
La vie des sites internet musicaux est compliquée. Principalement car les liens qui nous unissent avec les décisionnaires du monde de la musique – c’est-à-dire principalement les majors du disque – restent encore trop peu structurés. Les labels n’ayant pas mesuré, encore aujourd’hui, la nécessité absolue de dialoguer avec les nouveaux interlocuteurs professionnels que nous sommes. Cette nécessité est bien évidemment économique car leur business, c’est aussi notre business !
Le très prochain arrêt du site Jiwa est donc une nouvelle preuve que ceux qui font la pluie et le beau temps du business musical aujourd’hui ne le comprennent plus. Et c’est ce qui explique en partie l’effondrement logique de l’industrie musicale.
Les labels comprennent bien qu’il y a de l’argent à se faire sur le net, mais ils ne savent pas comment le faire. Cette problématique, c’est vrai, est difficile à résoudre. Surtout pour des gens qui restent assez déconnectés des nouveaux usages, de technologies qui évoluent en permanence. Mais aujourd’hui les études de marchés lancées par les grandes entreprises ne suffisent plus pour connaître un produit. Car pour qu’un « produit musical » réussisse il faut que ceux qui le lancent maîtrisent parfaitement l’expérience du terrain…
Et cette connaissance du terrain la bande de Jiwa l’avait, elle.
Lancé début 2008, Jiwa était le dernier site de streaming indépendant en France. Donc la grande difficulté qu’a eue Jiwa en dialoguant avec Warner et consorts a logiquement été de régler le souci des droits de diffusion. Car comme les majors demandent au site d’écoute en ligne 1 million d’euros par an (!) et que Jiwa fait « seulement » 300 000 euros de Chiffre d’Affaires il n’y a pas beaucoup de solutions : Jiwa doit fermer ses portes à cause des contraintes absurdes fixées par les majors.
Alors c’est triste. Premièrement pour les 4 salariés de la boîte qui sont touchés directement par l’incroyable manière d’agir des majors qui enfoncent délibérément des mecs qui ont été pionniers dans leur démarche. Des interlocuteurs avec qui ils ont, de surcroît, complètement intérêt de dialoguer. Deuxièmement pour la musique en générale qui perd un acteur important et surtout indépendant. Pas étonnant qu’un site comme Deezer, le number one de l’écoute en ligne, se rapproche d’Orange : pour survivre et se développer des concessions sont inévitables.
Interrogé par Rue89 Jean-Marc Plueger, le cofondateur de Jiwa, insiste sur le fait que les sites indépendants français de ce type sont « tous déficitaires dans leurs activités musicales, car les conditions imposées par les majors de la musique ne permettent pas de trouver l’équilibre, ni de se différencier : on propose les mêmes prix et les mêmes offres ». Par ailleurs Jean-Marc Plueger revient sur le fait que « pour ce type de site, il faut pouvoir exploiter l’ensemble des catalogues, ceux des indépendants et des majors. Universal avait fixé un minimum garanti raisonnable, mais ceux des autres majors étaient déraisonnables et ne correspondaient pas au niveau de chiffre d’affaires qu’on pouvait réaliser en exploitant leurs catalogues. »
Il y a des gens qui arrivent trop tôt et qui en paient les conséquences. Dans 5 ans tout sera différent et des sites comme Jiwa pourront, je l’espère du moins, se développer sans difficultés. Mais cela nécessite des changements juridiques car ce ne sont pas aux majors de fixer comme bon leur semble les règles du business. Ce problème est politique et pour éviter que des sociétés de type Jiwa coulent il faut que les pouvoirs publics prennent à bras le corps ces soucis et proposent aux sites indépendants musicaux des contrats vraiment justes.
Car, sans justice, tous ceux qui auront des démarches novatrices finiront par mourir. La faute à des décisionnaires incompétents qui sont tellement stupides qu’ils n’ont même pas compris l’intérêt de dialoguer avec des interlocuteurs qui incarnent l’avenir du business musical… et donc de leur propre modèle économique !
Je ne me fais pas de soucis pour l’équipe de Jiwa qui saura très probablement rebondir – c’est que je lui souhaite en tout cas – mais franchement qu’il est délicat de vivre en ayant en permanence plusieurs épées de Damo clès autour de la tête !
Tout ça n’est vraiment pas normal.