Œuvrant depuis trente-cinq ans en tant que guitariste solo, il n’a pas fallu longtemps à Joe Satriani pour rencontrer un vrai succès populaire. A sa propre surprise : la musique instrumentale n’est pas réputée bankable. Ce succès, qu’il doit certainement, plus encore qu’à sa technique éblouissante, à son style mélodique, aussi inventif qu’efficace, lui permet aujourd’hui d’incarner le modèle même du guitar hero moderne. Pourtant, relativement modeste, prônant avant tout la discipline et le travail, et balayant le concept de « guitar hero », Joe Satriani n’a pas toujours été destiné à une telle carrière. Si la guitare a toujours été son amour, son ambition était d’abord celle de Squares, un trio éphémère de pop rock fondé à la fin des années 70, et dont il sort aujourd’hui, pour la première fois, les musiques via un Best Of The Early 80’s Demos à la fois curieux et plein de nostalgie.
C’est à l’occasion de cette sortie que nous avons plongé avec Joe Satriani dans ses jeunes années et ses débuts professionnels. Outre la période Squares, celle de transition qui a suivi, le démarrage de sa carrière solo ainsi que ses « jobs » ponctuels auprès de Mick Jagger ou au sein de Deep Purple, il est également question de Jimi Hendrix, qui lui a donné l’impulsion pour devenir guitariste et dont il est revenu il y a peu d’une tournée hommage, mais aussi de ses autres héros, mentors et professeurs. Professeur, il l’a d’ailleurs lui-même été, instruisant de jeunes guitaristes devenus, comme lui, des super stars de la guitare, à l’instar de Steve Vai ou Kirk Hammett.
Le guitariste, d’un naturel simple et agréable, a pris son temps (plus d’une heure…) pour échanger avec nous. En résulte un entretien riche, instructif et bourré d’anecdotes.
« La dissolution de Squares a été vraiment triste et traumatisante à l’époque, car c’était la fin de mon rêve personnel, du groupe que j’avais fondé. »
Radio Metal : Tu sors un album du groupe Squares, intitulé Best Of The Early 80’s Demos. Squares était un groupe que tu as fondé à la fin des années 70 à San Francisco, quelques années avant de lancer ta carrière solo. Comment était le jeune Joe Satriani à cette époque, quand tu as fondé ce groupe ?
Joe Satriani (guitare) : [Rires] Ce que j’essayais de faire était de réinventer mon approche de la guitare, car j’ai grandi en disciple de Jimi Hendrix, Jimmy Page, Tony Iommi, etc. J’ai étudié le be-bop et le classique, j’étais totalement un guitariste fou, et quand est arrivée la fin des années 70, je pensais vraiment : « D’accord, il faut que je fasse quelque chose de complètement différent. » Mon approche dans Squares était de créer un grand mur de son, mettre la pédale wah-wah de côté, ne pas utiliser de pédale de distorsion, de fuzz ou d’octaveur, pas de whammy, pas de longs solos… Je voulais juste vraiment créer quelque chose qui sonnerait aussi frais que quand les Beatles ou n’importe lequel de ces groupes est apparu pour la première fois ; ils ont une approche carrée et focalisée. Ceci est vraiment ce qui me motivait, non seulement à jouer comme je jouais et écrire les chansons que j’écrivais, mais aussi à mettre en place mes propres parties de guitare et jouer sur cet ampli Marshall 110 watt half-stack stéréo… C’était un ensemble ! [Petits rires]
Tu viens de dire que tu voulais réinventer ton approche de la guitare, mais tu étais encore assez jeune. Depuis combien de temps tu jouais ?
J’ai commencé à jouer quand j’ai eu quatorze ans. J’ai progressé assez rapidement, je suppose, parce qu’avant d’avoir quinze ans, je jouais déjà dans un groupe et lors de bals de lycée, de tremplins, de concerts en plein air et ce genre de choses, que des trucs locaux avec mes autres amis de lycée. Avance rapide, c’est comme si j’étais vraiment arrivé à maturité, non seulement en tant que personne mais aussi en tant que guitariste, durant toutes les années 70. A la fin des années 70, j’ai eu besoin de faire un break. J’avais tourné avec un groupe de disco, j’avais voyagé au Japon et j’y ai vécu pendant un moment, à jouer dans différents groupes de reprises d’Hendrix… Enfin, j’ai essayé toutes sortes de choses. Je me suis retrouvé à Berkley en Californie, j’étais prêt pour quelque chose de tout nouveau et j’ai pensé que je pouvais laisser tout ça derrière moi pour commencer une nouvelle approche. Il se trouvait que la baie de San Francisco était remplie de gens qui adoraient se démarquer de tous les autres. Il y avait une super atmosphère là où je vivais, à Berkley, qui est juste à côté de San Francisco, d’Oakland et du comté de Marin. Là-bas, ils appréciaient les gens qui essayaient de faire quelque chose de totalement différent. D’une certaine façon, c’était différent de New York et Los Angeles. Donc moi-même et mon beau-frère, que je connaissais depuis que j’avais dix ans, avons décidé : « Montons un groupe tout frais et qui ne se conforme pas au disco, au heavy metal, au punk, au blues, au rock boogie, et tous ces trucs qui étaient populaires chez d’autres groupes, et voyons si on peut être complètement original, voyons si on peut prendre le meilleur de ce qu’on aime dans ces styles mais en créant quelque chose de nouveau. » Et c’est ce que nous avons essayé de faire avec Squares.
En écoutant ces chansons, on peut remarquer que c’est très pop, et ça contraste pas mal avec ce qu’on attendait à l’époque, et encore aujourd’hui, d’un guitar hero. D’un autre côté, durant ta carrière solo plus tard, tu as toujours eu le truc pour les mélodies. Je veux dire qu’on peut souvent chantonner tes leads de guitare… Est-ce que la pop a toujours été une part importante de toi en tant qu’artiste ?
Je pense que la bonne musique est importante pour moi. Si une chanson n’a pas vraiment une bonne mélodie, une forte identité, alors ce n’est vraiment pas génial. Je me fiche du type de musique, que ce soit une chanson de jazz, de classique, de reggae, de Motown [petits rires]. Toutes les meilleures chansons de tous les différents styles de musique possèdent de bonnes qualités. J’ai donc toujours recherché ça, peu importe ce que je faisais, que ce soit avec Squares ou quand je créais un album instrumental plus avant-gardiste. Tout devait avoir une accroche mémorable, et de préférence plusieurs dans chaque chanson, de façon à pouvoir non seulement s’en souvenir, mais aussi à ce qu’elle inspire l’auditeur à utiliser la chanson dans sa vie, à ce qu’elle lui donne de l’énergie, à ce qu’elle l’aide à éprouver de la compassion, à l’exciter, à le stimuler, son cœur, son esprit, peu importe quoi. C’est ça la musique. C’est pour ça qu’on a besoin de musique dans nos vies. Je pense que le fait d’avoir grandi en écoutant certaines des meilleures musiques rock à une époque où le rock n’ roll se transformait en pop et en ce qu’on appelle maintenant le rock, ça m’a appris cette leçon, c’est-à-dire qu’une bonne qualité de composition, c’est le plus important.
Penses-tu qu’en écoutant cet album aujourd’hui, tes fans comprendront mieux qui tu es en tant que guitariste et artiste ou en auront une meilleure vision ?
Je pense que, probablement, ça les embrouillera. Avec un peu de chance, ça les fera rire un peu [rires]. Tout ça, c’est fait pour s’amuser. Ce n’est que de la musique, mais oui, je serais d’accord avec toi, ils pourront dire : « Oh, d’accord, regarde ça, c’est ce que faisait Joe quand il avait tout juste vingt ans. » S’ils écoutent, disons, « I Love How You Love Me » ou la chanson « So Used Up », ils pourront relier les points entre ça et, disons, mes deux premiers albums solos. Ils verront certaines similarités dans le style de jeu. Si ce sont des guitaristes, ils pourront remarquer certaines techniques similaires que j’ai plus tard améliorées. Mais j’ai essayé de faire de mon mieux pour éviter d’être un guitar hero durant la période Squares. L’idée, en partie, c’était de promouvoir le groupe en tant que trio, et non pas, disons, comme un groupe à la Van Halen qui était, évidemment, vraiment centré sur Van Halen, car c’est le nom du groupe, n’est-ce pas ? [Petits rires]. Tout tournait autour d’Eddie. Donc nous étions là : « Ok, voyons si on peut simplement nous promouvoir en tant que groupe, plus comme l’ont fait The Police ou les Rolling Stones, » on peut citer plein de groupes comme ça, comme Fleetwood Mac aussi… Ils avaient cette approche où le plus important est que le groupe soit une unité. Nous évitions qu’un de nous ne serait-ce qu’agisse en héros avec son instrument.
« Un tas de cataclysmes ont entouré [Flying In A Blue Dream], et pourtant, l’album y a survécu et a mis un sourire sur des millions de visages. A chaque fois que je joue la chanson ‘Flying In A Blue Dream’ face à un public, tout ça me revient. »
As-tu toi-même eu des surprises en réécoutant ce que tu as fait sur certaines de ces chansons ?
J’étais assez choqué ! Je veux dire que nous avons essayé de remixer et de comprendre toutes les musiques. Il doit y avoir environ trente chansons qui ont été enregistrées sur la période de trois ans et demi ou quatre ans pendant laquelle Squares a existé. Un bon tiers des musiques était très bien enregistré car nous avions les moyens d’aller dans un très bon studio avec de bonnes machines. Il y avait plein de cassettes enregistrées lors de répétitions qui sonnaient vraiment mal et nous ne prêtions pas attention, mais c’était très éclairant de revenir en arrière et de me souvenir de mon attitude vis-à-vis de mon jeu de guitare et comment j’ai dû me corriger afin d’établir cette image de groupe. Je crois que chaque membre faisait la même chose. Jeff était capable de jouer toutes sortes de plans de batterie incroyables mais il avait décidé d’être un vrai batteur de groupe excitant pour Squares. Nous aimions tous The Who, mais nous avons décidé que nous n’allions pas essayer d’être aussi démonstratifs qu’eux ou que d’autres power trios de la fin des années 60. Nous essayions de nous remodeler. C’est très apparent quand on écoute toute cette musique. Je pense qu’à mesure que les années passaient, nous avons gagné une meilleure compréhension de ce que nous avions créé, en termes de ce que nous avons enregistré et de ce qui constitue notre héritage. Je veux dire que Jeff et moi avons fait plein d’albums solos ensemble, il a tourné avec moi pendant près de deux décennies. Donc après toute la musique que nous avons jouée ensemble et tous les albums que j’ai enregistrés avec John Cuniberti, je pense que nous avons enfin atteint un stade intellectuel et émotionnel, l’année dernière, où nous avions réellement une meilleure perspective sur la façon d’aborder les musiques de Squares et de les reproduire pour le public actuel.
Squares n’a jamais sorti le moindre album à l’époque, et après Squares, tu as lancé ta carrière solo instrumentale. Ce n’était pas avant la création de Chickenfoot que tu as de nouveau eu un chanteur dans ton groupe. Pourquoi n’avoir pas continué avec Squares ou bien lancé un groupe de rock traditionnel, au lieu de partir sur la voie de l’instrumental en solo ?
Oui, c’est une bonne question. La dissolution de Squares a été vraiment triste et traumatisante à l’époque, car c’était la fin de mon rêve personnel, du groupe que j’avais fondé. J’ai commencé à me dire que tous les participants s’étaient égarés, moi y compris, et il n’y avait plus de raison de continuer. Donc quand j’ai quitté le groupe, je n’avais vraiment pas de direction viable à prendre. J’avais déjà créé mon premier EP solo, c’était le premier de deux disques éponymes à venir, mais celui-ci en particulier, cet EP, était sur un label que j’avais moi-même créé. J’avais vendu moins de cent exemplaires. Je veux dire que c’était un EP avant-gardiste étrange. Je n’avais jamais imaginé que ça allait devenir une carrière. C’était juste quelque chose que je pensais être bon à faire, afin d’apprendre à faire des albums moi-même, ce qui est ce que Squares aurait dû faire, mais nous pensions que ce serait mauvais pour notre image si nous ne vendions pas des milliers d’exemplaires. Donc nous n’avons pas cessé d’attendre d’avoir un contrat avec une major, ce qui était une erreur, je pense. Mais à mesure que les années défilaient, après avoir quitté Squares, je n’avais pas grand-chose pour continuer.
J’ai joué dans deux autres groupes, des groupes inconnus qui ne sont allés nulle part [petits rires]. L’un était avec Bobby Vega à la basse, Mingo Lewis à la batterie et une femme qui s’appelait Ariel Bond jouait du clavier, mais c’était pendant une courte période de temps – nous avons juste répété, nous n’avons fait aucun concert –, et puis un groupe qui s’appelait Zulu Pool, qui n’a pas existé longtemps. C’était constitué de musiciens faisant partie d’un groupe appelé Chrome Dinette qui jouait dans des clubs à la même époque que Squares. Eux aussi n’ont pas pu signer avec une major, donc ils se sont désagrégés et se sont reformés, j’ai fini dans une de leurs versions pendant une courte période. Chris Ketner était le leader et le chanteur-bassiste, mon bon ami Se Padilla jouait du clavier et Kurt Wortman était le batteur. Mais je n’ai été dans ce groupe que pendant deux ou trois mois ; nous avons fait très peu de concerts.
Ensuite, juste après ça, j’ai rejoint le Greg Kihn Band, qui était un groupe de rock n’ roll local en Californie du Nord. Greg Kihn, évidemment, avait un disque de platine, un single qui s’est hissé à la première place du hit parade et un gros contrat avec une maison de disques, mais c’était probablement la dernière année où ils ont connu une forme de succès. Ils étaient un peu sur la fin. J’avais déjà fini mon second projet, qui était Not Of This Earth. Je me préparais à le sortir sur mon propre label, mais Steve Vai a exhorté de l’envoyer à son nouvel ami qui travaillait chez Relativity Records, car ces derniers venaient juste de signer l’album Flexible de Steve, qui était bien plus étrange que le mien. Donc Steve s’est dit : « Eh bien, s’ils me signent, il est clair qu’ils te signeront. Donc laisse-moi faire les présentations. » Le Greg Kihn Band est donc arrivé au bon moment pour moi parce que durant cette année, pendant que Not Of This Earth faisait l’objet de négociations de contrat avec Relativity, j’étais sur la route avec Greg Kihn, et quand je ne faisais pas des concerts avec eux, j’étais dans la chambre d’hôtel à composer ce qui allait devenir Surfing With The Alien. J’ai donc joué avec eux pendant un an jusqu’à ce que Not Of This Earth sorte enfin en novembre 86, et ensuite j’ai tout de suite commencé à faire des démos et les enregistrements studio pour l’album Surfing With The Alien.
Donc, ça a pris du temps… Presque trois ans se sont écoulés entre la fin de Squares et la sortie de Surfing With The Alien, et cette transition m’a paru être une éternité [rires]. C’était dur, car je travaillais très dur rien que pour vivre, pour payer mon loyer. J’enseignais à temps plein. C’était intéressant, ceci dit, car mes étudiants étaient ces jeunes gamins qui étaient phénoménaux, c’était Kirk Hammett de Metallica, Larry Lalonde de Possessed, Alex Skolnick de Testament, Charlie Hunter, David Bryson de Counting Crows, Kevin Cadogan de Third Eye Blind, des genres musicaux très différents… Doug Doppler et Geoff Tyson… De jeunes musiciens avec un talent extraordinaire. C’était époustouflant à quel point ils étaient bons et différents. Enfin, on pouvait difficilement faire plus différent que, disons, Kirk Hammett et Charlie Hunter, mais je leur donnais des cours toutes les semaines durant ces années.
« Tous les guitaristes dont vous avez entendu parler à qui j’ai donné des cours, vous les connaissez parce qu’ils sont hyper disciplinés. […] Et les gens que vous ne connaissez pas sont ceux qui étaient un peu fainéants [rires]. »
Tes deux premiers albums solos s’intitulaient Not Of This Earth et Surfing With The Alien : avais-tu l’impression d’être un extraterrestre, en tant que musicien à cette époque ?
Non, mais il y a deux histoires marrantes à ce sujet. Le premier album s’appelait Not Of This Earth parce qu’en fait, j’envoyais un message à mes amis de lycée avec qui j’avais perdu contact. Et je vais rapidement t’expliquer ça : quand j’étais au lycée et que je jouais dans différents groupes, il y avait un groupe avec lequel j’ai joué et avec qui nous avions mémorisé un film de science-fiction vraiment mauvais qui s’appelait Not Of This Earth. C’était un film tellement stupide qu’il en était drôle, alors qu’il était censé faire peur, et il était tellement mal fait que nous l’avions mémorisé pour nous amuser et nous pouvions nous réciter les dialogues. Donc je me retrouvais en Californie, très loin de mes vieux amis de lycée et j’ai pensé : « Je vais appeler cet album, mon premier album, Not Of This Earth, et comme ça, peut-être que mes amis le verront et me feront savoir où ils sont. » Voilà la raison de ce titre.
L’album que j’ai fait ensuite était Surfing With The Alien : le titre original était censé être Lords Of Karma. L’album était sur le point d’être envoyé au pressage par Relativity Records et j’ai fait une courte interview avec un journaliste britannique. Il avait aimé l’album, mais à la fin de l’interview, il m’a dit qu’il n’aimait pas le titre. Il se demandait pourquoi les musiciens étaient toujours attirés par des titres qui sont, d’une certaine façon, liés au mysticisme indien. J’étais trop indifférent pour lui répondre directement, mais après l’appel, je me suis dit : « Je devrais probablement trouver un autre titre, afin que d’autres journalistes ne soient pas agacés. » J’ai donc regardé la liste des titres de chanson et l’une des chansons était « Surfing With The Alien », je me suis dit : « Bon, si j’appelle l’album Surfing With The Alien, tout le monde saura que j’ai un sens de l’humour et ils ne réagiront pas comme cet autre journaliste. » donc j’ai appelé la maison de disques et j’ai dit : « On doit changer le titre de l’album, est-ce qu’on a le temps ? » Et ils ont dit : « Ouais, on a le temps. » Et quand j’ai mentionné le titre au manageur de production [Jim Kozlowski], il m’a dit : « On devrait mettre le Surfer d’Argent sur la pochette parce que c’est mon surnom. » Il a littéralement dit ça. Une chose menant à une autre, nous nous sommes retrouvés à acheter les droits de l’illustration initiale de la toute première BD du Surfer d’Argent pour qu’elle soit sur la pochette de Surfing With The Alien. Voilà comment c’est arrivé, purement par accident. Ce n’était pas parce que j’essayais de partir dans un trip à fond science-fiction ou quoi.
Crois-tu aux extraterrestres ?
Non ! Je n’en ai jamais vu, et je n’ai jamais vu la moindre preuve quelle qu’elle soit que des extraterrestres existent. Au contraire, la science montre que les choses vivantes les plus étranges sont ici même sur la planète et dans les océans. On ne peut même pas voir la majorité des formes de vie sur cette planète tellement elles sont petites. On ne comprend même pas ce qui se passe à l’intérieur de nos intestins, alors ne parlons pas de comprendre ou imaginer qu’il y a des choses qui nous ressemblent avec de drôles de globes oculaires qui se promènent en volant dans l’espace. Enfin, c’est grotesque. Jusqu’à ce qu’on ait de véritables preuves, je ne vois pas l’intérêt de concentrer la névrose humaine sur un groupe d’étranges créatures imaginaires. Les gens ont besoin de prendre conscience des autres gens et de se méfier d’eux. Je veux dire que nous sommes la chose la plus effrayante dans l’univers, incontestablement. Les humains doivent être craints et on ne doit pas leur faire confiance. Nous sommes intrinsèquement fous. Je pense que le reste de la planète vit dans la peur de nous. Donc nous sommes probablement les extraterrestres.
Cette année marque les trente ans de ton troisième album, Flying In A Blue Dream, qui est l’un de tes plus populaires. Avec le recul, comment vois-tu cet album et toute cette époque au début de ta carrière solo ?
C’était une expérience assez cathartique, tout cette période. Je veux dire que je n’aurais jamais imaginé vivre un tel changement de vie durant les deux ans menant à cet album, car je suis passé de zéro carrière solo à une immense carrière solo, rien qu’au cours de cette année-là, en 1988. Obtenir un album de platine, jouer avec Mick Jagger et apprendre comment jouer de la musique instrumentale face à un public, tout ça s’est passé en un an [rires]. Ensuite, je suis rentré chez moi, j’ai réfléchi à tout ça et j’ai commencé à travailler sur un nouvel album. Mais autant des choses merveilleuses ont fait partie de cette expérience, autant des choses horribles se sont également produites. Mon père a eu une attaque et s’est retrouvé dans un coma dévastateur dont il ne s’est jamais remis, tout ça durant la conception de l’album. Et toute cette année-là, j’ai contracté un virus intestinal qui n’a pas été identifié avant que l’année soit terminée. Donc émotionnellement et physiquement, c’était une période extrêmement éprouvante. D’une certaine manière, en studio, nous nous éclations, je suppose que c’était notre refuge pour échapper à la réalité de ce qui était en train de se passer.
Nous avions cette musique et j’avais ce rêve d’un très gros album qui aurait toutes sortes d’instrumentales, il me montrerait en train de jouer du rock, du funk, de la fusion de la guitare expérimentale, je chantais dessus… J’ai énormément misé sur cet album, en montrant aux fans les différentes facettes de ce que je pouvais faire. Je m’étais assuré de ne pas me contenter d’aller en studio pour enregistrer un Surfing With The Alien Part 2. J’étais déterminé à ne pas faire ça, par respect pour cet album. C’était le même groupe de gars, il y avait Jeff Campitelli, le batteur de Squares, ainsi que John Cuniberti, l’ingénieur et producteur de Squares, nous nous y sommes remis et avons dit : « On va faire mieux, on va faire plus gros, on va essayer de faire des choses que nous n’avons jamais faites avant et que personne d’autre n’a faites avant. » Ensuite – je n’oublierais jamais ça –, quand nous avons fait la release party de l’album à New York, ce même jour, il y a eu un tremblement de terre dévastateur à San Francisco. Un tas de cataclysmes ont entouré cet album, et pourtant, l’album y a survécu et a mis un sourire sur des millions de visages. A chaque fois que je joue la chanson « Flying In A Blue Dream » face à un public, tout ça me revient.
« J’ai montré à Kirk Hammett une méthode pour décoder certaines progressions d’accords de James Hetfield, afin qu’il puisse comprendre quels étaient ses choix. […] Mais ensuite, je disais : ‘Kirk, tu dois prendre la décision par toi-même. Je ne peux pas le faire à ta place. Ça doit être toi, car tu es dans Metallica. James veut que tu apportes ton son au groupe.' »
Tu chantais pour la toute première fois sur cet album…
Effectivement ! C’est marrant, j’ai chanté pendant des années dans Squares mais, évidemment, personne ne le savait, à part les gens sur la scène locale ici dans la baie de San Francisco. J’avais donc l’habitude de chanter, et quand j’étais dans le Greg Kihn Band, juste après Squares, je faisais quelques chœurs de temps en temps, pas énormément. J’ai aussi ajouté du chant sur six chansons du premier album de Crowded House. Donc chanter faisait partie de mes compétences, c’est juste que lorsque ma carrière instrumentale a été lancée, c’était un peu par accident, et personne ne savait que je chantais, mais en fait, j’ai toujours chanté. Je ne suis pas vraiment un chanteur. Je veux dire que je n’ai jamais été un vrai chanteur mais j’étais plutôt pas mauvais en tant que choriste.
Même si tu as fait carrière en tant qu’artiste solo, tu as quand même connu quelques prestigieux boulots ponctuels dans des groupes de rock plus traditionnels, comme avec Mick Jagger pour sa tournée solo de 1988, avec Alice Cooper sur l’album Hey Stoopid et puis avec Deep Purple fin 1993. Comment étaient ces expériences pour toi ?
Merveilleuses ! Oh mon Dieu, jouer avec Mick Jagger était tellement amusant ! Chaque musicien dans le groupe était extraordinaire. Mick, évidemment, était le parfait exemple de musicien très inspiré, hyper bosseur et extrêmement talentueux. Il m’a épaté tellement il était bon et authentique. Il m’a énormément soutenu avec ma carrière. Il a fait tout ce qu’il pouvait pour que Surfing With The Alien soit un succès, car c’était la même année où je tournais avec lui. Donc je lui dois énormément de reconnaissance pour ça, mais les moments que nous avons passés sur scène, en répétition, à sortir dîner, à aller dans des clubs, etc., c’était l’éclate et excitant. C’était vraiment génial. Je veux dire que jouer sur ces scènes, par exemple au Tokyo Dome tout juste deux mois après avoir fait deux sets par soir dans des salles d’à peine trois cents personnes… Tu imagines la différence ? [Petits rires] Je suis passé du niveau le plus bas au niveau le plus haut, à jouer devant des centaines de milliers de personnes chaque soir. C’était vraiment bizarre, mais excitant.
De la même façon, le fait d’avoir joué avec Deep Purple, même pendant un court moment, c’était un groupe tellement fantastique… Encore une fois, j’étais scotché par les musiciens phénoménaux qu’ils sont et dans le cas de John Lord, qui n’est plus parmi nous, c’était un musicien et performeur tellement accompli. Tous l’étaient. C’étaient des personnes merveilleuses et d’un très grand soutien envers ce jeune gamin de Long Island qui n’avait rien à voir avec l’héritage de ce fantastique groupe britannique. J’ai simplement essayé de faire honneur au groupe et à Ritchie Blackmore, et de ne pas me mettre en travers de leur gigantesque héritage. Mais c’étaient de fantastiques expériences. Toutes les fois où j’ai été dans des groupes, y compris avec Greg Kihn, et évidemment Chickenfoot, ça a été vraiment super, et être dans un groupe quand les choses vont bien, c’est imbattable. Et puis Hey Stooped, avec Alice Cooper, c’était amusant ! Enfin, c’était un après-midi en studio. C’était une expérience très courte à être un musicien de studio, mais je suis fan d’Alice Cooper depuis le lycée, donc j’étais sous le charme. Alice est un chouette type et je le connais depuis lors. C’est un bon ami. Je le respecte beaucoup lui et son œuvre.
Pourquoi n’es-tu pas resté dans Deep Purple ?
Je n’avais pas l’impression d’avoir ma place dans ce groupe. Peut-être parce que j’étais américain et j’avais le sentiment que ce groupe était un tel… C’était la royauté britannique du rock. J’imaginais qu’ils trouveraient un guitariste britannique qui leur correspondrait parfaitement, qui aurait le même âge et le même pedigree que les autres membres. Je me souviens, je crois que nous étions à Barcelone vers la fin de la tournée estivale de 93, et j’étais assis dans un bar avec Roger Glover. Il savait que je n’allais pas rester dans le groupe et que je voulais retourner à ma carrière solo, et quand il a commencé à nommer des gens auxquels il songeait, quand il a énoncé le nom de Steve Morse, une lumière s’est allumée dans ma tête et j’ai dit : « Oh mon Dieu, Steve Morse serait super ! » Enfin, je n’aurais jamais pensé à Steve Morse, mais dès qu’il l’a dit, j’ai trouvé que ce serait vraiment génial, parce que j’ai réalisé que le groupe avait vraiment envie de changer, ils avaient vraiment envie de devenir autre chose. Ils étaient un peu dans l’ombre de Ritchie Blackmore, d’une certaine façon. Enfin, ils étaient fiers des années passées avec lui mais, à la fois, ils ne pouvaient pas évoluer sans lui à moins de faire quelque chose de vraiment scandaleux [petits rires]. Parmi les guitaristes américains, Steve Morse est l’Américain parfait. Je veux dire qu’il a vraiment un son qui représente à la fois le Nord et le Sud, et l’Est et l’Ouest, je trouve. C’est ça le truc, les Etats-Unis sont un grand pays, avec différents styles suivant d’où l’on vient, et Steve Morse a un son américain très étendu.
Tu as dit qu’« être dans un groupe quand les choses vont bien, c’est imbattable ». Se pourrait-il que tu as préféré t’en tenir à ta carrière solo aussi, justement, parce que les choses vont rarement bien dans les groupes ?
Oui ! [Rires] Quand ma carrière solo a démarré, c’était un énorme soulagement par rapport à Squares qui s’est désagrégé. Je veux dire que Squares s’est désagrégé, puis j’ai rejoint Greg Kihn et eux aussi se sont désagrégés, donc j’ai vu ce groupe tomber en morceaux pendant un an. Et même lorsque je jouais avec Mick Jagger, c’était super marrant, mais à la fois, j’ai réalisé que la raison pour laquelle il était en tournée solo était que les Rolling Stones avaient des problèmes de groupe. Donc j’ai pensé que c’était mieux d’être juste un artiste solo. On n’a pas tous ces horribles trucs qui se passent, toutes ces disputes et tous ces désaccords. On est son propre patron et c’est tout ce qui compte, et tout ce qu’on a à faire est de se soucier de soi-même. C’est donc une grande responsabilité parce qu’il faut faire toute la composition, et on doit se tenir sous le feu des projecteurs, et donc il faut avoir une personnalité compatible avec ça, mais c’est vraiment beaucoup moins compliqué. Je n’ai même pas songé à rejoindre un groupe.
« Quand tu as un jeune Steve Vai de treize ans assis devant toi, tu te rends compte qu’il va devenir un génie de la guitare, et il te regarde comme s’il te disait ‘aide-moi à y arriver’, tu réalises que c’est ta responsabilité de mettre de l’ordre dans tes idées pour vraiment savoir de quoi tu parles, de façon à ne pas laisser ce jeune génie s’égarer. »
Encore une fois, quelques années après ça, on m’a demandé d’intégrer Deep Purple et je me suis dit : « Ne le fais pas ! » [Rires]. Car j’étais dans Deep Purple parce qu’ils avaient des problèmes de groupe et les problèmes de groupe de Deep Purple étaient légendaires, tout le monde savait le nombre de querelles qu’ils ont eues, et j’ai pensé : « Pourquoi voudrais-je à nouveau rejoindre un groupe qui est toujours en train de se quereller ? Ils n’arrivent à rien parce qu’ils sont en désaccord entre eux. » Donc j’ai pensé : « Non, je ne vais pas faire ça. Je ne vais certainement pas remplacer une personnalité qui divise. » Quand le truc est arrivé avec Sam[my Hagar], c’est venu tellement de nulle part, je ne m’y attendais pas. J’ai été à Las Vegas pour grimper sur scène juste pour faire la fête et, tout d’un coup, nous sommes devenus un groupe. Pendant toute la durée du groupe, tout le monde se demandait combien de temps ça allait tenir [petits rires]. Nous avions tous d’autres vrais boulots et donc je pense que ça a enlevé la pression autour de Chickenfoot. Chaque fois que nous nous sommes réunis, c’était plus comme des vacances vis-à-vis de nos autres groupes.
Tu as mentionné tous les étudiants célèbres que tu as eus durant tes années d’enseignant : parmi ceux-ci, qui étaient les plus disciplinés et les plus indisciplinés ?
[Rires] C’est vraiment une bonne question ! Eh bien, le plus discipliné est forcément Steve Vai. En fait, nous sommes amis depuis que nous étions enfants, donc c’est celui que j’ai le mieux connu. Je l’ai connu quand il n’était pas du tout guitariste. Donc je l’ai vu évoluer à partir de zéro pour devenir ce musicien virtuose qui, je pense, de bien des façons, a dépassé même ses rêves les plus fous. Je n’ai connu personne travaillant aussi dur que lui sur sa propre musique. Même quand c’était un tout jeune gamin d’à peine douze ou treize ans qui aimait jouer du Kiss, il se forçait à étudier la musique, à apprendre à lire et écrire la musique la plus difficile qu’on puisse imaginer. C’est extraordinaire. Il n’a jamais été fainéant, jamais, par rapport à quoi que ce soit [petits rires]. Je vais te dire : quand il décide de prendre des vacances, il applique cette discipline à ses vacances [rires]. S’il décide d’élever des abeilles pour faire du miel, il fait le meilleur miel possible. Ça fait partie du caractère de Steve Vai. Il s’applique à fond. Que ce soit en étant un merveilleux mari et père ou en étant un guitariste fou qui écrit les chansons les plus dingues qui soient, il applique toujours cette discipline. Ce qui explique pourquoi il a tant de succès, et c’est super, et il a toujours ça en lui ! Je lui ai justement parlé avant-hier, nous avons longuement discuté du fait qu’il a toujours l’impression de constamment devoir travailler très, très dur, car il pense en avoir besoin ! [Petits rires]. C’est vraiment super. Tu sais, les étudiants qui avaient l’approche inverse sont ceux dont on n’entend pas parler. C’est la réalité de la chose. Tous les guitaristes dont vous avez entendu parler à qui j’ai donné des cours, vous les connaissez parce qu’ils sont hyper disciplinés. Kirk Hammett, Alex Skolnick, Kevin Cadogan, David Bryce et Charlie Hunter, ces gars sont très connus partout parce qu’ils continuent à travailler dur sur leur jeu. Et les gens que vous ne connaissez pas sont ceux qui étaient un peu fainéants [rires].
Un autre de tes étudiants était Kirk Hammett, et en tant que professeur, tu l’as vu passer d’Exodus à Metallica. A quel point a-t-il évolué en tant que guitariste à cette époque, vu la tournure qu’était en train de prendre sa carrière ?
C’était vraiment fascinant. Kirk était un parmi un groupe de jeunes musiciens à qui je donnais des cours. Kirk est venu, comme les autres, avec beaucoup de motivation et de détermination. Il avait une super attitude, il s’entraînait vraiment dur, il aimait vraiment la musique qu’il faisait, et je pouvais me rendre compte que Kirk, avec le reste de sa génération, allait changer l’histoire de la musique, on le savait, on pouvait le voir. Ils étaient tellement passionnés par leur son. Il y avait deux choses qu’il fallait vraiment que je fasse. L’une est que je devais lui montrer tout ce que je savais et l’autre était que je devais m’assurer que je ne l’influence pas en termes de style. Ceci, je pense, est le plus important quand on est professeur : il faut respecter la jeune génération et où ils veulent amener quelque chose, et on n’a pas envie de les réprimer avec notre propre style, on n’a pas envie de les entacher en leur faisant absorber quelque chose qui fait partie de notre patte. Autrement, ça ne marche pas très bien. C’est mieux de simplement leur donner l’information de façon aussi claire que possible, et ensuite leur inculquer l’idée qu’ils doivent choisir comment l’utiliser et quand l’utiliser, et quoi qu’ils décident, ça leur appartiendra, ça deviendra leur style. C’était vraiment amusant, il était vraiment super. C’était le dernier gars à qui j’ai donné un cours en tant que professeur. C’était en janvier 88, il partait faire un album et j’étais sur le point de commencer ma toute première tournée en tant qu’artiste solo. Je lui ai donné un cours et ensuite, après ça, j’ai pris l’avion pour San Diego et j’ai commencé la tournée Surfing With The Alien [petits rires]. C’était donc très intéressant que j’ai commencé à l’instruire des années plus tôt, puis durant toute la transition entre les deux groupes, et ensuite il était celui à qui j’ai donné mon dernier cours professionnel.
A quel point a-t-il appliqué dans Metallica ce que tu lui as appris ?
Beaucoup ! J’aime faire remarquer aux gens qu’avant que ce type de metal existe, un guitariste qui exécutait un solo par-dessus un riff metal pouvait s’en tirer en jouant du blues, parce que les structures d’accords étaient assez simples, c’était juste des progressions blues énervées, avec peut-être un tout de petit peu de gammes phrygiennes balancées dans le tas. Quand on remonte le temps et qu’on écoute Deep Purple ou Black Sabbath, les maîtres originels de la musique metal, on réalise que c’est vraiment de la musique basée sur le blues et donc ils n’étaient pas obligés d’être trop complexes dans le développement de leurs passages mélodiques, car les progressions d’accords étaient basées sur le blues. Mais ensuite est venue cette nouvelle génération et ils ont décidé d’employer tous ces autres accords que ces groupes n’utilisaient jamais et ils ont vraiment amené ça à un extrême. Kirk venait et disait : « On travaille sur cette chanson, écoute ces accords : ça correspond à quelle gamme ? » Et bien sûr, il n’y avait pas une armure claire dans nombre de ces super progressions d’accords thrash metal. Mais c’était le boulot de Kirk de trouver les gammes sur lesquelles faire ses solos. Evidemment, il adorait Michael Schenker et un tas de guitaristes qui se reposaient sur le blues, mais son travail l’a mis dans une zone totalement différente et ça ne marchait pas pour lui de simplement jouer ce que ses héros jouaient ; il devait trouver quelque chose d’original.
« Après toutes ces années à jouer de la guitare, j’ai appris à me connaître et à connaître mon anatomie, j’ai appris à respecter mes limites et comment les contourner, et j’ai appris à ne pas me blesser en essayant de rattraper Yngwie Malmsteen, Rusty Cooley ou ce genre de personne. »
Je lui ai donc appris, non seulement toutes les gammes qui existaient et qu’on pouvait potentiellement utiliser dans le contexte d’une chanson de Metallica, mais je lui ai aussi montré une méthode pour décoder certaines progressions d’accords de James Hetfield, afin qu’il puisse comprendre quels étaient ses choix. Ensemble, nous travaillions à disséquer les progressions, je lui montrais : « Voilà comment tu la dissèques, voilà comment tu détermines tes options pour les mélodies et les solos, et ensuite voilà comment tu relies ça à toutes les gammes que je t’ai montrées. » Mais ensuite, comme je l’ai dit plus tôt, je disais : « Kirk, tu dois prendre la décision par toi-même. Je ne peux pas le faire à ta place. Ça doit être toi, car tu es dans Metallica. James veut que tu apportes ton son au groupe, peu importe ce que ça peut être. » Et il faut garder en tête qu’il était très jeune. Je veux dire qu’ils étaient tous extrêmement jeunes, mais la passion est extrêmement importante quand il s’agit de faire de l’excellente musique. Ils laissaient la passion être leur guide, ce que je trouve super, et c’est pour ça qu’ils sont devenus des artistes aimés mondialement.
Certains professeurs disent qu’ils apprennent autant de leurs étudiants que leurs étudiants apprennent d’eux. As-tu toi-même beaucoup appris de tes étudiants et du fait d’enseigner ?
Les gens me demandent tout le temps ça et c’est une drôle de question, car il ne s’agit pas de ce que tu apprends de tes étudiants, comme s’ils débarquaient un beau jour en disant : « Hey, t’as déjà pensé à ça ? » Et toi : « Wow, je n’avais pas pensé à ça ! » [Petits rires]. Ce n’est pas vraiment comme ça que ça marche. Mais laisse-moi t’expliquer ainsi : quand tu as un jeune Steve Vai de treize ans assis devant toi, tu te rends compte qu’il va devenir un génie de la guitare, et il te regarde comme s’il te disait « aide-moi à y arriver », tu réalises que c’est ta responsabilité de mettre de l’ordre dans tes idées pour vraiment savoir de quoi tu parles, de façon à ne pas laisser ce jeune génie s’égarer. La même chose s’applique quand tu enseignes à un jeune Kirk Hammett qui vient de rentrer dans un groupe dont tu sais au fond de toi qu’il deviendra connu mondialement, tu ressens cette responsabilité de bien instruire cette personne, de ne pas se mettre en travers de son chemin, mais de faire tout ce que tu peux pour qu’il avance avec toutes les bonnes informations. Donc, ainsi, ça te force à avoir une discipline assez intéressante, car tu ressens le poids de ta responsabilité en tant que professeur.
Tu as dit plus tôt que Steve Vai « a toujours l’impression de constamment devoir travailler très, très dur ». Et qu’en est-il de toi ? As-tu toujours besoin de t’entraîner ?
Clairement, oui. Je m’entraîne tout le temps, tous les jours. Steve et moi sommes très semblables à bien des niveaux. Nous venons du même quartier, nos backgrounds sont très similaires et nos parents nous ont inculqué la motivation pour tout le temps travailler très dur, afin d’essayer d’être les meilleurs dans tout ce que nous avons décidé de faire. Je pense que c’est naturel pour nous de nous réveiller chaque matin, ne rien prendre pour acquis et travailler très dur pour essayer d’être meilleurs. Nous adorons la guitare, nous adorons essayer d’atteindre de nouveaux sommets, mais nous ressentons également la responsabilité d’être à la hauteur de la chance que nous avons. Il est certain que la composition est quelque chose sur lequel je travaille tous les jours, mais j’ai le même corps que j’avais quand j’avais quatorze ans, il est juste bien plus vieux [rires]. Tu es coincé avec ce que tu as. A un moment, tu réalises : « D’accord, ceci est mon corps, ceux-ci sont mes doigts, donc sur quoi dois-je m’entraîner afin d’être au niveau de mes camarades à la guitare ? » Car il existe des guitaristes en tous genres. Il y a de jeunes filles et jeunes hommes capables de jouer bien mieux que d’autres gamins dans leur classe et, suivant ce qui se passe au cours de leur vie, en fonction de leur santé, des expériences et autres, ou s’ils se blessent à un moment donné ou quelque chose comme ça, leur corps progressera ou dégénérera. Ça fait partie de la vie. On doit tous gérer ce qu’on a, peu importe ce que c’est, mais l’entraînement en fait partie.
Parfois je m’entraîne et je pense : « D’accord, je sais que je ne vais pas pouvoir jouer aussi vite et de façon aussi compliquée que John Petrucci, Paul Gilbert ou Steve Vai, mais il y a ces autres choses que je peux faire. Donc je vais me concentrer là-dessus. » Après toutes ces années à jouer de la guitare, j’ai appris à me connaître et à connaître mon anatomie, j’ai appris à respecter mes limites et comment les contourner, et j’ai appris à ne pas me blesser en essayant de rattraper Yngwie Malmsteen, Rusty Cooley ou ce genre de personne. Je veux dire qu’il y a plein d’exemples de gens scandaleusement talentueux qui font des choses tellement inhabituelles et uniques, mais c’est parce qu’ils sont qui ils sont. L’idée n’est pas d’homogénéiser. On veut qu’il y ait un Neil Young et un Robert Fripp, tout comme on veut qu’il y ait des différences entre les chanteurs. On veut que Sammy Hagar chante différemment de Robert Plant. On veut célébrer l’unicité et ça doit passer par l’entraînement. Plein de musiciens, quand ils s’entraînent, se concentrent sur le métronome et sur qui est le représentant le plus extravagant d’une certaine technique, mais en fait, ce que les gens veulent de notre part en tant que musiciens, c’est de la très bonne musique qu’ils peuvent écouter pendant leur vie. Donc, tu réfléchis à ça pendant une seconde, et tu dis : « D’accord, donc ça veut dire que la technique n’est qu’un outil. Ce n’est rien de plus. Ce n’est qu’un outil pour me permettre de créer de la musique pour les gens qui ont besoin de musique dans leur vie. » Une fois que tu as bien compris ça, tu réalises que l’entraînement consiste autant à découvrir ce qui t’est propre, qu’à essayer de jouer aussi bien que John Petrucci. C’est bien d’essayer, mais à un moment donné, si tu te rends compte que tu ne vas pas y arriver, alors tu peux te détendre et passer à la suite [rires].
« L’entraînement consiste autant à découvrir ce qui t’est propre, qu’à essayer de jouer aussi bien que John Petrucci. C’est bien d’essayer, mais à un moment donné, si tu te rends compte que tu ne vas pas y arriver, alors tu peux te détendre et passer à la suite [rires]. »
Tu as toi-même été étudiant : en 1974, tu as étudié la musique avec deux artistes de jazz : le guitariste Billy Bauer et le pianiste Lennie Tristano. Même si tu es un artiste de rock, quelle marque est-ce que ces expériences aux côtés de ces musiciens de jazz ont laissée sur ton jeu ?
Ils ont laissé une grande marque. Lennie Tristano a eu l’impact le plus profond sur ma musicalité, parce qu’il m’a fait comprendre ce qu’était la discipline personnelle et ce qu’impliquait l’entraînement. Jusque-là, je pensais que s’entraîner revenait à apprendre les accords, les gammes et les techniques de composition, et les passer en revue tous les jours. Mais Lennie Tristano m’a appris que je contrôlais réellement les notes que je jouais et que j’étais le seul à être mon professeur, en quelque sorte, et que je devais être parfaitement honnête avec moi-même au sujet de ce que je savais et ne savais pas, et qu’il n’y avait aucune excuse pour ne pas savoir. Une fois que tu réalises ne pas connaître quelque chose, eh bien, il faut simplement le connaître, y aller et l’apprendre. Si tu ne le fais pas, tu es dans l’erreur. Il a re-discipliné toute mon approche et m’a fait réaliser que, même si je pensais que je travaillais dur, je n’avais même pas vraiment effleuré le sujet.
Parmi les cours que j’ai eus avec lui, l’un consistait à chanter par-dessus les albums. Il fallait choisir une chanson dont on chanterait la mélodie et le solo avec précision, note pour note. On pouvait inventer le son qu’on utiliserait – « do be do be do, bop bop wow wow », peu importe – mais il fallait que le rythme et la justesse soient absolument parfaits. Evidemment, ça fonctionnait mieux sur du jazz. J’amenais du rock et du jazz, parfois j’amenais du Black Sabbath… Il s’en fichait, il cherchait juste la discipline consistant à apprendre à intérioriser la mélodie d’un solo. Il voulait vraiment que tout notre corps et notre esprit mémorisent la musique avant que nos doigts essayent de la jouer. Il avait le sentiment que, de cette manière, quand ça sortait, ça sortait de façon vraiment improvisée et originale, alors que si on fixait les points sur le papier et se contentait de copier ce qui était écrit, ce serait superficiel et on n’évoluerait jamais. C’était donc important, il voulait t’entendre faire ça. Ce n’était qu’une partie d’un ensemble de cours très compliqués et exigeants que j’avais chaque semaine.
Des années plus tôt – enfin, pas tant d’années que ça, mais un an et demi plus tôt –, j’ai pris quelques cours – trois je crois – avec Billy Bauer. Il ne m’a pas appris grand-chose. Cependant, il m’a donné deux ou trois brochures sur les arpèges, les suites d’accords et les gammes qui ont vraiment ouvert ma perception du manche d’une guitare. Je pense qu’avant ça, je copiais encore ce que j’entendais sur les albums et je reproduisais des formes géométriques basées sur d’autres chansons que j’avais entendues, comme les riffs de Chuck Berry et ceux d’Hendrix, et des accords qu’on trouvait dans des livres d’accords pour musicien amateur. Mais quand j’ai rencontré Billy Bauer, j’ai réalisé : « Oh mon Dieu, il joue de sa guitare comme un clavier ! Il ne laisse rien dans la configuration et le design inhabituel de la guitare entraver sa capacité à jouer des accords qu’un claviériste pourrait jouer ou des notes simples qu’un trompettiste ou un saxophoniste pourrait jouer. » C’était très éclairant. Donc, même si je n’ai étudié avec lui que pendant trois semaines, j’en suis ressorti avec ces deux ou trois fascicules qu’il avait écrits et ils sont devenus ma bible jusqu’à ce que je rencontre Lennie Tristano.
Tu as récemment à nouveau participé à la tournée Experience Hendrix. Quel impact est-ce que Jimi Hendrix a eu sur toi en tant que guitariste ? C’est en fait grâce à lui que tu t’es mis à la guitare, n’est-ce pas ?
Oui, en effet. J’étais un énorme fan. Avant d’être guitariste, mes sœurs aînées et leurs petits amis avaient pour habitude d’amener toute la musique qui sortait à la fin des années 60, et ils la testaient sur moi. J’étais un tout jeune enfant, j’étais neuf ans plus jeune, et je pense qu’ils étaient fascinés de voir que j’adorais Hendrix, The Who et Cream, tout ce qui est sorti entre 68 et 70, c’était à cette époque que le rock était en train de devenir le rock. C’était en train de changer, ça partait du rock n’ roll et du pop rock et ça devait un autre truc à part entière. Les gens écrivaient des chansons à propos de toutes sortes de sujets et les guitaristes électriques faisaient des bonds en avant avec de nouvelles façons de jouer. Et quand Jimi Hendrix est mort en 1970, c’était ce jour-là que j’ai décidé de devenir guitariste. A l’époque, je jouais du football américain – c’est le truc typique qu’un gamin américain fait, c’est ce qu’on faisait quand nous étions au lycée. J’étais tout équipé, avec le casque, les protections, etc., et nous étions sur le point d’entrer sur le terrain quand un de mes coéquipiers a dit que quand il était rentré manger à midi, il avait entendu aux informations à la télé que ce gars que j’aimais – il ne savait pas vraiment qui était Jimi Hendrix mais il savait que je l’aimais – était mort. C’est comme ça que je l’ai su et j’ai sur-le-champ quitté l’équipe de football. C’était une époque folle pour se mettre à la guitare ! Donc j’ai grandi en jouant dans des groupes du Hendrix, du Black Sabbath, du Led Zeppelin, les Stones et les Beatles, ce genre de musique avec laquelle j’ai appris à jouer ; c’est devenu la pierre angulaire de mes racines musicales.
« Quand Jimi Hendrix est mort en 1970, c’était ce jour-là que j’ai décidé de devenir guitariste. […] Je réalisais que son départ créait un vide qui devait être comblé. Donc je me suis dit que je n’allais pas essayer d’être Jimi Hendrix ou de le remplacer mais que j’allais essayer de combler ce vide que je ressens avec la musique et que j’allais le faire avec une guitare. »
Pourquoi la mort de Jimi Hendrix a-t-elle soudainement déclenché chez toi cette décision de devenir un guitariste ?
C’était assez complexe. C’est étrange quand on essaye de se souvenir de ce qui se passait dans notre tête quand on était très jeune. Ça peut être difficile parce qu’à l’âge de quatorze ans, les jeunes hommes ne sont pas très intellectuels [petits rires]. Nos souvenirs sont plus hormonaux et émotionnels qu’intellectuels. Donc quand j’y repense et essaye de me souvenir ce qui a rendu cette expérience si dramatique et capitale pour moi, je me souviens du sentiment que cette musique était très importante pour moi. Je pensais que c’était quelque chose que j’allais garder en moi dans le futur et je réalisais que son départ créait un vide qui devait être comblé. Donc je me suis dit que je n’allais pas essayer d’être Jimi Hendrix ou de le remplacer mais que j’allais essayer de combler ce vide que je ressens avec la musique et que j’allais le faire avec une guitare, car c’était mon héros musical. C’est à peu près tout ce dont je me souviens. J’ai eu une réponse émotionnelle, c’était très puissant et j’avais la foi que, d’une certaine manière, ça allait marcher, mais je n’avais pas vraiment les détails. J’étais trop jeune, j’étais un gamin, je ne me focalisais pas vraiment sur les détails à l’époque.
Est-ce que ton coach de football était d’accord pour que tu quittes soudainement l’équipe ? [Petits rires]
Je crois. Je veux dire que je n’étais pas un joueur de grande valeur dans l’équipe [rires]. C’est marrant cet âge-là, quand tu as tout juste quatorze ans, c’est là que les enfants qui vont avoir une grande taille commencent à grandir et qu’on voit ceux qui vont rester à peu près à la même taille. C’était donc une période dangereuse pour être dans une équipe de football si tu n’allais pas être grand. Il y avait donc deux ou trois gamins dans d’autres équipes contre qui nous jouions qui faisaient déjà un mètre quatre-vingts et presque quatre-vingt-dix kilos, or ce n’était pas du tout mon cas ! Je faisais dans les un mètre cinquante et je n’avais pas du tout l’air de grandir pour atteindre un mètre quatre-vingt-dix et je n’allais jamais dépasser les soixante-cinq kilos. C’était donc le bon moment d’arrêter le football [petits rires], car c’était dangereux. Le coach me regardait probablement en se disant : « Oh, ce gamin a les cheveux longs, il s’intéresse au rock… » Et c’était en 1970, c’était socialement très différent en Amérique à l’époque. Mon coach était un ancien marine, il était très conservateur, il n’aimait pas le rock, il n’aimait certainement pas Jimi Hendrix, donc il était probablement content que j’arrête.
Est-ce que tu ressens le moindre challenge à reprendre la musique de Jimi Hendrix aujourd’hui ?
Bien sûr ! [Rires] Tout d’abord, je pense que tout le monde sur cette tournée se rend compte qu’on ne peut pas arriver à faire ce que Jimi faisait. Jimi était dans son propre monde et il changeait constamment de direction. Si on étudie ses enregistrements live, on réalise à quel point il était intrépide chaque soir où il jouait face à un public et à quel point il essayait de repousser ses propres limites et celles de son groupe, dès qu’il jouait. La première chose qu’il faut faire, c’est apprendre la chanson afin de la respecter comme il faut. Mais ensuite, suivant le groupe avec lequel tu joues la musique, il faut se demander : « Comment est-ce que je vais correctement représenter l’esprit de Jimi Hendrix ? » On ne peut pas sonner comme lui, ni le copier. On ne peut jamais être comme lui mais on peut amener son esprit dans notre interprétation. C’est ce qui confère à l’interprétation, je pense, sa validité, ceci et le fait qu’on ait bien bossé pour apprendre à jouer la chanson comme il faut.
C’est la seconde fois que j’ai fait la tournée. La première fois, mon groupe était Living Colour, ce qui avait amené un arrangement totalement différent de cette fois-ci. Cette fois, j’avais Doug Pinnick qui chantait et jouait la basse et Kenny Aronoff à la batterie, et tous les trois nous créons un son tellement unique ensemble que nous avons décidé que nous allions cristalliser tous les meilleurs éléments des prestations live de Jimi mais, à la fois, nous allions nous assurer de réussir tous les grands moments de chaque chanson que nous jouions. Nous avons choisi six chansons et avons décidé que nous n’allions pas essayer de jouer des versions de douze minutes chacune. Nous allions en fait les jouer plus comme sur les albums. Chaque soir, nous allions en quelque sorte inculquer l’esprit des meilleures prestations live de Jimi des quelques années où il était vivant et jouait pour nous. Cette approche a été vraiment très inspirante pour nous, en tant que groupe. Le public a clairement adhéré et ils adorent notre approche pour jouer la musique. Et c’est super, parce que nous pouvons jouer des trucs qui étaient plus pop, comme « Crosstown Traffic », nous faisons aussi « Third Stone From The Sun », nous faisons « If 6 Was 9 », nous faisons « I Don’t Live Today »… Nous reprenons certaines chansons qu’il ne faisait jamais en concert, ce qui est vraiment fantastique. Ça te donne la liberté d’imaginer comment il les aurait faites.
« Être un guitar hero serait la chose la plus dangereuse qui soit à accepter. Ça n’est d’aucune utilité. »
Quels sont les autres guitaristes qui ont été importants pour toi ?
Il y a probablement une centaine de guitaristes que je considère comme des influences. Certainement que Billy Gibbons est l’un d’entre eux. J’ai une de ses aquarelles à soixante centimètres devant moi, là tout de suite, qu’il m’a donnée il y a des années. Donc je la regarde tout le temps – c’est une aquarelle qu’il a faite d’une Flying V, elle est au-dessus de mes enceintes dans mon studio. C’est un bon ami et un musicien monumental. On peut certainement entendre son influence dans mon jeu, c’est sûr. J’ai probablement d’abord grandi en écoutant Keith Richards et George Harrison, ce sont les principaux guitaristes que j’écoutais, parce que c’est la musique que mes grandes sœurs écoutaient quand j’étais enfant. Et j’entendais mes parents jouer du jazz aussi, donc j’entendais tout le temps du Wes Montgomery dans la maison et c’est devenu une grosse influence sur mon jeu. Et ensuite, j’ai commencé à écouter Hendrix, Jimmy Page, Jeff Beck, Eric Clapton, Johnny Winter, Billy Gibbons, Tony Iommi, Ritchie Blackmore… Enfin, la liste est interminable… John McLaughlin, Allan Holdsworth, des musiciens comme Neil Young aussi ont eu une grosse influence, tout ça dans des styles de musique différents, car j’aime écouter tous les styles. De Chuck Berry et Scotty Moore, jusqu’à Robert Fripp et Bill Frisell… Je m’intéressais à tout ça. J’ai de nombreuses influences et de nombreux guitaristes que je considère comme des guitar heros.
Billy Gibbons est principalement connu pour ses hits avec ZZ Top – que ce soit « La Grange » ou « Gimme All Your Lovin » – mais il s’est montré très innovant dans d’autres albums moins connus, comme Rhythmeen, avec cette distorsion vacillante qui craque et se coupe parfois, et pourtant il parvient à en faire quelque chose de cool et d’unique…
Oh, j’adore ! C’est sur cet album qu’est la chanson « Loaded », n’est-ce pas ? Ouais, c’est extraordinaire. Je lui ai posé la question au sujet de ce son mais il était très réticent à en parler. Il se peut que ce soit un des premiers plugins de dithering. Quand on utilise Pro Tools, on va dans notre AudioSuite et on trouve ce plugin de dithering, et on peut en quelque sorte réduire le bit rate et parfois on obtient ce type de son, qui donne l’impression qu’on joue avec un câble cassé ou quelque chose comme ça [rires]. Enfin, il se peut aussi que ce soit vraiment un câble cassé et qu’ils ont simplement trouvé que ça sonnait bien, je ne sais pas. Sait-on jamais ! Mais quel jeu fantastique ! Il y a eu plusieurs chapitres dans la progression de son style de composition. C’est ce que je trouve le plus fascinant chez Billy Gibbons, sa capacité à continuellement réinventer la manière d’écrire le blues à la guitare. Plein de gens se focalisent sur son jeu de guitare ou le son de sa voix, mais il faut se souvenir que la seule raison pour laquelle on entend tout ça, c’est parce qu’il y a d’abord une chanson qu’il a composée [petits rires]. Et cette chanson possède une introduction, un riff, des couplets, un pont, un refrain… C’est ce qu’on entend. La partie la plus importante dans ce qui véhicule ce qu’on entend, au final, c’est son son de guitare. Il ne peut faire autrement que sonner comme ça. Je veux dire que c’est tellement unique, ça fait tellement partie de sa personnalité, mais ses compositions sur ces albums, cette période autour de Rhythmeen, je trouvais ça tellement unique. Il a tellement souvent essayé de changer de technique de composition. Je trouvais ça super et c’était tellement moderne. D’une certaine façon, j’ai commencé à entendre les artistes pop d’aujourd’hui copier ce style, c’est-à-dire en fonctionnant à l’économie mais en délivrant des messages de qualité pour chaque chanson, sans être différents juste pour choquer. Tout avait une bonne raison d’être. C’était toujours soutenu par de bonnes structures créatives, un bon jeu et un enregistrement de qualité.
Tu as dit tout à l’heure que tu as « essayé de faire de [t]on mieux pour éviter d’être un guitar hero durant la période Squares ». Quel est ton sentiment aujourd’hui par rapport à l’étiquette de guitar hero ?
[Petits rires] C’est ironique. Vraiment. Je me souviens d’un moment drôle lors d’une tournée solo, et Jeff Campitelli jouait la batterie sur la tournée à cette époque. Nous jouions à Phoenix et notre chanteur et bassiste de Squares est venu nous voir. Il voulait rester dehors, attendre et nous voir arriver, juste pour vivre toute l’expérience dans la peau d’un fan. Après le concert, il a dit que c’était très bizarre de nous voir sortir de la voiture, marcher à travers les rangées de fans qui criaient nos noms, et il a dit que c’était presque comme si nous étions des personnes différentes, même s’il nous connaissait comme étant juste Joe et Jeff, évidemment. Il a dit que l’expérience d’être là dans le public et de ressentir l’excitation de tous nos fans changeait vraiment la perception de qui nous étions, et ça nous transformait en héros de la guitare et de la batterie. De son point de vue, regardant le concert, il a dit que c’était comme regarder des gens qu’il n’avait jamais rencontrés avant. Il a dit que c’était comme si nous étions quinze centimètres plus grands et que nous jouions mieux que ce qu’il a jamais entendu de notre part. J’ai trouvé ça très intéressant parce que, dans Squares, nous essayions vraiment de dédramatiser ça et de nous projeter comme une unité, plutôt que comme des super stars individuelles. C’est bien, je suppose, pour l’industrie musicale de comprendre comment on nous perçoit, mais chaque jour quand on se réveille pour s’entraîner et composer de la musique, c’est la dernière chose à laquelle on a envie de penser [rires]. Je veux dire, qu’être un guitar hero serait la chose la plus dangereuse qui soit à accepter. Ça n’est d’aucune utilité.
Ton dernier album solo, What Happens Next, est sorti l’an dernier et l’année d’avant, tu as sorti une nouvelle chanson avec Chickenfoot via la compilation Best + Live. As-tu des nouvelles à nous donner sur ces deux fronts ?
Je peux dire pour conclure que ça a été une expérience fantastique d’inventer What Happens Next, d’être en studio avec Chad [Smith] et Glenn [Hughes], et de travailler sur cet album comme nous l’avons fait, et partir en tourner pour le jouer. Le dernier concert que nous avons fait était en Inde et nous étions sur scène, je m’en souviens, nous jouions « Thunder High On The Mountain » et tout le public tapait des mains et chantait, et j’ai pensé : « Wow, c’est tellement extraordinaire ! » J’étais tellement reconnaissant de pouvoir créer une chanson comme celle-ci, la sortir et qu’elle soit entendue à travers le monde et que les fans à l’autre bout de la planète, en Inde, se l’approprient si rapidement et m’aident à la célébrer en concert. Toute cette expérience à tourner en soutien de What Happens Next, je pense, m’a amené à ce prochain projet sur lequel je travaille en ce moment, un nouvel album que j’ai presque fini de composer et que je vais commencer à enregistrer en septembre. Chaque album qu’on termine, avec un peu de chance, t’inspire pour faire le suivant. Donc ça a été un processus très inspirant, celui de l’album What Happens Next. Et pour ce qui est de Chickenfoot, je n’ai aucune idée de ce qui se passe de leur côté !
Et penses-tu que ta collaboration avec Kenny Aronoff et Doug Pinnick pourrait aller plus loin ?
J’espère ! Nous allons le découvrir dans environ deux mois. Nous allons nous retrouver et passer quelques jours pour composer de la musique et voir s’il y a quelque chose entre nous.
Interview réalisée par téléphone les 17 juin et 4 juillet 2019 par Nicolas Gricourt.
Transcription & traduction : Nicolas Gricourt.
Site officiel de Joe Satriani : www.satriani.com.
Sacrée pipelette quand même
[Reply]
J ai découvert Joe à une période d essouflement (ou de lassitude) du hard des années 80..depuis j ai une admiration pour celui qui m’ apporte toujours joie , bonne humeur et émotion..
Cela ne m empêche pas d’admirer steeve vai ou Petrucci, Shenker (vus hier au festival de guitare en scène )
Comme l explique bien l expert Joe , chaque guitariste apporte son emprunte et quand on s amuse à désigner bêtement le meilleur guitariste ,je préfère me focaliser sur ceux qui me filent le plus de dopamine.
Merci Satch pour ta discographie riche d’une vingtaine de pépites comme le dernier album qui est une totale réussite et longue vie pour continuer de vivre à travers tes mélodies uniques.
[Reply]
N’en déplaise à ce trou du cul de Philippe Manoeuvre qui a osé dire qu’il n’y a eu aucun guitariste de renom depuis Van Halen , Joe est sans conteste LE guitariste actuel le plus accompli techniquement mais aussi qui a su composer des albums instrumentaux époustouflants. De plus , il semble ne pas avoir la grosse tête , ce qui ajoute un plus au personnage.
Pour les sceptiques , je vous invite à visionner la vidéo amateur de » When A Blindman Cries » lors d’un concert avec Deep Purple à Saarbrücke. Joe est incroyable. A tomber :
https://www.youtube.com/watch?v=jEF6YO-VcVg
[Reply]
Tu connais quelqu’un qui s’intéresse à ce que Philippe Manœuvre dit, depuis ces 20 dernières années? 😛