De Sundown à Sulphur English en passant par Sky Burial et Paradise Gallows, ce n’est pas dans la légèreté que s’illustrent les Américains d’Inter Arma, bien au contraire : leur mélange de sludge et de death metal est sombre, torturé et écrasant ; il se déploie en longs titres corrosifs et souvent franchement désespérés. Mais un an après un Sulphur English particulièrement éreintant, changement d’ambiance avec Garbers Days Revisited, un album de reprises malicieux et enlevé où se côtoient Cro-Mags, Prince, Neil Young et Venom. Le titre même du disque est un clin d’œil au Garage Days Re-revisited de Metallica et son concept est un hommage à un lieu central de la scène musicale de Richmond en Virginie, Garbers, véritable melting-pot où répétaient des dizaines de groupes locaux. Il a dû fermer ses portes en 2016 et orne désormais la pochette de l’album. Retour aux sources comme tous les albums de reprises, entre allégeance aux prédécesseurs, réappropriation des classiques et morceaux de bravoure, avec Garbers Days Revisited, Inter Arma nous en fait une fois de plus voir de toutes les couleurs…
Il s’ouvre sur une reprise de « Scarecrow » de Ministry où les fans du groupe sont en terrain relativement familier : atmosphère sombre, paroles apocalyptiques et pilonnage industriel transformé en doom écrasant fusionnent pour un résultat où l’original est très reconnaissable mais la patte d’Inter Arma évidente. En effet, les deux écoles de la reprise – copie la plus conforme possible et réappropriation complète – sont représentées et parfois mélangées dans l’album. C’est avec les chansons les plus éloignées de leur univers que les Américains montrent le plus de virtuosité, notamment avec leur reprise de « Southern Man » de Neil Young, qui fait partie de leur setlist live depuis des années (l’album a en effet été enregistré alors que le groupe tournait pour défendre Sulphur English). Le classique folk est métamorphosé en sludge puis en black metal écorché, ce qui en révèle toute la modernité – hasard du calendrier, elle semble même particulièrement appropriée au contexte politique américain actuel… Il en va de même pour « The Girl Who Lives On Heaven Hill » d’Hüsker Dü, rehaussée pour l’occasion de blast beat infernal. À l’inverse, « March Of The Pigs » de Nine Inch Nails, autre incontournable du metal indus du début des années 90, est d’une fidélité à toute épreuve, tout comme « Hard Times » de Cro-Mags. Même la reprise la plus improbable de l’album, « Purple Rain » de Prince, qui referme l’album, colle consciencieusement à l’original. Ajoutée aux autres au dernier moment, la présence d’un T.J. Childers (batterie) imbibé au chant lui donne un petit côté karaoké de fin de soirée qui prouve le parti pris revendiqué par le groupe : « Nous n’avons pas enregistré un album de reprises pour délivrer un propos artistique puissant. Nous l’avons enregistré littéralement pour nous amuser. »
Et si les musiciens n’avaient aucune idée de la conjoncture dans laquelle allait sortir l’album lorsqu’ils l’ont enregistré, Garbers Days Revisited tombe à point : ludique et passionné, il est une bouffée d’air frais dans un contexte tendu, notamment dans le monde de la musique. Certes, il n’a pas l’intensité bouleversante des disques précédents, mais ce n’est pas son rôle. Il offre une échappée ; le plaisir des musiciens à reprendre leurs morceaux favoris – la plupart des originaux apparaissent dans la playlist de quarantaine du groupe, largement inspirée de ce que les membres écoutent en tournée – est contagieux, et offre un substitut salutaire à tous les concerts qu’à cause des circonstances nous n’avons pas vus, et ne verrons pas. Preuve de l’éclectisme de l’un des groupes les plus audacieux de sa scène, Garbers Days Revisited permet de faire la généalogie d’un style unique et hybride, et de se laisser aller à une nostalgie réconfortante… en attendant de pouvoir écumer les salles de concert à nouveau et retrouver Inter Arma et les autres sur scène.
Album en écoute :
Album Garbers Days Revisited, sorti le 10 juillet 2020 via Relapse Records. Disponible à l’achat ici