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Interview   

L’ivresse créative de Witherfall


Joseph Michael et Jake Dreyer, les deux complices leaders de Witherfall, respectivement chanteur et guitariste de leur état, se définissent volontiers comme des épicuriens. Ils aiment le bon vin – ils ont d’ailleurs sorti leur propre vin baptisé Tempest Red – et la bonne bouffe, et donc n’hésitent pas à se faire plaisir en tournée quand l’occasion se présente, notamment en France. Finalement, cette générosité, ce côté bon vivant et passionné se retrouve directement dans sa musique : un heavy metal progressif opulent qui ne s’interdit rien et aux émotions exacerbées.

Si la tristesse avait largement imprégné l’album A Prelude To Sorrow (2018) centré sur le décès de leur batteur Adam Sagan, sur le nouvel album Curse Of Autumn, ce sont plutôt la colère, la frustration et le regret qui prévalent. Des émotions négatives fortement inspirées par leur propre expérience de groupe dans une industrie « remplie de sangsues et de parasites ». Heureusement, Joseph et Jake savent aussi s’entourer de professionnels : afin d’obtenir un résultat à la hauteur de leur exigence, ils ont pu compter sur l’expertise du nouveau batteur Marco Minnemann mais aussi de Jon Schaffer – que Jake a côtoyé au sein d’Iced Earth et de Demons & Wizards – à la production. Reste que les récents événements les ont mis malgré eux dans une position délicate… On en parle ci-après avec eux.

« Nos groupes préférés sont des groupes comme Guns N’ Roses et Queen, qui ont différentes périodes et dont chaque chanson est un petit univers à part entière dans lequel on peut se perdre. »

Radio Metal : Vous avez passé les deux dernières années à composer, peaufiner et parfaire votre nouvel album Curse Of Autumn. Si on prend les deux albums précédents comme référence, qu’avez-vous cherché à améliorer sur Curse Of Autumn ? Quels sont les aspects et éléments particuliers sur lesquels vous vous êtes le plus concentrés durant ces deux années de composition ?

Joseph Michael (chant) : Nous ne faisons pas vraiment de pause dans la composition, et il n’y a pas de commencement ou de fin. Deux ans, ça correspond juste au temps qui s’est écoulé entre A Prelude To Sorrow et ce prochain album. Nous avons fait un EP entretemps aussi. Nous nous contentons de composer, nous ne prévoyons pas à l’avance le sujet d’un l’album, mais un thème commence à se dessiner au milieu du processus et ensuite, nous suivons cette direction, peu importe où la muse nous mène. C’est beaucoup en fonction de nos vies personnelles et du stade où nous en sommes dans nos vies. A Prelude To Sorrow était très lié à la mort de notre batteur Adam Sagan, c’était un genre de requiem pour lui. Cet album est plus personnel dans le sens où il parle de notre vie et pas de celle de quelqu’un d’autre. Nous avons été confrontés à de nombreux obstacles en lançant ce groupe.

Jake Dreyer (chant) : Du point de vue de la composition, nous n’avons jamais vraiment eu de but en nous y attelant. Nous voulons juste écrire ce que nous voulons écrire et élargir nos horizons. Si on imagine Witherfall comme étant un arbre, nous voulons étendre ses branches et le faire grandir encore plus. Nous ne nous sommes jamais dit : « Il nous faut un tube radiophonique. » Nous écrivons juste ce que nous avons envie d’écrire. Cet album est l’un de nos plus variés, nous avons des chansons qui sont les plus courtes que nous ayons faites et puis nous avons aussi un opus de quinze minutes en trois mouvements. Serons-nous contents quand nous nous poserons pour enfin écouter l’album ? Je pense que c’est ça l’unique but.

D’un autre côté, Jake, tu as déclaré que vous vouliez vous surpasser sur cet album…

Je pense que ça va sans dire. Je n’imagine pas un artiste dire : « Tu sais quoi ? Je crois avoir déjà atteint mon but, donc mon but maintenant est de faire un album plus merdique que le dernier » [rires]. Je suppose qu’il y a ce but, mais c’est un but qui sera toujours là. L’une des choses aussi concernant Witherfall, c’est que chacun de nos albums se démarque. Il n’y en a pas vraiment deux qui sonnent pareils. Bien sûr, ils ont de nombreuses similarités parce que c’est Joseph et moi qui faisons toute la composition, mais je pense qu’on pourrait écouter une chanson et identifier de quel album elle provient. C’est quelque chose que nous avons toujours apprécié chez nos influences aussi.

Joseph : Nos groupes préférés sont des groupes comme Guns N’ Roses et Queen, qui ont différentes périodes et dont chaque chanson est un petit univers à part entière dans lequel on peut se perdre. Si je te demandais à quoi ressemble Queen et que tu me faisais écouter deux chansons différentes, je te dirais qu’elles ne sonnent pas comme provenant du même artiste. On ne peut pas vraiment définir le son de Queen avec une seule chanson. Si tu écoutes « Another One Bites The Dust » et ensuite « Bohemian Rhapsody », ça ne dit rien du tout à cet égard. Notre centre intérêt, c’est de composer ce que nous pensons être de super chansons. Dans le contexte de ces albums conceptuels, nous avons une grande marge de manœuvre pour expérimenter avec différentes palettes sonores et différents styles. J’ai toujours dit depuis le premier jour que je déteste les classifications, je trouve que c’est l’ennemi de la bonne musique. Plein de groupes tombent dans le piège consistant à essayer de satisfaire les fans d’un certain genre musical au lieu d’essayer de composer de super chansons que tout le monde aimerait entendre.

Jake : C’est comme Led Zeppelin. Led Zeppelin avait des morceaux où c’était carrément un groupe de blues cradingue et ensuite il y avait d’autres chansons où ça sonnait comme si ça sortait d’une foire sur le thème de la Renaissance. Mais au bout du compte, ce sont toutes de bonnes chansons, elles représentent toute une caractéristique du groupe. Ce n’est pas comme si on se demandait ce que ces gars étaient en train de faire, on sait qu’ils explorent quelque chose. Je pense qu’il n’y a rien de pire que de sortir un album avec dix morceaux qui sonnent exactement pareil et suivent presque exactement la même formule. C’est ennuyeux, ça ne te fait pas voyager quand tu écoutes. J’aime voir les albums presque comme un divertissement, or c’est quelque chose qui s’est perdu ; tu le lances et c’est presque comme un film, tu vas jusqu’au bout.

« Quand tu réunis Anthony Crawford et Marco Minnemann, je pense que tu obtiens l’une des meilleures sections rythmiques actuellement en activité. »

Ce que je voulais dire, c’est que vous vous êtes effectivement surpassés, car tout dans cet album est à fond : la complexité des structures, le côté globalement épique et dramatique des chansons, la technicité du jeu de batterie, les solos de guitare, les lignes de chant, etc. On dirait que tous les coups étaient permis…

C’est toujours comme ça ! Nous n’avons pas de mal à couper des parties s’il le faut mais nous aimons toujours être les plus extravagants possible.

Joseph : Quand tu as dit « tous les coups sont permis », ce qui m’est tout de suite venu en tête c’est l’historique du navigateur de l’ordinateur désormais défunt de Jake [rires].

Jake : Je pense que ça a toujours été notre truc. Nous aimons les contrastes avec des trucs vraiment heavy et à la fois très sombres comme « Curse Of Autumn », et ensuite on a « The Last Scar ». Le contraste fait que chaque partie a encore plus d’impact quand on l’écoute.

Joseph : Thématiquement, même si « Curse Of Autumn » donne l’impression qu’on canalise Simon And Garfunkel, ces paroles sont assez lugubres.

Vous avez désormais Marco Minnemann à la batterie dans Witherfall, ce qui crée avec Anthony Crawford à la basse une section rythmique vraiment impressionnante. Comment le fait d’avoir Marco vous a permis de vous surpasser ? Qu’a-t-il apporté au groupe ?

Ça n’a pas eu d’influence parce que tout a été composé avant qu’il n’arrive. Le gars qui l’a précédé, c’est quand même Gergo Borlai… Quand on compose ce genre de musique, il n’y a pas que le côté technique qui est difficile à maîtriser, l’essence des chansons, c’est leur texture, leur musicalité. On ne peut pas juste avoir un gars capable de jouer des sextuplets rapides et ensuite tout rectifier après coup avec des samples. Ces gars sont de vrais musiciens, surtout Marco. Il est là à écouter les chansons et la direction que prend la musique, et il compose comme un orchestre de batterie dans sa tête pendant que nous travaillons. Je ne sais même pas s’il a écouté certains des morceaux avant que nous soyons entrés en studio. Il a un superbe esprit musical et la batterie ne fait que servir d’exutoire pour celui-ci. Il savait où nous allions sans même que nous ayons à lui expliquer. Ça ne se passe pas à la création des chansons, parce que nous ne travaillons pas comme ça. Jake et moi, nous nous posons ensemble avec un papier et un crayon et nous travaillons, et ensuite nous faisons des démos et nous les apportons aux autres gars. Ils ne sont pas vraiment impliqués dans la création, mais ils apportent clairement leur exécution, leur fibre artistique et une interprétation émotionnelle des compositions. On peut l’entendre si on écoute le jeu de batterie dans A Prelude To Sorrow puis dans Curse Of Autumn, il est clair que c’est une personne différente et un feeling différent.

Jake : Quand nous étions en train de travailler sur « …And They All Blew Away », il y a une section avec une succession de changements de signature rythmique et de métrique. Et j’étais là : « Comment Marco va-t-il jouer ça ? » Nous sommes allés en studio et il l’a fait à la première prise, nous étions bouche bée. Et il était là : « Je peux vous jouer quinze autres versions différentes de ce passage » [rires]. Quand tu réunis Anthony Crawford et Marco Minnemann, je pense que tu obtiens l’une des meilleures sections rythmiques actuellement en activité. Quand Anthony arrive au studio, il est hyper préparé, c’est quelqu’un de très musical aussi, donc nous pouvons dire : « On veut ce genre de feeling, peux-tu faire ça ? » et il nous donnera des tonnes d’idées. C’est vraiment l’éclate de travailler avec ces gars en studio. C’est aussi très amusant quand Joseph et moi composons les chansons en sachant que nous avons des musiciens capables de faire tout ça. Il n’y a pas de restriction. Ces gars sont vraiment doués et extrêmement talentueux, vu ce qu’ils sont capables de sortir et d’exécuter.

En parlant de ne pas avoir de restriction, tu as mentionné « …And They All Blew Away », un morceau de quinze minutes qui résume le voyage complexe et épique qu’est cet album. Pouvez-vous nous en dire plus concernant cette ambitieuse chanson ?

Joseph : Je ne sais pas ce que tu sais sur Anton LaVey mais il avait un concept de pensée sur le souhait et sa réalisation. L’idée principale est de se voir comme ayant un pouvoir presque surnaturel où lorsque l’on souhaite la disparition de toutes les personnes qui nous font du mal, ça crée une tempête qui les rassemble tous et les efface de la surface du globe. Tout ceci se passe dans notre tête. Les différents mouvements au sein de la chanson présentent différentes pensées autour de ça et tentatives de les réaliser. Le refrain encapsule l’idée et chaque couplet est un cadre de référence différent où on essaye de l’imaginer se réaliser. Nous avons beaucoup de choses comme ça ; tout le premier album se place dans la tête de l’auditeur ou dans ma tête au moment où j’écris, c’est vraiment comme une pièce de théâtre psychologique.

« Il nous arrive de faire intentionnellement un changement de métrique et un changement de tempo entre deux changements de tempo pour qu’un accord tombe exactement comme il faut, et ça énerve vraiment tous ceux qui doivent l’exécuter. Mais il ne faut pas en démordre, il faut être exigeant. »

Jake : « …And They All Blew Away » est la chanson qui a pris le plus de temps à composer, non pas parce que c’était une chanson difficile à composer, mais simplement parce qu’il faut être dans le bon état d’esprit – c’est émotionnellement épuisant. Surtout quand tu t’attaques à un morceau époque comme celui-ci, qui fait quinze minutes, c’est tout un numéro d’équilibriste pour que ce soit extravagant et dingue mais sans jamais perdre de vue le tableau d’ensemble. Je pense que souvent, quand les groupes composent ce genre de chanson, il n’y a rien dedans qui ait vraiment du sens. Ça ne s’enchaîne pas bien ou il y a certaines parties qui sont dispensables. Là, toutes les parties ont du sens, c’est trois mouvements différents en une seule chanson.

Joseph : Il y a plein de parties dans cette chanson qui requièrent énormément d’énergie physique. Quand nous sommes en train de composer, nous sommes assis tous les deux dans une pièce et tu arrives à une partie en 15/18 et t’es là : « Bordel, mais qu’est-ce qu’il se passe là-dedans ? » Tu essayes de taper la métrique et ensuite tu rentres la partie dans un ordinateur. Nous travaillons parfois quinze heures par jour, pour essayer de caler le côté technique comme il faut, pour comprendre la métrique, le tempo, etc. Nous pouvons passer une heure à nous demander si c’est le bon tempo. Au bout d’un moment, nous n’arrivons même plus à avoir un jugement, alors il faut que nous partions dans une autre pièce, buvions un coup et jouions des morceaux de classic rock pour nous vider la tête. Bon sang, nous avons probablement passé deux cents heures sur ce genre de truc rien que pour cette chanson.

Jake : Tout ça a vraiment son importance. Je me souviens quand nous étions en train de travailler sur A Prelude To Sorrow et que nous avions un batteur qui nous aidait pour faire des démos des morceaux. Nous avions un métronome et nous faisions une chanson à 132bpm, et ensuite nous étions là : « Ah, je ne sais pas. Je pense que ça devrait être 133bpm. » Ce n’est qu’un putain de nombre mais ça fait toute la différence ! [Rires]

Joseph : C’est l’une des raisons pour lesquelles Jake et moi contrôlons autant le processus. Tu te retrouves parfois avec des musiciens ou même des ingénieurs qui s’énervent vraiment parce que tu baisses le tempo de quelques bpm sur une nouvelle section. Il nous arrive de faire intentionnellement un changement de métrique et un changement de tempo entre deux changements de tempo pour qu’un accord tombe exactement comme il faut, et ça énerve vraiment tous ceux qui doivent l’exécuter. Mais il ne faut pas en démordre, il faut être exigeant et dire : « C’est ce que la musique réclame. Je me fiche que ce ne soit pas pratique pour toi ou que tu aies l’impression que ça n’a pas de sens. C’est comme ça que ça sonne dans notre tête, peu importe ce que ça dit sur le papier ou ce qu’il y a sur l’écran d’ordinateur. Tout ce qui compte c’est comment ça sonne pour nous et alors il faut que tu l’assures. »

Jake : C’est typiquement les gens qui ne veulent pas faire le boulot qui sont là : « Quelle importance ? » Heureusement, l’équipe que nous avons aujourd’hui comprend que ça a une importance et c’était un vrai plaisir de pouvoir faire ça. Tout est réfléchi.

D’un autre côté, vous avez choisi de conclure avec une reprise calme en acoustique du « Long Time » de Boston. Pensez-vous qu’il était nécessaire de relâcher la pression, pour ainsi dire, et de calmer le jeu avant de laisser l’auditeur quitter ce voyage ?

Joseph : Ce n’est pas tant une question de calmer le jeu… J’ai connu Tom Scholz de Boston quand j’étais gamin et Jake et moi sommes de gros fans de Boston, surtout de cette chanson. Un soir, pendant que nous étions en train de travailler sur « …And They All Blew Away », nous nous amusions avec la mélodie et les accords, et je ne sais comment, nous avons eu l’idée de transformer ça en une harmonie en mode mineur avec la mélodie qui reste à l’identique. J’ai commencé à penser au fait que Brad Delp, le chanteur, s’est ôté la vie et à quel point c’est tragique. Si tu lis bien les paroles, c’est une chanson vraiment triste et désolée. Dans le contexte de l’album, après « …And They All Blew Away », c’est plus comme si on avait eu une grosse dispute avec quelqu’un qu’on aime et à qui on tient beaucoup, il y a eu ce déchaînement de violence, qu’elle soit physique ou émotionnelle, et on se retrouve maintenant dans un horrible état émotionnel, avec un sentiment écœurant et affreux. C’est calme mais ce n’est en aucun cas apaisant ou rassurant. C’est vraiment une terrible fin [rires].

Jake : Nous avons aussi un peu fait ça sur A Prelude To Sorrow, nous avions « Epilogue », qui était une manière de faire le lien entre cet album et l’EP suivant. En fait, nous avons filmé une vidéo de la version complète de « Foreplay/Long Time », qui sortira vers le mois d’avril. C’était le genre de truc qui était juste sous notre nez, car nous venions de faire « I Won’t Back Down » de Tom Petty de la même manière. En gros, c’était un simple réarrangement d’accords et nous l’avons rendu plus lugubre et déprimant, plus Witherfall.

Joseph : Regarde les paroles, « ça fait tellement longtemps, je pense que je devrais partir… », et le gars a pris le putain de pot d’échappement de sa voiture, l’a raccordé à un tuyau d’arrosage dans l’habitacle et s’est tué. Dans le contexte, je n’arrive pas à imaginer quelque chose de plus sombre.

« Le problème, ce sont les gens dans l’entourage des groupes qui croient que tout leur est dû. C’est dégueulasse car c’est faux. […] Je suis sûr que tu as vu la série The Office, il y a toujours un emmerdeur qui est là pour compliquer la vie de tous les autres qui essayent juste de faire leur boulot. »

« The Other Side Of Fear » est une chanson qui a été initiée durant les sessions de Nocturnes And Requiems et était supposée ouvrir A Prelude To Sorrow. Pensez-vous que cette chanson crée un lien entre les trois albums ?

Je n’ai jamais pensé à ça.

Jake : Moi non plus. La raison pour laquelle nous n’avions même pas terminé « The Other Side Of Fear » pour A Prelude To Sorrow, c’est parce qu’elle ne convenait pas au thème de cet album et au type de chansons qui y figuraient déjà. Elle aurait fait tache.

Joseph : Elle n’avait pas été terminée et elle n’aurait pas été terminée, car la manière dont nous composons et dont les albums se construisent est très organique. Ce n’est pas comme si nous nous étions posés et avions décidé que nous allions faire un opéra rock sur la mort d’Adam. Nous nous sommes juste réunis pour composer, comme toujours ; il n’y avait pas de planning, pas de moment précis pour composer le second album. Nous sommes amis, donc quoi qu’il arrive, nous traînons ensemble. Nous nous retrouvons, nous nous posons, nous composons et nous buvons un coup. En quelques jours ou au fil de quelques sessions, nous commençons à avoir une vision claire de ce sur quoi nous sommes en train de travailler. Puis certaines chansons que nous avons initiées ou qui sont à l’état d’idée restent sur le carreau. C’est ce qui s’est passé avec « The Other Side Of Fear ». J’avais un thème pour le refrain et Jake avait deux ou trois riffs, nous avons travaillé dessus, mais à partir du moment où plusieurs autres chansons et le thème d’A Prelude To Sorrow ont pris forme, nous avons décidé d’arrêter de composer et de travailler sur cette chanson.

Jake : C’était clairement mieux ainsi.

Joseph : Oui, car elle convient parfaitement au thème du nouvel album. Or si nous l’avions terminée avant, elle n’aurait jamais fait partie du concept, elle aurait pris une autre tournure.

Jake : Je crois que c’est quelque chose que nous n’avons pas encore dit clairement dans la presse mais il y a une trilogie dans cet album, qui débute sa seconde moitié : « Curse Of Autumn », « The Unyielding Grip Of Each Passing Day » – le morceau instrumental – et « The Other Side Of Fear ». Nous voulions que ce soit un peu dans la veine de ce que Queen faisait, où le séquençage fait que les morceaux vont ensemble.

Joseph : Ils ont été composés ensemble. Si tu regardes nos notes, ces morceaux ont été spécifiquement composés pour aller ensemble comme trois mouvements différents. Sur l’enchaînement entre « Curse Of Autumn » et le morceau instrumental, il y a un petit truc que j’ai fait sur la démo, c’est-à-dire que j’ai pris l’accord de guitare de Jake et je l’ai inversé. On le retrouve sur l’album car la manière dont nous avons enregistré est très spécifique et ça fonctionnait de manière spécifique. C’est donc une partie de la composition qu’on ne peut pas vraiment changer.

Jake : Elles donnent vraiment la sensation de s’enchaîner de manière logique. Nous adorons composer comme ça, c’est comme un petit voyage dans lequel les gens peuvent embarquer. A la fois, nous ne pouvions pas appeler l’ensemble « The Other Side Of Fear », ça n’aurait eu aucun sens. Ce sont trois morceaux différents mais ils sont censés former une trilogie.

Thématiquement, cet album s’inspire des épreuves et des malheurs que vous avez vécus en essayant de lancer ce groupe dans lequel vous mettez tout votre cœur. Pouvez-vous nous en dire plus ? Qu’est-ce que ça implique de faire avancer un groupe comme Witherfall ?

Ca a été une bataille constante pour gravir les échelons depuis sept ans. Souvent, c’est dû à un manque de communication. Nous mettons tellement d’amour là-dedans que si nous ne recevons rien en retour à un autre bout, ça nous frustre énormément car ça foire constamment. C’est très frustrant d’être dans une telle situation. Parfois, quand on ne contrôle pas les choses, c‘est frustrant et on se retrouve rongé par l’anxiété. Je ne sais pas s’il est possible que ça ne se produise jamais. Si tu regardes un groupe comme Metallica, qui est le groupe de metal le plus célèbre de tous les temps, ils vivent probablement des moments où ils sont là : « Ce salopard n’a pas été à la hauteur. » J’ai lu qu’ils étaient contrariés parce qu’ils avaient du mal à composer avec Zoom, donc je suis sûr qu’ils sont furieux contre ceux qui ont créé Zoom [rires]. Je pense que ça vaut pour tout. Ça a été un putain de combat pour gravir cette montagne, et finalement se retrouver à se faire marcher sur les doigts.

Joseph : … ou se faire gifler lorsqu’on passe la tête au-dessus du précipice pour y jeter un œil. D’ailleurs, certains trucs comme ça nous sont arrivés en tournée en France…

« Il n’y a rien de thérapeutique dans le fait de revivre tout ce que nous avons vécu ou le décès de mon père. Ça fait mal à chaque fois que nous jouons la chanson. […] Si les chansons sont honnêtes, tu te retrouveras toujours à retourner vers ce qui t’a poussé initialement à les créer. »

Quels sont les plus gros obstacles sur lesquels vous êtes tombés ?

La fainéantise d’autres gens, le manque de professionnalisme d’autres gens, d’autres gens qui ne devraient rien avoir à faire là dans l’art.

Jake : Ce que nous voulons dire concernant ce qui s’est passé sur des tournées, c’est que ce n’est jamais à cause des groupes, nous apprécions ces gars. Nous aimons les groupes parce qu’ils comprennent d’où nous venons, ils sont eux aussi passés par là. Le problème, ce sont les gens dans l’entourage des groupes qui croient que tout leur est dû. C’est dégueulasse car c’est faux. Les groupes sont toujours sympas car ils font la même chose.

Joseph : L’industrie est clairement remplie de sangsues et de parasites. Un jour, notre carrière sera terminée et nous pourrons balancer des noms et ce sera génial. Je suis sûr que tu as vu la série The Office, il y a toujours un emmerdeur qui est là pour compliquer la vie de tous les autres qui essayent juste de faire leur boulot.

Emotionnellement parlant, l’album précédent traitait beaucoup de la tristesse. Diriez-vous que celui-ci c’est la frustration ?

La frustration et un peu le regret. Ce n’est que négatif [rires]. Le dernier album – même s’il parlait de la mort d’Adam Sagan – avait des passages positifs, par exemple lorsque tu perds quelqu’un et que tu peux sourire en pensant à lui. Mais là, il n’y a rien de tout ça, il n’y a pas le moindre bon côté, il n’y a que du négatif. Il n’y a que du châtiment. La chanson « The River » parle de la perte de mon père et d’une rivière où on a répandu ses cendres, et je n’ai même pas pu me rendre à ses funérailles à l’époque du 11 Septembre. Rien que cette chanson est bourrée de regrets et de sentiments négatifs, il n’y a strictement rien de positif là-dedans.

Le fait de parler dans cet album de ce à quoi vous êtes confrontés en tant que groupe, était-ce une autothérapie pour vous ou bien avez-vous voulu partager votre expérience avec les gens, pour qu’ils aient conscience de la réalité d’un groupe et peut-être pour préparer d’autres musiciens à ce qui les attend ?

Jake : Les gens doivent faire leur propre chemin. Quelqu’un peut te dire sans arrêt : « Ne touche pas la plaque chaude », si tu as vraiment envie de la toucher, tu la toucheras et tu découvriras par toi-même. Nous pourrions expliquer sans cesse aux gens qu’être dans un groupe, c’est une carrière super difficile, s’ils en ont l’intime conviction, ils feront quand même ce choix de carrière. Nous n’essayons de donner de leçon à personne.

Joseph : Tu sais, il existe ces pièces où on peut aller pour casser des choses afin d’évacuer notre agressivité. Être un artiste, c’est comme casser tout ce qui est à ta portée, rentrer dans son propre esprit et en extirper toutes ces émotions. Sauf que dans ce cas, tu casses tout ce qu’il y a dans ta propre maison en faisant beaucoup de dégâts. Il n’y a rien de thérapeutique dans le fait de revivre tout ce que nous avons vécu ou le décès de mon père. Ça fait mal à chaque fois que nous jouons la chanson. Quand nous jouons « Vintage » en concert, ces émotions sont là. Je ne crois pas que ce soit une thérapie, car nous revivons continuellement ces moments.

Jake : Quand nous avons travaillé sur A Prelude To Sorrow, ça parlait d’Adam, et c’était tellement proche de son décès que ça a été une thérapie. C’était un peu une manière d’évacuer nos émotions. C’est la raison pour laquelle, je pense, cet album est plein de sentiments différents ; quand on l’écoute, il part dans tous les sens émotionnellement parlant. C’est parce que nous évacuions nos émotions au travers de la composition. J’ai vraiment eu l’impression après cela que nous l’avions accepté – je ne vais pas dire que nous avions trouvé la paix, car il n’y a rien de paisible quand ton pote meurt d’un cancer à l’âge de trente-six ans. Tu n’es pas heureux quand tu joues en concert une chanson comme « Vintage », tu es tout de suite renvoyé là-dedans.

Joseph : Si les chansons sont honnêtes, tu te retrouveras toujours à retourner vers ce qui t’a poussé initialement à les créer.

Il y a deux chansons dans l’album – « The Other Side Of Fear » et « Tempest » – qui parlent d’anxiété. Est-on souvent confronté à l’anxiété quand on est dans un groupe aujourd’hui ?

Jake : Oui, tout le temps, tous les jours [rires].

Joseph : C’est pourquoi nous buvons autant ; ce n’est pas sain de prendre des comprimés, donc de deux maux nous choisissons le moindre. Il y a différents types d’anxiété. « The Other Side Of Fear » parle de surmonter violemment l’anxiété alors que « Tempest » prend le point de vue inverse où on trouve la sérénité. C’est vraiment sympa la manière dont la musique reflète les paroles et vice versa, avec ce refrain calme, comme si on était dans l’œil du cyclone. Les couplets cherchent à affronter l’anxiété et tout d’un coup, tu te retrouves dans un moment de révélation. C’est vraiment cool la manière dont ça a été fait. C’était très organique aussi, je ne pense même pas que nous l’avions envisagé comme ça. Les deux chansons parlent d’anxiété, mais ce sont deux manières différentes de la gérer.

Jake : Comme Peter Steel l’a dit : l’eau rouge chasse l’anxiété [rires].

« Quand on travaille avec Schaffer, on sait qu’il n’y a pas de connerie. Il te le dira direct si quelque chose est nul. Si tu te sens offensé, alors c’est que ce n’est pas fait pour toi [rires]. »

Jon Schaffer a produit l’album et Jake, tu fais partie d’Iced Earth et du line up live de Demons & Wizard. Il se trouve d’ailleurs que tu as rejoint Iced Earth avant la sortie du premier album de Witherfall. Etait-ce juste une question de temps pour que vous vous retrouviez à faire produire un album de Witherfall par Jon ?

En fait, nous avions fini Nocturnes And Requiem avant que je rejoigne Iced Earth, c’est juste qu’il est sorti après. Le single est sorti pile au moment où Adam est mort en décembre 2016. Jon Schaffer était fan de Witherfall et il voulait produire notre musique, il pensait pouvoir nous faire faire de super prises et obtenir un super son. Jon est un vrai pro, et nous avons aussi fait intervenir Jim Morris et Tom Morris pour constituer cette équipe, mais c’était quand même Joseph et moi qui avons écrit les chansons. Nous ne voulions pas aller en studio comme certains groupe qui sont là : « J’ai un couplet mais j’ai besoin du reste de la chanson, pouvez-vous m’aider ? » Ce n’était pas du tout comme ça, nous avions déjà tout composé. A cause de la pandémie, Jim et Jon n’ont pas pu venir pour l’enregistrement de la batterie, donc nous nous en sommes occupés nous-mêmes, Joseph et moi, avec Marco et un ingénieur qui s’appelle Brad Cook qui a travaillé pour Slash et les Foo Fighters. Puis Jon est venu, et lui et Jim ont posé leurs oreilles sur nos enregistrements. Nous savions que nous allions obtenir de super prises avec eux, qu’ils allaient nous pousser dans la bonne direction. Quand nous avions terminé, nous savions que nous avions obtenu exactement le meilleur de ce que nous étions capables de faire.

Joseph : Nous produisons toujours notre propre musique mais Jon s’est rapproché de Jake et avec son héritage, ses oreilles et son coaching, nous savions que ce serait un véritable atout et que ça nous libérerait, que nous ne serions pas obligés d’endosser ce rôle de producteur pendant que je chante, par exemple ; je n’allais pas être là à essayer de savoir si c’était la meilleure prise. Ça a beaucoup apporté à l’équipe, indépendamment de ce tout ce qui s’est passé durant les dernières semaines. Je pense que la musique et la qualité de la production parlent d’elles-mêmes.

Jake : Quand on travaille avec Schaffer, on sait qu’il n’y a pas de connerie. Il te le dira direct si quelque chose est nul. Si tu te sens offensé, alors c’est que ce n’est pas fait pour toi [rires]. Si ça a fonctionné avec Schaffer, c’est parce que nous sommes vraiment de gros bosseurs et nous avons tellement donné à cet album que nous savions qu’il allait réussir à obtenir de nous de très bonnes choses. Il a dit qu’Anthony Crawford était le meilleur bassiste avec qui il avait travaillé.

Joseph : Oui, c’est probablement vrai [rires].

Comment c’était pour une fois d’être son patron ?

Jake : On ne peut jamais vraiment être le patron de Schaffer [rires]. Au bout du compte, il voulait que nous soyons contents. Il fallait que nous soyons contents de ce que nous étions en train de faire. Ce qui est cool aussi, c’est que Schaffer a été dans notre situation en tant qu’artiste, et il a travaillé avec des producteurs. Il sait que c’est notre bébé, qu’il y a une limite à son apport et qu’au final, c’est nous qui avons le dernier mot.

Joseph : C’était une vraie équipe. C’était vraiment une super équipe, tous les quatre dans la pièce. Entre nos oreilles et nos goûts respectifs, je pense que tout se mélangeait très bien.

Jake : Cet album a été vraiment amusant à faire, alors que les autres étaient rongés par l’anxiété.

Joseph : Nous avons passé vingt-cinq jours à travailler sur l’album avec Jon et Jim, et ensuite nous avons encore passé du temps sur le mixage. Mais il n’y a pas eu beaucoup de mauvais moments ou de conflits. C’était juste quatre professionnels qui travaillaient dur pour que cet album sonne du mieux possible. Nous avons aussi un peu bu [rires].

Même si vous avez votre propre truc – surtout sur l’aspect progressif –, on ressent une parenté entre Witherfall et Iced Earth. Jake, penses-tu que ton travail avec Iced Earth a un peu déteint sur Witherfall, d’une façon ou d’une autre ?

Jake : Non, je pense que Witherfall et Iced Earth sont des entités complétement séparées en ce qui concerne notre approche de la composition. Si les gens pensent ça, surtout avec cet album, je pense que c’est parce que l’équipe qui a posé l’oreille dessus était constituée de Jon Schaffer, Jim Morris et Tom qui ont travaillé sur d’innombrables albums d’Iced Earth et de Demons & Wizards. Evidemment, on allait retrouver ce genre de son, mais la composition en tant que telle, je ne sais pas. Si ça a pu s’incorporer, c’est inconscient. Ce n’est pas comme si nous cherchions à faire une partie qui sonne comme Dream Theater ou Nevermore par exemple, ça ne se passe jamais comme ça, ça vient tout seul.

« Dans ce business, il n’y a pas énormément de gens qui sont très bons dans leur domaine. Il faut vivre avec les caractéristiques et la personnalité de ceux qu’on trouve. »

Maintenant je suis bien obligé d’aborder la question de l’implication de Jon au Capitol…

Joseph : On ne peut pas parler de notre vin à la place ? [Rires]

Jake : J’aurais vraiment aimé que les gens comprennent que même si nous avons travaillé avec Jon et qu’il a été mon employeur, ça ne signifie pas que nous avons les mêmes points de vue que lui. Nous n’étions pas là au Capitol, nous ne savions même pas qu’il allait au Capitol. J’aimerais que les gens voient ça. Le truc, c’est que dans ce business, il n’y a pas énormément de gens qui sont très bons dans leur domaine. Il faut vivre avec les caractéristiques et la personnalité de ceux qu’on trouve. Ces gars sont tous des adultes, ce n’est pas comme si je pouvais les changer. En gros, si tu veux travailler avec eux, il faut l’accepter. Nous ne cautionnons pas ce qui s’est passé là-bas, nous ne sommes pas politisés, surtout pas en public. Nous ne parlons pas de nos opinions politiques en public. Nous ne cautionnons pas du tout ce que Schaffer a fait et la violence. Ça m’énerve que Witherfall ait été mis dans cette situation parce que nous ne l’avons pas demandé, nous n’avons pas demandé à être impliqués là-dedans.

Joseph : Nous ne prenons clairement pas part aux chamailleries de militants politiques qu’on voit ce moment. S’il y a un sujet en lequel je crois vraiment, je ferai savoir mon point de vue mais je ne sors jamais pour soutenir une équipe, d’une manière ou d’une autre. Je trouve juste que c’est vraiment triste que ces gens, Schaffer inclus, se soient retrouvés aspirés dans ce machin conspirationniste et aient fait ce qu’ils ont fait.

Jake : D’un point de vue légal, on ne sait pas ce qui s’est passé là-bas. Par rapport à Witherfall, d’un point de vue du business – c’est tout ce qui me préoccupe à cet égard, même si je sais que ça peut paraître égoïste – si nous prenons parti, nous nous mettrons à dos tout un autre groupe de fans. On nous a mis dans cette position merdique et nous essayons d’y trouver une issue, et ça me contrarie vraiment, je suis en colère.

Joseph : Les divisions sont vraiment exacerbées actuellement aux Etats-Unis. Si tu es considéré comme étant quelqu’un penchant à gauche et que tu dis : « C’est dégueulasse que ces flics se soient fait tuer au Capitol », plutôt que les gens de droite disent « ouais, tu as raison, c’est dégueulasse, des flics ont été tués », ils disent : « Pourquoi n’as-tu rien dit sur les émeutes l’été dernier ? » Tu ne peux pas gagner, tu ne peux même pas avoir un point de vue objectif alors que tout le monde sait pertinemment que c’est mal, parce qu’on te le renvoie à la figure avec quelque chose d’autre qui s’est passé et qui n’a strictement aucun lien. Voilà la situation dans laquelle s’est fourré le pays.

Jake : Je pense que personne, d’un côté comme de l’autre, n’est suffisamment intelligent pour avoir une vraie conversation sur le sujet sans absolument vouloir donner raison à son camp. Toute cette idée de camp me débecte, j’emmerde ça. Bref, j’ai dit que nous n’allions pas rentrer dans la politique [rires]. Je suis juste un peu contrarié que nous soyons obligés de réponde à ces questions car nous n’étions pas là, nous n’avons pas demandé à nous retrouver associés à ces conneries. Nous faisons profil bas, si vous allez sur nos réseaux sociaux, nous ne parlons pas du tout de ces trucs conspirationnistes. Le fait que des gens veuillent nous associer à ça n’est franchement pas intelligent.

Joseph : Si nous avons quelque chose à dire, nous écrirons une chanson dessus. Toute idée politique que j’aborde en chanson est généralement tellement emmaillotée dans des métaphores que personne ne saura jamais de quoi je parle à moins de me croiser dans la rue et de me demander directement. Arrivera peut-être un jour où il y aura un sujet tellement terrible, et Witherfall sera devenu un phénomène socioculturel tel qu’il nous permettra de vraiment changer quelque chose [rires], que peut-être nous l’ouvrirons. En attendant, nous aimons faire de la musique et composer des chansons. Ce qui s’est passé est triste, nous sommes tristes pour tous ceux impliqués, y compris ceux qui ont été fourvoyés et menés là.

Jake : Le vin, les femmes et les chansons, Witherfall se résume à ça [rires].

« On nous a mis dans cette position merdique et nous essayons d’y trouver une issue, et ça me contrarie vraiment, je suis en colère. […] Je suis dans ce putain de business pour essayer de gagner des fans. Je n’ai pas envie de perdre des fans, surtout pour quelque chose que je n’ai pas fait. »

Comment est-ce que ça va affecter le futur d’Iced Earth ? Car les fans d’Iced Earth sont très divisés actuellement…

Complètement ! A cent pour cent. Ce que je veux dire aussi, c’est que je dois faire attention à ce que je dis, car les gens sont tellement à fleur de peau qu’ils prendront parti pour un côté ou pour l’autre. Je suis dans ce putain de business pour essayer de gagner des fans. Je n’ai pas envie de perdre des fans, surtout pour quelque chose que je n’ai pas fait. C’est frustrant. Concernant Iced Earth, je n’ai pas de réponse à te donner. Tu en sais autant que moi sur la situation avec Jon. Tout ce que je sais, c’est ce qu’on peut trouver sur les sites internet. Même quand je parle au management, ce qu’ils pensaient devoir se passer ne s’est pas passé, donc je ne peux même pas me tourner vers eux. On est dans le flou sur ce sujet mais c’est vraiment tout ce que je peux dire.

Joseph : Tant que Jon n’aura pas fait de déclaration, je crois que personne ne saura rien.

Vous avez déclaré vouloir que « tout ce que vous faites dans Witherfall soit une œuvre d’art à part entière. [Vous] command[ez] les peintures et en conséquence, elles servent un objectif symbolique. [Votre] merch a aussi autant d’importance » à vos yeux et vous citez même Ghost comme référence. Du coup, comment définiriez-vous l’univers de Witherfall ?

Ce qui importe en premier lieu, c’est la musique, et je pense que Jake sera d’accord. Nous voulons écrire nos compositions et les laisser parler d’elles-mêmes. Evidemment, ce n’est plus comme dans les années 1700 où les compositions pouvaient parler d’elles-mêmes et où on pouvait aller au théâtre, voir, écouter et c’est tout. Tout le côté visuel est une projection de ce que représente la musique et l’atmosphère de celle-ci doit d’abord ressortir visuellement, car les gens ne jugent pas d’abord la musique pour ensuite aller voir les images, ce sont toujours les images qui donnent la première impression, mais la musique reste la chose la plus importante.

Jake : Notre univers s’est en grande partie construit avec l’artiste Kristian Wåhlin qui réalise toutes nos illustrations, qui, avec notre logo, nous représentent très bien visuellement en tant que groupe. Kristian est l’un de ces gars à qui nous donnons le plus de marge de manœuvre pour tout ce qui a trait à Witherfall, en dehors de Joseph et moi. Il a de nouveau démontré qu’il était hyper fiable et qu’il nous comprenait.

Joseph : Il comprend. Dès que nous lui avons envoyé les démos et les paroles de Nocturnes And Requiems, il est revenu avec un croquis qui s’est avéré presque prophétique, de façon sombre. On peut le voir quand quelqu’un pense comme nous, en tout cas dans le domaine de l’art. Il comprend ce que nous essayons de faire. Nous sommes probablement le groupe le plus sombre ayant du chant clair et je pense que les illustrations reflètent le contenu des albums.

Jake : Les vidéos sont censées être divertissantes, c’est généralement quelque chose qu’on peut regarder et apprécier en tant que support pour délivrer une chanson. Nous voulons que les gens les regardent et soient visuellement stimulés. Notre véritable imagerie, ce sont nos photos, la manière dont nous dépeignons le groupe visuellement et les illustrations.

Joseph : Car les chansons sont tellement différentes qu’il est impossible d’avoir une continuité dans les clips. Chaque chanson a une ambiance et un feeling différents, et certaines vidéos sont très liées au thème de la chanson et d’autres sont purement divertissantes, comme le clip de Zev Deans.

Jake : Si on compare « The Other Side Of Fear » et « The River », c’est diamétralement opposé. C’est marrant de lire les commentaires pour voir quelles vidéos les gens aiment et lesquelles ils n’aiment pas, c’est divisé. L’aspect visuel, celui auquel nous prêtons vraiment attention – pas que nous ne prêtons pas attention aux clips, mais je parle de celui qui nous fait passer des nuits blanches – ça représente notre manière de nous dépeindre, il suffit de regarder les albums. Heureusement, nous avons Kristian, dont les illustrations complètent les albums. La couleur de Curse Of Autumn me rappelle énormément la chanson « …And They All Blew Away », on peut écouter ce morceau et se perdre dans l’illustration. C’est ce que j’ai toujours voulu pour le groupe, comme dans les années 70 : tu regardes et tu écoutes, et tu te perds dedans. Je pense que c’est quelque chose auquel les artistes aujourd’hui ne pensent plus trop.

« Ce serait génial de monter une grosse production scénique, comme Pink Floyd avec un putain de cochon volant ou une bouteille de vin géante ou je ne sais quoi. »

Vous avez une couleur spécifique associée à chacun de vos albums, celui-ci étant rouge. Voyez-vous ceci comme une forme de synesthésie ?

Complètement. L’une des premières chansons sur lesquelles nous avons travaillé était « The Last Scar » et c’est une chanson vraiment enragée, agressive, nerveuse. Joseph et moi aimons beaucoup entendre ou voir les chansons en couleurs, et celle-ci était à fond dans le rouge. « The Other Side Of Fear » a aussi ce genre de son. C’est avec ça que nous avons commencé et à mesure que nous composions les autres chansons, la couleur s’est un peu transformée pour devenir ce que Kristian a proposé, c’est-à-dire une couleur brûlée, terre de Sienne – je crois que ça s’appelle comme ça [petits rires].

Joseph : On dirait le nom d’une stripteaseuse [rires].

Sur A Prelude To Sorrow, vous aviez un guitariste supplémentaire, Fili Bibiano, qui n’est pas resté longtemps dans le groupe. Avez-vous abandonné l’idée d’avoir un second guitariste dans le groupe ?

Est-ce que Fili a joué ne serait-ce qu’un accord ?

Jake : Il n’a rien joué du tout là-dessus. Dans les groupes, il y a des Anthony et il y a des Fili [rires]. C’est un autre problème dans cette putain de bataille que représente le fait de faire partie d’un groupe. Fili est un super guitariste, mais il ne gérait pas son alcool, c’est devenu une évidence lors de la tournée au Japon, donc nous avons dû nous débarrasser de lui aussi vite que possible.

Joseph : Pour ce qui est d’avoir un second guitariste, nous ne savons pas. Nous sommes un cirque ambulant, des gens descendent et montent dans le tacot.

Jake : Nous avons un claviériste désormais, Alex [Nasla], qui couvre quelques parties de guitare. Qui sait ce que l’avenir nous réserve. La manière dont nous abordons le live est différent du studio. Il ne nous vient jamais à l’idée de ne pas pouvoir mettre une partie de guitare parce que nous ne savons pas comment nous allons la jouer en concert. Pour revenir sur Queen, regarde comment Queen faisait. Brian May avait un putain d’orchestre de guitares mais ils jouaient ces chansons différemment en live. Ils choisissaient les meilleures parties et ça fonctionnait très bien, ils ne balançaient pas 75 pistes samplées de guitares en live. Tous ces morceaux peuvent être réalisés en live, mais le live c’est complètement différent de la composition. Nous n’aurons jamais un autre guitariste qui composera de nouveaux morceaux, ça restera entre Joseph et moi.

Joseph : Au niveau où nous sommes en tant que groupe live, on ne peut pas faire voyager plus de musiciens que nous le faisons déjà. Même les capacités d’accueil des bus à ce niveau sont prohibitives. Pour moi, si le groupe devenait plus gros, je n’exclurais rien, y compris la configuration dans laquelle s’est retrouvé Guns N’ Roses. Enfin, je ne suis pas en train de dire que nous allons avoir des nanas noires qui secouent des maracas, carrément pas ! Mais je n’exclurais rien dans notre univers musical. Ce serait génial de faire A Prelude To Sorrow en intégralité avec tout l’arrangement, mais il faudrait genre trois claviéristes ou je devrais en jouer moi-même. J’aime ce genre grosse production et je sais que Jake est un énorme fan de l’époque Use Your Illusion de Guns N’ Roses mais c’est un tout autre budget.

Jake : Comme Joseph disait, la logistique quand on rajoute une personne, l’espace dans le bus… En fait, je préfèrerais embaucher plus de personnes dans l’équipe technique.

Joseph : C’est parce que tu n’as pas envie de porter tes affaires [rires].

Jake : Bon, il y a aussi ça, mais tu peux être le plus grand groupe du monde, tu rencontreras toujours des problèmes avec le son live et, soyons honnêtes, les locaux qui travaillent dans certaines salles, même s’il y en a qui sont vraiment super, certains d’entre eux sont encore plus bourrés que nous et sont incapables de bosser. Notre style de musique est complexe, c’est compliqué à mixer. Je pense que ce serait le plus important dans l’immédiat. Il y a une tonne de trucs, c’est sans fin quand on regarde bien.

Joseph : Je pense que ce serait génial de monter une grosse production scénique, comme Pink Floyd avec un putain de cochon volant ou une bouteille de vin géante ou je ne sais quoi, mais sérieusement, il faut faire avec ce qu’on a pour l’instant.

Jake : Il y a la réalité. Un jour, si nous sommes en mesure de jouer dans de gros festivals et proposer quelque chose de sympa, je nous vois bien faire ça, mais pour l’instant, voyons déjà si nous pourrons jouer en 2021 ! Nous avons cette tournée avec Evergrey qui arrive et qui sait ce qui va se passer ?

« Le vin coule littéralement dans mes veines ! C’est avec le vin que nous composons chacun de nos albums, c’est notre essence, notre carburant. »

Vous avez sorti votre propre vin baptisé Tempest Red. Quelle est votre relation au vin ?

Joseph : Jake est constitué à quatre-vingt-douze pour cent de vin [rires].

Jake : Le vin coule littéralement dans mes veines ! C’est avec le vin que nous composons chacun de nos albums, c’est notre essence, notre carburant. La chanson « Vintage » a été écrite à propos d’Adam mais le titre vient d’un bar à vin qui était situé dans la même rue que mon appartement à Los Angeles, à Hollywood. Joseph et moi y sommes allés le soir où nous avons appris qu’Adam Sagan souffrait d’un cancer et a été anéanti. Ensuite, le plus étrange, c’est que lorsque nous avons achevé le morceau « Vintage », à l’époque d’A Prelude To Sorrow, nous sommes retournés dans cet endroit pour célébrer. Ça devait être plus tôt dans la journée, peut-être que nous venions de finir d’enregistrer la démo. Pendant que nous travaillons, parfois nous faisons une pause-café – c’est le moment où nous écoutons nos démos enregistrées pendant que nous étions ivres la veille au soir et où nous essayons de les comprendre – et peut-être que nous sommes allés dans ce bar après, mais quand nous sommes arrivés, les deux propriétaires en sont venus aux mains et ont envoyé une bouteille de vin par la fenêtre. Il va sans dire que le bar a été fermé [rires]. Donc l’idée du vin est parfaite pour Witherfall.

Joseph : Les références bachiques, Pan et Dionysos trouvent un écho chez nous. Evidemment, il existe depuis longtemps une association entre le vin et les artistes. Je ne sais pas quelle quantité d’alcool tu absorbes mais les différents types d’enivrement produisent des effets différents. On peut boire une bière et se sentir un peu différent, un peu négligent et un peu moins concentré ; ou on peut boire l’alcool fort et être un peu chahuteur, énervé et faire de mauvais choix ; ou on peut boire du vin et ça devient presque un stimulant mental, peut-être que c’est juste la bonne dose de sucre. Ça éveille un intérêt, je pense. Je ne pense pas que ça nous pousse à créer quoi que ce soit, mais ça déclenche une envie de se poser et de travailler sur des choses.

Jake : Il y a aussi que ça peut masquer certaines conneries qui peuvent bloquer ta créativité quand tu es constamment en train de penser à des trucs stupides auxquels tu ne devrais pas penser mais tu ne peux pas t’en empêcher. Encore une fois, pour revenir à cette citation, « l’eau rouge les chasse », c’est ce que nous faisons. Il est certain que lorsque Joseph et moi traînons ensemble, il y a toujours une guitare à proximité et un album Witherfall sera composé.

Plus spécifiquement, que pouvez-vous nous dire sur le vin Tempest Red ?

Joseph : C’est un bio très propre et produit de manière très organique. Les raisins proviennent de Dulzura, dans le sud de la Californie, près de San Diego. Tu as de la chance, tu es en France. Il y a des lois, vous ne pouvez pas faire n’importe quoi avec les vins en France ou les AOC. Ici en Amérique, ils peuvent mettre tout ce qu’ils veulent et ils ne sont pas obligés de le maquer sur la bouteille. Personnellement, je n’aime pas boire les vins californiens parce que je sens les additifs. Nous ne rajoutons rien dans notre vin, pas de Mega Purple, pas de sulfite, rien de tout ça. C’est pourquoi ça m’a beaucoup intéressé quand j’ai parlé au gars, il m’a assuré qu’il n’ajoutait rien dans ses produits. C’est du bon vin.

Jake : C’est un vin qui est super à déguster seul. Certains des vrais grands vins rouges ayant beaucoup de corps, c’est mieux de les boire pour accompagner un repas ou une forme de nourriture pour vraiment en faire l’expérience, mais avec celui-ci, on n’est pas obligé. Je pense que nous avons bu toutes nos caisses personnelles en seulement quelques jours. Quand nous avons créé les étiquettes pour les bouteilles, nous l’avons fait presque dans le même état d’esprit que nous créons un album, nous voulions vraiment qu’il y ait la marque Witherfall. C’était assez marrant de faire ça avec du vin, car ça reste créatif mais c’est un domaine un peu différent et il y a aussi moins de pression. Nous nous sommes beaucoup amusés. Le millésime de 2019 a été épuisé avant même les envois des préventes et nous avons désormais l’assemblage de 2020. Avec la pandémie, tout le monde a bu comme des dingues parce qu’on ne peut pas aller au bar [rires].

Joseph : Ils peuvent vous les livrer au pas de votre porte aussi. C’est bien.

Vous buvez beaucoup de vins français ?

Les deux : Oh oui !

Jake : C’est le meilleur !

Joseph : Sur la dernière tournée, j’ai cru que j’allais avoir des problèmes parce que j’ai rempli mes valises de vin, il n’y avait que ça dedans, mais heureusement, je ne me suis pas fait arrêter à la douane.

Jake : Nous sommes des salopes épicuriennes [rires]. Quand nous étions à Lyon, il y avait un restaurant étoilé juste à côté de la salle où nous jouions et une fois que nous avons fini de jouer, nous sommes allés là-bas pour manger. C’était le meilleur repas que nous avons jamais mangé !

Joseph : Je crois que nous n’avons même pas fait exprès. Ça avait l’air bien et ensuite nous avons regardé sur le téléphone ce que c’était. D’ailleurs, il y a une histoire par rapport à ce restaurant ! Sur cette tournée, nous avions fait un arrangement acoustique et nous avions un percussionniste, Ahmad Dawson, qui nous accompagnait et qui était végétalien pour des raisons religieuses ou spirituelles. Nous sommes donc allés dans ce restaurant et alors Jake, bien sûr, commande le plus gros steak pour partager avec tout le monde à table. Le steak arrive et Ahmad était là : « Bordel, je suis en France, je vais manger ce steak ! » [Rires]

Jake : Nous avions copieusement bu du très bon vin rouge français. Il y avait ensuite des magouilles au stand de merch, je suis quasiment sûr que nous avons perdu de l’argent. Nous étions sans doute là : « Voilà ta monnaie ! » en rendant cinquante euros au lieu de cinq. Il nous faut aussi un mec pour s’occuper du merch avant de chercher un autre guitariste [rires]. Quand j’étais dans mon groupe précédent, nous avions joué avec Kamelot dans cette même salle, le Ninkasi Kao, qui est elle-même connectée à un restaurant et une brasserie. C’était mon pire moment sur scène. Je n’ai jamais été aussi malade de ma vie en jouant sur scène. La dernière fois était une bien meilleure expérience !

Joseph : A deux pas de ce restaurant étoilé. C’était vraiment bizarre.

Jake : C’était incroyable ! Je ne sais pas si nous allons y jouer sur cette prochaine tournée. J’espère !

Interview réalisée par téléphone le 26 janvier 2021 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Emilie Bardalou.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Stephanie Cabral.

Site officiel de Witherfall : www.witherfall.com

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