Ça fait maintenant quelques temps qu’on peut le constater : avec l’apparition de jeunes musiciens de plus en plus nombreux dans le rock à pratiquer une musique à base de blues issue grandes années 60/70 (les Rivals Sons et Blues Pills en sont aujourd’hui les têtes de gondole), un réel besoin de renouer avec les racines du rock, avec l’authenticité d’antan, a émergé ces dernières années. « Honnêtement, nous avons tous besoin d’air frais » nous explique le jeune guitariste du Wisconsin (mais relocalisé à Los Angeles) Jared James Nichols qui, avec son nouvel album Old Glory And The Wild Rival, embrasse un blues rock intemporel et plein de feeling, comme il se doit. Il poursuit : « Les gens en ont marre qu’on les gavent de musique. Si tu me demandes, 99% de la musique pop est totalement bonne à jeter. Lorsque tu entends de la vraie musique, tu y adhères autrement. Et puis c’est incroyable d’entendre des choses qui ont été enregistrées il y a quarante ans et se rendre compte que ça sonne toujours aussi incroyablement aujourd’hui. »
Jared nous explique d’ailleurs comment lui-même est tombé dans la marmite du blues à un très jeune âge et ce que cette musique représente pour lui : « J’avais quinze ans lorsque j’ai découvert le blues. J’étais un énorme fan de classic rock et j’aimais vraiment le côté blues de cette musique. Ma mère m’a emmené à un jam ouvert de blues peu de temps après avoir commencé à jouer et j’ai demandé si je pouvais monter sur scène. Après la première chanson, j’étais scotché ! Vraiment, j’adore la passion et le feeling du blues. C’est comme une thérapie musicale pour moi. […] C’était par le biais de mes parents [que je suis entré dans cette musique]. Ils n’étaient pas musiciens, mais il y avait toujours des vieux trucs et un peu de classic rock qui tournait dans la voiture ou à la maison. Je pense que ma réaction initiale venait de l’excitation et la puissance des groupes des années fin 60 et début 70. Des guitares bruyantes ! […] Ça a été dit des millions de fois, mais c’est vrai. Le blues, ce sont les sentiments qui s’expriment à travers la musique. Pour moi, ça représente une forme d’art pure, vivante et qui respire. C’est la musique la plus sincère que j’ai jamais entendu. »
« Musique = liberté. Dès que tu mets cette liberté dans les mains d’une école, tu te retrouves avec le risque de changer ton jeu. Pour le meilleur ou pour le pire. »
Il va falloir s’y faire : le blues n’est plus une musique à papa ringarde, n’en déplaise à ceux qui la considèrent simpliste ou redondante avec soi-disant toujours les mêmes riffs et mélodies. Le genre de critique qui pousse Jared à s’esclaffer de rire et répondre : « Eh bien, il y a une grande différence entre ce qu’ils ont l’habitude d’entendre et le vrai et authentique blues. Soit tu l’as, soit tu ne l’as pas. Allez acheter un album d’Otis Rush ou de B.B. King pour entendre du VRAI blues. Vous ne pouvez pas vous attendre à ce que des types qui jouent dans un bar local jouent le meilleur blues du monde. C’est comme conduire une voiture. La plupart des gens savent conduire, mais seulement quelques-uns peuvent concourir dans une course de voiture. »
Jared James Nichols a fait un bref passage au prestigieux Berklee College Of Music – oui, là où notamment Dream Theater s’est formé et là où un certain Joe Satriani a été professeur d’un certain Steve Vai -, pourtant c’est véritablement le jeu live qui a été la meilleure école pour lui. D’ailleurs, à peine deux semaines après avoir eu sa première guitare électrique, Jared James Nichols était déjà sur scène à jouer le blues avec de vieux vétérans. « Oui, je n’ai pas perdu de temps ! » s’exclame-t-il, « j’ai très vite appris que pour comprendre et s’imprégner du blues, il fallait jouer en live. Il n’y a pas de voie de contournement. La connexion lorsque l’on joue avec de vrais gens dans un vrai monde, ça fait tout. J’ai toujours utilisé mes oreilles pour apprendre la musique. Les livres paraissent presque être une distraction pour moi. Trouver sa propre voix et apprendre par tâtonnement, c’est la clef. Musique = liberté. Dès que tu mets cette liberté dans les mains d’une école, tu te retrouves avec le risque de changer ton jeu. Pour le meilleur ou pour le pire. […] Lorsque j’ai été à Berklee, j’étais très porté sur le blues et le rock. Je voulais surtout apprendre la théorie, et donner du sens à ce que j’essayais de faire musicalement. J’étais totalement dans l’état d’esprit de privilégier le ressenti et le touché par rapport à la technique. Mais j’ai rapidement découvert que tout le monde commençait au même niveau. C’était tout de l’enseignement jazz et classique. Moi, je voulais être un vrai musicien qui tourne, pas un enseignant. Je n’étais pas intéressé par ces grosses têtes de la musique qu’il y a à Berklee et qui sur-analysent la moindre chose. Au bout de compte c’était juste un grand conflit d’intérêt. » De son passage au Berklee College Of Music, le guitariste en a tout de même retenu de bonnes choses : « J’ai commencé à tomber amoureux de John Coltrane et Miles Davis. C’était la première fois que j’étais capable de jammer avec de sérieux musiciens de jazz. J’ai appris à m’étendre, et diversifier, ouvrir mon style. Honnêtement, je pense avoir davantage appris en traînant avec tous les étudiants qu’en restant assis en classe. »
« Il y a des milliers de musiciens qui possèdent une technique incroyable. MAIS, un musicien avec un vrai feeling est très rare. »
Le feeling, comme on dit, voilà ce que vise avant tout un guitariste comme Jared. « J’ai principalement travaillé sur mon touché en écoutant mes héros enregistrer encore et encore » nous explique-t-il. « Aussi c’était très difficile, mais je n’ai jamais abandonné. Lorsque j’étais adolescent, je me concentrais pendant des heures chaque jour sur les bends et vibratos jusqu’à maîtriser ça à fond. Il est dit que tu peux reconnaître les supers musiciens en les écoutant jouer seulement quelques notes. C’est vraiment quelque chose que j’ai gardé en tête. Je me pousse toujours pour avoir mon propre touché et mon propre feeling. Quelque chose qui peut inspirer des mecs à creuser plus loin. » Est-ce que ça veut dire qu’il estime que certain guitaristes, ou autres musiciens, travaillent trop sur leur technique sans penser à leur touché ? « OUI ! Je dois l’admettre, au début j’étais pareil. C’est facile de comprendre pourquoi ça arrive. Je me souviens la première fois que j’ai écouté ‘Eruption’ de Van Halen. J’avais quinze ans et je me suis exercé pendant un mois entier à essayer de jouer le plus vite possible. Les musiciens doivent se rappeler de ralentir un peu, la musique a besoin d’air. Il y a des milliers de musiciens qui possèdent une technique incroyable. MAIS, un musicien avec un vrai feeling est très rare. » Un discours qui peut nous rappeler celui de Danko Jones lorsqu’il nous expliquait que « parfois il est facile de juste créer un mur de bruit ou un mur de son ou de balancer un million de notes, et reculer pour voir les éloges te suivre et tout le monde t’encenser et dire à quel point tu es technique. Et pourtant, c’est très difficile de faire en sorte que trois accords sonnent frais et les refaçonner encore et encore. » « Absolument » acquiesce Jared, « La chanson. La simplicité, le sens, la passion. La musique ce n’est pas de la technique. La technique n’est qu’un outil pour faire de la musique. Parfois les gens aiment déterminer qui est le ‘meilleur’ en voyant la vitesse à laquelle ils jouent, ou comment ils sont habiles sur scène. Alors que tout ce qui importe, c’est la connexion émotionnelle dans la musique. En tant qu’auditeur et fan de musique, tout est au final une question de super chansons. »
Et quelle meilleur influence, pour se laisser guider dans sa musique, un peu comme nous le racontait Ron « Bumblefoot » Thal, que la vie elle-même. « Musique = vie » assure Jared, « n’importe quel vrai musicien ou artiste te dira qu’il trouve l’inspiration dans les vraies expériences qu’il rencontre. Tu ne peux pas battre l’authenticité. C’est réel. Lorsque c’est honnête, tu peux clairement l’entendre dans la musique. […] J’ai été influencé par tout. Toutes les choses que nous traversons tous dans la vie. L’amour, la haine, le fait de toujours essayer de comprendre pourquoi nous sommes vraiment là. Lorsque tout se résume à ça, j’essaie de mon mieux pour mettre un petit bout de mes expériences de vie en musique. »
« [Le producteur] Eddie [Kramer] m’a aidé à aller là où je ne pensais pas qu’il était possible d’aller. »
Du coup on comprend vite que Jared James Nichols et le producteur Eddie Kramer, connu pour avoir travaillé en tant qu’ingénieur ou producteur avec des pointures du blues rock et du rock comme Jimi Hendrix, Led Zeppelin ou Kiss, se sont bien trouvés pour travailler sur le nouvel album du guitariste. « Un très bon ami m’a invité à enregistrer fin d’année dernière aux Abbey Road Studios à Londres » nous explique Jared, « ensuite on m’a dit que j’allais revenir à Los Angeles pour travailler avec son ami Eddie Kramer sur les chansons ! C’est l’un des plus grands moments de ma vie que de pouvoir travailler avec Eddie. Nous avons une super relation désormais aussi. Que puis-je dire d’autre ? C’est un rêve devenu réalité. […] Eddie est très concentré en studio. Nous avons tous les deux la même vision. Créer une super chanson avec la bonne attitude et une âme. Après être sorti du studio avec lui, tout a changé. L’intensité et la puissance de la musique ont sauté au plafond. Le niveau est monté d’un cran, Eddie m’a aidé à aller là où je ne pensais pas qu’il était possible d’aller. »
Pour savourer une bonne tranche de blues rock, jetez donc une oreille sur Old Glory And The Wild Rival. Et si vous voulez voir ce que Jared James Nichols, accompagné de ses acolytes le bassiste Erik Sandin et le batteur Dennis Holm, a vraiment dans les tripes en live, rendez-vous le 25 avril prochain au Palais des Sports de Paris, en première partie de Lynyrd Skynyrd !
Interview réalisée par email le 21 avril 2015 par Philippe Sliwa.
Traduction et texte : Nicolas Gricourt.
Page Facebook officielle de Jared James Nichols : www.facebook.com/Jaredjamesnichols.