beaucoup de mal à juger les gens maintenant parce que je comprends. Ça peut paraître nunuche de dire ça, mais c’est vrai. Si tu rencontres une situation conflictuelle et que tu calmes ton ego, tu peux essayer de te mettre à la place de la personne et essayer de comprendre ce qui lui arrive, quelle est son histoire, pourquoi elle est comme elle est, et alors, la plupart du temps, c’est compréhensible. La plupart du temps, on peut comprendre ce qui se passe. Combien de fois est-on confrontés à une situation où on est dans un centre commercial ou ailleurs, et quelqu’un se montre très grossier avec nous en faisant quelque chose qu’on trouve franchement stupide ? Alors ça nous énerve, on sort, on se calme un peu et on y réfléchit. Qui sait ? Peut-être que sa femme est décédée, peut-être que son père est décédé, peut-être qu’il s’est fait arnaquer au boulot et que son patron n’arrête pas de le baiser, et il est extrêmement frustré, ou peut-être qu’il vit une mauvaise situation avec ses enfants… Sait-on pourquoi la personne est comme elle est à cet instant ? Ce n’est pas toujours facile parce que quand on est dans le vif avec cette rage et que notre ego est affecté, on n’est généralement pas très compréhensifs. Mais plus je vieillis, plus mon ego s’affaiblit, et plus j’essaye vraiment de comprendre. Je n’essaye pas d’excuser les mauvais comportements, je ne suis pas en train de dire que ça ne pose pas de souci de blesser les gens. Il y a toujours de mauvaises choses qui peuvent se passer, mais ça aide beaucoup d’essayer de comprendre ce que traverse une personne. Donc je comprends vraiment Weiki, dans une certaine mesure, mais il était beaucoup plus con dans le temps qu’il ne l’est aujourd’hui. Il voyait un peu tout le monde comme étant son ennemi à l’époque. Quand il avait l’impression que quelqu’un était un danger pour son opinion, il allait facilement contre lui. Il ne fait plus ça dans le groupe, mais il continue à le faire dans certains domaines, comme avec cette pandémie. Il croit qu’il existe des forces malfaisantes qui essayent de nous tuer et nous rendre malheureux. Oui, il y en a, mais ce n’est qu’un putain de virus.
« Le fait d’avoir quitté le groupe et d’avoir eu tout ce temps pour étudier a été très important pour moi. Ça a forgé mon caractère et m’a sauvé la vie dans une certaine mesure. Maintenant, en y repensant, je comprends qu’il fallait que ça arrive. »
Daniel Löble a joué sur le kit de batterie d’Ingo pour enregistrer ce nouvel album. A quel point est-ce symbolique ?
C’était une super idée pour la batterie. Il me semble que tout a commencé avant la tournée Pumpkins United. J’ai rencontré un fan à Hambourg devant un centre commercial et nous avons longuement discuté, peut-être deux ou trois heures. Il a dit qu’il possédait la batterie d’Ingo, il l’avait achetée quelque part et il voulait que nous signions à l’intérieur de la caisse claire. Il a demandé si, quand nous allions jouer à Hambourg, il pouvait venir en coulisse pour que tout le monde signe la caisse claire. Je pense que c’est suite à ça que Daniel a eu l’idée de lui acheter la batterie et d’enregistrer dessus pour avoir un petit peu d’Ingo dans l’album. Ca a aussi apporté un plus sur le plan sonore car les batteries Sonor des années 80 sonnent très différemment des batteries actuelles. Elles ont complètement changé dans leur manière de sonner. Le son de l’album est très différent à cause de cette batterie sur laquelle il a joué. J’ai trouvé que c’était une super idée ! C’est encore une histoire de karma, le fait que je sois tombé sur ce fan et qu’il possède cette batterie. Vous croyez que c’est une coïncidence ? Pas moi.
Je crois que tu étais relativement proche d’Ingo dans le temps. Peux-tu nous parler de la relation que tu avais avec lui ?
Ingo était une personne très simple. Il n’était pas très compliqué et il était bienveillant. On pouvait facilement être à ses côtés. Ce n’était pas difficile d’avoir une bonne relation avec lui. Evidemment, il avait des problèmes avec l’alcool et la cocaïne qui ne cessaient d’empirer. Nous n’avions pas vraiment conscience de ce qui se tramait. Tout ce que nous savions, c’était qu’il avait un penchant pour l’alcool, car boire est davantage accepté dans notre société. Plein de gens trouvent ça cool de boire une bière et d’être un petit peu éméché, ça n’inquiète personne, même si c’est dangereux. D’une certaine façon, dans notre société, l’alcool n’est pas vraiment considéré comme une drogue, comme la cocaïne, l’héroïne, le crack ou ce genre de chose. Nous voyions donc qu’il buvait beaucoup d’alcool au quotidien, mais nous ne savions pas vraiment qu’il prenait de la cocaïne en douce. Quand il est mort, il avait genre trente mille Deutsche Marks de dettes sur son compte en banque, rien qu’à cause de ce qu’il a dépensé en cocaïne. Sa petite amie l’a quitté parce qu’elle ne le supportait plus, mais nous ne le savions pas.
A cause de cette combinaison d’alcool et de cocaïne, il pétait vraiment les plombs à la fin. Il hallucinait et devenait un peu fou. Il parlait de choses très bizarres. Un jour, il était sur le pas de ma porte, il pleuvait dehors, et il me racontait sérieusement qu’il essayait de courir entre les gouttes de pluie pour ne pas être mouillé. Il était très sérieux et il arrivait plein de choses de ce genre. Nous remarquions qu’il partait un peu en vrille. Il était de moins en moins fiable sur scène quand nous avons fait la dernière tournée au Japon. Parfois, il s’arrêtait carrément de jouer de la batterie. C’était vraiment effrayant et très triste. Le groupe était impuissant. C’était dur. C’est très difficile de gérer ce genre de situation, surtout quand on est jeune et qu’on est confronté à quelqu’un qui perd la boule. Selon moi, réfléchir, être raisonnable et discuter, c’est fondamental pour tout. Au moindre problème, il faut parler. Or si l’autre personne ne peut même pas parler parce qu’elle devient légèrement folle, ça devient difficile, on ne sait pas comment gérer ça. On a l’impression qu’il faut un médecin ou un psychiatre pour lui parler parce qu’on ne sait pas quoi faire avec elle. C’était donc un peu la situation à l’époque et personne ne savait vraiment quoi faire.
En dehors de ça, la relation avec Ingo n’était pas difficile. C’était juste difficile sur le plan créatif en répétition parce qu’il avait une compréhension très limitée de ce qui était cool. Michael Weikath, surtout à cette époque, était le plus créatif, c’était celui qui avait les idées les plus étranges. C’est lui qui a fait un morceau comme « Dr. Stein ». Aujourd’hui, tous les fans adorent cette chanson, mais c’était difficile pour le groupe parce qu’elle était très différente et Ingo la détestait, il ne la comprenait pas. Il y a plein de chansons qu’Ingo n’aimait pas. La relation entre Weiki et Ingo n’était pas très bonne parce que Weiki souffrait beaucoup de la compréhension musicale limitée d’Ingo. Comme Ingo était une personne plutôt simple, il avait cette habitude de rabaisser Weiki, genre : « Tu es un idiot. Cette chanson c’est de la merde. » Ce n’était pas très sympa, même si son intention n’était pas d’être méchant, mais Ingo avait sa manière de gérer ces choses et c’était difficile pour Weiki. Je n’ai pas composé énormément de chansons, donc je n’avais pas ce problème avec lui. Ingo était amoureux de Kai Hansen, donc tout ce que Kai faisait, Ingo l’adorait immédiatement. En dehors de Weiki, je pense que tout le monde avait une très bonne relation avec Ingo.
« Si tu rencontres une situation conflictuelle et que tu calmes ton ego, tu peux essayer de te mettre à la place de la personne et essayer de comprendre ce qui lui arrive. […] Plus je vieillis, plus mon ego s’affaiblit, et plus j’essaye vraiment de comprendre. »
Concernant le partage du chant dans l’album, vous avez expliqué que le processus consistait à ce que celui qui se sentait le plus à l’aise pour chanter une partie la chantait. N’y avait-il pas malgré tout une forme de compétition – au moins de manière saine et amicale ?
Je m’attendais à quelque chose comme ça, mais ce n’était pas du tout le cas. Quand on enregistre du chant, on essaye toujours de sonner du mieux possible. C’est naturel, tout le monde fait ça. Je le fais quand je suis seul, je n’ai même pas besoin qu’Andi soit là pour le faire. Chaque guitariste essaye aussi de le faire. Mais il n’y avait pas la moindre compétition entre Andi et moi, c’était magnifique. Au moment où nous avons enregistré le chant, nous nous connaissions déjà. Nous avions tourné ensemble pendant deux ans. Nous avions passé beaucoup de temps ensemble, donc il n’y avait pas d’inquiétude. Nous sommes complices, c’était très détendu et très cool. Nous étions vraiment honnêtes l’un envers l’autre. Ça n’arrivait jamais vraiment que j’essaye de chanter mieux qu’Andi une partie de chanson qui lui était destinée. Dennis Ward a d’ailleurs fait une ébauche de ce qu’il pensait devoir fonctionner, il regardait chaque chanson et notait le partage des parties, ce qui pourrait être bien pour Andi et ce qui pourrait être bien pour moi. Chaque chanson avait un genre de brouillon de ce que nous devions essayer. Nous pensions que ça devait être fait par quelqu’un comme Dennis, car il est plus objectif que nous. Nous avons d’abord chanté ce que Dennis suggérait, pour voir ce que ça pouvait donner, et si je trouvais que ça ne convenait pas pendant que je chantais, que je ne devais pas faire telle partie, je la laissais à Andi. Et je pense que pratiquement à chaque fois nous avions raison. Nous savions d’emblée si la partie était pour Andi ou pour moi. Andi me passait des parties et j’en faisais de même. C’est ce qui s’est passé la plupart du temps et c’était une chouette expérience.
Il y avait ce moment où j’étais assis dans son jardin, nous commencions toujours la journée en buvant un café dans son jardin ; il fait souvent très beau à Tenerife, le soleil brille et il fait chaud. Quand je venais le matin, généralement Charlie travaillait sur les pistes avant que nous fassions quoi que ce soit. Il était donc déjà au studio deux ou trois heures avant et il travaillait sur les pistes de guitare, de chant ou je ne sais quoi. Puis il venait nous voir et disait : « D’accord, je suis prêt, on peut enregistrer ! » Une fois, j’ai eu besoin des paroles d’une chanson que j’étais censé essayer et Andi a dit : « Je les ai ! » Il est monté dans son bureau, les a imprimées, est redescendu avec un gros sourire sur le visage et m’a remis la feuille avec les paroles. J’avais cette image dans ma tête et j’ai dit : « Tu sais quoi ? Rien que cette scène où toi, Andi Deris, tu imprimes les paroles et me les remets parce que j’en ai besoin pour enregistrer du chant sur un album d’Helloween, c’est une image que je n’aurais jamais cru possible il y a plusieurs années. » C’était tellement marrant, mais ça représente bien l’esprit qui règne dans le groupe, tout est surprenant, réconfortant et apaisant. Seule la vie est capable d’écrire ce genre d’histoire.
Tu as eu l’habitude de chanter avec le groupe d’opéra metal Avantasia, dans lequel tu as dû partager le chant avec plusieurs chanteurs. Est-ce que cette expérience a fait qu’il était plus facile pour toi d’aborder cet album d’Helloween et de trouver tes marques, partager le chant, etc. ? Etait-ce une expérience comparable ?
Probablement. C’est une bonne remarque. En fait, je n’y avais pas pensé. Quand on fait quelque chose comme ça, c’est-à-dire qu’on part en tournée avec plein d’autres chanteurs, ça nous rend moins égoïstes, dans une certaine mesure. Mais il semblerait que c’est tout aussi facile pour Andi. Il a d’ailleurs été l’un des moteurs de cette reformation. C’était Kai et Andi, ces deux gars qui ont voulu que ça se fasse, plus que n’importe qui, ce qui est intéressant.
Andi et toi êtes deux chanteurs très différents avec des voix très différentes, et c’est probablement la raison pour laquelle ça fonctionne aussi bien. Comment décrirais-tu vos complémentarités ?
C’est une bonne question. C’est une expérience très intéressante, surtout parce que nous avons des caractéristiques différentes. Evidemment, je suis capable de chanter de manière plus agressive et lui est capable de chanter clair, mais il aime chanter de manière rugueuse. Il aime le côté crié du chant alors que moi, pas tellement, j’aime chanter. Comme nous avons ces préférences différentes dans notre approche des chansons, nous nous complétons très facilement. On voit des situations similaires chez d’autres groupes. Par exemple, quand tu regardes Kiss, il y a Paul Stanley et Gene Simmons. Ils ont toujours été les chanteurs principaux du groupe. Quand tu écoutes un album de Kiss, c’était soit Gene Simmons, soit Paul Stanley qui chantait. Le fait d’avoir deux chanteurs au timbre très différent contribuait au côté unique de Kiss. Parfois ils chantaient ensemble, mais très souvent, une chanson faite par l’un ou l’autre. Kiss a commencé comme ça, donc tout le monde en a l’habitude. Même plus tard, il y a eu des groupes comme Linkin Park, par exemple, où on avait Mike Shinoda qui chantait les parties plutôt rappées et Chester Bennington – qui s’est malheureusement donné la mort – qui faisait les parties mélodiques criées. Ça n’a rien d’inhabituel d’avoir deux chanteurs dans un groupe, c’est juste un peu inhabituel et nouveau pour Helloween, et c’est une évolution intéressante. Concernant la composition, quand on a deux voire trois chanteurs – on peut toujours y glisser Kai qui a lui-même un timbre de voix vraiment unique –, ça offre plein de possibilités pour faire mieux ressortir les points forts d’une chanson.
« Je comprends vraiment Weiki, dans une certaine mesure, mais il était beaucoup plus con dans le temps qu’il ne l’est aujourd’hui. Il voyait un peu tout le monde comme étant son ennemi à l’époque. »
Et non seulement ça offre plein de possibilités de composition et d’arrangements vocaux, mais c’est aussi super pour le live. Nous nous en sommes souvent servis quand l’un de nous deux était malade et ne pouvait pas chanter. J’ai méchamment galéré en 2017 avec un virus que j’avais attrapé en Amérique du Sud et dont je n’arrivais pas à me débarrasser. J’avais ce truc durant toute la tournée et j’avais vraiment du mal. Plus ça devenait difficile pour moi, plus je passais de chansons à Andi pour réduire ma setlist. En 2018, nous avons connu la situation inverse. Nous avons fait quelques concerts au Japon et dès le début, Andi a attrapé un truc et ça l’a complètement assommé. Sur pratiquement tous les concerts, sauf le premier, il n’avait presque plus de voix. Je n’étais pas au courant de tout, mais notre manageur a dit qu’il galérait vraiment. En conséquence, il a réduit certaines de ses parties et chansons, et nous avons mis plus de chansons à moi pour compenser. C’est super de pouvoir faire ça, nous pouvons nous couvrir mutuellement. Du point de vue du fan, si tu te rends à un concert et que le chanteur est malade et ne peut pas chanter tout le concert, tu es déçu, alors que s’il y a deux chanteurs et qu’on compense pour que celui qui a la forme chante soixante ou soixante-dix pour cent des morceaux et que celui qui n’est pas en très bonne condition sur le moment chante le reste, ça fait quand même un bon concert. C’est un autre gros avantage. Suivant la condition physique d’un chanteur, on peut changer les chansons et passer des parties à l’autre. Il n’y avait donc pas la moindre compétition, mais pour tous les deux ça nous facilite grandement la vie de n’avoir à chanter que cinquante pour cent du concert.
Quand Andi a rejoint le groupe initialement, qu’as-tu pensé de lui ? L’as-tu même écouté ?
Non, je refusais de le faire parce que j’étais très déçu de la manière dont tout s’était passé, j’étais vraiment blessé. Tout au fond de moi, je voulais quitter le groupe et je ne voulais pas continuer, mais je ne voulais pas non plus que ça se passe comme ça. J’étais vraiment blessé de la manière dont ils parlaient de moi publiquement et essayaient de m’accuser de tous les maux, c’était très injuste. J’étais extrêmement déçu et je refusais d’écouter quoi que ce soit. Plus tard, c’est même allé plus loin, j’en ai eu marre de la scène metal en général. Je trouvais qu’il y avait énormément d’hypocrisie, ça parlait toujours d’être fidèle à soi-même, mais on avait le droit de l’être seulement si on sonnait comme tout le monde s’attendait à ce qu’on sonne. Dès que j’ai commencé à faire mes albums solos et que je n’étais pas en train d’essayer d’imiter des albums d’Helloween, une grande partie des critiques rabaissaient ma musique parce qu’elle ne sonnait pas comme Helloween. Je trouvais ça très hypocrite et anti-art. Ensuite, il y a eu cette explosion de metal satanique qui montait en puissance, surtout dans les années 90, et j’en ai eu marre. J’ai d’abord été déçu de Helloween, puis de la scène metal et finalement de toute la scène musicale. Je m’en suis donc complètement écarté, j’ignorais tout et j’essayais de ne pas du tout m’en occuper. Je faisais mes petits albums solos de temps en temps, mais ce n’était pas très important pour moi. C’était quelque chose que je faisais, et j’ai beaucoup appris grâce à ça, mais ce n’était pas avant la fin des années 90 et le début des années 2000 que ça m’a intéressé de m’y remettre.
Donc je n’écoutais rien de ce qu’Andi faisait avec le groupe quand il les a rejoints – Je ne connaissais aucune de leurs musiques, si ce n’est peut-être une ou deux chansons qui apparaissaient ici et là, auxquelles je ne pouvais échapper – mais maintenant je peux. Quand je suis revenu auprès des gars, mon esprit était complètement libre d’écouter les musiques qu’ils ont faites, et elles sont super. Je comprends pourquoi Master Of The Rings a eu beaucoup de succès et pourquoi c’est un bon album, car aujourd’hui, je peux l’écouter de manière totalement objective, sans le moindre intérêt personnel, la moindre douleur ou autre. Je comprends pourquoi le groupe a perduré même sans Kai et moi, car ils ont fait plein de trucs excellents ! Master Of The Rings était la progression parfaite selon moi. C’était la bonne chose à faire et c’était vraiment authentique. Cet album n’essayait pas de copier le Helloween précédent, ils avaient un tout nouveau son grâce à Andi et au type de composition qu’il apportait, mais ça sonnait quand même comme Helloween. C’est ce qui est drôle, c’était un nouveau genre de Helloween, et je trouve que c’était très intelligent. C’est seulement grâce à ça que nous sommes toujours là. S’ils ne s’étaient pas réinventés et n’avaient pas réalisé cette montagne d’albums – je crois qu’il y en a eu dix après Chameleon –, je ne pense pas que nous serions là aujourd’hui. Nous n’aurions pas pu faire de reformation Pumpkins United si le groupe avait été oublié pendant vingt ou trente ans. Ils ont porté l’étendard et ont gagné un public nouveau et différent. Ils ont aussi beaucoup travaillé pour élargir les possibilités du groupe. Quand on regarde tous les albums qu’ils ont faits après mon départ et où Andi était le chanteur, ils étaient tous très différents. Il y a plein de styles différents, ça a ouvert nos possibilités aujourd’hui.
« Tout est surprenant, réconfortant et apaisant. Seule la vie est capable d’écrire ce genre d’histoire. »
J’aime dire qu’aujourd’hui, il n’y a pas grand-chose que nous ne puissions faire en termes de musique. Nous avons des chansons un peu pop… Dis-moi que « Future World » est une chanson de metal et j’en rigolerai ! C’est une chanson pop. « I Want Out » est une chanson pop. « Perfect Gentleman » est une chanson pop ; il y a de la guitare électrique, mais elle est très pop. Et on a du pur metal avec « How Many Tears », « Eagle Fly Free » ou « March Of Time ». Ce n’est pas du metal négatif, mais il y a une attitude très typée metal. On a aussi des chansons comme « Forever & One », « A Tale That Wasn’t Right », « Keeper Of The Seven Keys », qui est un genre d’opéra. Il y a tous ces styles de musique divers et variés. Tous les morceaux ont la marque d’Helloween grâce aux gens qui sont dans le groupe, mais ils touchent à différents styles et genres musicaux à notre portée ; nous pouvons faire énormément de choses. C’est l’opposé d’un groupe comme AC/DC. Ils ont un son unique et ils sont excellents avec ça, mais pour être honnête avec toi, pour moi, tous les morceaux sonnent pareil. Je les adore, mais si tu as Back In Black, Highway To Hell et peut-être un ou deux des premiers albums, tu sais ce qu’est AC/DC. Alors que quand tu as un ou deux albums d’Helloween, tu ne sais pas ce qu’est Helloween car ça va bien plus loin. Je pense personnellement que le spectre de ce que nous sommes capables de faire musicalement parlant est beaucoup plus large.
Ce qui est aussi intéressant, c’est qu’ils ont opté pour un chanteur qui n’avait vraiment rien d’un clone de Michael Kiske…
C’était ce qu’il fallait faire. Van Halen est un autre exemple, car Sammy Hagar n’était pas une copie de David Lee Roth ; à la fois en tant que chanteur et personne, il était complètement différent. Sammy Hagar est à part, il a sa propre personnalité, c’est un chouette type et un chanteur fantastique, mais il ne sonnait pas comme David Lee Roth. C’est pourquoi ils ont eu beaucoup de succès même après David Lee Roth – ça sonnait comme Van Halen, mais c’était un nouveau Van Halen. Mes albums préférés de Van Halen sont les trois premiers avec David Lee Roth, je l’adore. Mais j’adore aussi Sammy Hagar, je le trouve génial et ils ont assuré avec lui. Je ne pense pas qu’ils auraient eu autant de succès s’ils avaient recherché un clone de David Lee Roth. Une copie n’est jamais aussi bonne qu’un original qui sonne autrement, car il a plus de personnalité, et rechercher un clone est une attitude de froussard. Il existe des groupes qui ont fait ça, et pas seulement dans le metal. On peut donner l’exemple de Journey : ils ont un clone parfait de [Steve] Perry, mais ce n’est pas pareil. Ça sonne comme un groupe de hit-parade ou de reprise.
Foreigner s’est bien débrouillé. Lou Gramm était un chanteur extraordinaire et maintenant il continue de s’améliorer chaque jour. Il a traversé une sacrée épreuve dans sa vie avec sa tumeur au cerveau et les choses qui lui sont arrivées. Je compatis vraiment avec lui. Mais quel chanteur fantastique ! Quand tu écoutes les albums de Foreigner sur lesquels il a enregistré le chant, on ne peut pas faire beaucoup mieux que ça sur ce type de musique, mais si tu regardes le chanteur qu’ils ont aujourd’hui, c’est un très bon chanteur. J’ai vu quelques enregistrements télé d’eux en concert, et c’est un chanteur fantastique qu’ils ont là, avec une superbe voix, mais il ne copie aucun des précédents chanteurs, il a juste la même tessiture. C’est pareil pour Survivor. Je ne me souviens plus du nom du chanteur qui a fait « Eye Of The Tiger » (Dave Bickler, NDLR), mais il est fantastique. Il a quitté le groupe parce qu’il ne pouvait plus chanter. Ensuite, ils ont eu Jimi Jamison, un chanteur fantastique. Il collait au style du groupe, mais il sonnait différemment et ils ont eu énormément de succès après.
Ça vaut pour n’importe quel groupe, si vous ne vous entendez pas avec votre chanteur, s’il part, si vous devez le virer ou s’il meurt, recherchez un super chanteur capable de chanter les morceaux – il faut qu’il puisse chanter les anciennes chansons – mais faites en sorte qu’il les chante à sa manière. Recherchez quelqu’un ayant une personnalité car vous ne réussirez pas avec une copie, ça ne fonctionne pas, ça ne fonctionne jamais. C’est ce que je dirais à n’importe quel groupe ayant connu le succès avec un chanteur qui ne fait plus partie du groupe : essayez autre chose, ça pourrait beaucoup mieux marcher que de devenir un groupe de reprises, ce qu’on devient facilement quand on cherche à avoir un clone du précédent chanteur. Je comprends pourquoi des groupes pensent comme ça, car ils pensent aux tubes et ils se disent que ce gars peut les chanter parfaitement, mais ce n’est pas un problème s’il les chante différemment, car ça sera toujours plus convaincant de créer au sein du groupe un nouveau type d’unité qui fonctionne que d’essayer de courir après le passé.
« C’est ce que je dirais à n’importe quel groupe ayant connu le succès avec un chanteur qui ne fait plus partie du groupe : essayez autre chose, ça pourrait beaucoup mieux marcher que de devenir un groupe de reprises, ce qu’on devient facilement quand on cherche à avoir un clone du précédent chanteur. »
D’un autre côté, on a aussi l’exemple d’Iron Maiden à qui le choix d’un chanteur différent n’a pas très bien réussi.
Je suis désolé de le dire, mais c’est très lié au chanteur qui n’était pas aussi bon. Quand on a Bruce Dickinson dans le groupe, il faut au moins trouver un chanteur qui s’en rapproche. Je ne connais pas personnellement ce gars, il se débrouille, mais il n’est pas Bruce Dickinson. On ne peut pas faire un pas en arrière en termes de capacité vocale quand on a eu quelqu’un comme Bruce Dickinson dans le groupe, c’était juste un mauvais choix. D’un autre côté, je pense que ça n’aurait de toute façon pas marché. Dans le metal, c’est extrêmement difficile de remplacer un chanteur. Plus on va dans le rock et la pop-rock mainstream, plus c’est facile de recommencer une carrière avec un autre chanteur. A cet égard, je peux parler pour moi : je me fichais d’Iron Maiden sans Bruce Dickinson et de Judas Priest sans Rob Halford. Je m’en serais fiché même s’ils avaient eu le meilleur chanteur du monde, parce que j’identifie ces chanteurs à ces groupes et parce que j’ai grandi avec eux. Helloween a gagné de nouveaux fans quand je n’en faisais plus partie, c’est la raison pour laquelle ils ont survécu, et ce n’est possible que si on n’est pas un clone du passé. Ça ne fonctionne que si on a une sorte de nouveau groupe qui a quelque chose de super à offrir. Mais si on continue sur le même genre de chose, avec simplement un autre chanteur, c’est difficile. Que Bruce revienne était ce qu’il y avait de mieux pour Iron Maiden, pareil pour Judas Priest quand Halford est revenu. Nous, nous faisons encore mieux, nous avons les deux chanteurs maintenant.
Tu n’as pas écrit de paroles pour cet album et tu as dû chanter les textes d’autres paroliers. Es-tu en phase avec les paroles de tes collègues ? Je pense en particulier à certains textes d’Andi qui peuvent être assez engagés, comme « Cyanide », sur laquelle d’ailleurs tu ne chantes pas…
Si ça me pose problème, il faut le changer, bien sûr. Il n’y a personne dans le groupe avec qui je suis en total désaccord. Je ne suis pas d’accord avec deux personnes dans le groupe concernant cette pandémie parce que je pense que c’est réel, je ne crois pas que ce soit pour de faux. On peut remettre en question la manière de la gérer, bien sûr, j’ai mes propres opinions sur le sujet, mais je ne doute pas du virus. C’est principalement Weiki, il est complètement convaincu que tout ça c’est un grand complot pour nous tuer tous [rires]. Désolé, mais je trouve que c’est absurde. Pour ce qui est de la musique, Andi a dit la même chose : personne dans ce groupe n’écrit de paroles qui posent problème à quelqu’un parce que nous sommes tous des gens positifs. Weiki est peut-être celui qui écrit les paroles les plus dingues parce que c’est la personne la plus dingue de ce groupe [rires]. Il est un peu cynique parfois dans ses textes. Quand tu lis les paroles de « Robot King », par exemple, il faut comprendre que c’est sa manière de gérer sa peur de la technologie et de la manière dont elle prend le contrôle de tout. Il n’en fait pas la promotion, on peut lire la chanson et comprendre qu’il veut voir les robots prendre le pouvoir, mais bien sûr, c’est ironique, c’est une manière cynique de traiter le sujet. Généralement, les paroles ne me posent pas de problème. Ça dépend de la manière dont on les comprend. Et si jamais j’ai un problème, j’insisterai pour changer les paroles, sinon je ne les chanterai pas, mais je pense que ça ne poserait de problème à personne de changer des paroles. Si je n’ai pas chanté sur « Cyanide », c’est juste parce que c’est une chanson parfaite pour Andi. Quand j’ai entendu sa démo, j’ai dit : « C’est une chanson pour Andi. Je ne vais même pas essayer. » C’est vraiment la seule raison. Je ne sais même pas de quoi parlent les paroles !
Tu as dit par le passé que tu n’aimais pas le côté malfaisant du metal, or généralement, les groupes utilisent ça comme un exutoire pour affronter tout ce qui peut être négatif dans leur vie et dans le monde. Du coup, ta manière de gérer ça, est-ce au contraire de répandre de la positivité ? Penses-tu que ce soit plus efficace ?
Ma manière de gérer ça a changé, car je sais qu’on a tous une part d’ombre en nous. C’est l’une des plus grandes illusions. Les Américains disent toujours qu’il y a les bonnes personnes et les mauvaises personnes, et évidemment, les Américains sont les bonnes personnes, mais ce sont des conneries. La réalité est qu’on a les deux en nous, il s’agit juste de savoir de quel côté on s’abreuve. Lequel laisse-t-on prendre le contrôle ? Quel est notre but dans la vie ? Concernant la scène metal, avant, quand j’étais plus jeune, j’étais beaucoup plus old school, c’était noir ou blanc, et j’étais davantage opposé à ça. Aujourd’hui, je comprends pourquoi certains groupes abordent les choses de cette manière, mais tout dépend de jusqu’où on va. Je pense que ce n’est pas un problème d’écrire une chanson qui traite de quelque chose de sombre en nous, qui nous effraie, qui nous rend furieux, etc. La question est de savoir comment on le fait. Le fait-on de telle manière qu’il en ressort un effet positif ? Ou le fait-on pour promouvoir la négativité ? Idéalise-t-on l’inhumanité ? Idéalise-t-on le mal ? C’est là ma limite. Si tu traites ça de manière constructive, tu contribues culturellement à quelque chose de positif. Si tu ne fais que dire aux jeunes qu’être un pauvre con, être satanique, ne pas avoir de cœur, ne pas avoir d’âme et ne pas avoir d’amour est une sorte de force, tu empoisonnes les gens. Tu endommages la jeunesse et selon moi, tu commets un crime contre l’humanité. Je serai toujours contre ça. La scène metal a été trop souvent dans l’excès de cette façon. Je trouve ça complètement dingue quand je vois des groupes qui glorifient l’enfer et font un genre de rituel satanique sur scène. Ils ne font que servir l’obscurité. Ils ne font que mener le monde et l’humanité vers leur mort.
« Si tu ne fais que dire aux jeunes qu’être un pauvre con, être satanique, ne pas avoir de cœur, ne pas avoir d’âme et ne pas avoir d’amour est une sorte de force, tu empoisonnes les gens. Tu endommages la jeunesse et selon moi, tu commets un crime contre l’humanité. Je serai toujours contre ça. La scène metal a été trop souvent dans l’excès de cette façon. »
Je suis complètement contre ça, mais je ne diabolise plus toute la scène rock et metal. Je ne trouve pas qu’exprimer certaines choses de manière agressive soit forcément négatif. L’agressivité peut être libératrice, et parfois, on a besoin d’être agressif pour faire passer un message. Parfois, il faut crier sur quelqu’un pour qu’il comprenne quelque chose de sérieux, car autrement, il ne comprend pas. Parfois, il faut se montrer agressif avec un ami, pour qu’il comprenne que c’est vraiment important pour toi. Parfois, il faut se défendre. Quand ton pays est attaqué par un autre pays et qu’ils veulent tous vous tuer, tu dois être agressif pour défendre ton pays et ceux que tu aimes. Il y a certaines situations où l’agressivité ne me pose pas de problème car je pense qu’elles l’exigent. On peut toujours choisir, on peut toujours dire : « Je les laisse me tuer. Ils peuvent tuer ma famille. Je ne suis qu’amour. » J’apprécie ça et je l’accepte. Dans une certaine mesure, j’ai même un peu de respect pour ça si c’est réel. Si quelqu’un est altruiste au point de se laisser tuer, ça m’impressionne beaucoup car c’est certainement une force, mais la plupart du temps ce n’est que de la faiblesse, de l’hypocrisie ou de la lâcheté.
Même dans l’art, je trouve que certaines formes d’agressivité peuvent être très rafraîchissantes, mais ne soyez pas destructeurs. N’idéalisez pas la brutalité. Il faut vivre pour l’amour. Il faut vivre pour la compréhension et l’humanité car si on laisse ça tomber, c’est fini. Quand Helloween joue en festival, même si nous n’envoyons pas des bibles ou je ne sais quoi dans le public, et que nous ne prêchons pas, j’aime croire que nous avons un esprit vraiment positif, que nous ne véhiculons rien de négatif. Lorsque nous jouons dans un festival où se produisent également des groupes sataniques véhiculant un esprit négatif, je vois ça comme un défi au moment où nous montons sur scène afin de combattre ces démons et d’essayer de véhiculer un esprit différent. C’est une autre manière de gérer la chose. On peut condamner ce qu’on pense être mal ou on peut essayer de travailler sur un autre type d’esprit. Je pense que c’est la seule raison pour laquelle je peux me remettre à faire ça.
Je suis sûr qui si tu parlais à des fans de death metal, ils diraient qu’ils nous détestent. Nous ne voulons pas être malfaisant, or pour eux, le mal c’est bien et le mal est réel, or c’est une voie dangereuse. La voie satanique, ce n’est pas juste un jeu, ça te déshumanise avec des idées très bizarres. Quand on regarde la scène satanique – et je ne parle pas de la scène de jardins d’enfants, qui est ce qu’on trouve la plupart du temps dans le metal, c’est juste fait pour choquer les gens – c’est horrible. Ils en viennent à faire des rituels où ils tuent des bébés et ce genre de chose. Ce n’est pas un mythe. Il y a des livres qui en parlent. Si vous voulez un petit exemple, il y a un livre d’un auteur américain, ça s’appelle Skull And Bones. C’est un groupe de gens en Amérique qui a beaucoup de pouvoir et qui est justement baptisé Skull And Bones, et les cercles les plus profonds de cette fraternité sont très sataniques. Il s’y passe des choses qui sont entièrement criminelles, complètement déshumanisantes et purement sataniques. Certaines musiques metal sataniques peuvent être une porte menant à cette voie car ça enseigne, comme je l’ai dit, que ne pas avoir de cœur est une force, ça peut lentement tuer notre côté humain. Ça peut être un premier pas dans cette direction et c’est dangereux. Je sais que la plupart du temps c’est une plaisanterie et que c’est puéril, ça ne signifie pas grand-chose, mais il y a aussi un côté sérieux là-dedans qui ne devrait pas être ignoré. Ce pour quoi on vit et les idées qu’on considère comme vraies ou fausses, c’est important.
« Lorsque nous jouons dans un festival où se produisent également des groupes sataniques véhiculant un esprit négatif, je vois ça comme un défi au moment où nous montons sur scène afin de combattre ces démons et d’essayer de véhiculer un esprit différent. »
Roland Grapow est le grand absent de cette reformation, si on considère son implication passée dans le groupe. Quel est ton sentiment par rapport à ça ? Comprends-tu la décision des autres membres du groupe de ne pas l’impliquer ?
Je ne sais pas ce qui s’est passé. Il a continué dans le groupe pendant de nombreuses années quand je n’y étais plus. Quand l’idée de la tournée Pumpkins United s’est présentée, il n’a jamais été question d’impliquer tous ceux qui avaient fait partie du groupe. Ça aurait fait beaucoup de monde, on ne peut pas avoir trois batteurs ou quatre guitaristes, c’est déjà difficile avec les trois que nous avons maintenant. Ça n’a jamais été le plan. Le plan était que Kai et moi revenions dans le groupe parce que l’époque des Keeper a beaucoup de succès et parce que nous pouvions tous les deux apporter quelque chose au groupe. Nous avons commencé très lentement. Cette reformation Pumpkins United n’a pas été décidée tout de suite, j’avais besoin de vérifier comment je m’entendrais avec Andi et à nouveau avec Weiki. Quand ça, ça a été réglé et que ça semblait fonctionner, nous avons passé une autre étape en réunissant tout le monde, etc. C’était basé sur l’humain et le fait de s’entendre, de s’apprécier et de régler les choses. Concernant Roland, il y a eu quelque chose avec lui. Je n’ai pas voulu tout savoir parce que je n’ai pas trop envie d’être impliqué dans ces trucs négatifs. Je n’ai pas envie de connaître ça, mais ils m’ont raconté quelques trucs qui se sont passés. Roland a fait quelque chose qui n’était pas très malin de sa part. Il a perdu la confiance des gars, en particulier d’Andi. Je n’ai pas envie d’en parler, mais leur relation n’est pas très bonne.
Peut-être que ça pourra changer à l’avenir. Je suis toujours pour la paix. Je n’ai personnellement aucun problème avec Roland. Je n’étais pas très proche de lui et il ne me facilitait pas la vie quand j’étais dans le groupe, donc nous n’avons jamais été de grands amis. Quand j’ai quitté le groupe en 94, je n’avais presque aucun contact avec lui. Puis, plus tard, nous nous sommes croisés et nous avons parlé un petit peu, mais nous n’avons jamais été proches. J’ai toujours été assez proche de Kai, même si nous sommes des personnes extrêmement différentes – je ne sais pas pourquoi, j’adore ce gars, c’est comme ça. Je ne hais pas Roland ou quoi que ce soit dans le genre, et quand nous nous croisons, nous pouvons parler et avoir une discussion normale, donc je n’ai strictement aucun problème avec lui. J’ai participé au premier album de Masterplan, j’ai fait du chant dessus. C’était lorsque nous nous parlions un peu, et c’était bien, mais c’était pendant un court moment où nous songions à peut-être faire quelque chose, mais ça ne s’est pas vraiment concrétisé.
Je crois que ça ne se fera jamais avec Helloween parce que ce que nous avons là fonctionne bien. On pourrait imaginer qu’il apparaisse en tant qu’invité de temps en temps, juste pour s’amuser, mais pour ça, il faudrait qu’il règle les choses avec les gens dans le groupe avec qui il a des problèmes. Ce n’est pas mon boulot, c’est à eux de faire ça, mais pour le moment, le groupe n’éprouve pas ce besoin et ça n’a jamais été le plan de faire ça. Comme je l’ai dit, le plan n’a jamais été d’avoir tous les anciens membres d’Helloween sur scène, mais juste Kai et moi. C‘est peut-être un malentendu de la part de Roland, mais je comprends que c’est probablement assez difficile pour lui parce que je sais que ça a été difficile pour moi. Je sais à quel point c’est dur d’être seul. J’étais jeune quand je me suis retrouvé seul, j’avais vingt-quatre ans quand j’ai quitté le groupe. C’est beaucoup plus difficile quand on est plus vieux. C’était probablement le plus âgé du groupe, donc se retrouver dans cette situation maintenant, c’est évidemment beaucoup plus difficile, et j’ai de la peine pour lui, mais je dois dire que c’est principalement de sa faute s’il est dans cette situation.
Interview réalisée par téléphone le 22 avril 2021 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Emilie Bardalou.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Martin Häusler (1, 2, 6, 8, 12), Fabio Augusto (4), Franz Schepers (7, 9).
Site officiel d’Helloween : www.helloween.org
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quand Mickael Kiste se fait endoctriner par la pédagogie discutable Steiner, j en reste sur le cul. très décevant en fait. Dommage, sauf pour les anti Hellfest, ils peuvent être rassuré côté spirituel.
Incroyable, cette interview. Le mec n’a aucune langue de bois, ce qui rend tous les passages où il chante les louanges de ses collègues et de ce « nouveau » groupe encore plus forts : il ne fait aucun doute que ça se passe vraiment très bien aujourd’hui, et c’est génial à lire.
Beau boulot 🙂
Très belle interview, parfois très émouvante.
On parle de Roland Grapow dans la dernière question, moi j’aurais aimé savoir ce qu’il en était d’Uli Kusch, s’il a été invité, ou quoi?
Si quelqu’un a la réponse…
Je pense qu’Uli Kusch se trouve dans le même panier que celui de Roland Grapow lolol
Je pense que tu as la réponse dans l’interview de Michael Weikath :
https://www.radiometal.com/article/helloween-choc-citrouilles-partie-1,394702
Ah oui, je l’avais lue pourtant, mais je ne me souvenais plus.
Cela dit, après relecture, je n’en sais pas plus maintenant. ?