Qu’est-ce qu’un héros dans le fond ? Les fans de musique que nous sommes auront vite fait de trouver une réponse dans nos idoles vénérées, en lesquelles nous pouvons parfois vouer un véritable culte. Car la musique, comme toute forme d’art, peut aider l’être humain à dépasser sa condition, ou en tout cas à l’améliorer, en lui apportant joie, amour, bonheur et plus encore. Peut-être que, selon cette définition, Joakim Brodén est un héros pour certains d’entre vous qui lisez ces lignes. Un Brodén honoré – en héros ? – dans un pays comme la Pologne sensible à la fibre historique de ses chansons – et particulièrement celles qui racontent leur histoire -, qui lui a offert la citoyenneté à titre honorifique et où, en échange, Sabaton a enregistré son album live Swedish Empire Live.
Alors voilà, même s’il peine à donner une définition concrète de ce qu’est un héros, Brodén utilise une fois de plus sa passion pour l’Histoire, pour cette fois-ci parler d’un petit panel d’individus qu’il considère comme des héros. Ils ne sont pas tous très connus – on peut faire confiance à Sabaton pour ne pas forcément tomber dans les lieux communs de l’Histoire -, mais tous ont fait des choses extraordinaires qui ont participé à écrire l’Histoire des hommes. Le tout s’écoute (et se lit) dans Heroes, septième album du combo. Un album charnière qui fait suite à un Carolus Rex au succès immense (disque d’or en Pologne et de platine en Suède) et, surtout, au départ de trois des membres du groupe.
Le chanteur nous en parle ci-après.
Radio Metal : L’album précédent a connu un joli succès. Avez-vous ressenti une pression à cause de ça en travaillant sur ce nouveau disque ?
Joakim Brodén (chant) : Oh oui, énormément en fait. Pas seulement à cause du succès de Carolus Rex, mais aussi parce qu’il s’agit du premier album avec le nouveau line-up. Je veux dire : qu’est-ce que les gens vont penser des nouveaux gars ? Même si nos anciens membres n’ont jamais écrit de musique, mais ça peut de gens le savent. Ça a été vraiment difficile pour moi mentalement lorsque je composais cet album.
Quelle était donc l’implication des trois nouveaux membres du groupe dans le processus d’écriture ?
En ce qui concerne la musique que nous faisons, j’ai toujours été celui qui écrivait presque tout tout seul. Parfois je compose avec un ami ou quelqu’un d’autre, mais ce coup-ci, c’était la première fois que j’ai effectivement écrit de la musique avec quelqu’un de Sabaton. C’était la chanson « Soldier Of 3 Armies » que j’ai composé avec Thobbe (Englund), notre guitariste.
Et penses-tu du coup que ça changera à l’avenir, que tu partageras davantage le processus d’écriture ?
S’ils ont une bonne idée, bien sûr ! Je pense que toute bonne chanson mérite d’être jouée, mais il faut aussi que ça sonne comme Sabaton. Ça dépend donc s’ils sont capables de la « Sabatoniser ». Mais c’est certain que je vais écrire avec eux et voir si quelque chose en ressort. Et si c’est une bonne chanson, ce sera sur l’album, et si c’est une chanson de merde, ce ne sera pas sur l’album ! [Rires]
Dans la biographie fournie avec l’album, il est spécifié que Carolus Rex est un peu comme le jalon qui défini toute une carrière. Qu’y avait-il de si spécial dans cet album ? Était-ce une sorte d’accomplissement, d’un point de vue des textes et de la musique ?
Eh bien, la chose particulière est que nous avons chanté en suédois et nous avons obtenu beaucoup de fans supplémentaires en Suède, ce qui a fait que nous avons fini avec un disque de platine là-bas. Et les ventes ont continué de grimper. Aucun groupe de rock ou de heavy metal avait atteint le disque de platine en Suède depuis qu’Europe a fait The Final Countdown.
S’il a été si important, avez-vous essayé avec ce nouvel album de vous inspirer de Carolus Rex ?
Nous avons décidé très tôt d’essayer de ne pas recréer un Carolus Rex Part 2, car ç’aurait été stupide et je ne pense pas que les chansons auraient été aussi bonnes en fait. Mais tu ne peux pas vraiment occulter le passé : il y a des éléments du passé provenant de Carolus, car il y a des éléments de moi en tant que compositeur. Donc, évidemment, il y a des similarités, mais surtout, nous avons dès le départ décidé que nous ne chanterons pas en suédois car ça ne parle pas de l’Histoire suédoise. C’aurait semblé tordu de chanter, par exemple, d’un type en Pologne en suédois. En fait, nous avons surtout essayé de nous focaliser sur le fait de faire dix super chansons.
Vous avez été adopté comme citoyens polonais à titre honorifique. Comment te sens-tu par rapport à ça ?
Oh, honoré ! Evidemment. Ce n’est absolument pas quelque chose que nous visions lorsque nous avons commencé à écrire des chansons à propos de la guerre. Peut-être deviendrons-nous de vrais citoyens polonais un jour ! [Rires] Ce n’est pas la chose la plus probable qui pourrait arriver ! Nous avons une chanson dénommée « 40:1 » au sujet de la bataille de Wizma, et ils nous ont invité à la jouer sur le champ de bataille soixante-dix ans après que la bataille ait eu lieu. A ce stade, le chef de cabinet du président, l’ambassadeur de Suède et d’autres gens sont venus nous voir et ils nous ont gratifié sur scène de la citoyenneté à titre honorifique. C’était en fait une grande surprise !
On dirait que la Pologne est un pays très important pour vous…
Ouais, je veux dire que c’est parce que je ne pense pas qu’aucune autre nation n’a été aussi passionnée par notre musique et nos paroles. « 40:1 » a beaucoup été diffusée à la télévision et radio polonaise, donc nous avons vu beaucoup de gens venir à nos concerts. Nous étions un peu effrayés parce que nous pensions que, peut-être, ils n’allaient venir que pour entendre « 40:1 » ou « Uprising », alors qu’en fait, il semblerait que tout monde dans ce pays est professeur d’Histoire ou quelque chose comme ça [rires]. J’apprécie vraiment le fait de jouer là-bas. Il y a beaucoup d’autres endroits dans le monde qui ont vraiment de très bons publics également. Mais ce que je pense au sujet de la Pologne est encore un peu plus différent car là-bas il y a un profond intérêt au sujet de l’Histoire.
Comment choisissez-vous quelle partie d’Histoire vous aborderez sur chaque l’album ?
Ce que nous faisons très exactement, et nous prenons ça en tant que grande règle, c’est de faire les choses par feeling uniquement, de suivre notre ressenti. En ce qui concerne plus précisément ce que nous racontons, la décision repose beaucoup sur le fait d’avoir ou pas une chanson qui colle à l’histoire. Il y avait plusieurs héros auxquels nous avons pensé mais qui n’avaient pas sur cet album de musique qui s’y connectait, et à l’inverse nous avions aussi des musiques que nous ne parvenions pas à associer à un héros. C’est un peu différent et il est difficile de faire un choix, car, en fait, l’une de mes chansons préférée ne s’est pas retrouvée sur l’album. Pas parce qu’elle était mauvaise mais parce que nous ne parvenions pas à l’associer à un autre héros.
Il y a une chanson à propos d’un soldat polonais dénommé Witold Pilecki (« Inmate 4859 »), qui s’est porté volontaire pour intégrer le camp de concentration d’Auschwitz pour rapporter les preuves des horreurs et des meurtres de masse qui s’y déroulaient à l’intérieur. Mais, en fait, que lui est-il arrivé ensuite ?
Oh, ça c’est la partie la plus triste. Lorsqu’il a été exprès à Auschwitz pour organiser un mouvement de résistance et rassembler des preuves, il a écrit des rapports mais malgré ça on ne le croyait pas. Il est donc allé prendre part au soulèvement de Varsovie et a combattu. Après que grosso-modo la Pologne ait été prise par l’Union Soviétique, puisqu’il était un soldat et puisqu’il a eu des liens avec les alliés pendant la guerre, il l’ont jugé et exécuté en 48.
Quelle serait ta définition d’un véritable héros ?
Je ne sais pas, en fait. J’ai réfléchi à ça, parce que c’était une question que les gens allaient sans doute me poser après avoir fait cet album. Mais je n’ai toujours pas de réponse convenable. Je veux dire, un héros, pour moi, c’est aussi Dee Snider de Twisted Sister ! Je ne l’ai jamais vu faire autre chose que se [donner à 100%] sur scène. Un super type, il ne boit jamais avant un concert, ou peut-être ne boit-il juste jamais, je ne sais pas. Donc, ce ne doit pas nécessairement être un guerrier. Être un héros, ce n’est pas une question de vivre ta vie comme un saint, tu n’as pas à être Mère Teresa pour être un héros. Ce pourrait d’ailleurs être un trou du cul qui a fait quelque chose pendant quelque secondes qui a changé le cours de l’Histoire ou sauvé la vie de quelqu’un d’autre. Je n’ai pas de réponse, en fait. Un héros pour certains peut être un enfoiré notoire pour d’autres, c’est très subjectif.
Il y a une chanson intitulée « Far From Fame ». Penses-tu que les plus grands héros sont des personnes ordinaires dont on entend pas parler ?
Parfois oui. Certains héros sont extrêmement populaires, alors qu’il y a des gens qui ont fait des choses encore plus fantastiques dont personne n’a jamais entendu parler. Prend le polonais Witold Pilecki par exemple, pourquoi n’y a-t-il aucun blockbuster à des millions de dollars à son sujet ? Car cette histoire est meilleure que 90% des scripts de film que j’ai vu. Tout particulièrement dans les parties non-anglophones du monde, car dans les parties anglophones, les histoires voyagent rapidement et sont facilement accessibles pour quiconque fait des films en Amérique. Alors que, d’un autre côté, si tu es en Pologne, en France ou en Suède, en l’occurrence, il est plus difficile de voir les histoires des plus petits héros être racontées. Evidemment, tout le monde connaît Napoléon et Charles De Gaulle, mais je suis certain que vous avez beaucoup d’autres fantastiques héros que uniquement ces deux là.
A la fin de la chanson « Hearts Of Iron », il y a un solo de guitare basé sur un thème classique. Pourquoi avoir choisi de l’inclure dans cette chanson ?
C’est Bach, « Sarabande ». Je me souviens très clairement de ce moment en fait, car, lorsque j’écrivais le couplet de cette chanson, ce n’était pas du tout la même tonalité que « Sarabande » de Bach, mais la mécanique derrière, la manière dont les accords changent, était similaire : la basse descend d’un ton, puis encore d’un ton, puis encore d’un ton… Et ensuite ça revient au début. Et pendant que je faisais ça, je me suis dit : « Quoi ? N’est-ce pas comme ce que fait Bach dans « Sarabande » ? » Je l’ai essayé sur la chanson parce que je me souviens avoir joué ça sur un orgue Hammond à l’église lorsque j’étais plus jeune. A ce moment, pour quelque folle raison, j’ai pensé : « Est-ce qu’on peut faire ça ? » Et ensuite, je me suis dit : « Accept a emprunté à la Lettre à Elise pour ‘Metal Heart’, alors oui, on peut ! »
Il y a trois titres bonus sur l’album qui sont des reprises de Metallica, Battle Beast et Raubtier. Dans la mesure où vous êtes tous des vieux fans de Metallica, ce choix est évident. Mais pour les deux autres chansons, vous n’avez pas choisi des groupes très emblématiques ou populaires. Peux-tu nous en dire plus sur le choix de ces deux titres ?
Je pense que des gens sont aussi surpris parce que ce sont des reprises de chansons actuelles, qui ne sont pas si vieilles. Car je trouve qu’il y a aussi de la bonne nouvelle musique qui est faite. Particulièrement en ce qui concerne Battle Beast, je trouve que leur dernier album était sans doute l’un des meilleurs sorti l’année dernière. C’était l’un de mes préféré, en tout cas. Et Raubtier est un groupe suédois. Le lien est que notre guitariste Thobbe était dans ce groupe et j’ai chanté cette chanson avec eux lorsque nous tournions ensemble en 2012, sur la dernière nuit de la tournée. J’aime vraiment les paroles. Bien sûr, les paroles sur celle-là sont en suédois et le chanteur et le gars qui les a écrites sont très bons en langue suédoise, car c’est dans un style de suédois très ancien.
Interview réalisée le 19 mars 2014 par Metal’O Phil
Retranscription, traduction et introduction : Spaceman
Fiche de questions : Metal’O Phil
Photos : Ryan Garrison
Site Internet de Sabaton : Sabaton.net
Album Heroes, sortie le 16 mai prochain chez Nuclear Blast.
Interview très intéressante. Avez-vous des news sur leur éventuel passage à Paris ?
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Il y aura un concert à Paris le 14 janvier ;)! Enfin ils viennent en France!
Un type sympa! En plus, on partage la même admiration pour Dee Snider!
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