Guitar-Hero un jour… Joe Satriani n’a pas pu défendre dignement Shapeshifting (2020) en live à cause de la pandémie. Un crève-cœur lorsqu’on sait que Shapheshifting est fortement inspiré de son travail avec le groupe de la tournée Experience Hendrix, à savoir une musique classic-rock dans son approche, enregistrée avec spontanéité dans des conditions proches du concert. Peu importe, Joe Satriani a très vite décidé de tirer parti du contexte singulier : The Elephants Of Mars – son nouvel effort dont le titre farfelu renvoie à l’histoire imaginée par le guitariste d’une planète Mars terraformée, habitée par des éléphants à la conscience développée – allait profiter de l’absence de contraintes temporelles. Chacun a pu enregistrer chez soi et s’est complètement dédouané des contraintes studio, sorte d’épée de Damoclès budgétaire. Joe Satriani parvient à présenter explicitement sa philosophie, qui plus est sous de multiples variantes : la mélodie et le groove doivent primer sur l’extrême technicité dont il n’est plus le représentant aujourd’hui.
La première motivation de Joe Satriani est de ne pas stagner. D’où la nécessité de proposer quelque chose de radicalement différent de Shapeshifting et de ne pas tomber dans le jeu de la surenchère technique stérile. Joe Satriani avait à cœur de lutter contre la culture de l’instant prônée par internet où les meilleurs guitaristes doivent faire étalage de leur talent et impressionner en un temps record. Joe Satriani a quant à lui le luxe de développer ses chansons, ce que la diversité de The Elephants Of Mars prouve aisément. « Sahara » emprunte quelques percussions tribales discrètes pour soutenir une guitare qui se concentre sur une ligne mélodique décontractée, une ambiance propice à la rêverie et un groove fondamental qui ne se perd jamais. Une entrée en matière loin d’être fastueuse et qui donne le ton : Joe Satriani n’a pas à justifier sa légitimité instrumentale. « The Elephants Of Mars » renoue avec les arrangements électroniques que Joe avait pratiquement délaissés depuis Engines Of Creation (2000). Ceux-ci participent à une sorte de fusion débridée et à la proposition de breaks impromptus, une sorte de pesanteur tranquille où la guitare semble se manifester par de longs bâillements dans sa première partie, avant de se faire plus bavarde sur la fin. Entre les deux, le morceau prend une tournure planante aux lignes nonchalantes inattendue. « Night Scene » se sert de l’électro pour prendre des faux airs de disco où Joe délivre un phrasé extrêmement découpé au feeling caractéristique, avec le clavier en star inavouée – jusqu’à s’offrir un solo jazzy. Il y a le dessein de ne pas limiter son champ de recherches, à l’instar de « Dance Of The Spores » qui prend plusieurs visages en un temps record, d’une ambiance énigmatique à une musique festive type musette, en passant par des soli futuristes et de grandes envolées lyriques de guitare.
Le temps dont ont bénéficié Joe Satriani et ses musiciens se ressent donc immédiatement dans le songwriting et la liberté qu’ils se sont accordée. Les titres contiennent toujours des évolutions cohérentes et ne se contentent pas d’un seul registre. La conclusion de l’album, « Desolation », doit beaucoup aux influences classiques de l’artiste qui se plaît à imiter certaines bandes-son hollywoodiennes pour évoquer des grands espaces dévastés où seule la contemplation est possible. « E 104th St NYC 1973 » doit beaucoup au jazz et brille par la franchise du groove basse-batterie, rendant ainsi l’enchaînement vers un « Pumpin’ » funky des plus naturels. Certes, Joe Satriani revient à quelques tirades plus convenues, à l’image de ce bon vieux blues électrique dont il a le secret, « Blue Foot Groovy », qui est aussi agréable que dispensable. Le jeu sur les ouvertures rythmiques de « Tension And Release » est immédiatement plus convaincant, tout comme les tirés de basse et le discours d’acteur qui appuient la tonalité dramatique de « Through A Mother’s Day Darkly » ou le sourire provoqué par les arrangements à l’indienne un brin caricaturaux de « Doors Of Perception », sorte de découverte du subconscient propre à une série B.
The Elephants Of Mars illustre parfaitement ce que Joe Satriani prône aujourd’hui : la guitare instrumentale doit se subordonner à la composition pour ne pas tomber dans les travers du sensationnalisme. Surtout, Joe Satriani privilégie de faire étalage de sa culture musicale en ne s’imposant aucune barrière. En résulte un album d’un guitar-hero qui se met en avant parce qu’il n’en fait justement jamais un objectif à part entière. The Elephants Of Mars s’aborde comme un opus de fusion instrumentale où le guitariste serait extrêmement talentueux. Pas comme le récital d’un homme fier de son expertise.
Clip vidéo de la chanson « Pumpin' » :
Clip vidéo de la chanson « Faceless » :
Clip vidéo de la chanson « Sahara » :
Album The Elephants Of Mars, sortie le 8 avril 2022 via earMUSIC. Disponible à l’achat ici
Première précision : j’adore Joe Satriani, le musicien mais aussi le discours de l’homme !
Comme beaucoup j’ai attaqué la vague accroché au Surfer d’argent en 1987 et ramassé la deuxième claque de ma vie ( après Eddie VH)
S’il est indiscutable que Satch est un maître incontesté dans le cercle des guitar-heros, je reste sur ma faim avec ce » Elephant of Mars » pour plusieurs raisons :
D’abord ce qui me chagrine le plus, c’est la quasi absence de rythmiques hard ou métal, Joe est passé en mode jazz rock,voire jazz fusion, s’appuyant sur des structures où on a du mal à trouver un thème ou une cohérence.. le côté prog est ruiné par le retour des synthés, beaucoup trop présents (selon moi) qui me rappelle le malheureux « Engines of Creation »
L’absence d’un titre « fort », d’une locomotive style Crystal Planet,par exemple, n’encourage pas l’écoute de la suite des morceaux..
Comme indiqué précédemment,excepté les 4 morceaux Sahara, Faceless,Blue Foot Groovy et Désolation, je suis paumé, à cheval entre des solos saturés et une section rythmique free jazz,dans des ambiances tantôt underground, tantôt barrées à la Steve Vai !!!
D’aucuns diraient que ce ne sont que des compliments, j’y vois surtout un manque d’unité, des musiciens (excellents) qui s’éparpillent, pour un rendu final incertain…je suis incapable de mémoriser une trame autre que celle des 4 morceaux désignés… j’adore la guitare, j’adore Satch et pourtant je me suis ennuyé… cela n’enlève rien au talent de Joe mais bon…
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je partage ton sentiment. Grand fan de Joe depuis ses débuts, ici je n’accroche pas excepté sur Sahara, Faceless et Desolation, titres portant la patte de Satriani qui l’ont fait connaître. Trop jazzy à mon goût ce qui n’enlève rien à l’immense talent du bonhomme.
Plus personnellement , j’aurai tant aimé apprécier cet album du fait du titre car à sa sortie il se serait tranformer en un bel hommageà la Nature africaine : une bête humaine très friquée n’ a rien trouver de mieux à faire de son pognon que de claquer 50 000 $ pour organiser un safari au Botwana et, avec l’accord des officiels de ce pays, est aller ni plus ni moins tuer un éléphant en voie d’extinction qui vivait sa vie dans son environnement naturel tout simplement. Le magnifique animal était ce qu’on appelle un tusker, un pachyderme majestueux portant des immenses défenses et faisait venir des centaines de touristes … cette pourriture n’ a rien de trouver de mieux à déclarer que c’était pour lui une « immense responsabilité » d’avoir abattu cet éléphant du fait du poids des ses défenses qui s’approchaient des 100 kg. Très peu de relais dans la presse sur ce scandale lamentable.
Que l’animal repose en paix mais que ce monstre brûle en Enfer.
Peu de rapport avec la chronique mais je ne peux m’empêcher de faire lien du fait de la concordance des évènements.
En revenant au sujet principal , je pense que Joe nous sortira encore de très bons albums …
Effectivement je viens de lire l’article dans Géo et je suis abasourdi qu’un Etat ait rétabli le droit de chasser les éléphants, quand au collectionneur de trophées responsable de ce massacre, j’espère qu’un éléphant aura la bonne idée de lui marcher dessus,de préférence de la patte gauche,il paraît que ça porte bonheur….
Bel album… et chronique plutôt juste
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quand on est passionné avec un talent immense,cela donne des albums tous les 2 ans avec une qualité irréprochable à tous les niveaux .Plus de 30 ans que l’instrumentaliste Satch suscite toujours autant d’intérêt.
chapeau l’artiste!
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J’ai hâte, ces trois morceaux laissent entrevoir un album magnifique qui sera sûrement parmi ses meilleurs albums. Un vrai sens de la mélodie pas juste des solos sans queue ni tête, quelle classe ce Satriani !
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