Alors que la planète rock est encore sous le choc de la disparition de Meat Loaf et que les grands semblent s’être donné le mot pour nous quitter les uns après les autres, certaines légendes perdurent, poursuivent leur long bonhomme de chemin musical et persistent même à sortir de nouveaux albums. Comme si, au fond, l’âge n’était qu’un chiffre et que la musique permettait de l’oublier, le temps d’un concert, d’une répétition ou d’une série d’interviews.
C’est précisément le cas de Ian Anderson. cinquante-cinq ans tout rond après les débuts de Jethro Tull, avec pas moins de vingt et un albums avec un groupe entré au panthéon des immortels et six disques sous son nom propre au compteur, le multi-instrumentiste de 74 ans n’a rien perdu de son engouement de jeune homme pour la musique. Si les tournées se sont faites plus courtes pour d’évidentes raisons, la passion et l’esprit créatif, eux, sont restés intacts malgré les années. La retraite ? Un concept pour les autres, ceux qui n’ont pas la chance d’avoir contribué à l’histoire du rock n’ roll et de rendre le public heureux avec leur art aujourd’hui encore. Ian Anderson a la musique dans le cœur, et tant que ce cœur continuera de battre, celui de Jethro Tull suivra.
De passage à Paris fin 2021 pour promouvoir le vingt-deuxième (!) album de Jethro Tull, The Zealot Gene, l’auteur/compositeur/chanteur/flûtiste est revenu pour nous sur cette carrière d’exception – et sur les thèmes controversés qui sous-tendent cette nouvelle galette.
« Si j’étais pilote pour British Airways, j’aurais dû prendre ma retraite il y a neuf ans. Neuf ans ! Ç’aurait été la fin de ma vie professionnelle. J’y aurais été contraint […]. Je trouve ça vraiment super d’avoir un travail qui nous permet de continuer jusqu’à ce qu’on n’en puisse plus. »
Radio Metal : The Zealot Gene doit sortir au début de l’année prochaine, plus de vingt ans après le dernier album original de Jethro Tull, J-Tull Dot Com. Au fil des années, as-tu commencé à ressentir une sorte de pression pour créer et sortir un nouvel album en tant que Jethro Tull ?
Ian Anderson (chant & flute) : L’idée de faire un nouvel album en tant que Jethro Tull m’est probablement venue en 2016, mais j’ai vraiment commencé à travailler dessus en 2017. J’ai écrit la quasi-totalité de l’album dans les premières semaines de 2017, et nous avons enregistré sept chansons en mars ou avril 2017. Il me semble que j’en ai fini quatre plus tard dans l’année. Parce que nous passions notre temps en tournée. Chaque semaine, nous devions voyager quelque part pour donner des concerts. Mais j’ai décidé qu’il devait s’agir d’un album de Jethro Tull parce que les gars avec qui je travaille dans le groupe jouent en tant que membres de Jethro Tull depuis quinze ou seize ans, maintenant. Je me suis dit que je devais leur donner l’opportunité d’apparaître sur un album de Jethro Tull, et pas seulement sur un album solo ou sur scène. Je pensais que ce serait bien pour eux de faire vraiment partie du groupe. C’est donc pour cela que j’ai pris la décision.
Malheureusement, finir l’album a pris plus de temps en raison de la pandémie. Maintenant qu’il est enfin terminé, depuis mai ou juin de cette année, un nouvel album de Jethro Tull… Si ça avait été une autre époque, il aurait pu sortir en septembre. Huit semaines auraient été amplement suffisantes pour fabriquer et mettre le tout sur le marché. Mais ces temps-ci, il y a tellement peu d’usines de fabrication de vinyles que les délais montent à six ou neuf mois pour voir un album sortir – et encore, avec une grande maison de disques, qui a une certaine priorité. Je discutais d’un nouvel album – le prochain nouvel album, je devrais dire – à quelqu’un du label il y a quelques jours, et il m’a dit : « En fait, il faut qu’on commence par la date de sortie ! » Nous avons arrêté la date de mars 2023. Évidemment, ça ne peut pas être la même année [que The Zealot Gene], sortir un autre album en 2022 serait beaucoup trop tôt, donc nous avons dit mars 2023. Cela signifie que nous pouvons réserver la fabrication largement à l’avance, afin de conserver ce créneau. C’est mieux de fonctionner comme ça. Mais cette fois-ci, étant donné que nous ne savions pas quelle maison de disques allait nous signer et sortir l’album, le temps que nous prenions une décision – en août, je crois –, une sortie en 2021 n’allait plus être possible. La date de sortie officielle est donc le 31 janvier 2022.
Jusqu’au début des années 80, Jethro Tull sortait un album par an. Presque plus aucun groupe ne fait ça, aujourd’hui. Étant donné la façon dont l’industrie fonctionne à l’heure actuelle, penses-tu que la grande époque de l’hyper-productivité dans le rock est révolue ? De ce point de vue, quelle est la différence entre à l’époque et aujourd’hui ?
Je pense que, quand tu es jeune et que tu débutes, en dehors du fait que tu débordes d’énergie pour faire tout ça, tu débordes aussi d’idées. Les débuts sont très prolifiques en matière de travail et d’enregistrement. Une fois que tu fais ça depuis trois, quatre ou cinq ans, tu dois commencer à réfléchir un peu plus à ce que tu vas faire. Donc les débuts sont toujours assez faciles. Au cours de la première décennie, nous sortions un nouvel album tous les ans. Puis deux ans se sont écoulés entre 1980 et 1982, mais il y a eu de nouveaux albums en 83 et 84, puis en 86, et je crois en 88, 90 et 92. C’est devenu un cycle de deux ans. Et puis, à la fin des années 90, j’ai fait beaucoup d’albums solos, jusqu’au début des années 2000, 2002, 2004, ainsi que d’autres choses. J’ai commencé à jouer en tant qu’invité sur les albums d’autres musiciens. J’ai continué à beaucoup travailler, mais en termes de nouveaux albums de Jethro Tull, ça n’a pas été… Il y en a eu un en 2012, qui était un album solo, puis un en 2014 – un album solo, là aussi. Mais je crois que j’aurais dû les sortir sous le nom de Jethro Tull, parce que, encore une fois, ce sont les mêmes gars dans le groupe. Puis, en 2017, nous avons commencé à travailler sur ce qui allait devenir un nouvel album de Jethro Tull, mais la pandémie a fait son apparition. Mais non, je ne pense pas qu’il soit possible de maintenir ce rythme.
« Je ne fais pas dans les certitudes. Mon monde est fait de probabilités et de possibilités. »
Il y a probablement eu une époque où Ludwig van Beethoven publiait une symphonie par an, mais ça ne peut pas durer éternellement – surtout quand tu meurs à seulement 56 ans. Aujourd’hui, l’idée d’être septuagénaire et de sortir un nouvel album, c’est… Qui aurait cru ça possible ? Personne ne pensait que les Rolling Stones tourneraient toujours alors que Mick Jagger a 78 ans, ou quelque chose comme ça. Les temps ont changé, les perspectives ont changé, et heureusement, c’est aussi le cas de la santé des gens et de leur capacité à continuer à travailler. Je ne parle pas seulement de santé physique, mais aussi mentale : il faut rester vif et être prêt à faire travailler son esprit. Je pense que c’est important. Beaucoup d’entre nous ont la chance de pouvoir continuer longtemps ; pas seulement dans la musique, mais aussi dans le cinéma, qu’il s’agisse des acteurs, des réalisateurs, des créatifs en général. Nous pouvons continuer beaucoup plus longtemps. Le pire serait d’être tennisman ou pilote de Formule 1, parce que ta carrière est pour ainsi dire finie dans la trentaine. Où étais-je, dans la trentaine ? L’idée de devoir prendre ma retraite… Je veux dire, même si j’étais pilote pour British Airways, j’aurais dû prendre ma retraite il y a neuf ans. Neuf ans ! Ç’aurait été la fin de ma vie professionnelle. J’y aurais été contraint, ce n’était pas une question de : « Oh, je pense que je peux continuer pendant un an ou deux. » Non, tu es obligé de prendre ta retraite. Tu ne peux pas piloter au-delà de soixante-cinq ans. D’une certaine façon, je trouve ça vraiment super d’avoir un travail qui nous permet de continuer jusqu’à ce qu’on n’en puisse plus.
Je m’inquiète un peu en ce qui concerne la partie live, surtout après la pandémie. Nous n’avons pas donné de concert pendant un an et demi. La première heure, les répétitions étaient un peu étranges. « Est-ce que je sais encore comment m’y prendre ? » Mais au bout d’une heure, je me suis dit : « Ça va, je m’en sors. » Tu n’oublies jamais complètement, parce que tu joues toujours un peu, tu travailles, tu apprends. Mais donner un concert, c’est beaucoup plus exigeant physiquement. J’ai fait vingt concerts depuis… Nous avons pu faire quelque concerts depuis la fin août jusqu’à aujourd’hui. J’en ai encore quatre prévus cette année, trois dans des cathédrales anglaises la semaine prochaine, et le concert de Noël du Vatican à Rome juste avant Noël – si ça se fait, parce que malheureusement, les choses ne s’annoncent pas bien. L’Italie a vécu une expérience tellement horrible lors de la première vague de Covid-19, je ne serais pas surpris si les autorités annulaient tout. Nous verrons bien. J’ai déjà réservé mon vol. Le problème, c’est qu’il faut bien payer pour les billets d’avion. Ce n’est que dans quelques semaines. J’ai dû acheter des billets pour aller en Finlande et en Suède début janvier, mais en ce moment… Je pense qu’il y a une chance sur deux que ces concerts se fassent. Ce n’est pas moi qui annule, ce sont les gouvernements locaux qui disent : « Vous ne pouvez pas jouer, nous ne pouvons pas réunir autant de gens dans un même lieu. » Il n’y a plus qu’à attendre de voir.
J’ai perdu énormément d’argent en billets d’avion l’an dernier. J’ai plus ou moins réussi à obtenir un remboursement, au moins partiel, mais j’ai tout de même perdu beaucoup d’argent, et bien sûr, je n’en ai pas gagné du tout, ce qui est deux fois pire. Mais je pense à tous ces moments où j’ai eu de la chance, où j’ai gagné de l’argent et où j’ai pu partir en tournée. C’était difficile pour le groupe et l’équipe technique, parce qu’ils n’avaient aucun revenu. Pendant un an et demi, ils ont dû vivre avec ce qu’ils avaient sur leur compte en banque ou hypothéquer leur maison, faire quelque chose pour survivre, gagner un peu d’argent en donnant des cours de musique… Ç’a été une période difficile. Mon gendre [l’acteur Andrew Lincoln, star de The Walking Dead] n’a fait qu’un film et un petit passage au théâtre pendant toute cette période. En dehors de ça, il a passé des centaines d’heures sur Zoom, à discuter avec des studios de production et des scénaristes. D’ailleurs, il doit partir pour New York – la semaine prochaine, je crois – pour discuter de la dernière version du script d’un film The Walking Dead. Ça n’en finit plus [petits rires]. C’est très frustrant, parce que quand on te demande ce que tu fais dans la vie, tu as l’habitude de répondre : « Je suis acteur. » « Oh, dans quoi ai-je pu vous voir récemment ? » « Pas grand-chose ! » [Rires] Il a travaillé encore moins que moi !
« Je soutiens ardemment le christianisme, mais je ne suis pas chrétien. Je n’ai pas la foi. Je crois. Peut-être. Je trouve l’histoire de Jésus meilleure que Harry Potter ou Doctor Who. »
Concernant les paroles de The Zealot Gene, tu as déclare que, « bien que [tu aies] une véritable affection pour la pompe et le côté conte de fées de la Bible, [tu] ressens le besoin de remettre le texte en question et d’établir des parallèles pas très catholiques ». Peux-tu nous en dire plus sur ces parallèles pas très catholiques que tu as choisi d’établir avec The Zealot Gene ?
Au départ, je voulais écrire un album qui parlerait des émotions extrêmes qui sont partie intégrante de la condition humaine – comme si nous avions un besoin instinctif et génétique de partager nos émotions de façon excessive sur Twitter. Et puis je me suis dit que je pouvais sans doute trouver tous ces éléments et toutes ces idées dans la Bible. J’ai donc fait des recherches dans le Nouveau et l’Ancien Testament pour trouver des exemples d’émotion extrême. J’ai utilisé un moteur de recherche avec des mots comme « vengeance », « avidité », « haine »… Je cherchais des mots et des liens. J’ai trouvé énormément de possibilités, mais j’ai essayé de choisir un verset d’un chapitre de la Bible, quelques mots qui pouvaient former une idée pour une chanson, une histoire que je pouvais rattacher au présent et au monde dans lequel on vit – dans la plupart des cas. Il me semble qu’une ou deux chansons sont restées dans un contexte plus biblique. Voilà d’où sont parties certaines chansons. Je leur ai donné des titres, j’ai commencé à écrire des paroles, et en trois ou quatre semaines, j’avais écrit toutes les paroles de l’album, et j’avais des mélodies et des idées supplémentaires. J’ai enregistré des démos toutes simples que j’ai envoyées aux gars du groupe, avec les paroles, les partitions avec les accords et les éléments musicaux. Ils ont ensuite eu quelques semaines pour travailler là-dessus, puis nous nous sommes retrouvés pour cinq jours de répétitions, et seulement trois ou quatre jours d’enregistrement, il me semble.
Tout ça concernait sept chansons, donc c’était assez rapide. C’était plus ou moins comme avant, le nombre d’heures de travail était le même. Mais à la fin des années 60 et dans les années 70, ces chansons montaient à trente-cinq ou quarante minutes, et ça suffisait pour faire un album ! [Petits rires] Aujourd’hui, et depuis le début de l’ère numérique, il faut proposer quelque chose comme cinquante-cinq minutes pour que la durée paraisse décente. Du coup, en termes du nombre de chansons ou de minutes d’enregistrement, c’est un peu plus long. Mais écrire les douze chansons n’a finalement pas été si long que ça. Treize chansons, en fait ; je n’en ai enregistré que douze pour l’album, mais si tu jettes un œil à mon carnet de paroles, tu y trouveras la chanson manquante. Il y a des paroles, mais pas de musique pour aller avec. Donc je pense que j’ai passé le même nombre d’heures que pour n’importe quel autre album, y compris le mixage, le mastering, l’artwork et tout le reste. C’est sans doute le même nombre d’heures au total, mais réparti sur quatre ans au lieu de quatre mois ! La pandémie a beaucoup joué là-dedans. Tourner et voyager toutes les semaines pour donner un ou deux concerts n’y est pas étranger non plus. Je n’aime pas partir pour de longues tournées. Je préfère donner un, deux, trois concerts, puis rentrer à la maison. Donc la plupart des semaines, j’ai quelque chose à faire en termes de live. Quand je suis à la maison pendant deux ou trois jours, ça signifie que je suis généralement assis à mon bureau, à répondre à des e-mails et à faire d’autres choses qui me prennent tout mon temps. Je n’ai pas arrêté de repousser la fin de l’album : « Oh, les choses seront plus calmes en septembre. J’aurai plus de temps à ce moment-là. » Mais évidemment, ce n’était jamais le cas. Au final, ça a pris plus longtemps, mais le nombre d’heures est resté le même. Ce n’est pas comme si j’avais travaillé tous les jours sans arriver à rien. J’ai travaillé très dur, très vite.
J’ai toujours aimé travailler vite. En studio, je pratique ce qu’on appelle l’enregistrement destructif. En d’autres termes, quand j’enregistre quelque chose, ce que j’ai enregistré avant est effacé automatiquement, parce que je ne veux pas me retrouver avec des tonnes de prises. Je sais si quelque chose ne va pas, et je le remplace. Je préfère largement travailler comme ça. Certains musiciens font autrement : ils préfèrent tout garder et faire des choix après. En tant que producteur, je n’ai aucune envie de travailler comme ça. Je prends des décisions à la volée. Je fais la même chose quand je prends des photos : je supprime immédiatement ce qui sera inutilisable. Je ne veux pas avoir des centaines de photos sur ma carte mémoire. Je ne veux que ce que je pense pouvoir utiliser. Ma façon de travailler consiste à prendre des décisions au fur et à mesure, donc ça se passe assez vite.
« On devrait laisser en place les statues des marchands d’esclaves qu’on trouve dans certaines villes britanniques, en tant qu’exemples pour nos enfants et nos petits-enfants, pour que nous puissions leur dire : ‘Voilà ce que l’Empire britannique a fait de mal.’ Je ne pense pas qu’il faille les cacher. »
Tu as également déclaré que « certains fanatiques chrétiens auront l’impression que [tu te] moque[s] d’eux. Les laïcs et les non-croyants vont penser que [tu es] nouvellement converti et que [tu es] devenu un prosélyte agaçant ». Penses-tu qu’il soit impossible d’avoir une discussion ou un débat serein sur ce genre de sujet, en particulier à une époque où tout semble être tout noir ou tout blanc ? Penses-tu que les nuances soient tout simplement ignorées ou oubliées, de nos jours ?
Je pense qu’elles ont toujours été ignorées et oubliées, mais il est difficile de faire changer les gens d’avis quand ils ont pris une décision, en particulier ceux qui ont la foi. La foi implique une certitude. Ce n’est pas facile pour ces personnes-là d’admettre qu’il peut y avoir une pointe de doute. Mais je ne fais pas dans les certitudes. Mon monde est fait de probabilités et de possibilités. Je crois qu’il est extrêmement probable qu’un individu appelé Jésus de Nazareth ait existé, et qu’il soit le Jésus que nous croyons connaître, aussi bien en termes historiques que bibliques. Je pense que c’est très, très probable. Mais Jésus-Christ… Je me rabats sur une gamme de possibilités. Toutefois, l’histoire de Jésus est extrêmement importante. Le fait que le christianisme raconte une histoire est la raison pour laquelle il est tellement populaire. C’est une histoire d’amour, de compassion, de promesse et d’espoir. Il est facile de comprendre pourquoi les gens peuvent se sentir investis là-dedans. Ça a une valeur dans le monde actuel. Je soutiens ardemment le christianisme, mais je ne suis pas chrétien. Je n’ai pas la foi. Je crois. Peut-être. Je trouve l’histoire de Jésus meilleure que Harry Potter ou Doctor Who, ou ce genre de choses. Mais malgré cela, je pense que ça reste une histoire qui a probablement été largement… pas inventée, mais… Pour moi, ce qui est le plus prometteur concernant cette histoire, c’est que les versions de Matthieu, Marc, Luc et Jean sont différentes, parfois contradictoires. Le fait que les gens se souviennent de l’histoire de façon différente lui confère plus de crédibilité, selon moi. Quant aux autres histoires bibliques et ce qui a été coupé de la Bible, de l’Ancien comme du Nouveau Testament… Il ne faut pas oublier que beaucoup de gens ont beaucoup écrit sur une longue période de temps. Mais je trouve ça très intéressant.
Je ne crois pas que la Bible signifie quoi que ce soit pour beaucoup de gens. Pour moi, c’est un document important duquel on peut tirer des enseignements. On peut apprendre des choses horribles qu’on trouve dans l’Ancien Testament. Il faudrait le lire. On doit savoir que ces choses se sont passées. Je crois qu’on devrait laisser en place les statues des marchands d’esclaves qu’on trouve dans certaines villes britanniques, en tant qu’exemples pour nos enfants et nos petits-enfants, pour que nous puissions leur dire : « Voilà ce que l’Empire britannique a fait de mal. » Je ne pense pas qu’il faille les cacher. J’ai été très contrarié que le mur de Berlin soit presque intégralement détruit. Je pense vraiment que des morceaux auraient dû rester de bout. Il y a beaucoup de choses de cette époque qui auraient dû rester en place pour nous enseigner quelque chose. Je veux dire, je suis allé à Auschwitz ; je suis allé dans les coulisses de Tchernobyl, au cœur du réacteur numéro trois, juste à côté de celui de la catastrophe, où on ne peut rester qu’une minute en raison des niveaux de radiation. J’ai vu ces endroits, et j’en suis revenu avec une meilleure compréhension et le sentiment d’avoir appris quelque chose. Je veux apprendre de ces endroits où de sacrées merdes se sont produites. Je ne veux pas que Tchernobyl soit totalement nettoyé et rendu à la forêt. De toute façon, le site va rester là pendant un bout de temps : les niveaux de radiation sont encore tels que l’endroit ne sera toujours pas sûr dans soixante-dix ou soixante-quinze ans. Mais j’espère que le site sera toujours debout, pour que les générations futures apprennent le côté historique, mais aussi le fait que parfois, la technologie peut se retourner contre nous.
Il y a quelque chose à apprendre des aspects négatifs, et je pense que cela s’applique également à la Bible, en termes de langage, de pensées ou d’actions. On ne devrait pas le cacher. On devrait accepter que toutes ces choses faisaient partie intégrante de l’époque à laquelle elles ont été écrites. En fait, les individus que nous connaissons via l’Histoire ont fait des choses absolument terribles. Pour moi, nous devons nous rappeler ce dont nous sommes capables en tant qu’espèce en matière d’horreurs. Mais dans le même temps, c’est bien d’avoir le positif comme modèle, pour pouvoir servir d’exemple. Il y a beaucoup de choses dans la Bible qui peuvent nous apprendre des choses positives. Mais comme je l’ai dit, je ne suis pas religieux dans le sens conventionnel du terme. J’ai des préoccupations spirituelles actives. J’ai l’impression de faire un voyage. Mais si les gens me voient comme un chrétien, c’est un chrétien avec un petit « c », pas une majuscule. Je suis peut-être chrétien en pensées et en actes sans en accepter le titre.
Interview réalisée en face à face le 26 novembre 2021 par Tiphaine Lombardelli.
Retranscription & traduction : Tiphaine Lombardelli.
Photos : Will Ireland (1, 4 & 5) & Assunta Opahle (2).
Site officiel de Jethro Tull : jethrotull.com
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