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Interview   

Hypno5e : aux sources de la mélancolie


Hypno5e est un groupe définitivement à part. La preuve : qui à part les Montpelliérains aurait pu avoir l’idée de commencer un diptyque par le second volume ? Car c’est bien ce que ces derniers ont entrepris avec A Distant (Dark) Source, nouvel album et seconde partie d’un concept dont la première partie verra le jour ultérieurement. C’est ainsi qu’Hypno5e a l’intelligence de jouer avec la temporalité, autant dans l’histoire développée que dans la manière de la présenter à ses auditeurs, afin de donner une seconde vie à ce qui a été.

D’ailleurs, l’ambivalence est partout dans la musique d’Hypno5e : dans sa manière de puiser dans le passé pour construire un avenir ou de se nourrir d’une absence pour la combler, dans une urgence créative qui prend paradoxalement son temps pour se déployer, ainsi que dans les contrastes clairs-obscurs particulièrement appuyés sur cet opus. Le tout avec une constante : la mélancolie, qu’elle soit douce ou viscérale, guidant notre écoute comme elle a guidé la création.

Ci-après, Emmanuel Jessua, frontman et compositeur de la formation, nous raconte la genèse de A Distant (Dark) Source et son concept, mais aussi le sens derrière cette mélancolie et comment elle en vient à définir la musique même d’Hypno5e.

« Depuis que je suis jeune, mes parents ont beaucoup voyagé de pays en pays, et j’ai vite appris à construire mon imaginaire en sachant que les choses que j’avais ou les endroits que je pouvais traverser allaient vite devenir un souvenir. »

Radio Metal : En mars 2018, tu nous disais que tu « voulais vraiment être dans l’urgence de composer et directement aller éprouver le studio », et que vous étiez déjà « entrés en studio pour commencer à faire des pré-productions » du nouvel album. Finalement l’album sort un an et demi plus tard. Est-ce que ça veut dire que tu as abandonné ton idée d’être plus « dans l’urgence » ?

Emmanuel Jessua (chant & guitare) : Non, parce que l’album a été fait assez vite. J’ai commencé à composer directement après l’album acoustique que nous avons sorti. Avant de finir le mix, j’avais déjà commencé à composer et nous sommes allés en studio quasiment direct. Nous avons fait trois sessions de deux semaines sur quatre ou cinq mois où nous avons fini d’enregistrer l’album. Après, il y a eu le mix et le mastering. Le mix prend un peu plus de temps, mais c’est le temps normal des choses. Et après, il y a tout le processus de mise en place, à se mettre d’accord sur la date de sortie avec le label, en ayant assez de marge pour lancer la promotion, l’organisation de la tournée, etc. Il y a des facteurs qui rentrent en ligne de compte qui ne sont pas forcément liés à nous et à nos décisions. Donc nous avons composé l’album, finalement, assez vite… Enfin, ce n’est pas que c’est un besoin de composer vite, c’est juste que les choses se sont faites assez rapidement sur cet album. Et après, c’était le temps qu’il fallait pour mettre en place la sortie. Le mastering de l’album a été fini en décembre dernier, donc il y a presque un an entre le moment où le master est fini et la sortie réelle en bacs de l’album.

Ce n’est pas frustrant d’attendre autant ?

Si ! C’est carrément frustrant ! [Rires] Car l’album est dans le tiroir, tu sais qu’il est fini. Il y a des décisions qui ne nous concernent pas vraiment car ce sont des problématiques de timing et de planning qui sont prises par le label et le booker, alors que tu as envie de commencer à le jouer, de partir le défendre sur scène, de le présenter aux gens, d’avoir les retours et d’enchaîner, pourquoi pas, sur la suite avec le prochain album, recommencer à composer, etc. Donc c’est vrai que là, nous étions un peu en suspens, en attente de quelque chose pendant dix ou onze mois, et finalement nous y arrivons maintenant et ça commence à devenir concret.

Du coup, cette idée d’urgence dont tu nous parlais la dernière fois, c’était particulier à cet album ou c’est un peu tout le temps comme ça ?

Non, en fait, je compose quasiment tout le temps, sans même forcément avoir un but particulier de faire un album : je compose, je compose, je compose… C’est quelque chose qui me nourrit, qui me permet d’aller explorer des choses différentes que j’ai envie d’explorer, ou ça me permet de développer un peu les recherches, d’aller chercher des choses ailleurs et de développer la manière dont je compose. Je travaille aussi beaucoup avec le théâtre et sur des documentaires, ce qui fait que je suis tout le temps en train de créer de la musique. Quand je disais que je voulais être dans l’urgence, je parlais d’une envie d’être plus dans le direct, c’est-à-dire de moins anticiper les choses, d’être dans une dynamique de création continue. Tant qu’il y a des idées, tant qu’il y a une atmosphère, une ambiance qui est là, il s’agit de la déployer encore et encore, et continuer à rechercher des choses, être constamment en recherche et en création. C’est ça qui m’intéresse. Et c’est vrai que parfois, c’est frustrant d’avoir, du coup, des temps d’attente comme ça, de pause, où tu es obligé de mettre en veille quelque chose qui pourrait se déployer peut-être différemment. Mais bon, c’est aussi ce temps-là qui est nécessaire pour après revenir avec des choses qui sont fraîches, qui se renouvellent.

Mais je voulais aussi mettre moins de temps, car par exemple, nous avions deux ans de retard avec Shores Of The Abstract Line à cause d’éléments extérieurs qui n’étaient pas de notre volonté. C’est ce genre de choses qui font que là, j’avais ce besoin de ne pas nous encombrer en travaillant avec un producteur extérieur et d’autres gens qui vont ralentir le travail. Donc nous avons vraiment travaillé avec des gens très proches de nous, à qui nous faisons confiance. Ça a fait que le processus a été assez fluide et rapide, les choses se sont bien imbriquées, et nous avons réussi à sortir l’album que nous voulions sortir. Parce que l’objectif n’est pas en soi de faire les choses dans l’urgence mais de faire les choses bien. Finalement, depuis Alba, l’équipe que nous avons qui travaille autour d’Hypno5e est assez solide. Les choses avancent vite et dans le bon sens. C’est bien.

Cet album fait partie d’un diptyque, mais fait étonnant, vous sortez la seconde partie avant la première. C’est une façon pour vous de continuer à ne rien faire comme tout le monde ou bien il y a une raison précise à ce choix ?

[Petits rires] Il y a plusieurs raisons. A la base, déjà, cet album a été construit comme un album seul. J’ai commencé à composer avant d’écrire le concept et les paroles derrière. Il était vraiment construit comme un album qui pouvait exister seul, mais en développant un peu la trame que je voulais instaurer dans cet album, j’ai vite eu envie de mettre en musique aussi ce qui se passait avant cet album. Cet album se passe aux Etats-Unis et il y a une trame narrative qui se déroule durant la nuit, mais en écrivant, j’ai aussi eu envie de raconter ce qui précède cet événement. Du coup, nous nous sommes dit que ce serait intéressant de construire cet album en deux parties et de proposer la première partie après la deuxième. Et du coup, la première partie permettrait aussi de réécouter et de réinterpréter la deuxième partie différemment.

« J’ai toujours eu l’impression que je ne suis pas là où je devrais être. Du coup, cette mélancolie, en créant, en écrivant ou en composant, fait exister et rend présents des espaces dans lesquels on a envie d’être mais où on n’est pas. »

On peut remarquer que l’idée de dualité était déjà présente sur votre premier album, Des Deux L’Une Est L’autre…

Il n’y a pas vraiment de lien entre ces albums, mais oui, il y a toujours cette question de l’autre, de la recherche du double, etc. Par exemple, dans le clip que nous avons sorti, il y a aussi cette question de la dualité, dans ce personnage qui est presque poursuivi par son double qui est sûrement une partie de sa mémoire, et une fois qu’elle l’aura atteint, qu’elle l’aura retrouvé, il va disparaître devant elle. Donc il y a toujours la question des conflits intérieurs qui est présente dans les albums d’Hypno5e. Ce n’est pas forcément le propos principal de l’album mais cette idée est là.

Le concept de cet album est lié à un lac, le lac Tauca en Bolivie, qui a disparu il y a plus quinze mille ans. Qu’est-ce que ce lac représente pour toi ?

Ce n’est pas tellement de ce lac-là en lui-même que je parle mais c’est plutôt ce qu’il a provoqué dans mon imaginaire qui m’intéresse. C’était le point de départ pour créer le décor dans lequel se dessinerait notre album ; un lac fantasmé qui prend pour racine ce territoire de l’Altiplano au pied des Andes, disparu depuis longtemps, mais dont la terre porte encore les vestiges. J’étais en repérage pour un projet dans cette région, dans laquelle j’ai aussi tourné Alba et qui m’a toujours un peu inspiré. C’est une région qui avant était enfouie sous un lac d’eau salée qui a disparu il y a quinze mille ans et qui a laissé derrière lui des choses encore visibles : le salar d’Uyuni, celui de Coipasa, ou encore le lac Poopó qui a lui-même disparu récemment, et même dans la végétation, il y a des choses qui portent la trace de la présence de ce lac. C’était plus la question de la disparition qui m’intéressait, en fait, de ces choses qui disparaissent mais laissent quand même une mémoire dans l’espace que le lac a habité ; un espace qui porte la charge de ceux qui ont pu le traverser, de ceux qui ont pu l’habiter et de ce qu’il a été avant. C’est plus dans ce sens-là que je me suis intéressé à cette idée du lac.

L’idée est donc que ça se passe le temps d’une nuit et je m’étais imaginé qu’à ce moment-là, il y avait comme une résurgence de ce qu’avait été cet espace-là avant. Tout d’un coup, la nuit tombée, la végétation changeait, le son de la nature changeait, l’atmosphère changeait, elle était un peu plus lourde, comme si l’eau revenait avec la nuit et, de cette source lointaine d’où resurgit l’eau, resurgissaient aussi les spectres de ceux qui ont habité les rives de cet ancien lac. L’espace d’une nuit, quelqu’un va revenir au bord de ce lac pour retrouver la trace d’un être cher parmi les revenants. C’est donc ça, la trame que nous développons dans les textes, avec le dialogue entre ces revenants et le personnage qui essaye de retrouver cette personne.

Question peut-être un peu bête : pourquoi le « dark » est-il mis entre parenthèses dans le titre ?

C’était pour isoler graphiquement ce qui, à la base, était l’essentiel, soit la source lointaine, et ça marquait deux étapes différentes dans la même phrase. C’est juste un effet de style qui créait deux lectures de la même phrase.

Cette idée d’ombres est quelque chose qu’on retrouvait sur l’album acoustique et le film associé ALBA – Les Ombres Errantes, avec ce personnage qui est toujours à courir après les fantômes du passé. On comprend vite que celui qui court après les fantômes, finalement c’est toi. Pourquoi le passé t’obsède tant ?

En fait ce n’est pas tellement le passé, mais c’est vrai qu’il y a une espèce de thématique récurrente dans les albums liée à une espèce de quête, de mémoire… Ce n’est pas tellement que ça m’obsède, c’est qu’il y a ce processus sur comment se crée la mélancolie. Je donne une charge mélancolique à ma musique par ce biais-là. Ce n’est pas tellement un espace ou un temps précis qui me manque, c’est plus le fait de donner vie à quelque chose qui n’est plus là et qui fait que je vais amener une couleur à la musique, car la musique incarne et rend tangible soit ce qui n’existe pas, soit ce qui a disparu. Elle rend présentes les choses qui ne sont plus ou alors qui font seulement partie de l’imaginaire. C’est plus le processus même de la mélancolie que je recherche que quelque chose précisément qui me manque. On pourrait effectivement avoir l’impression que nous sommes obsédés par cette thématique du passé, des choses qui ont disparu, etc. mais nous ne sommes pas coincés dans ce passé, car cette mélancolie ouvre aussi des portes vers quelque chose qui va de l’avant. Depuis que je suis jeune, mes parents ont beaucoup voyagé de pays en pays, et j’ai vite appris à construire mon imaginaire en sachant que les choses que j’avais ou les endroits que je pouvais traverser allaient vite devenir un souvenir, car nous allions repartir dans un autre pays. Je ne l’ai pas du tout mal vécu, mais ça fait que, du coup, j’ai construit mon imaginaire et ma manière de composer autour de ce constant renouvellement, de choses qui se perdent constamment et qui du coup deviennent de l’ordre de la mémoire. C’est plus de cette mémoire-là, de ce processus-là que je parle, et c’est ce qui à chaque fois me sert de point de départ pour imaginer un album. C’est ça qui me pousse à composer ou à écrire.

« Les parties violentes n’interviennent pas comme des moments de haine ou de rage. S’il y a une violence, c’est que c’est un exutoire et il y a une force de lyrisme. On n’est pas dans un rapport de destruction. Il y a quelque chose d’assez lumineux dans ces parties violentes. »

Mais, pour toi, la mélancolie prend forcément sa source dans le passé ?

Non, ça peut être très prégnant dans le présent aussi, au sens où, même dans un rapport très simple aux choses, j’ai toujours eu l’impression que je ne suis pas là où je devrais être. Du coup, cette mélancolie, en créant, en écrivant ou en composant, fait exister et rend présents des espaces dans lesquels on a envie d’être mais où on n’est pas. Ce n’est donc pas forcément inscrit dans le passé et ce n’est pas forcément, tout le temps, quelque chose de profondément nostalgique. Après, l’homme dans l’histoire, ce n’est pas du tout moi, car ce n’est pas personnel. Ce n’est pas quelque chose qui relève de l’intime, en tout cas pas à ce point-là. Par contre, il y a forcément quelque chose d’un passé derrière lequel je cours un peu constamment. Je ne cours pas pour le retrouver, je cours parce qu’il éveille l’imaginaire chez moi, un imaginaire qui, lui, va de l’avant. En plus, ce n’est pas forcément associé à des choses précises, c’est vraiment plus une sensation qu’autre chose. Pour moi, la volonté de créer du beau est toujours, quelque part, liée à quelque chose qui est révolu et qu’on essaye de réinterpréter ou auquel on essaye de donner une résurgence d’une manière différente dans le présent et qui se déploie ensuite vers l’avenir.

Comment cette mélancolie te guide-t-elle, concrètement, dans ton travail musical ?

C’est un état qui s’installe et, du coup, fait appel à des émotions et des choses intérieures qui me font aller chercher certaines tonalités, certaines suites de notes, etc. En fait, ce n’est même pas du tout conscient. Même si je compose sans me poser de question, comme la plupart du temps, ce sont toujours vers cette tonalité très empreinte de mélancolie que je vais naturellement, dans ma manière d’écrire, de faire des harmonies, etc. Je finis toujours par en arriver à ça, que ce soit conscient ou pas.

Il y a des passages très lourds et violents dans l’album, voire douloureux. Est-ce que tu dirais que ça aussi c’est l’expression d’une forme de mélancolie, plus que d’une rage ?

Oui. Il y a quelque chose de très viscéral dans cet album, plus que dans les autres albums, je pense. Et effectivement, les parties violentes n’interviennent pas comme des moments de haine ou de rage. S’il y a une violence, c’est que c’est un exutoire et il y a une force de lyrisme. On n’est pas dans un rapport de destruction. Il y a quelque chose d’assez lumineux dans ces parties violentes. Il y a quelque chose de viscéral qui fait que c’est un peu la prolongation de ce qui se passe dans la partie claire. C’est juste une intention et un degré de puissance différents de ce que nous développons dans les parties claires. Ce sont les mêmes choses que nous développons. Et la douleur, oui il y en a dans la mélancolie, par la force des choses. Sinon nous n’irions pas chercher autant de parties criées dans certains passages, ou nous ne ferions pas autant de ruptures. Donc il y a toujours quelque chose de douloureux dans la manière d’accoucher les choses. Par exemple, le morceau « Tauca Part II – Nowhere » qui clôt l’album, sur la fin, il y a une espèce d’urgence. C’était une seule prise et c’était sur le vif, fait en très peu de temps. Ça suscite quelque chose d’intérieur qui va se déployer dans la douleur. Après, ça ne veut pas dire que c’est lié forcément à une douleur intérieure, mais la manière dont ça doit se déployer pour que le langage aille au bout de ce qu’on recherche, il y a forcément un rapport douloureux.

On dit souvent que si on ressent une douleur, c’est qu’on est vivant… C’est ce que tu retrouves là-dedans, le fait de te sentir en vie ?

Oui, il y a quelque chose d’exalté dans la manière dont j’essaye de composer les albums. Il n’y a pas de fatalité ou de pessimisme à tout prix, ce n’est pas le propos et ce n’est pas ce qui, à mon avis, ressort. Moins sur la fin de l’album qui est vraiment très sombre, mais sur ce qui se déploie dans l’album, c’est une porte qui ouvre vers quelque chose d’autre ; ce n’est pas une porte à jamais close nous laissant dans une espèce de douleur.

Tu as mentionné ta prestation sur la fin de « Tauca Part II – Nowhere ». Elle est effectivement véritablement viscérale. On dirait que tu t’es mis dans tous tes états ! Qu’est-ce que cette partie signifie pour toi ?

En fait, cette fin n’était pas prévue. En écoutant la continuité de l’album, en écoutant ce que nous avions fait jusqu’à cet endroit, ça a semblé évident qu’il fallait qu’il y ait une espèce de résolution par le chaos. Après ce qui se déploie au début du morceau, je me suis dit qu’il fallait que nous ayons quelque chose de très bref, de très direct et de chaotique, de complètement incontrôlé. J’ai donc commencé à composer ce truc un peu grind, black, qui dénote un peu par rapport au reste de l’album, à mon sens. Et la voix, dessus, se devait d’être aussi imprégnée de ce chaos et de ce désordre intérieur. J’ai fait ça naturellement en une prise. Il fallait que ce soit la bonne, parce que ça ne peut pas se faire deux fois.

« Notre manière de composer fait que nous avançons dans le morceau sans savoir tout à fait où nous allons mettre le point final. »

Est-ce que tu t’es mis dans un état d’esprit ou psychologique particulier avant de l’enregistrer, pour obtenir un tel rendu ?

Non, mais même dans tout l’album, quand je compose, je ne nomme pas ce que je vais chercher. Il n’y a pas de source précise, je ne vais pas aller chercher un souvenir ou quelque chose qui me met dans un état particulier. C’est vraiment juste un état intérieur qui va s’exprimer de manière très viscérale et pas cérébrale. Il y a une espèce d’évidence. Il fallait de toute façon que ce soit intense. Si ça n’avait pas été fait avec cet engagement-là, ça n’aurait pas pu avoir la même force, donc il fallait le trouver, et je l’ai trouvé quelque part, mais je ne sais pas trop où [petits rires].

Tu es presque a cappella sur ce passage, ce n’est pas difficile de se mettre à nu comme ça émotionnellement ?

Ça va parce que je suis en confiance. Nous travaillons à deux avec Jonathan Maurois, le guitariste du groupe, donc je me sens comme si j’étais seul. C’est plutôt assez simple, finalement, avec la manière et les conditions dans lesquelles nous travaillons. Mais ce passage, nous l’avons enregistré à la fin, quand nous avions bien écumé l’album, donc il y avait déjà des prédispositions, j’étais déjà dans un certain état depuis plusieurs journées. Peut-être que si j’étais arrivé direct en studio avec quelqu’un que je ne connais pas, je n’aurais pas pu sortir la même chose, ou peut-être que ça aurait été plus difficile et plus long à venir. Après, en live, on retrouve une intensité brute qu’on a sur ce genre de passage, et ça se déploie encore plus. Il y a un rapport au présent, à l’instant dans ce qu’on interprète, et d’autant plus, je pense, sur un passage comme ça.

On peut remarquer que les parties violentes sont encore plus violentes et les parties lyriques encore plus lyriques. C’est d’ailleurs une chose dont tu nous avais toi-même parlé la dernière fois. Qu’est-ce qui a déclenché ce besoin d’exacerber à ce point les différentes caractéristiques de la musique d’Hypno5e, d’appuyer les contrastes ?

Nous nous sommes un peu séparés de la maîtrise que nous pouvions avoir sur nos anciens morceaux, je pense. J’ai essayé d’aller au cœur de ce qui faisait l’essence de notre musique, sans m’encombrer d’une intellectualisation ou sans justifier les choses, ce qui fait que chacun des éléments va aller encore plus dans des extrêmes. Nous n’avions aucune contrainte, nous nous disions que nous pouvions aller là où nous voulions. Enfin, ce n’est pas que nous avions des contraintes avant, mais peut-être que je réfléchissais plus avant sur le sens que les choses pouvaient avoir. Alors que là, il y a vraiment eu une immédiateté qui fait que nous sommes arrivés, du coup, à peut-être exacerber les deux aspects. Je dirais que c’est un album plus viscéral, plus direct, plus instinctif.

Ça rejoint ce que tu disais la dernière fois, quand tu disais que l’album serait « plus direct, plus brut, avec moins de détours » et que tu essayais de faire « un truc plus concentré, plus dense ». Ce n’est pourtant pas aussi évident au regard du timing des chansons. Est-ce que finalement c’est plus fort que vous, vous avez besoin de beaucoup d’espace pour vous exprimer ?

Notre manière de composer fait que nous avançons dans le morceau sans savoir tout à fait où nous allons mettre le point final. Tant que nous sentons qu’il y a encore quelque chose à déployer dans le morceau, nous continuons, jusqu’au moment où nous sentons que le climax est atteint, et là nous nous disons que ça pourrait potentiellement être le point final du morceau. Mais le temps que nous arrivions à ce climax, le temps qu’il se déploie, ça dépendra de la manière dont nous allons structurer le morceau et de ce que nous avons à y dire. Mais ce n’est pas une volonté à tout prix de nous dire que nous avons besoin de faire des morceaux longs, ce n’est pas une exigence, ce n’est pas calculé en amont. C’est le temps qui était nécessaire, en tout cas dans cet album, pour que chaque morceau ait le temps de déployer ce qu’il a à déployer. Et puis nous aimons bien aussi prendre le temps de faire les choses. Même s’il y a des ruptures à l’intérieur des morceaux et que nous passons beaucoup d’un thème à un autre, nous aimons bien avoir le temps de développer les choses et de les éprouver dans la longueur. Donc quand je dis que l’album est plus direct, c’est juste dans la manière dont il a été composé, dans le ressenti, dans le sens où ça coulait plus de source. Enfin, ça a toujours coulé de source mais nous nous sommes moins interrogés sur comment justifier tel riff après tel passage, etc. Tout est venu très naturellement. C’est aussi pour ça que l’album est plus brut. Alors qu’avant nous anticipions peut-être plus les choses sur la progression des morceaux.

« L’idée, c’est de joindre les deux bouts, faire que les deux [albums] se nourrissent, faire qu’après l’écoute du premier, le deuxième prenne encore une autre dimension, un sens qu’on n’avait pas forcément entendu ou cerné sans ça. »

L’album précédent était, selon tes propres dires, un projet à part du fait qu’il était la bande originale de ton film. Est-ce que ce projet a, malgré son statut à part, affecté d’une quelconque manière A Distant (Dark) Source ? Je pense par exemple au violon sur le début de « In The Blue Glow Of Dawn » ou sur « Tauca Part II – Nowhere » qui semble être un héritage direct.

Oui. De toute façon, tous les albums, à chaque fois, découlent forcément de celui qui l’a précédé – voire de tous ceux qui l’ont précédé. Dans l’acoustique, il y a peut-être une place différente qui est donnée au chant et qui, à mon avis, se ressent un peu dans la manière dont nous avons composé les parties claires et les parties chantées sur A Distant (Dark) Source. Il est aussi imprégné de cette expérience-là dans le sens où c’est une réaction : nous avons déployé une énergie que nous avions peut-être un peu contenue sur l’album acoustique et qui du coup est peut-être encore plus déployée. Pour le violon, peut-être qu’inconsciemment c’est lié à Alba, mais pas directement. J’aime intégrer des sonorités qui sont autres que celles que nous pouvons avoir sur le plateau. Le fait d’intégrer un violon est venu assez naturellement. C’est juste une sonorité qui semblait correspondre au morceau à ce moment-là. Il y a une texture à la fois stridente et poétique quand on est sur des harmoniques, ça crée une espèce de frôlement qui est assez fort sur des passages un peu mélancoliques, surtout suivant les harmonies qu’on y met, en l’occurrence il y a beaucoup de secondes entre les deux lignes de violons.

On retrouve toujours l’influence de la musique bolivienne, mais de façon de mieux en mieux intégrée au côté lourd et dissonant de votre metal, en particulier sur le morceau éponyme. De prime abord, ce n’est pas une fusion très évidente, mais est-ce qu’elle devient plus facile et naturelle avec le temps pour toi ?

Il n’y a pas vraiment une fusion avec la musique bolivienne, car les styles ne sont pas du tout similaires, mais j’aime les sonorités des instruments boliviens et plus généralement andins comme les flûtes ou le charrango. Ce sont des sonorités qui me suggèrent toujours ces grands espaces arides, hostiles mais tellement inspirants. Mais oui, c’est fait de manière plus naturelle dans le sens où je pense que nous n’y allons pas dans la démesure. La première fois où nous l’avons fait, nous étions un peu dans l’envie de rendre cette influence trop présente et ça se démarquait un peu par rapport au reste, alors que là c’est vraiment composé comme une texture. Donc c’est peut-être plus digéré, c’est plus réfléchi, plus pesé.

J’anticipe un peu, mais comment l’album suivant, donc la première partie, se démarquera-t-il de celui-ci, musicalement et conceptuellement ? Est-ce que la première partie va évoquer plutôt l’époque où le lac existait avec la vie autour ?

Ça, je ne peux pas encore te le dire ! C’est un peu tôt pour en parler mais il y aura une continuité, forcément, car ça s’inscrit dans le même espace, dans une thématique qui est proche, mais nous allons chercher des choses un peu différentes, et surtout des choses qui vont mettre en lumière ce que nous avons voulu faire sur cet album-là. L’idée, c’est de joindre les deux bouts, faire que les deux se nourrissent, faire qu’après l’écoute du premier, le deuxième prenne encore une autre dimension, un sens qu’on n’avait pas forcément entendu ou cerné sans ça. L’idée est là mais la trame, précisément, est en train de se construire, donc je ne peux pas trop en parler pour le moment. Et puis, en plus, si j’en parle trop, je n’aurai plus rien à dire pour l’interview du prochain album ! [Rires] Pour l’instant il n’y a pas de calendrier. Vu que ce sont quand même deux albums indépendants, nous allons faire vivre cet album-là comme il se doit, et nous allons recommencer doucement à rentrer en studio pour enregistrer les choses, et nous verrons comment ça se passe. Pour le moment ce n’est pas vraiment défini. Là nous faisons exister celui-là en premier avant toute chose.

A Distant (Dark) Source est votre troisième album chez Pelagic Records. On a récemment eu Guillaume de Klone au téléphone et il nous faisait part des problèmes qu’il avait rencontrés avec Robin Staps. Il nous disait que Klone n’était « pas le seul groupe à vouloir partir de chez lui, parce qu’il y a d’autres groupes avec qui ça se passe moyennement bien, parce qu’il est un peu spécial au niveau du caractère ». Du coup, qu’en est-il d’Hypno5e ?

Comme tu l’as dit, là c’est le troisième album que nous faisons chez eux et la sortie que nous préparons en ce moment se passe très bien. En tout cas, à l’heure actuelle des choses, là où nous en sommes, nous sommes plutôt satisfaits de la manière dont c’est travaillé. Pour le moment, je n’ai rien à dire là-dessus [petits rires]. Les nouveaux partenaires qu’ils ont en promo, le travail qui est effectué, etc. ça va dans le bon sens. Je suis au courant pour Klone, mais nous, sur cet album, nous sommes pour le moment satisfaits.

Interview réalisée par téléphone le 3 octobre 2019 par Nicolas Gricourt.
Fiche de questions : Nicolas Gricourt & Philippe Sliwa.
Retranscription : Nicolas Gricourt.
Photos : Lis de Nazareth (1 & 5).

Site officiel d’Hypno5e : www.hypno5e.com.

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