Highly Suspect, trio au nom subversif et à la musique hautement diversifiée, se fait enfin connaître. Enfin, car cela fait presque dix ans que le groupe existe, une quasi-dizaine d’années passée à suer sang et eau pour vivre de leur passion, comme les frères Meyer nous le racontent dans l’entretien ci-dessous.
De ces années de galère, le groupe en a gardé la hargne, la rage de vaincre, et le souvenir de leurs racines, bien ancré dans leur mémoire, qui les rapproche humainement de leurs fans. L’humanité, c’est d’ailleurs, sous toutes ses formes, l’un des thèmes prégnants de The Boy Who Died Wolf, leur second album paru en novembre dernier, dont les conditions d’enregistrements ont été aussi variées que les morceaux qui le composent.
De leurs inspirations, de leur chemin vers la gloire, du contexte de création de leur album, voilà de quoi nous parlons avec Rich et Ryan Meyer dans les lignes qui suivent.
« On dit que signer un contrat d’enregistrement c’est la partie la plus facile. Ça nous a pris six ans et nous avons failli mourir de faim rien que pour signer sur un label ! C’est fou ! »
Vous avez débuté en 2009 sous la forme d’un groupe de reprises. À quel moment-avez-vous décidé de composer vos propres morceaux ?
Rich Meyer (basse) : Nous étions un groupe original dès le départ. La seule manière pour qu’un bar nous laisse jouer, c’était de faire des reprises. Donc nous jouions une chanson de Bob Seger, une chanson de Jimi Hendrix, une chanson de Sublime, puis une chanson de Highly Suspect, et nous enchaînions avec une chanson d’Otis Redding, une chanson des Black Keys, une chanson des Red Hot Chili Peppers, puis nous jouions une autre chanson de Highly Suspect, tu vois l’idée ? Il fallait qu’on les glisse en douce.
Qu’avez-vous appris en jouant des reprises d’autres groupes sur le plan de la composition ?
Énormément !
Ryan Meyer (batterie) : Ouais. Les chansons que nous jouions étaient des chansons que tout le monde connait, qui sont connues depuis longtemps. Par exemple, si « Use Me Up » passe à la radio, tu connais cette chanson, n’est-ce pas ? Tu connais probablement les paroles par cœur, et si tu as bu et que tu aimes cette chanson, tu vas la chanter en entier. C’était ça notre boulot. Notre boulot était de jouer les chansons que les gens adorent, comme ça quand ils sont saouls, ils achètent encore plus de bière, et ils chantent, et ils passent un bon moment. Et nous glissions aussi nos morceaux, et ça plaisait aux gens, les gens qui venaient nous voir aimaient notre musique.
Rich : On apprend énormément quand on apprend à jouer des morceaux qu’on a toujours écoutés.
Ryan : Ah ouais, c’était ça la question, n’est-ce pas ?
Rich : Ça a beaucoup influencé la manière dont nous composons nos morceaux.
Ryan : Il y a quelque chose de spécial dans ces morceaux, nous jouions uniquement ce genre de chansons, elles ont quelque chose de spécial, ce n’est pas pour rien qu’elles ont su traverser les époques. Et je ne sais pas ce que c’est. Mais si tu joues ces morceaux, encore et encore, cinq soirs par semaine, pendant des années, tu en tires quelque chose, et je ne sais pas quoi, je ne sais pas comment l’expliquer. Il y a une recette miracle, peut être que c’est le tempo, tu apprends à utiliser les tempos sur lesquels les gens dansent, tu apprends à faire des rythmes qui ne sont pas fouillis, qui ont du sens, sur lesquels les gens peuvent danser, je ne sais pas. Il y a plein de choses différentes.
Le nom du groupe, Highly Suspect (hautement suspect, NDT), évoque quelque chose de rebelle, voire d’illégal ou de criminel. Est-ce que vous pensez que jouer du Rock n Roll c’est toujours un acte subversif et rebelle, des années après l’émergence de ce genre musical ?
En partie.
Rich : Absolument. Je veux dire, Highly Suspect traduit notre attitude vis-à-vis du monde dans lequel on vit, et c’est pour ça que nous avons donné ce nom à notre groupe. Nous ne croyons pas en grande partie ce que nous pouvons voir dans les médias, et ce que l’on peut nous dire, etc., beaucoup de choses paraissent vraiment bizarres, et…
Ryan : Oui, il y a beaucoup de faits alternatifs !
Rich : Ouais…
Ryan : Je plaisante, c’était une blague.
Rich : Il y a plein de choses bizarres, donc… [Silence] Ça répond à ta question ? C’est de là que vient le nom du groupe.
Le titre de l’album, The Boy Who Died Wolf (littéralement l’enfant qui mourrait étant loup, NDT), fait référence aux difficultés que le groupe a connu durant huit années, lorsque vous tentiez de percer et de faire carrière. Johnny Stevens a déclaré qu’ « il fallait se battre et lutter pour tout ». Pouvez-vous nous en dire plus sur cette période difficile ?
Une grande partie du temps que nous avons consacré à percer avant même d’avoir un contrat avec une maison de disques, des avocats, des managers, des publicitaires et des gens pour nous aider à produire notre musique, etc., nous l’avons passée à essayer de survivre, nous travaillions dans des bars, des restaurants, dans le bâtiment. À un moment, nous travaillions tous les trois pour un plombier. Nous installions des systèmes de chauffage et de climatisation, des toilettes, des éviers, ce genre de choses. Nous faisions simplement tout notre possible pour survivre, pour pouvoir continuer à faire notre musique, sans être obligés d’avoir de vrai travail. Enfin, c’est un vrai travail, mais tu vois ce que je veux dire ? Travailler toute la journée comme ça, c’est dur, mais ce n’était pas une carrière qui nécessitait un énorme engagement. L’idée c’était de faire notre possible pour pouvoir payer le loyer pendant quelques mois, pendant que nous passions cette phase. Et puis il y a bien sûr la difficulté d’être dans un groupe aussi, tu travailles avec les mêmes personnes pendant des années et des années, et parfois tu te retrouves à te marcher dessus dans une chambre d’hôtel ou dans un bus.
Ryan : Nous faisions en sorte de tenir le coup. Il y a eu des périodes de plusieurs mois pendant lesquelles nous ne mangions pas si nos amis ne nous nourrissaient pas. Un ami en particulier, qui vivait dans notre immeuble, c’était un très bon ami, il habitait avec sa copine et la fille de sa copine, et il avait plusieurs chiens, et quand il rentrait du travail il nous appelait, nous montions chez lui, sa copine nous faisait à manger, et nous allions acheter une bouteille de whisky, et nous nous roulions quelques pétards… Il avait les moyens de faire ça, et nous n’avions rien, mais il aimait traîner avec nous. Et nous sommes toujours très amis aujourd’hui, il habite à San Francisco, nous le voyons tous les weekends, mais il y a eu quelques mois pendant lesquels nous ne mangions pas, nous mangions une fois par jour, parce que nous montions manger chez lui.
« Nous avons commencé à jouer quand nous étions bébés, et la différence c’est qu’aujourd’hui nous jouons avec des instruments. […] Il y a donc une connexion fondamentale qui s’est construite au fil de ces trente années. »
Pensez-vous que notre époque est particulièrement difficile pour les groupes de rock n roll ?
Ouais, mais je pense que c’est juste que… Ce n’est que mon avis, mais je pense que ce qui s’est passé, c’est que le nu metal a émergé, c’est un genre particulier de musique rock, et ça a marché, tu vois, des groupes comme Korn, Linkin Park, ils avaient ce style musical agressif, avec un son très compressé, qui marchait, les gens aimaient ça. Puis tous les groupes se sont mis à en faire, et les groupes ont arrêté de créer leur propre type de rock, et ont commencé à créer ça, parce que ça marchait, et la majorité des groupes de rock font toujours cette musique, alors que le monde est passé à autre chose. Mais je pense que le rock ne disparaîtra jamais, je pense qu’il va faire un retour.
Au début de votre carrière, vous partagiez un appartement. Ce n’était pas épuisant d’être en permanence les uns avec les autres, de travailler et de vivre ensemble ?
Si. Nous partageons toujours un appartement. Nous n’avons pas le temps de déménager.
Rich : Ouais, ça n’a pas vraiment changé. Tu sais, nous sommes toujours occupés par le travail, mais nous sommes toujours ensemble tous les jours.
Ryan : Nous faisons des compromis, nous dépensons un peu plus… Par exemple, sur cette tournée, nous allons chacun avoir notre chambre d’hôtel, les techniciens devront se partager des chambres, mais Rich, Johnny et moi aurons chacun notre propre chambre d’hôtel, nous aurons plus d’espace. Cet espace est très nécessaire, nous devons le créer. Et puis nous prenons des vacances et nous passons un mois ou deux loin les uns des autres, loin du groupe, c’est important. Mais ouais, de manière générale, le bien commun est plus important que de se soucier de qui fait la vaisselle.
Vous avez attiré l’attention de Lyor Cohen (ancien directeur de Warner Music et de Def Jam). Il vous a signé sur son label, 300. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette rencontre ?
Il a écouté notre musique, et il a immédiatement envoyé une offre à notre manager. Puis notre manager a dit : « Avant de signer ce groupe, vous devez les voir en concert, vous n’allez pas faire la même offre après ça. » Ils sont donc venus voir un concert, dans une salle probablement de la même taille qu’ici, il y avait une vingtaine de personnes, et nous n’avons pas rencontré Lyor mais nous avons rencontré le reste de l’équipe lors du concert, ils étaient dans la fosse. Puis nous avons rencontré Lyor chez lui, il nous a fait venir chez lui, nous a invité à sa table, nous avons bu, ça faisait trente minutes que nous l’avions rencontré que nous l’aimions déjà ainsi que le reste du label, à tel point que nous nous sommes assis en cercle, il y a ce petit feu au milieu, dans son énorme jardin de Manhattan qui coûte une fortune, et nous étions tous assis en cercle, à discuter, et… Tu sais, il y a des règles à suivre quand tu dis à une maison de disque « oui, on veut signer chez vous », il faut passer par les avocats, les managers, mais nous ne jouons pas vraiment selon les règles, et je me souviens que Johnny m’a regardé, puis Rich, et nous avons tous un peu acquiescé de la tête, et Johnny s’est tourné vers Lyor et a dit : « On veut signer avec vous, tout de suite. » Et je me souviens, notre manager a dit [sur le ton de la surprise] : « Oh, vous ne pouvez pas faire ça ! » Mais c’est ce que nous avons fait, puis nous avons signé avec lui, et il est allé dans cette salle qui s’appelait The Trash Bar dans Brooklyn, elle n’existe plus aujourd’hui, c’était une espèce de rade dans lequel nous jouions tout le temps, et nous avons donné un concert là-bas. La salle était pleine, c’était un super concert, et à la fin, nous sommes allés à l’avant du bar, loué une table de billard, nous avons signé les papiers et nous avons tous bu des shots de whisky. C’était énorme. Et puis nous n’avons pas dormi pendant quarante-huit heures, nous avons pris une cuite.
Comment votre carrière s’est-elle transformée après ça ?
Rich : Nous avons tout à coup consacré beaucoup plus de temps à la musique. Nous jouions auparavant peut être un concert ou deux par semaine, et d’un coup nous sommes partis en tournée. Nous n’étions jamais vraiment partis en tournée avant de signer sur le label, donc quand c’est arrivé, soudainement nous sommes passés à un tout autre niveau de notre carrière. Tu passes d’une situation dans laquelle tu travailles énormément pour pouvoir faire carrière dans la musique, et d’un coup tu parviens à percer et c’est comme si [il tape du poing sur la table] tu devais recommencer de zéro, comme s’il fallait apprendre à vivre.
Ryan : On dit que signer un contrat d’enregistrement c’est la partie la plus facile. Ça nous a pris six ans et nous avons failli mourir de faim rien que pour signer sur un label ! C’est fou !
Rich : C’est sûr que ça n’a pas été facile d’obtenir un contrat avec une maison de disque.
Ryan : Ouais, ce n’est pas facile ! Et c’est la partie la plus facile ? C’est quoi ces conneries ? Maintenant nous savons. C’est la partie la plus facile. Je veux dire, au moins nous ne mourrons plus de faim, mais ouais… Nous avons signé avec 300 et deux semaines plus tard on nous proposait de partir en tournée avec Chevelle. Et nous avons dit : « Putain, oui ! » Et nous sommes partis en tournée avec Chevelle pendant un mois à travers le pays. Et c’était génial. Nous sommes passés d’un groupe qui joue devant deux-cent vingt, deux-cent trente personnes à un groupe qui joue devant des milliers de personnes tous les soirs. C’est génial, et nous avons toujours beaucoup de fans qui nous écrivent pour dire : « Hé, je vous ai vus en première partie de Chevelle, il y a cinq ans, et j’adore toujours ce que vous faites. » C’est super.
« Ça ne fait que depuis le siècle dernier qu’on a commencé à changer de manière drastique, avec notre technologie, et ça a eu un impact considérable sur notre société et sur la manière dont on interagit les uns avec les autres. On n’est désormais presque plus humains. »
Maintenant que le groupe connaît la renommée, comment vous sentez-vous par rapport à la situation du groupe ? Vous avez fini de vous battre ?
Je pense que c’est super, mais nous avons encore beaucoup de travail à faire.
Rich : Ouais, nous n’avons plus à lutter pour notre survie, mais c’est toujours un combat de continuer à faire ce que nous faisons. Ça fait neuf ans que le groupe existe, et j’adore ce que nous faisons, nous nous éclatons, tu vois ce que je veux dire ? Mais il y a la rançon du succès… Je ne veux pas prétendre que notre succès est incroyable, mais nous sommes parvenus à un certain niveau de réussite, et il y a des vices qui viennent avec le succès. En fait, je veux en venir à la question de l’ego, qui se développe avec le succès, et parfois l’ego nuit très fortement à la productivité, à la créativité et au progrès de manière générale.
Ryan : Les relations personnelles.
Rich : Ouais, ça a toujours été difficile, mais à mesure que nous progressons, et plus le groupe vieillit, plus il est difficile de faire face à cet aspect des choses.
Ryan : Ouais, et puis quand nous avions moins de trente ans, nous nous disions « c’est tout ce qu’on veut faire », et nous faisions ça à cent pour cent, et maintenant que nous avons passé le cap de la trentaine, c’est toujours au centre de notre vie, c’est tout ce que nous faisons, mais maintenant que nous sommes adultes et nous vieillissons, nous voulons aussi d’autres choses. Par exemple, j’aimerais bien avoir un chien, j’adorerais avoir une maison, peut-être une copine dans une relation sérieuse, tu vois, une vie en quelque sorte normale, parce que je suis un peu plus âgé maintenant, et ce sont des choses qui arrivent, mais ça n’est pas pour demain. Je dois garder ça enfoui à l’intérieur, jusqu’à ce que le moment vienne, parce qu’autrement tu ne travailles pas aussi dur que nous l’avons fait pour être là où nous sommes aujourd’hui et avoir le job que nous voulions. Nous avons travaillé tellement dur pour avoir ce boulot, maintenant que nous l’avons, nous allons travailler encore plus dur.
Diriez-vous que ces années passées ont tué l’innocence de l’enfant et l’ont transformé en loup, l’enfant représentant le groupe à ses débuts ?
Rich : Ouais, c’est une très belle manière d’exprimer cette métaphore que nous essayons de dépeindre. Tu as tout dit.
Ryan : Ouais, bien dit.
Vous avez déclaré que vous venez d’un milieu ouvrier. Est-ce que cela vous a apporté une philosophie et une éthique de travail pour le groupe ?
Rich : Oui, assurément.
Ryan : Ouais.
Rich : Absolument.
Ryan : Comme Bruce Springsteen. Tu sais, il vient d’une famille de la classe ouvrière, et ça a influencé sa musique à cent pour cent.
Rich : Et j’imagine que ça crée un lien fort avec nos fans aussi. Une majorité de nos fans doivent aller au travail tous les jours, un travail qu’ils n’aiment probablement pas. C’est le cas de la plupart des gens, et nous savons exactement ce que c’est.
Ryan : Ça a aidé, et ça nous aide à créer un lien avec ces gens, car nous étions dans la même situation. Il m’est arrivé d’avoir des conversations sur le bâtiment ou sur le paysagisme avec les gens qui viennent nous voir en concert. On sort, on va rencontrer le public, et si tu discutes assez longtemps, après les conversations initiales, on discute d’autres choses et ça ressemble souvent à ça : « Qu’est-ce que tu fais dans la vie ? » Et ils répondent : « Oh, je suis plombier, j’installe ceci, cela, et d’autres trucs. » Et je leur dis : « Ah ouais, j’ai travaillé comme plombier ! Parfois il fallait ramper sous une maison avec une lampe de poche, et il y avait des rats et des araignées ! » Et ils répondent : « Oh mon dieu, c’est le pire ça ! » Et on répond : « Ouais ! » Parce que tu vois, parfois il faut ramper sous une maison avec une lampe de poche pour accéder à une vanne, tu vois ce que je veux dire ? Pour la couper, etc. Mais si nous n’avions pas fait ces boulots, nous ne saurions pas ce genre de chose.
Vous êtes frères, est-ce que ce n’est pas parfois difficile d’inclure Johnny dans votre complicité ?
Rich : Non, je pense que c’est plus difficile pour lui. Nous ne l’excluons jamais de quoi que ce soit. Il est toujours le bienvenu pour participer à ce que nous faisons ou discuter avec nous. Par contre, c’est parfois dur pour lui, parce qu’il veut toujours faire son propre truc. Donc il s’agit souvent de voir ça et de le comprendre, et dire : « Bref, on est là, si tu veux faire un truc avec nous »…
Ryan : Il vient et s’en va comme il veut, nous ne l’excluons jamais.
Est-ce que vous pensez que le fait d’être frères vous permet d’avoir une section rythmique plus carrée et plus spontanée ?
Ouais.
Rich : Ouais, parfois nous faisons des choses qui sortent de nulle part, tu vois ce que je veux dire ? Pendant un concert, nous allons jouer un morceau devant des milliers de personnes, et Ryan et moi nous allons faire quelque chose que nous n’avons jamais fait avant, ni discuté, ni rien, et nous nous regardons et nous rigolons en se disant : « C’était bizarre ! Comment t’as su que j’allais faire ça ? »
Ryan : Mais on aurait dit que ça avait été répété !
Rich : Ouais, ça nous arrive !
Ryan : Mais je pense que ça vient simplement du fait de jouer… [Il réfléchit] Les gens nous demandent : « Quand avez-vous commencé à jouer de la musique ensemble ? » Ou bien : « Quand avez-vous commencé à jouer ensemble ? » Et je leur réponds : « À tel âge on nous a offert des instruments », ou un truc du genre, mais en réalité, nous avons commencé à jouer quand nous étions bébés, et la différence c’est qu’aujourd’hui nous jouons avec des instruments. C’est simplement que nous jouons de la musique ensemble, mais l’aspect jeu a commencé quand nous étions enfants. Donc quand nous avions un ou deux ans, tu vois, il nous suffisait d’un sol et de quelques petites voitures et camions, et nous imaginions tout un monde, nous faisions « vroum, vroum, vroum », comme tous les enfants quand ils jouent avec des jouets. Mais maintenant nous sommes adultes, et nous avons des instruments, et ça fait trente ans que nous jouons ensemble. Il y a donc une connexion fondamentale qui s’est construite au fil de ces trente années.
« L’artiste doit revivre [les paroles] à chaque fois qu’il interprète le morceau. […] En fonction de son humeur, Johnny ne parvient parfois tout simplement pas à chanter certaines chansons. »
L’album a été enregistré à Brooklyn et à Bogota. Pourquoi enregistrer dans deux lieux différents ?
Rich : Nous avons également enregistré en partie à Los Angeles.
Ryan : Et à New-York. La raison pour laquelle nous avons fait la pré-production à Los Angeles, c’était tout simplement parce que nous voulions avoir beaucoup de drogues, beaucoup d’alcool, faire la fête et s’amuser en faisant de la musique. Nous entrions studio, et peu importe ce qui en sortait, c’était en grande partie de la merde, mais il y avait aussi des trucs bien. Nous avons gardé les trucs bien, et nous en avons fait les bases de nos morceaux, puis nous sommes partis à Bogota, en Colombie, où la barrière de la langue était très forte, mon espagnol est vraiment mauvais, idem pour Rich, et nous nous sommes mis au travail. Nous ne connaissions personne là-bas, à l’exception de nos amis proches qui étaient avec nous et avec qui nous travaillions, et nous avons travaillé, tous les jours. Puis nous avons terminé à New York, simplement parce que c’est là que se trouve le studio de nos producteurs, et ils avaient tous les joujoux pour faire des sons de fou, ils peuvent produire ces sons là-bas. Mais ouais, il est clair que l’ambiance de Bogota se retrouve dans l’album, d’une certaine manière.
Vous avez loué un studio entouré de murs de six mètres de haut « de l’autre côté d’une rue donnant sur un ghetto désolé, un bidonville sur une colline. » Johnny a déclaré qu’« il y avait un élément de danger là-bas qui était un plutôt exaltant. » Aviez-vous besoin du danger pour enregistrer cet album ?
Rich : Je ne dirais pas que nous en avions besoin, mais c’était plutôt cool. Ça permet de mettre en perspective notre situation, le fait que nous sommes américains et que nous bénéficions des privilèges qui vont avec ça. Il y a aussi un certain ressentiment vis-à-vis de notre situation politique actuelle. Lorsque tu es dans un endroit où des gens meurent de faim d’un côté de la rue, et de l’autre côté tu as des gens qui mangent dans des restaurants cinq étoiles, qui se déplacent en Uber et qui vivent dans des villas de luxe, etc. Ça met réellement nos vies en perspective, c’était très intéressant de voir à quel point la vie peut être dingue d’une minute à l’autre. Tu regardes ça et tu te dis « oh, ça pourrait être comme ceci, ou comme cela », mais à la place nous faisons ça, tu vois, c’est beaucoup de travail mais c’est très beau à la fois, nous adorons ça et nous sommes conscients de la chance que nous avons.
Ryan : Ça m’a permis de prendre du recul… [Il réfléchit] Tu as déjà entendu cette blague où tu te plains que la climatisation n’est pas aussi froide que tu le voudrais, et tu te dis « problème de riche… » ? Tu sais que tu dis de la merde. Tu as la climatisation, tu as de la chance, mais quand tu es dans un pays du tiers-monde, et que tu te dis « oh, le lit n’est pas aussi confortable que ce que je voudrais », alors qu’un mec traine une carriole avec toute sa vie dedans… Quand tu as des problèmes de riche dans un pays du tiers-monde, ça te force à prendre du recul. Et vraiment, c’est une leçon d’humilité.
Un morceau comme « Postres » fait penser beaucoup à Queens Of The Stone Age. Qu’est-ce que ce groupe représente pour vous ?
Rich : Ils font partie des rares groupes de rock américains que nous aimons écouter.
Ryan : Eux et Eagles Of Death Metal.
Rich : Eagles Of Death Metal, Queens Of The Stone Age, ce sont vraiment des groupes que nous admirons, et nous apprécions vraiment leurs membres en tant que personnes également. Nous avons été amenés à les connaître un petit peu au cours de ces dernières années, et ce sont vraiment des mecs géniaux. Ce ne sont pas simplement des super musiciens, c’est aussi l’éclate de trainer avec eux, c’est super. C’est vraiment enthousiasmant de voir qu’ils ne sont pas devenus des mégalos qui font de la bonne musique et qui pensent qu’ils sont les meilleurs… Ils sont vraiment cools.
Votre musique se caractérise par sa diversité. Vous avez des influences stoner, un morceau comme « Little One » a un côté très pop dans sa mélodie, mais vous avez aussi des influences grunge et des années 1970. Vous avez mêmes des rythmes hip-hop sur « FWYT ». Est-ce que vous considérez que vous couvrez non seulement tout le spectre de la musique rock mais aussi que vous traversez les genres musicaux ?
Absolument. Nous écoutons toutes sortes de styles de musique. Je peux écouter aussi bien Daft Punk, ou The Weeknd, ou Adele, Sia, j’aime écouter du Chopin, ou du Bach, du Mozart, Johnny Cash, Jimi Hendrix, Pink Floyd, tu vois ce que je veux dire ? Peu importe le genre, si c’est bien, si j’aime, alors j’écoute. Il se trouve que nous jouons du rock. [Il réfléchit] Tu as déjà joué à Puissance Quatre, non, pas Puissance Quatre, c’est quoi ce jeu où tu fais tomber un jeton et il dégringole ? Je n’ai pas la moindre idée de ce que je veux dire avec ça [petits rires]. C’est là où le jeton est tombé : nous sommes un groupe de rock, c’est que ce nous faisons, en étant à l’aise, tu vois ?
Ryan : Je pense que c’est parce que nous avons commencé avec ça, les instruments de base, et nous avons commencé par jouer des reprises, et maintenant nous faisons juste davantage de musique avec ces instruments. Mais nous progressons. Nous avons même un morceau de hip-hop sur l’album, je pense que nous allons en faire beaucoup plus. Nous évoluons sous les yeux du public. Nous allons continuer à évoluer et à changer, peut-être que sur le prochain album la moitié des morceaux auront de la batterie électronique, programmée, je n’ai aucun problème avec ça, je la programmerai moi-même, je ne suis pas obligé de jouer de la batterie sur l’album. Si une chanson n’a pas besoin de batterie, je ne vais pas jouer de batterie. Si une chanson n’a besoin de rien à part le chant, je n’ai pas à jouer dessus. Il s’agit juste de faire de la musique.
« Nous savions que beaucoup de gens penseraient que nous étions un produit créé de toutes pièces […]. Mais ce n’est pas grave, nous étions prêts à ça, parce que nous savions que ça allait arriver, nous avons une histoire qui atteste de notre parcours. »
Johnny a déclaré dans une interview que vous jouez un rock qui est « distinctement humain ». Être « humain » semble être très important pour vous. Le premier morceau de l’album s’intitule « My Name Is Human » (mon nom est humain, NDT). Qu’est-ce que ça signifie, « être humain » pour vous ?
Rich : Je pense que tout ça… [Il réfléchit] En fait je pense que je vais détourner la question avec ma réponse, parce que tu as parlé de cette chanson, « My Name Is Human », en fait cette chanson parle du fait que pendant des centaines de milliers d’années, peut-être des millions d’années, les humains ont existé sur cette planète. À une époque, avant ça, nous étions des hommes de Néandertal, ou des hommes de Cro-Magnon, bla bla bla, peu importe, nous avons évolué, mais nous sommes humains depuis longtemps. Mais ça ne fait que depuis le siècle dernier qu’on a commencé à changer de manière drastique, avec notre technologie, et ça a eu un impact considérable sur notre société et sur la manière dont on interagit les uns avec les autres. On n’est désormais presque plus humains. L’idée de cette chanson, c’est de dire « mon nom est humain, mais peut-être suis-je autre chose. » C’est une idée générale, dans le titre de la chanson et dans le refrain et tout ça.
Dans la chanson « Viper Strike », vous chantez « les flingues ne tuent pas les gens / des Blancs tuent des Noirs avec des flingues. » Est-ce que vous ressentez une responsabilité en tant qu’artistes de rock de dénoncer ces problèmes et d’avoir ces morceaux contestataires dans le contexte actuel ?
Ryan : Ouais, je ne pense pas que ce soit notre responsabilité, je ne pense pas qu’il faille que nous fassions ça, mais je pense que c’est important, en tant qu’individus, de défendre ce en quoi nous croyons, et il se trouve que nous avons cette plateforme. Donc je pense que c’est bien de le faire, si on a la plateforme pour le faire, si on a la possibilité de porter un message, et de donner son avis, il faut le faire. Nous sommes tous sur la même longueur d’onde. Johnny a écrit les paroles de cette chanson, mais nous soutenons le morceau à cent pour cent.
Des chansons comme « Chicago » ou « For Billy » sont très personnelles. Est-ce que chanter sur des sujets aussi personnels rend les morceaux et leur interprétation plus authentiques ?
Eh bien, ça les ancre dans la réalité, ouais. Billy était un très, très bon ami. Nous étions tous très proches de lui, nous avions tous une relation très personnelle avec lui depuis des années, et alors que nous étions en train d’enregistrer à Bogota, nous avons appris qu’il s’était pendu. La journée s’est arrêtée là, nous n’avons rien pu faire ce jour-là, nous ne pouvions pas travailler. Il s’agit d’une chanson sur laquelle nous travaillions depuis longtemps, nous l’aimions globalement mais il fallait lui trouver une direction. Le jour suivant, Johnny avait passé la nuit à pleurer, et il avait écrit les paroles, et il est venu et a chanté les paroles, et voilà, la chanson était terminée. C’était une célébration de sa vie, parce que Billy était quelqu’un de très énergique, un fêtard, toujours de bonne humeur, heureux, et nous voulions célébrer sa vie, plutôt que de composer une chanson triste.
À l’inverse, n’est-ce pas intimidant, en quelque sorte, de partager des sujets aussi intimes avec le public ?
Ouais, l’artiste crée quelque chose de personnel, et le propose au public, et ça profite à toute personne qui écoute ces morceaux et se reconnait dedans, ça te donne l’impression que tu n’es pas seul, que tu peux te reconnaître dans les paroles, ça permet aux fans… Ça permet beaucoup de choses pour les fans. Mais l’artiste doit revivre ça à chaque fois qu’il interprète le morceau. C’est une contrepartie en quelque sorte. Ça peut avoir un effet thérapeutique. Aussi, en fonction de son humeur, Johnny ne parvient parfois tout simplement pas à chanter certaines chansons. Par chance je ne chante pas, donc… C’est personnel, j’écoute les morceaux parfois, et ça me touche, mais quand je les joue sur scène, je me concentre pour jouer de la batterie. Ce n’est donc pas aussi difficile pour moi, donc je joue ce qu’il a envie de jouer.
Sur notre page Facebook, quand elles ont vus vos dernières photos de promo, certaines personnes qui ne connaissaient pas le groupe ont pensé que vous étiez un boys band, et ont commencé à dire des choses pas très sympa, puis certaines d’entre elles ont écouté votre musique et ont été agréablement surprises. Est-ce que vous pensez que vous êtes trop « mignons » pour jouer du rock ?
Non [petits rires], et merci. Nous savions que ça allait arriver, mais c’est comme ça. Je ne vais pas détruire mon visage pour pouvoir être… Tu vois ce que je veux dire ? Nous savions que beaucoup de gens penseraient que nous étions un produit créé de toutes pièces, genre : « Oh, ce mec peut jouer d’un instrument, il est beau, ces deux mecs aussi, on va composer des morceaux, ils les joueront et c’est bon. » Mais ce n’est pas grave, nous étions prêts à ça, parce que nous savions que ça allait arriver, nous avons une histoire qui atteste de notre parcours.
Quels sont selon vous les défis auxquels le groupe sera confronté dans les années à venir ?
Je n’en ai aucune idée.
Rich : [Il réfléchit] C’est une excellente question, je ne sais pas. Je pense qu’il va être important pour nous de rester [il réfléchit] actuels, sans se mettre trop de monde à dos. Mais je sais que ça va arriver. J’espère simplement que nous n’allons pas nous mettre à dos les mauvaises personnes.
Ryan : Ouais, il va falloir dire ce que nous avons envie de dire.
Rich : Nous allons toujours dire ce que nous avons envie de dire. Peu importe les conséquences, nous allons rester nous-mêmes.
Interview réalisée en face à face le 24 février 2017 par Aline Meyer.
Retranscription & traduction : Thomas Pennaneac’h.
Site officiel de Highly Suspect : highlysuspect.net
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