Jacoby Shaddix aime bien le Hellfest. Comme il nous le confie en début d’interview : « On voit un paquet de metalleux habillés en gothique qui déambulent avec un grand sourire sur le visage, je me dis que ça n’a pas l’air d’être l’enfer ici ! C’est génial ! » Une ambiance bon enfant qui déteint sur le frontman, particulièrement détendu et très loquace, alors que nous l’avons pourtant arraché au set de Sick Of It All pour une interview de dernière minute, quelques heures à peine avant l’entrée en scène de Papa Roach dans le cadre du Knotfest.
Le temps nous est littéralement compté, mais Jacoby se montre à peu près aussi énergique dans la vie que sur scène et n’hésite pas à réclamer du rab pour répondre de façon satisfaisante à nos questions. Malgré un premier album sorti il y a deux décennies, c’est avec l’enthousiasme et la passion du débutant que Jacoby nous parle de la carrière de Papa Roach et de son amour pour le punk… avant de céder la place à l’expérience quand nous évoquons le lien entre religion et Hellfest.
« Après notre premier album, si nous avions essayé de recréer le même son, nous serions morts avec le néo-metal. »
Radio Metal : Avec votre dernier album, Who Do You Trust?, vous n’avez pas eu peur de prendre des risques. Mais qu’est-ce que ça veut dire « prendre des risques » pour vous ?
Jacoby Shaddix (chant) : Nous avons toujours cherché à évoluer. Et je crois que dans le commerce de l’art, l’évolution peut être risquée. Essayer de nouvelles choses, prendre des tournants créatifs, je trouve ça excitant. Après notre premier album, si nous avions essayé de recréer le même son, nous serions morts avec le néo-metal. Notre évolution a grandement participé à ce que nous puissions continuer à exister en tant que groupe, car nous pouvons explorer les espaces créatifs que nous voulons. Ça nous a aussi donné l’occasion de… d’être nous ! C’est simplement ce que nous faisons. Parfois, je me demande : « Est-ce qu’on change trop ? » Et puis je réécoute ce que nous avons fait, et je me dis : « Je trouve ça excitant ! Allez, putain, on y va ! »
L’album s’intitule Who Do You Trust?. Et toi, en qui as-tu confiance ?
J’ai confiance en mon fis de cinq ans, Brixton. J’ai confiance en ma famille, en mon groupe. J’ai confiance en ma relation avec Dieu, mon tout-puissant. C’est un élément que je ressens être très fort dans ma vie. La liste est assez courte ! C’est mon cercle, mes proches, ma tribu. Car le monde est complètement cinglé ! L’information, les médias, le tout instantané… C’est beaucoup pour nous à gérer. On dirait qu’il y a pas mal de conneries dans l’air – avec ce doute que l’on fabrique chez les gens.
Crooked Teeth était perçu comme un retour aux racines de Papa Roach à bien des égards, en particulier avec le chant rap. Penses-tu qu’avec Who Do You Trust vous êtes parvenus à prendre ces racines pour les emmener dans un nouveau contexte ?
Oh ouais, très certainement. Et je pense que c’est en phase avec le côté retour aux racines de Crooked Teeth. C’est autant un retour à nos racines que c’est progressif. Je pense que c’est les deux. Pour ma part, au cours des quinze dernières années, en tant que chanteur, j’ai vraiment voulu prouver que j’étais un chanteur de rock valable, en essayant de nouvelles choses en tant que chanteur et en explorant l’aspect mélodique de ce que je suis capable de faire. Puis, c’était genre : « D’accord, et maintenant je fais quoi ? » Je me suis dit : « Merde, mec, peut-être que je peux me remettre au côté hip hop. » Car durant tout ce temps, nous continuions toujours à jouer en live, à chaque concert, trois à cinq chansons du premier album. Donc, nous avions toujours cet élément dans la version live du groupe. Avec Who Do You Trust?, il est clair que nous avons développé cette évolution sur laquelle nous étions avec Crooked Teeth. Nous avons découvert que ça intéressait nos fans que nous soyons un petit peu plus expérimentaux, étranges, excentriques et fous. C’était excitant pour nous. Nous avons écrit une chanson qui s’appelle « Born For Greatness » sur l’album précédent que nos fans ont adoré, et elle a eu beaucoup de succès, mais elle sort des sentiers battus. Quand nous nous y sommes remis pour faire Who Do You Trust?, ça nous a incités à dire : « D’accord, il semblait qu’il n’y ait pas énormément de règles. Allons-y et créons quelque chose qui soit authentique et aventureux. » Ceci est notre dixième album. Peu de groupes ont l’occasion d’enregistrer leur dixième album, donc nous avons pensé que faire quelque chose d’audacieux et de risqué était une super façon de baptiser cet accomplissement.
« I Suffer Well » est une chanson très punk. Quelle est ta relation au punk ?
J’étais en train de regarder Sick Of It All tout à l’heure. J’adore ce groupe. Des punks hardcore, mec ; hardcore ! Nous avons grandi dans la scène punk chez nous à Vacaville et Sacramento, en Californie. J’étais constamment dans les concerts de punk rock. J’avais un cœur punk rock durant mon adolescence. J’allais aux concerts amateurs ; mes amis faisaient des concerts dans leurs sous-sols, leurs salons, leurs garages ou dans les MJC. Ensuite, j’allais jusqu’à la Bay Area, à Gilman Street, à Berkley Square, et j’allais voir les groupes punk là-bas : Green Day, AFI, Screw 32… J’étais fan de punk rock, mais j’étais aussi fan de funk et de noisecore expériementale. Nous étions un peu le groupe de funk punk qui n’avait sa place nulle part, y compris sur la scène locale chez nous. Les groupes faisaient du punk, mais nous, nous faisions du funk punk. Ils étaient là : « Les mecs, vous êtes bizarres ! » Et nous : « On sait, mais on aime bien comme ça ! » Donc nous avons toujours été un groupe qui faisait un mélange de styles, dès les premières années. Mais ouais, il est clair que j’ai un cœur punk rock, et j’ai les histoires qui le prouvent. Les gens peuvent dire que je n’ai pas des racines punk rock, mais ils ne me connaissaient pas quand j’avais 15, 16, 17, 18 ans. C’est là-dessus que nous nous sommes fait les dents.
L’année prochaine marquera les vingt ans de votre album le plus emblématique, Infest. Avec le recul, qu’en penses-tu ?
Ça fait un bien fou de repenser à ces années-là, et ça me donne un grand sourire et beaucoup de joie dans mon cœur quand je repense à cette époque de ma vie. J’ai eu beaucoup de problèmes avec l’alcool et la drogue en ce temps, quand nous sommes devenus « célèbres ». Puis est venue une époque sombre qui a duré un moment, mais au début, tout était nouveau et excitant pour nous. Nous explorions le monde pour la première fois, nous voyagions à travers le globe et rencontrions de nouvelles personnes, à vivre des choses, à vendre des millions d’albums et à se faire un paquet d’argent. C’était comme si rien ne pouvait mal tourner. Et ensuite la réalité m’a rattrapé et m’a foutu une grosse baffe en pleine figure. Mais c’était une super époque. J’y repense avec beaucoup de tendresse.
« Nous explorions le monde pour la première fois, nous voyagions à travers le globe et rencontrions de nouvelles personnes, à vivre des choses, à vendre des millions d’albums et à se faire un paquet d’argent. C’était comme si rien ne pouvait mal tourner. Et ensuite la réalité m’a rattrapé et m’a foutu une grosse baffe en pleine figure. »
A quel point le Papa Roach d’il y a vingt ans est toujours là aujourd’hui ?
Je dirais que nous avons maintenu tout au long de notre carrière la passion et la conviction avec lesquelles nous abordions la scène. Nous sommes toujours un groupe qui se donne à cent pour cent sur scène, ainsi qu’en studio et dans la composition. Notre niveau global de passion envers le processus créatif est toujours le même. C’est comme si j’avais quelque chose en moi et qu’il fallait que je le fasse sortir ! Je pense que c’est quelque chose qui est clairement toujours vivant et se porte toujours bien en nous. D’un autre côté, il y a un petit peu plus de sagesse, j’imagine – la sagesse due au parcours personnel et aux expériences que j’ai vécues, ça m’a façonné en un homme nouveau. C’est donc à part égale la même chose et pas la même chose.
Si tu pouvais remonter le temps, que dirais-tu au jeune Jacoby ?
[Réfléchit longuement] Le jeune Jacoby n’écouterait pas, donc je lui dirais que dalle ! Je serais là : « Fonce, jeune homme, va t’éclater ! »
Généralement, les gens voient Infest comme étant votre premier album, mais vous aviez un autre album avant ça, Old Friend From Young Years. Comment vois-tu cet album aujourd’hui ?
C’était nous au tout début, essayant de comprendre quelle était notre identité en tant que groupe. Nous commencions à être un peu meilleurs à la composition. Avant ça, ce n’était que du bruit. J’ai vraiment le sentiment que c’est… C’est comme peindre aux doigts, par opposition à peindre avec un pinceau, de façon plus raffinée. Nous avions bien moins de compétences et de talent, mais la passion était là, et c’est ce qui importait. J’ai de bons souvenirs de cet album également. Avant que nous ne sortions Infest, nous avons sorti deux cassettes, un album et deux EP ; nous avons donc eu cinq sorties avant Infest. Nous avons vécu sept ans en groupe indépendant avant d’avoir un contrat avec une maison de disques, donc nous avons eu beaucoup de temps pour comprendre ce qui fonctionnait et ce qui ne fonctionnait pas.
Tu as toujours eu énormément d’énergie sur scène, et c’est toujours le cas à ce jour. Comment maintiens-tu une telle forme ?
Je ne sais pas ! J’essaye de faire un peu de yoga, un peu de course à pied ; j’essaye de manger sainement. Je ne bois plus d’alcool, donc ça a été un grand changement pour moi ; ça fait sept ans et demi maintenant que je n’ai pas bu une goutte d’alcool. Je monte sur scène et j’enclenche un interrupteur, c’est comme une force en moi qui me dépasse. Je puise dans d’autres choses.
Plusieurs associations chrétiennes en France ont essayé de faire annuler le Hellfest pendant des années, parfois rien qu’à cause du nom du festival. En tant que chrétien, quel est ton point de vue là-dessus ?
C’est horrible. C’est tellement nul ! C’est pourquoi lorsque je dis que je suis chrétien, c’est genre… Il y a tant de… Putain, les chrétiens sont tellement toujours là à porter des jugements sur tous les autres, c’est le problème avec les chrétiens. C’est une religion dogmatique et légaliste ; ils sont très moralisateurs envers tout le monde, et ils essayent d’imposer aux autres leur manière de vivre. Ce n’est pas comme ça qu’on atteint le cœur d’une personne. Quand on fait taire quelqu’un, il n’y a plus aucune communication. Comment peut-il y avoir de la place pour une conversation sur un Dieu aimant quand la personne qui croit en ce Dieu aimant dit : « Tu es horrible ! Tu es mauvais ! » Qu’ils aillent se faire foutre ! C’est exécrable. C’est pathétique, point barre. Je suis au Hellfest parce que j’aime les gens. J’aime la musique et j’aime les gens, c’est pour ça que je suis ici. Nous partageons la scène avec d’autres groupes qui sont à fond sataniques, et ça ne me pose pas de problème, car je connais mon chemin. Ça fonctionne pour moi. Un autre groupe et leur style de vie, ça fonctionne pour eux. Tous les goûts sont dans la nature. Voilà comment je vois les choses. Je trouve ça juste très triste quand les organisations religieuses nous regardent dans l’industrie musicale et pensent que nous sommes tous horribles. Elles ne comprennent pas.
Interview réalisée en face à face le 20 juin 2019 par Tiphaine Lombardelli.
Fiche de questions : Nicolas Gricourt.
Transcription : Tiphaine Lombardelli.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Site officiel de Papa Roach : www.paparoach.com.
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« Quand on fait taire quelqu’un, il n’y a plus aucune communication ».
Il a raison.
Hélas, dans la même réponse, il veut faire taire les chrétiens qui ne pensent pas comme lui.
« Comment peut-il y avoir de la place pour une conversation sur un Dieu aimant quand la personne qui croit en ce Dieu aimant dit : « Tu es horrible ! Tu es mauvais ! » Qu’ils aillent se faire foutre ! C’est exécrable. C’est pathétique, point barre. »
C’est magnifique d’auto-contradiction 😀
ça c’est vrai ça.
Je dirai plutôt que c’est magnifique d’auto-conservations !