Qui en 2015 aurait misé sur l’avenir d’Immortal après le départ de l’emblématique Abbath ? Mais c’était sans compter sur la détermination de Demonaz et Horgh à poursuivre l’aventure coûte que coûte. Demonaz qui, après près de vingt ans de mise en retrait suite à un problème au bras, investit aujourd’hui le rôle de frontman en plus de celui de parolier qu’il n’avait jamais quitté, reprenant la guitare et donnant de la voix. Mais il semble que les apparences n’étaient pas tout à fait conformes à la réalité, puisqu’il nous apprend que même sur les derniers albums, où les crédits musicaux étaient totalement attribués à Abbath, le partage créatif était en vérité de cinquante-cinquante.
L’entretien qui suit est donc l’occasion pour Demonaz de rétablir certains faits, évoquer sa relation devenue difficile avec Abbath, mais aussi nous parler de son cheminement pour en arriver à sa position actuelle – comprenant une opération de l’épaule qui lui permet aujourd’hui de retrouver toutes ses facultés à la guitare – et évidemment de ce nouvel album, Northern Chaos Gods. Un album avec lequel il a cherché, avec Horgh, à retrouver l’essence plus sinistre et brutale d’Immortal, en nous emmenant dans les confins glaciaux du fameux royaume de Blashyrkh.
« Il a fallu que nous nous remettions en route avec le groupe, nous ne pouvions pas abandonner, nous devions continuer. C’était comme un appel ! [Petits rires] »
Radio Metal : Northen Chaos Gods est le premier album d’Immortal sans Abbath : est-ce que ce qui s’est passé avec lui et le fait d’avoir à prouver que vous pouviez perpétuer Immortal sans lui a été une pression positive ? Est-ce que ça a alimenté votre énergie et motivation en faisant cet album ?
Demonaz (chant & guitare) : Pour dire ça simplement, après les problèmes que nous avons connus avant et quand il a décidé de finalement quitter le groupe, quand nous avons pu laisser les complications derrière nous, c’était vraiment plus facile parce qu’alors, nous pouvions avancer avec l’album et nous reconcentrer sur la musique, au lieu des problèmes au sein du groupe, sans que rien de nous dérange. Nous jouons dans ce groupe pace que nous aimons faire de la musique sinistre et sombre [petits rires], c’est ce que nous faisons ! Nous sommes un groupe et nous voulons faire de la musique et la développer. C’est l’objectif principal. Donc après que les problèmes aient été résolus, tout était mieux pour nous. Le fait de faire de nouvelles chansons et enfin un album sans être interrompus, en sortant de cette situation, ça nous a donné beaucoup d’énergie ; il n’y avait plus de désaccord. Ceci étant dit, cette fois c’était un peu différent, parce que j’ai fait tous les riffs, toutes les parties de guitares, etc., alors que normalement nous partagions le travail. Mais il a fallu que nous nous remettions en route avec le groupe, nous ne pouvions pas abandonner, nous devions continuer. C’était comme un appel ! [Petits rires]
On comprend que lorsqu’Abbath est parti en 2015, vous avez dû recommencer l’album de zéro, ce qui explique en partie tout le temps qu’il a fallu pour que vous reveniez avec un nouvel album. Mais en décembre 2016, vous étiez sur le point d’entrer en studio, tout en affirmant que les chansons étaient prêtes depuis quelques temps. Au final, il a fallu encore une année et demie pour que vous sortiez l’album. Du coup, que s’est-il passé entre temps, du moment où les chansons étaient prêtes à aujourd’hui ? Qu’est-ce qui a pris autant de temps dans le développement de cet album ?
Je vais te dire, mais je vais commencer un peu plus tôt. Après All Shall Fall, Abbath, Horgh et moi travaillions sur l’album d’Immortal suivant, d’accord ? Alors que nous avions presque terminé, nous avons fait des pré-productions sur toutes les chansons, mais le conflit a abouti au départ d’Abbath et il a pris avec lui toute la musique, plus ou moins. Il n’a pas utilisé mes paroles. Après ça, nous avons recommencé de zéro, comme tu l’as dit, et c’était fin 2015. Ensuite j’ai fait la chanson « Northern Chaos Gods », tous les riffs de cette chanson. Un an plus tard, tout était terminé ; toutes les chansons étaient finies et nous avons commencé la pré-production de l’ensemble avant d’entrer en studio ; c’était fin 2016. Quelques mois plus tard, nous sommes entrés au studio Abyss, et les batteries ont été terminées en 2017, en janvier je crois. Et ensuite j’ai enregistré les guitares et les voix à Bergen. Il a fallu attendre quelques mois pour pouvoir enregistrer, donc je crois que j’ai commencé en avril ou quelque chose comme ça. Il me semble que tous les enregistrements étaient finis avant l’été 2017, et ensuite il a fallu attendre un peu pour le mixage, avec des allers-retours. Tout était terminé fin 2017.
Donc beaucoup de temps a été passé à attendre, et une bonne partie à enregistrer. L’album était censé sortir fin 2017, mais l’illustration n’était pas terminée. La date butoir était de le sortir début 2018, mais Nuclear Blast l’a repoussé. Ils voulaient sortir l’album le 6 juillet parce qu’il y avait l’album de Dimmu Borgir et d’autres choses. Si nous avions été plus rapides avec l’illustration et tout, bien sûr il aurait pu sortir plus tôt. Donc je suppose que sous un angle extérieur, ça donne l’impression que nous n’avons rien fait en neuf ans, mais en fait, nous avons fait tout un album qui a été perdu, nous avons fait Northern Chaos Gods, ce qui fait déjà deux albums. J’ai fait et sorti March Of The Norse, ce qui fait trois albums. Et j’ai aussi fait toutes les chansons, qui sont désormais prêtes, pour le prochain album de Demonaz, qui attend dans mon congélateur. J’ai donc été pas mal occupé, en fait ! Quatre albums en neuf ans, ce n’est pas si mal ! [Rires]
Il s’agit clairement d’un album plus brutal que vos derniers albums. La dernière fois que tu as contribué musicalement à un album d’Immortal, c’était pour Blizzard Beast. Dirais-tu que c’était naturel que cet album ait un feeling plus old school, froid et brutal, comme à l’époque, parce que tu étais de retour à la composition ?
Je n’étais pas de retour à la composition, j’ai toujours écrit de la musique ; sur les derniers albums, nous contribuions normalement à cinquante-cinquante en termes de riffs de guitare et tout. Et j’ai aussi écrit tous les textes sur chacun des albums, et je trouvais aussi toutes les lignes de chant, parce que lorsque tu écris les paroles, tu ne peux pas donner un texte à quelqu’un et dire « chante ». Il faut travailler dessus et faire en sorte que les paroles collent à la chanson. Donc pour ma part, ce n’est pas comme si je débarquais maintenant pour tout d’un coup écrire un album. Je pense que ça aurait été un album très différent si ça avait été le cas. Mais j’ai eu mes problèmes de bras en 97, je ne pouvais tout simplement pas jouer en live parce que je ne pouvais pas répéter tous les jours ou au niveau requis pour pouvoir faire ça. Mais je n’ai jamais arrêté de jouer ou composer. J’ai aussi écrit mes parties sur tous les albums – At The Heart Of Winter, Damned In Black, Sons Of Northern Darkness et All Shall Fall – mais lorsque j’ai eu l’opportunité de tout faire moi-même… Nous avions aussi quelques désaccords concernant la musique : j’ai toujours voulu avoir une atmosphère plus intense, plus sombre, plus sinistre et plus froide que celle que nous avions sur ces autres albums. Celui-ci est donc un pur album d’Immortal avec mon jeu et ma composition. Et bien sûr, tu as raison, je préfère les trucs brutaux, mais j’aime aussi les trucs épiques. Il y a aussi des chansons épiques sur cet album. Je pense qu’il y a une variété de chansons, avec des styles qui viennent de chaque album, d’une certaine façon, mais compte tenu du son, de l’expression, du feeling général, je pense que c’est facile pour les gens de le relier à cette époque.
« Nous avions aussi quelques désaccords concernant la musique : j’ai toujours voulu avoir une atmosphère plus intense, plus sombre, plus sinistre et plus froide que celle que nous avions sur ces autres albums. Celui-ci est donc un pur album d’Immortal avec mon jeu et ma composition. »
Tu as dit que tu as toujours écrit de la musique, y compris sur les derniers albums. Comment se fait-il qu’Abbath ait toujours été crédité pour toute la musique sur ces albums ?
C’était comme ça que nous aimions faire. C’est pareil pour certaines choses que nous avons faites avec les textes par le passé, nous marquions qu’Abbath avait écrit des paroles mais ce n’était pas le cas. Ce sont des choses stupides et ça te donne une leçon quand tu es musicien. Mais en fait, au moment de déposer les chansons, au niveau de la déclaration des compositeurs, tout était différent. C’est aussi la raison pour laquelle il n’a pas pu emporter le nom avec lui, car nous avons traversé toute cette procédure juridique, avec des avocats et tout.
Tu as déclaré qu’il « était temps de revenir aux racines musicales de ce groupe, et aussi remettre l’intégrité du groupe à sa place. » As-tu eu le sentiment à un moment donné par le passé que vous vous êtes trop éloignés de ces racines et de cette intégrité ?
D’une certaine façon, oui. Quand tu te développes en tant que groupe, les choses prennent d’autres directions. Tu ne peux plus être le même groupe que tu étais sur ton premier album. Bien sûr, quelque chose a été perdu en route, je pense, et je voulais le retrouver. Je trouvais que notre énergie était bien meilleure sur les albums Battles In The North ou Blizzard Beast, l’énergie était différente. Je voulais vraiment reprendre cette position, retrouver une attitude plus hargneuse. Plus nous réalisions la direction que prenait cet album, plus nous ressentions qu’il allait être plus violent, et peut-être plus sinistre que le précédent. Aussi, tous les deux, Horgh et moi, voulions avoir un album très noir et blanc, avec une attitude un peu underground et un message primitif. Pas des chansons primitives, mais très directes et très Immortal, très immédiates. La direction n’était pas mauvaise sur All Shall Fall ou autre mais, encore une fois, ça me semble mieux maintenant que nous n’avons plus aucun problème ni conflit. C’était plus facile de se concentrer sur la musique et retrouver la raison pour laquelle nous faisons ça.
Comme c’est la première fois que tu t’es chargé de toute la musique, que peux-tu nous dire du processus ? Est-ce que tu avais une vision d’ensemble dès le début ?
Avant, dès que nous faisions un album, nous essayions toujours de mettre de côté tout le reste pour nous concentrer sur le travail musical. Normalement, nous apportions les riffs de guitare, nous parlions d’idées, de jeu de batterie, et ensuite nous commencions à travailler dessus en salle de répétition pour structurer les choses. Nous avons fait pareil cette fois. Ça se fait à l’instinct. Immortal est basé sur la guitare et la vision des paroles. Tout ça doit converger de la bonne façon afin de pouvoir être soutenu à cent pour cent. Et je ne fais jamais de plan ou ne me dis jamais que nous allons faire tel ou tel style, il faut juste que je suive mon instinct ; c’est très instinctif [petits rires]. Il se peut que tu ais une idée de la direction que tu veux prendre, mais ça change en cours de route. Même si tu prévois un plan, le plan change avec la composition. Nous avons fait les chansons, et plus les chansons devenaient visuellement… Il y a une conclusion à la fin, n’est-ce pas ? Tu peux voir où ça finira quelques chansons avant, mais tu ne peux pas l’imaginer dès le début.
Nous avons commencé avec « Northern Chaos Gods », la chanson d’ouverture rapide ; sur nos précédents albums, c’était des chansons comme « One By One », « Battles In The North », « Blizzard Beasts » : c’était aussi des chansons rapides qui lançaient les albums. C’est pareil avec celui-ci : nous voulions ouvrir avec une chanson rapide et de la musique déchaînée. C’était donc la première chanson que nous avons écrite. Les chansons sont faites riff par riff, et l’album est fait chanson par chanson. Lorsque tu en arrives à cinq ou six chansons, tu vois un peu ce qu’il manque, et tu cherches les dernières pièces qui complèteront le puzzle. Au début, tu travailles peut-être sur une chanson, et ensuite, tout d’un coup, tu travailles sur deux chansons, puis trois, et ainsi de suite. Donc nous avons procédé comme nous avons toujours fait. C’est juste que là, c’est moi qui ai trouvé tous les riffs et toutes les idées, plutôt que Abbath et moi, et avec peut-être plus de concentration et pas de perturbation.
« Il n’y avait pas de concept mais c’est devenu un album conceptuel, et peut-être que c’est ce que nous faisons, peut-être que nous sommes un groupe conceptuel ! »
Il est précisé sur votre site web que « le groupe s’est une nouvelle fois focalisé pour créer sa musique avec peu d’influences extérieures. » Malgré tout, quelles ont été ces influences ?
Je ne sais pas. Je pense qu’en tant que musicien, peu importe ce que tu joues, tu seras toujours inspiré par plein de choses. Et parfois tu ne peux pas mettre le doigt sur ce que c’est. Mais bien sûr, il y a la musique que nous avons écouté toute notre vie, depuis que nous sommes jeunes, parce que cette musique, à l’époque, était entourée de davantage de mysticisme, nous y adhérions différemment. Maintenant c’est plus dur pour les nouveaux groupes de trouver l’inspiration, mais parfois ça peut être des films, de la musique, peut-être des choses qu’on a écoutées sans savoir ce que c’était. Ça pourrait être de la musique classique. J’écoute beaucoup de compositeurs. Parfois on ne peut pas mettre le doigt sur quel accord ou riff c’était, mais il y avait une ambiance qui a fait que « ah, j’ai une idée ! » et tu créés quelque chose à toi. Quand tu penses constamment à la musique, et que tu vois ou entends un film ou écoutes la musique d’un autre groupe, ce n’est pas que tu es directement inspiré par ça, mais peut-être qu’il y a quelque chose dans l’intro, ou peu importe, qui te donne une idée. Alors tu prends ta guitare, tu trouves quelque chose et tout d’un coup, tu as un petit riff ou une idée qui peut coller à ce que tu fais. Mais autrement, normalement pour nous, c’est cliché, ce sont les vieux classiques de Bathory, la musique que nous écoutions quand nous avions dix-neuf ou vingt ans.
Tu as pris en charge le chant. C’est quelque chose que tu avais déjà fait sur ton album solo en 2011, mais là c’est la première fois au sein d’Immortal. As-tu l’impression de pouvoir mieux donner vie aux paroles, puisque tu es désormais à la fois le parolier et celui qui chante ces paroles ?
J’ai toujours trouvé qu’Abbath avait une super voix, je trouve qu’il chante très bien, mais c’était plus facile pour moi de le faire parce que j’ai les textes dans la peau. Donc je pouvais penser à tout sans avoir à faire de compromis avec quelqu’un. Donc peut-être que c’est plus honnête [petits rires], je ne sais pas. Ça me semble honnête parce que j’ai l’impression que ça fait partie de moi quand je le fais, car je ressens tout, et ce n’est pas comme… La seule chose sur laquelle il travaillait par rapport à ça était la structure, et là, je n’ai pas été obligé de partager les idées avec quelqu’un qui arrive et te dit « non, on ne peut pas faire comme-ci, on doit faire comme ça. »
Mon album solo, c’était un véritable album de heavy metal. J’ai toujours été inspiré par Manowar et ces albums de Bathory, c’est-à-dire Hammerheart ou Blood On Ice, ceux avec le côté guerrier heavy metal, et c’est pour cela que le chant était dans cette veine. Je voulais vraiment faire un album qui était en marge d’Immortal, car nous travaillions aussi sur All Shall Fall à l’époque. Donc j’ai amené un batteur heavy metal et Ice Dale, qui est aussi vraiment un guitariste de heavy metal à l’origine, et c’est donc ainsi que j’ai fait cet album solo. Mais lorsque j’ai dû faire Immortal, c’était différent. Lorsque je chante mes propres paroles dans Immortal, avec la batterie, les paroles, les riffs et tout, ça forme un tout, c’est une autre atmosphère. Il faut juste chanter de façon plus sinistre et sombre que je l’ai fait sur March Of The Norse. J’ai donc dû répéter mon chant mais ma voix est comme cela, et j’ai juste dû faire en sorte qu’elle colle au reste.
Tu rejoues aussi de la guitare, comme à la vieille époque. En fait, tu avais arrêté de jouer de la guitare dans le groupe en 1997 suite à une tendinite aigue qui t’empêchait de jouer à la vitesse requise pour Immortal. Est-ce que ça signifie qu’après toutes ces années, tu es totalement guéri ? Comment se fait-il que tu ne t’en sois pas remis plus tôt ?
On a dû m’opérer de l’épaule en 2012. Parce que le muscle était cassé à l’intérieur et ils ne pouvaient pas le voir aux rayons X, donc j’ai été mal diagnostiqué en 1997. J’ai été voir un spécialiste danois en 2011, et il a découvert que quelque chose n’allait pas dans mon bras quand il l’écoutait avec un stéthoscope pendant que je marchais, en fait. Il m’a dit « on doit ouvrir ton bras pour voir » car il y avait clairement quelque chose de plus grave qu’une tendinite. A l’époque, mon bras allait vraiment mal parce que j’avais beaucoup joué pour l’album solo, j’avais dû énormément répéter pour ça. Quelqu’un m’a dit que ce gars était un très bon chirurgien, et lorsque je l’ai écouté, ils m’ont ouvert l’épaule, et ils ont dû m’opérer deux fois. Le rétablissement a été long ; il a fallu que je ne joue plus du tout de guitare pendant quatre à six mois, et la guérison a pris presque un an. C’était en fait la première fois de ma vie depuis que j’ai commencé le groupe que je ne pouvais pas du tout jouer de guitare. Je n’ai jamais été quelqu’un de déprimé mais ne pas pouvoir jouer de la guitare pendant quatre mois m’a vraiment mis un coup au moral. Mais après ça, lorsque j’ai commencé l’entraînement et que j’ai pu rejouer, cinq ou six mois plus tard, tout allait beaucoup mieux. Je ne suis pas à cent pour cent rétabli mais c’est très différent, bien mieux. Je pense avoir prouvé sur l’album que je peux maintenant reprendre ce rôle.
« J’ai écrit quelques textes blasphématoires sur nos démos [petits rires] mais je n’avais jamais le sentiment que c’était… Ça ne paraissait pas naturel. Ça ne semblait pas coller à notre concept, parce que nous sortions dans les bois, nous faisions du feu, nous buvions du whiskey, dans la neige et le froid… C’était inspirant ! »
Northern Chaos Gods est justement plein de parties de guitares rapides et thrashy. Est-ce que ça a requis un entraînement spécial à la guitare de ta part afin de retrouver le niveau technique nécessaire pour jouer ces chansons ?
Pas vraiment. Enfin, j’ai dû beaucoup répéter pour faire et jouer ces riffs, mais le truc, c’est que tous ceux qui ont un problème au bras, que ce soit une tendinite ou autre, normalement ne perdent pas leurs capacités techniques. Et je ne les ai jamais perdues, je pouvais toujours jouer vite. Mais le problème était qu’alors, il fallait que je me repose une journée ou deux avant de pouvoir m’y remettre. Ce n’est pas que je ne pouvais pas jouer, je pouvais toujours mais je me fatiguais très facilement, et il fallait reposer mon bras plus souvent. C’est pour ça que je ne pouvais pas jouer de guitare sur les albums ou en live, parce que ça nécessite énormément de répétition. Je pouvais jouer tous les jours pendant une demie heure et ensuite peut-être que le lendemain, mon bras était complètement engourdi et il fallait que j’attende un jour de plus. Mais je pouvais toujours jouer les riffs, la capacité technique était toujours là, y compris pour les parties rapides. Mais maintenant, après l’opération, c’est une toute autre histoire.
Le producteur Peter Tägtgren a joué les parties de basse durant les enregistrements. Pourquoi Apollyon n’a-t-il pas été sollicité ? Je n’ai pas souvenir d’avoir vu passer un communiqué à ce sujet…
Après le départ d’Abbath, nous nous sommes attelés à faire l’album, et puis, c’était un membre live… Il a aussi joué la basse sur l’album All Shall Fall mais il n’était pas avec nous pendant le processus créatif, il n’était pas avec nous pour composer ou autre. Donc nous avons simplement commencé à composer le nouvel album… Nous lui avons demandé, nous avons eu quelques discutions à ce sujet, et nous parlions de le faire intervenir plus tard, mais lorsqu’est arrivé le moment d’enregistrer la basse pour les pré-productions, je m’en suis chargé. Et ensuite, quand nous avons contacté Peter, quand il a entendu les pré-productions, il nous a proposé de jouer la basse, et nous avons trouvé que c’était une bonne solution. Et puis Apollyon était très occupé avec Aura Noir et tout, donc… Ouais, nous n’avions pas ce lien de longue date avec lui, datant d’avant l’album All Shall Fall. Donc nous avons pensé que Peter ferait du très bon boulot là-dessus.
Tu as créé la musique en te basant sur tes visions de Blashyrkh et il y a au moins deux chansons qui sont des références directes à votre « tube » « Blashyrkh (Mighty Ravendark) » : « Gates To Blashyrkh » et « Mighty Ravendark ». Etait-ce votre façon de reprendre possession du passé et faire que les gens se rendent compte avec évidence que ceci est un album d’Immortal dans la plus pure tradition ?
D’une certaine façon, oui. Je voulais amener le Blashyrkh comme nous l’avions fait avant, simplement pour que l’auditeur ait le sentiment d’avoir un package à cent pour cent Immortal. Mais les paroles s’ajoutent sur la musique, et ça a été les dernières choses qui ont été faites sur l’album. Donc lorsque nous avions les chansons et que nous avons commencé à travailler les paroles par-dessus, ça ne faisait aucun doute que la chanson allait devenir « Mighty Ravendark », ça ne pouvait pas être autrement ! Notre façon de travailler reflètera toujours, d’une certaine façon, les choses que nous avons faites avant. Je pensais : « Bon, je veux appeler cette chanson ‘Mighty Ravendark’, pourquoi pas ?” C’est comme prendre quelque chose qui t’appartient et l’améliorer. Nous voulons faire un meilleur album que les précédents, de meilleures chansons qu’avant, de meilleurs textes qu’avant ; ça ne veut pas dire qu’on doit faire quelque chose de nouveau, ça veut juste dire… Je trouve que la chanson mérite le titre ! [Petits rires].
Tu as déclaré que c’était un album conceptuel…
Je pense que c’est devenu un album conceptuel au fur et à mesure. Ce n’était pas prévu pour être un album conceptuel. Je pense que le concept du concept [rires]… Je vois l’album comme un tout, je ne le vois pas comme un ensemble de chansons isolées ; j’aime écouter des albums entiers. Normalement, lorsque j’écoute des groupes que j’aime, c’est toujours mieux d’écouter tout l’album qu’une chanson ici et là. C’est devenu un album-concept avec les paroles et tout de lui-même. Ce n’était pas prévu pour être un album-concept mais c’en est devenu un ; c’est la seule façon de l’expliquer. Parce que tout est là, tous les éléments que nous avons eus auparavant, ils sont là sans même les avoir prévus. C’est venu pendant que nous jouions, et lorsque nous faisions les parties claires comme avant, ce genre de façon de construire les morceaux : tu construis une atmosphère, les guitares claires arrivent, et tu refais monter l’intensité pour revenir à un temps fort… C’est la seule façon de faire ! Il n’y avait pas de concept mais c’est devenu un album conceptuel, et peut-être que c’est ce que nous faisons, peut-être que nous sommes un groupe conceptuel ! C’est un tout, peut-être encore plus qu’avant.
« Blashyrkh désigne juste un royaume froid et sombre. C’est une force spirituelle qui nous anime. Je voulais quelque chose d’universel ; j’ai même commencé à écrire des paroles en Blashyrkhien mais j’ai réalisé que je n’étais pas aussi intelligent que Tolkien dans le domaine des mondes fantastiques, je ne suis qu’un musicien [petits rires]. »
Mais du coup, quelle histoire cet album raconte-t-il ?
Blashyrkh ne raconte jamais d’histoire. Je vais essayer d’expliquer. Lorsque tu prends « Northern Chaos Gods », le morceau éponyme, c’est un état d’esprit guerrier, les paroles doivent coller à ça pour procurer les bonnes émotions. Je veux amener l’auditeur dans ce que j’estime que la musique doit représenter. Je veux donc amener cette atmosphère sinistre, sombre et froide. C’est pareil avec les chansons épiques comme « Mighty Ravendark », c’est un hymne à Immortal : j’ai intégré des vers issus d’anciens albums, comme la chanson « Mountains Of Might », toutes ces choses caractéristiques que les fans devraient connaitre. Le but est simple, c’est de créer un sentiment de puissance et que ces vers s’intègrent au reste comme la batterie ou les riffs particuliers qu’on peut avoir. On ne raconte pas une histoire intelligente ou astucieuse. C’est juste une façon de tout assembler et faire que ça sonne Immortal [petits rires]. C’est comme un puzzle. La chanson « Where Mountains Rise » était inspirée par la lune, c’est une chanson d’amour pour la lune [petits rires], et ça fait aussi référence à un vieux morceau qui s’appelle « The Call Of The Wintermoon ». Tout est une question d’atmosphère, d’état d’esprit, de créer quelque chose que les fans reconnaîtrons dans nos morceaux et faire des chansons qui soient meilleures qu’avant mais en y mettant les mêmes ingrédients. C’est donc difficile à expliquer, vraiment. C’est peut-être est-ce ce qui se passe quand on essaye de faire quelque chose d’unique ou différent de tout le monde [petits rires], tu te retrouves à avoir des problèmes à l’expliquer.
Le titre de l’album, Northern Chaos Gods, est un titre typique d’Immortal qui fait référence aux divinités nordiques. Comment la spiritualité est-elle connectée à Immortal et ton inspiration artistique ?
En tout ! La partie Blashyrkh, avec le fait d’avoir son propre royaume, son propre concept narratif ou monde, ça vient d’un point de vue spirituel, d’une certaine façon, car cette musique n’est pas créée sur un canapé devant la télé. La musique et toutes les idées viennent de l’extérieur, de la nature, en marchant dans les bois ou la montagne, et la tranquillité ; je fais beaucoup de marche. Pour nous, ça fait partie de l’inspiration du groupe. Une part de mysticisme vient de la nature, de tout ce qui nous entoure et qu’on ne maîtrise pas vraiment. Il faut en avoir conscience, parce que c’est là en permanence. Se connecter à la nature m’inspire parce que certes je n’ai pas ma guitare là-dehors mais les riffs et d’autres choses me viennent à l’esprit. C’est bien plus difficile d’être inspiré en ville ou dans le bus, ou peu importe. Donc si j’écoute mes albums de Bathory avec un casque, je ne le fais pas quand je suis à un arrêt de bus, je le fais au calme près de la nature.
Comment cette idée de Blashyrkh t’est venue à l’origine ?
J’ai toujours été intéressé par les paroles des groupes que j’écoutais ; j’ai toujours été passionné par la musique depuis que je suis très jeune, en commençant par mon premier maître en matière de riff, Tony Iommi de Black Sabbath. Je me souviens, dès qu’un album sortait, que ce soit de Possessed, Manowar, Slayer ou autre, je voulais toujours lire les paroles, parce que je voulais le package complet, et j’aimais encore plus le groupe si les paroles étaient super, parce qu’alors je pouvais imaginer quelque chose de grand avec ça. Donc lorsque j’ai commencé Immortal, au début, avec Abbath, je voulais quelque chose d’unique pour les paroles. Pour moi, c’était toujours comme si j’avais un monde à moi lorsque j’écrivais les textes.
J’ai toujours trouvé que les paroles politiques étaient pour les groupes de punk, les paroles religieuses pour les groupes sataniques… Ça ne m’a jamais tellement intéressé. Au début, j’ai écrit quelques textes blasphématoires sur nos démos [petits rires] mais je n’avais jamais le sentiment que c’était… Ça ne paraissait pas naturel. Ça ne semblait pas coller à notre concept, parce que nous sortions dans les bois, nous faisions du feu, nous buvions du whiskey, dans la neige et le froid… C’était inspirant ! Ma mère vient du nord de la Norvège et j’ai passé certaines de mes premières années dans la neige et le temps rude, donc ça a toujours été là. J’ai toujours aimé marcher dans la montagne ; je vis près d’une montagne et j’y vais tous les jours. Parfois je me rends à une sorte de cabane, où je reste pendant quatre ou cinq jours et simplement je me promène en montagne. Ça a toujours été là et j’ai pensé que ce serait super d’amener cette atmosphère dans Immortal.
« J’ai fait tout ce que je pouvais pour que ça fonctionne [avec Abbath]. […] Mais si tu y penses, en 2003 les problèmes étaient déjà là […]. Tôt ou tard, quelque chose devait se passer. Soit il devait se ressaisir, soit ça ne pouvait pas marcher. »
J’ai donc créé Blashyrkh, qui désigne juste un royaume froid et sombre. C’est une force spirituelle qui nous anime. Je voulais quelque chose d’universel ; j’ai même commencé à écrire des paroles en Blashyrkhien mais j’ai réalisé que je n’étais pas aussi intelligent que Tolkien dans le domaine des mondes fantastiques, je ne suis qu’un musicien [petits rires]. J’ai dû trouver une limite. Donc Blashyrkh a été inventé à partir de ça : lorsque tu écartes tout ce qui ne t’intéresse pas – comme les trucs industriels, les sujets de société, la politique, la religion -, tu essayes de construire une atmosphère avec ce qu’il te reste, et ensuite il faut être créatif. Et tu t’efforces de toujours ressentir la puissance avec la musique ou faire que les paroles sonnent puissantes, et c’est aussi à combiner avec la façon dont il faut le chanter. Tous ces petits détails doivent être là. Donc la tâche est de faire en sorte que les paroles s’imbriquent avec la musique.
Dans un communiqué datant de décembre 2016, vous aviez annoncé que vous entreriez en studio pendant l’hiver afin d’avoir la bonne atmosphère pour enregistrer. Est-ce ce que vous avez fait ? Et à quel point le fait d’enregistrer en hiver a impacté l’album ?
Je pense que l’hiver est surtout important quand on écrit, pas quand on enregistre. Mais ça a été fait en janvier 2017 avec Peter, et c’était effectivement l’hiver… En fait, c’est mieux de jouer quand il fait froid dehors plutôt que quand il fait chaud, parce qu’autrement, tu es tout en sueur ! [Rires] Mais ça fait clairement partie du groupe, l’hiver. C’est plus facile d’écrire et se mettre dans cet état d’esprit silencieux, d’une certaine façon, que pendant l’été, où tout le monde stresse, où il y a tout un tas de distractions, donc c’est difficile d’écrire ce genre de chanson froide.
Je suppose que la prochaine étape est de porter ce nouvel Immortal sur scène. Comment envisages-tu les tournées et les concerts ?
Il faut que nous retournions chez nous après tout ce travail. Après avoir fait le processus d’écriture, les pré-productions, l’enregistrement de l’album, le mixage, avoir attendu après le studio, tout ça, nous avons décidé que nous nous concentrerions exclusivement sur l’album d’abord, ainsi que la promotion. Donc maintenant, nous sommes prêts à passer à l’étape suivante, revenir à la maison pour commencer à répéter, trouver des membres et passer au niveau suivant. Mais nous ne voulons rien presser. Nous voulons faire comme pour l’album, afin d’être à cent pour cent sûrs de nous. Maintenant que nous sommes sûrs de l’album, mettons-nous à l’aise avec le live. Etape par étape. Nous ne sommes pas un groupe à deadline, tu sais [petits rires]. Mais lorsque nous ferons les chansons en concert, nous les préparerons bien afin de proposer de bons concerts et rendre justice aux morceaux. Nous n’allons pas y aller et nous contenter de chanter à tue-tête, nous devons prévoir un très bon show, être préparés. Ce sera sinistre et sombre !
Vous n’avez pas encore trouvé de bassiste live ou même un membre permanent ?
Ce sont les plans internes. Nous vous ferons savoir quand nous sommes prêts [petits rires].
Toi et Abbath aviez des liens forts par le passé, vous étiez même beaux-frères fut un temps. Vois-tu ce qui s’est passé avec lui comme une querelle de frangins ou bien penses-tu que ces liens sont clairement brisés aujourd’hui ?
Je ne vois pas ça comme une querelle parce que sa décision a été de quitter le groupe. J’ai vraiment essayé de faire de mon mieux avec lui. J’ai fait tout ce que je pouvais pour que ça fonctionne. Lorsqu’il a décidé de faire les choses dans mon dos et déposer le nom et tout, ce qui était clairement une situation déloyale, j’ai pensé : « D’accord, c’est ce qui s’est passé, séparons-nous et prenons chacun notre propre chemin, et c’est tout. » Je ne pouvais rien y faire. Mais je ne me considère pas comme son ennemi ou comme si on était en guerre. J’espère juste qu’il trouvera ce qu’il recherche. Parce que c’est un brillant musicien, il a du talent. Je trouve qu’il a fait du très bon boulot avec Immortal pendant de nombreuses années, donc je ne lui souhaite rien de mauvais. Mais si tu y penses, en 2003 les problèmes étaient déjà là, et même encore avant ça ; il voulait quitter le groupe il y a déjà de nombreuses années parce qu’il y a eu des complications, et nous avons eu des problèmes personnels. C’était il y a quinze ans. Et tu ne peux pas passer ta vie en gardant ces problèmes. Tôt ou tard, quelque chose devait se passer. Soit il devait se ressaisir, soit ça ne pouvait pas marcher.
Vois-tu une chance de raviver cette relation à l’avenir ?
Je pense qu’il est occupé avec ses trucs et je suis occupé avec les miens. Pour le moment, il n’y a aucun contact. Je ne vois pas ça se produire pour l’instant, ce serait trop compliqué. Je ne sais pas, c’est vraiment flou.
Interview réalisée en face à face et par téléphone les 7 mai et 13 juin 2018 par Claire Vienne et Nicolas Gricourt.
Transcription : Claire Vienne & Nicolas Gricourt.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Site officiel d’Immortal : www.immortalofficial.com
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