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Interview   

Joey Belladonna (Anthrax) : sa place retrouvée parmi les rois


Joey Belladonna - AnthraxLe doute n’est plus permis, après avoir été remercié en 1992, suivi de treize années hors du groupe et une période, entre 2005 et 2010, de valse des chanteurs dont on a toujours pas totalement compris les tenants et aboutissants, Joey Belladonna a bel et bien retrouvé sa place au sein d’Anthrax. Il suffit d’ailleurs d’entendre ses prestations sur Worship Music et aujourd’hui For All Kings pour se rendre compte comme sa voix s’est bonifiée sur les riffs des new-yorkais. Malgré tout, on voit bien qu’il n’est pas ressorti indemne de sa traversée du désert, car encore aujourd’hui il s’interroge. « J’y pense constamment », « Je n’arrive pas à comprendre ce qui s’est passé », « plein de gens sont curieux de savoir. Je suis moi-même encore curieux ! » confesse-t-il à divers moments de l’entretien qui suit.

Un entretien pendant lequel nous nous sommes surtout penchés sur sa place au sein du groupe, son rapport avec ses collègues et à son travail au sein d’Anthrax. Et s’il a acquis aujourd’hui une liberté de manœuvre qu’il n’avait pas auparavant pendant les sessions d’enregistrement, son implication dans la vie créative du groupe pourra quelque peu étonner : Joey ne participe pas à la composition, pas même aux pré-productions, et n’écrit pas une ligne des textes qu’il chante sans trop savoir de quoi il en retourne. Mais, s’il exprime ce qui peut sembler être des regrets, il se dit parfaitement comblé par le challenge que représente le fait de créer des lignes de chant sur les musiques d’Anthrax, surtout dans le cadre d’un album comme For All Kings qui lui offre quantité de matière.

En tout cas, Joey Belladonna se montre loquace et son honnêteté, parfois déconcertante, rend son discours particulièrement intéressant. Un bon moyen, conjointement à l’interview de Scott Ian qui suit, de comprendre ce qu’est Anthrax en 2016.

Anthrax

« C’est dur de n’avoir pas été là pendant un moment. Alors tu te dis : ‘Putain, mais qu’est-ce qu’il s’est passé ? C’est quoi ce b…’ J’y pense constamment, tu sais. »

Radio Metal : Le groupe a mis du temps à donner un successeur à Worship Music. Etait-ce important de ne pas presser les choses ?

Joey Belladonna (chant) : Nous ne pressons jamais rien. Il semble que nous aurions parfois pu aller plus vite mais c’est juste une question de disponibilité et d’effort de trouver toutes les idées qui n’est pas toujours fait. Mais qui peut juger que tel homme devrait aller plus vite ? Genre : « Hey, ils auraient pu revenir avec quelque chose plus tôt… » Ce qui compte, c’est ce qui fonctionne. De toute évidence, avant que je revienne [dans le groupe], ça leur a pris un peu de temps pour faire le projet Worship Music. Lorsque je suis arrivé, un an et demi était déjà passé, du coup ça paraissait être une éternité. Combien de temps ça fait là ? Bon, nous avons beaucoup tourné aussi. On dirait juste que nous n’avons pas eu le temps de nous mettre à écrire parce que nous tournions énormément, donc rien qu’avec ça, nous avons perdu pas mal de temps car nous étions occupés.

Lorsque tu es revenu pour de bon dans Anthrax en 2010, l’album Worship Music était plus ou moins terminé. Donc ce nouvel album est le premier qui ait été fait de A à Z avec toi depuis Persistence Of Time en 1990. Qu’est-ce que ça a fait de faire à nouveau partie de ce processus ?

C’est toujours bon d’avoir… Bon, tu es là seulement parce qu’il n’y a personne d’autre. Tu ne veux pas voir débarquer toutes ces autres personnes et ensuite te retrouver à remplacer des gens… Enfin, ça ne m’a même pas posé de problème lorsque je suis arrivé pour Worship Music parce que je n’ai même pas pris en compte le fait qu’ils avaient eu quelqu’un d’autre. Je l’ai traité comme si la musique venait d’être soumise au moment où j’arrivais. Je n’ai été influencé par personne et c’était une transition naturelle pour moi. Pareil avec celui-ci. Je ne l’ai pas abordé différemment. Ce n’était qu’un autre processus où tu essaies de faire un super album. J’adore m’y mettre et prendre quotidiennement chaque chanson comme un challenge pour la rendre aussi bonne que possible.

Mais n’as-tu pas eu plus d’opportunités pour mettre de toi-même dans cet album ?

Ouais, je suppose un peu. Le truc c’est que lorsque j’ai fait le précédent, je n’étais pas du tout là pour faire de la pré-production et ce n’était pas plus le cas pour celui-ci. Ils me confient les pistes de base de ce qu’ils ont en tête et je fais avec ça. C’est un peu le même processus que la plupart des albums que j’ai fait. C’est juste que, maintenant, pour ces deux derniers albums, il n’y avait pas plein de gens autour de moi à me bousculer pendant que je faisais mon chant ; il n’y avait que moi et le producteur. Nous faisions ce que nous voulions et comme nous le voulions pour cet album, en étant plus naturel. En ça, c’était un peu similaire pour moi [entre les deux derniers albums]. Je suppose que la seule différence entre les deux, c’est que j’avais déjà fait un album et j’ai une petite idée de la façon dont nous travaillons, où vont les chansons et comment nous progressons, et du coup, le son devient plus cohérent mais il est aussi différent. Je considère même cet album comme étant complètement différent à cause du son. Il s’y passe tellement de choses ! Je veux dire que ça fait beaucoup à ingurgiter, même pour moi lorsque j’ai dû l’écouter et chanter dessus pour la première fois. Car je suis comme toi [lorsque tu l’as entendu pour la première fois] : je ne sais pas ce que j’entends. On me donne juste les paroles et je suis là : « Oh, ok… » et les choses se font. C’est plus heavy, il se passe plus de choses, il y a bien plus de chant dessus. Je me suis donc senti plus à l’aise pour essayer plus de trucs, essayer de tirer profit de ce que je fais. J’essayais toujours de rendre chaque chanson affûtée, voir si je pouvais trouver un chemin pour les rendre encore meilleures. C’est comme ça que je fais. Je n’ai même presque pas besoin d’être là pendant la reproduction. J’aimerais pouvoir être là dès le départ et même dire : « Oh, attend, et si on doublait ça ? Donne-moi un peu de temps pour arriver à la partie suivante. Qu’est-ce que tu dis de cette tonalité ? Ça sonne merdique là, allons plutôt vers cette tonalité ! » Mais on ne fait pas ça. On pourrait aller tellement plus loin, mais nous n’essayons même pas. Je veux dire qu’en gros, on me donne une voiture qui a les couleurs, les intérieurs, et tu ne peux pas… Tu l’as, c’est la voiture, c’est ce que tu vas conduire. Tu ne peux rien y faire. La seule chose que tu peux faire, c’est y mettre ta propre musique. Tu vois ce que je veux dire ? Tu es coincé avec ça. Ce qui est cool mais pour certaines personnes ce serait très contraignant, ils diraient : « Je ne peux pas faire ça. » Mais moi, j’adore ça. C’est comme : « Ok, voilà ce que tu me donnes. Je vais trouver un moyen de faire quelque chose. Je vais faire en sorte que ça fonctionne. » Je ne sais pas si l’analogie de la voiture fonctionne vraiment mais c’est juste que tu es coincé avec ce qu’on te donne et il n’y pas énormément de marge de manœuvre. Certaines chansons sont très faciles, alors qu’avec d’autres, il n’y a pas beaucoup de place, tu es coincé sur une tonalité ou parfois c’est un peu trop rapide ou peu importe. C’est un vrai défi, tu sais !

Comment comparerais-tu ce processus par rapport à ce que tu as connu avec le groupe à la vieille époque ?

Encore une fois, la meilleure chose est que je n’ai pas plein de gens dans la pièce qui discutent de ce que je fais et de comment je le fais. C’est bien plus facile. C’est agréablement calme. On n’est que deux personnes, toute la journée, tout le temps. Personne d’autre du groupe n’est là. Il n’y a pas beaucoup de plaisanterie, de parlotte. C’est juste : « Ok, je vais maintenant essayer cette autre partie. » Même pas une réponse. Tu te contentes de le faire. Du coup, ça te permet de faire les choses plus rapidement. Nous écoutons et si ça sonne bien, si nous aimons, nous l’envoyons aux autres], en disant : « Est-ce que ça vous convient les mecs ? » « D’accord, chanson suivante. » C’est tellement facile ! Alors qu’à l’époque, ça prenait des heures et des heures. Tu en aurais eu vraiment ras-le-bol ! Ca donnait presque l’impression que j’étais là pour chanter pour quelqu’un toute la journée. C’était impossible d’être juste soi-même. Maintenant ils ont confiance, ils ne sont pas là à regarder par-dessus ton épaule et essayer de te faire faire quelque chose que tu n’as pas besoin de faire ou qu’ils n’ont pas besoin de te suggérer. C’est bien plus facile. Ça te donne l’occasion de faire ce que tu fais, et c’est ce qui est bien. Autrement, je serais là : « Oh, bon Dieu, putain, j’en peux plus ! Faites-moi confiance ! Ayez la foi ! » C’est ça qui est bon aujourd’hui.

Anthrax - For All Kings

« Tu dois être putain de content d’être avec qui tu es. […] Certaines personnes disent : ‘Des fois je ne les aime pas trop, il y a toujours…’ On s’en fout. Ces petites conneries, ça te passe au-dessus ! Chaque jour ne peut être parfait. »

Est-ce que ça signifie que tu as retrouvé un groupe plus professionnel lorsque tu es revenu ?

Eh bien, ce n’est pas tellement ça. C’est juste qu’ils font confiance à ce que tu fais. Ils croient en ce que tu fais. Peut-être qu’auparavant, tout le monde était là : « Oh, il faut qu’on soit là ! Il faut qu’on s’assure que c’est fait comme nous voulons que ce soit fait. » Aujourd’hui, c’est juste : « Il fait son truc et je fais mon truc. » Et bien sûr, personne ne sort quoi que ce soit tant que tu n’es pas complètement d’accord et que tu valides, mais pendant que tu le fais, tu n’as pas… Ce serait comme avoir ton boss constamment sur le dos. C’est du genre : « Ok, reviens plus tard et tu me diras si je l’ai bien fait. Si tu aimes bien, c’est super. Mais, en attendant, va dans une autre pièce, je travaille là. » Tu es donc un peu plus à l’aise et c’est donc bien plus confortable.

D’ailleurs, quelle est ta relation avec les autres membres du groupe désormais ? Je veux dire qu’à un moment donné, tu semblais un peu mitigé à ce sujet, en disant que ce n’était plus vraiment comme avant. Du coup, est-ce que cette situation a évolué cinq ans après que tu sois revenu dans le groupe ?

Tout le monde s’implique dans ce que nous faisons. Je veux dire que tout le monde est devenu plus âgé et a une famille, ils ont leur propre vie. C’est juste que c’est dur de n’avoir pas été là pendant un moment. Alors tu te dis : « Putain, mais qu’est-ce qu’il s’est passé ? C’est quoi ce b… » J’y pense constamment, tu sais. Je suis toujours là : « Qu’est-ce que je n’ai pas fait ? » Je trouvais que j’allais bien. Et évidemment, tu peux voir que c’est… Je suis même meilleur aujourd’hui ! Je n’arrive pas à comprendre ce qui s’est passé. Ces treize années… Et je ne suis pas en train de dire qu’il faille que ce soit un sujet mais, bref, je trouve que tout le monde s’implique énormément dans ce que nous faisons. Nous sommes très concentrés, nous sommes un bon groupe, nous jouons bien ensemble et c’est le principal. Ce n’est pas bien difficile d’oublier toutes les autres conneries. Tu t’occupes juste de ce que tu as à faire et d’être un groupe. Nous nous éclatons ensemble ! Nous sommes pas mal occupés, donc… Chaque jour, tu dois être putain de content d’être avec qui tu es. Tu as des amis, tu traînes avec eux. Certaines personnes disent [avec une voix plaintive] : « Des fois je ne les aime pas trop, il y a toujours… » On s’en fout. Ces petites conneries, ça te passe au-dessus ! Chaque jour ne peut être parfait. Mais pour ce qui est du groupe et des musiciens, nous voulons tous être contents de la performance des uns et des autres et ne pas être mécontents parce que : « Ah, nous devrions avoir cet autre gars parce qu’il est vraiment bon ! On pourrait l’avoir à nos côtés ! » C’est genre : « Uh, ok… » Donc, tu y penses et parfois tu te poses des questions mais… Je ne sais pas.

Comme tu l’as dit, il se passe beaucoup de choses dans cet album. Il y a des parties vraiment heavy, des parties thrash, des trucs plus atmosphériques et même des éléments plus prog. D’où tout cela vient-il ?

Je pense qu’au fur et à mesure que les années passent, il y a plein de choses que tu veux essayer. Je ne sais pas quelles chansons et pourquoi en particulier certaines choses se produisent, je pense simplement que peu importe les idées que tu as, tu les mets en œuvre. Je ne pense pas que quiconque se pose et se dise : « Il faut que nous fassions ceci. Il faut que nous fassions cela. » Tu vas dans une pièce et tu trouves ces idées collectivement. Pour moi, vocalement, je ne sais pas. Je me contente de faire ce que je fais. J’essaie de trouver comment les rendre vraiment cool à partir de ce qu’on me donne. Car tu es confiné dans une boite, et tu dois trouver un moyen de faire quelque chose là-dedans. Moi, je ne peux rien changer, donc j’ai l’habitude qu’on me donne une idée toute prête et c’est comme ça que je fonctionne. Il n’empêche qu’il y a plein de possibilités. En fait, je ne peux pas imaginer prendre une chanson du départ, si nous allions dans une pièce, seuls et commencions de zéro, avec moi. Je n’ai jamais fait ça. C’est quelque chose qui n’a jamais été fait mais c’est cool parce que j’adore les nouvelles idées et essayer de nouvelles choses. Nous restons dans la même veine mais il se passe plein de choses nouvelles [dans cet album]. Nous ne nous sommes pas vraiment éloignés de ce que les gens attendent de nous mais nous offrons également plein de nouveaux rebondissements, ce qui est bien, sans vraiment que ce soit : « C’est quoi ce bordel ?! » « Ils font du grunge ! » « Cela ne thrash pas ! Il n’y a pas de vitesse ! » Ou peu importe. Il y a toutes ces conneries là-dedans. Il se trouve juste qu’elles sont différentes, ce qui est cool. D’après moi, c’est très rapide, certaines parties sont plus riches, ça va plus vite, c’est plus thrash. Il se passe bien plus de choses dans les chansons. Tu as presque besoin de plusieurs écoutes. Et lorsque tu connais l’album, alors tout commence à avoir plus de sens, d’une certaine façon, parce qu’il est impossible de l’écouter qu’une seule fois et dire : « Ok, je vois ce qu’ils font. » Il faut l’écouter [plusieurs fois] et c’est cool parce que j’adore quand un album est comme ça. Une fois que tu le connais, il se peut qu’il prenne de l’ampleur et devienne meilleur parce que tu sais ce qui va arriver à chaque tournant.

Et j’imagine que ce doit être encore plus éclatant pour un chanteur de chanter sur une telle diversité…

J’aimerais toujours ce genre de choses. C’est bien ! Surtout si ça rend mieux quand j’y mets du mien, parce ça pourrait être pour le pire. Ça pourrait ne te donner aucune chance de faire quelque chose de bon, j’aurais pu me retrouver dans une mauvaise position où les chansons ne conviendraient pas à mon chant. Je pourrais te citer des chansons pour lesquelles je n’avais aucun putain d’espoir ! Disons « Gung-Ho », par exemple, cette chanson était ce qu’elle était, il n’y avait pas moyen pour moi de faire quoi que ce soit de cool dessus parce que ça allait « tadadadada », c’était super rapide ! C’est une bonne chose qu’une grande partie de l’album ne soit pas comme ça. Pas que je n’aime pas ça, c’est une chanson sympa, mais si je devais faire ça sur tout un album, je n’aurais aucune chance, tu sais, parce que je serais baisé ! Ou « Imitation Of Life », c’était vraiment rapide ! Il n’y avait aucun moyen de chanter quelque chose de valable là-dessus, même si c’était un morceau cool mais je n’aimerais pas faire tout un album comme ça parce j’ai envie d’avoir quelques occasions de m’attaquer à de bons passages. Et cet album est plein de bons passages qui me permettent de glisser quelques trucs vraiment classes. Et, en soit, c’est très stimulant. Rien n’était facile. Ces conneries d’Anthrax ne sont pas faciles à chanter parce que c’est toujours en mouvement, mec ! Rester juste alors que ça va super vite et qu’il y a plein de mots, le fait de prononcer ça de façon compacte, ce n’est pas facile. Ça fait partie des choses les plus difficiles, le simple fait d’être dans le tempo et prononcer sans que ce soit : « Je n’ai pas la moindre putain d’idée de ce qu’il a dit… » C’est dur !

Est-ce que c’est plus dur ou bien ça devient plus facile avec les années ?

Je suis devenu meilleur, ouais. J’essaie de m’améliorer. J’essaie toujours de faire quelque chose de putain de cool ! A chaque fois que je fais un album, je veux essayer de faire quelque chose de bien meilleur. Et je suis content que les gens kiffent parce que j’essaie de m’investir, je ne suis pas juste là : « Ouais, peu importe… » Je veux vraiment que ce soit putain de bon.

Anthrax

« Je sais juste ce que je dois chanter et c’est tout ! Et puis plus tard, je commence à me rendre compte de quoi diable ça peut bien parler. Je n’ai pas le temps de chercher à comprendre [petits rires]. »

Le groupe a écrit beaucoup de musiques pour cette session. Penses-tu que le succès de Worship Music a donné un surplus de motivation et d’inspiration au groupe ?

Ouais, ça aide, tu sais. En sortant des albums que les gens apprécient, ils voient que le groupe progresse et qu’il est toujours là pour faire de bons albums, c’est vraiment une bonne chose. J’ai le sentiment que cet album est toujours très actuel. Evidemment, il y en a un nouveau qui arrive mais cet album nous a fait du bien. Cela a vraiment aidé. Il y a plein de groupes qui ne prennent même plus la peine de sortir un album, ils n’y pensent même pas, ils continuent à se reposer sur leur ancien catalogue. Je connais des groupes qui – et je ne les citerais pas – sortent des albums et tout le monde s’en fiche, ils n’en ont rien à foutre, ils veulent juste entendre les vieux trucs parce que ce n’est pas assez bon, il n’y a rien, et tu te demandes ce qui a bien pu arriver. Je parle peut-être d’autres genres de musique où certains de mes, disons, deux, trois, quatre ou cinq groupes préférés ne sortent plus de bons albums. Et c’est une bonne chose que nous puissions sortir quelque chose qui soit même meilleur, si ce n’est largement meilleur, que certaines choses que nous avons faites par le passé. C’est difficile de comparer mais si quelque chose est perçu comme étant bon aujourd’hui, alors c’est super. En l’occurrence, Worship Music nous a donné cette chance.

Le groupe n’as-t-il pas pensé sortir un double album, puisqu’il avait tant de matière ?

Je ne crois pas que nous avions assez de matière pour un double album. Je crois que j’ai loupé seulement deux ou trois chansons. Nous allons en mettre seulement une de côté qui est terminée. Et ensuite, il se peut qu’il y en ait deux ou trois pour lesquelles je n’ai pas terminé le chant, je n’en suis pas certain. Je crois qu’il y avait peut-être seize à dix-huit chansons mais je ne suis pas très sûr parce que je ne les ai pas en face de moi, donc je ne connais pas le nombre exact. Mais je pense que nous en étions arrivé à un point où il fallait que nous bouclions parce que ça commençait à prendre du retard, il fallait que nous sortions l’album. Je pense que nous sommes bien avec ce que nous avons, nous n’avons pas besoin de double album. Je préfèrerais autant faire tout un autre album. A-t-on vraiment besoin d’un double album ? Je veux dire que ça aurait été cool d’avoir le temps de faire toutes les chansons mais ça n’était pas possible.

Il y a de super solos et parties leads sur cet album…

Jonathan Donais, ouais, il est vraiment bon ! Il a su remplir l’espace laissé vacant par Rob [Caggiano]. Il se fond parfaitement [dans le groupe] comme si… Ça cadre, ça cadre vraiment bien. Et il a beaucoup d’espace. Il a de bons passages pour faire des solos, et la configuration des accords se prête vraiment bien à de bon passages de leads. A la vieille époque, parfois, il y avait du bordel de partout, les tonalités allaient et venaient, donc c’était dur de faire des leads à l’époque, même si Dan [Spitz] trouvait des trucs intéressants. Mais Jon a vraiment fait du bon boulot. Il colle à merveille.

Il est d’ailleurs bien plus jeune que vous autres…

Oh ouais. Tu as raison. Douze, treize ans… Peu importe. On ne compte pas vraiment, mais tu as raison, il est plus jeune.

Tu penses qu’il a apporté de la fraîcheur au groupe ?

Oh, ouais, ça ne fait aucun doute. Il était déjà dans ce style de musique, il était dans un groupe qui faisait ce genre de musique et il est aussi… Je veux dire que je connais bien ce qu’il aime et il va plus loin que moi [en terme de style], il est beaucoup influencé par pas mal de metal traditionnel [hésite]… Bon Dieu, il aime un paquet de trucs. Il joue vraiment bien, mec ! J’aime son style, il colle bien. J’adore les bons solos de guitares qui correspondent bien à la chanson, quelque chose sur laquelle tu peux faire de la air guitare et dont tu peux te souvenir.

Scott Ian s’occupe de toutes les paroles…

Ouais, ça fait des années qu’il fait ça. C’est mieux pour lui. Il se sent plus à l’aise. C’est un peu sa volonté, il aime être, genre, monsieur intello, tu vois. J’évite de toucher à ça, même si je pensais être assez intelligent pour pouvoir dire : « Là ! Voilà à propos de quoi il faudrait écrire ! » Aucune chance que je me mette à faire ça. Et puis, un mec me demandait : « Tu te souviens ce que ça signifie ? » Je répondais : « Nah, je ne… » Je sais juste ce que je dois chanter et c’est tout ! Et puis plus tard, je commence à me rendre compte de quoi diable ça peut bien parler. Je n’ai pas le temps de chercher à comprendre [petits rires].

Mais comment est-ce que tu fais pour t’approprier les paroles pour les chanter ?

Je vois ce que je chante mais je ne pense pas trop à toute la thématique. Je comprends le sens des mots, peut-être juste un, deux ou trois mots, peu importe. Je me mets simplement dans un certain mode. Je ne me dis pas : « Oh, celle-ci parle de combattre ce putain de… » Je n’ai pas le temps de réfléchir à ça. Mais au bout d’un moment, à force de chanter, je commence à me rendre compte des sujets. Aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais… Même lorsque je repense à toutes les chansons des groupes que j’avais pour habitude d’écouter, encore aujourd’hui je n’ai pas la moindre putain d’idée ce que ça raconte ! Jusqu’à ce que je lise les paroles, j’ai toujours ignoré certains mots. J’avais l’habitude de faire mon propre yaourt. Je pouvais chanter n’importe quelle chanson et ne même pas pouvoir te dire ce que je chantais parce que je n’y prêtais jamais attention. Je savais juste comment ça devait faire. Comme Led Zeppelin ou Rush, je n’ai aucune idée de ce qu’ils disent, je sais juste comment ils sonnent [petits rires]. Mais, ouais, je veux dire qu’il y a vraiment de super histoires mais je ne veux pas non plus trop y réfléchir. Je veux juste m’assurer que je peux chanter avec la bonne attitude et faire sortir les mots de manière à ce que tu les comprennes.

Anthrax

« Je ne suis pas en train de dire qu’ils ont fait une erreur mais je ne suis pas non plus en train de dire que c’était une bonne idée. Je n’ai rien contre John [Bush] ou quoi que ce soit mais, merde, je ne sais pas. »

Ça ne t’intéresse pas de t’impliquer davantage dans cet aspect créatif ?

Ouais mais je ne le suis pas depuis le premier jour, donc on ne dirait pas que ça va changer de sitôt. Je pense avoir trouvé ma place par rapport à ça. Comme je l’ai dit, je ne suis même pas là lorsqu’ils commencent à trouver les premiers riffs. Et ça fonctionne. Ce serait intéressant si… Ça serait un tout autre processus. Je ne suis pas certain que ça les intéresse de faire autrement. Certains gars sont là : « C’est comme ça que je veux faire. » Plein de groupes fonctionnent ainsi. Certaines personnes veulent avoir la main sur tout. Mais mon chant, ça me suffit. Quoique j’ai l’occasion de faire avec ma voix, c’est déjà beaucoup, c’est un gros, gros processus, le fait de prendre cette feuille de papier et chanter ce qu’il y a dessus. Crois-moi, eux ils sont là : « Bordel de merde ! Je ne sais même pas comment ça va sonner ! Je l’ai sur papier, je l’ai écrit… » Ca commence là et ça finit là mais pouvoir l’entendre et chanter par-dessus [les chansons], ça fait une méchante différence. Ce n’est pas facile à faire. Je me souviens d’une fois où Scott lisait à haute voix la chanson « Among The Living »… Tu peux lire à haute voix mais essaie de la chanter juste aussi rapidement, c’est une autre histoire ! Ça, en soi, c’est beaucoup de travail pour moi. Même si je te donnais les mots et te disais : « Allez, chante ! » Ce n’est pas si facile. C’est du travail. J’aime être impliqué mais je ne voudrais jamais me poser et dire : « Hey, voilà ce que je pense, c’est un truc cool, il faut que je dise ça… » Je n’essaierais même pas. Il a trop de choses qui défilent dans sa petite tête [à Scott]. C’est cool. Regarde Elton John, il n’a jamais écrit de paroles et les gens s’en fichent parce que, putain, il savait comment les faire fonctionner. Et c’est un chouette processus. Ça ne me dérange pas. C’est sans doute très difficile d’écrire ces paroles. Si je disais : « Ecoute mec, on a besoin de plus de chansons, il faut que je chante, où sont les paroles ? » « Oh, j’y travaille encore ! » C’est beaucoup de travail ! Ça serait sympa d’aider mais je ne me sentirais jamais à l’aise d’essayer d’écrire avec lui. Je ne sais pas, ce serait un peu intimidant, je pense, pour d’étranges raisons, je ne sais pas pourquoi. Ce serait comme si j’étais avec un professeur.

Tu es aussi batteur. Est-ce que le fait d’avoir cette aptitude supplémentaire t’aide en tant que chanteur ? Penses-tu avoir une meilleure vision d’ensemble de la musique et comment placer ta voix grâce à ça ?

Ouais, ça aide. Je veux dire que, le rythme, lorsque je chante… J’adore la batterie… Bon, pour ce qui est de suivre les chansons et tout, c’est juste tout un truc que j’ai en moi. Ça aide. Lorsque je joue de la batterie en chantant, c’est une toute autre histoire. Je sais que Charlie [Benante] ne chante pas, donc j’adorerais le voir essayer ! Ce sont deux choses différentes qui n’ont rien à voir. Donc, oui, ça aide, la syncope, la façon de travailler… J’aime faire les deux. C’est beaucoup de travail et ça m’aide à chanter parce que je m’entraîne sur des styles de musiques vraiment différents. J’adore jouer de la batterie. Je ne joue pas tellement de thrash. J’aime jouer quelque chose de plus direct, hard rock, peut-être moins metal, des trucs plus classiques.

En 1992 tu as été viré d’Anthrax à cause de différends créatifs et stylistiques…

Je ne suis pas au courant de ça. Tu sais quoi ? Je vais être honnête avec toi : je pense que les gens se sont fait leurs propres idées. Vraiment. Probablement que personne ne sera d’accord avec moi mais je pense que les merdes des années 90 sont arrivées et je n’étais pas le bon mec pour ce qu’ils cherchaient à faire. Ils avaient le sentiment que : « Mec, si nous prenons lui, nous allons vraiment être à la page ! » Je ne sais pas. Je n’en ai aucune idée, mec. Comme tu peux voir, maintenant que nous avons sorti deux albums, je n’ose imaginer ce que nous aurions pu faire à partir de ça… Ces treize années qui sont passées, ça me sidère ! Je ne suis en rien différent de ce que j’étais avant. Si ce n’est que je me suis amélioré et j’ai évolué à ma façon, en ayant de solides connaissances dans ce que nous faisons. Mais je ne crois pas prendre une approche différente, vraiment. La seule chose que je peux dire, c’est probablement qu’ils m’acceptent différemment. Ils sont là : « Oh, ouais, c’est toi le gars qu’il faut au groupe ! » Je ne comprends vraiment pas. Je veux dire que toutes ces années sont parties et nous ne les rattraperons pas. Je ne suis pas en train de dire qu’ils ont fait une erreur mais je ne suis pas non plus en train de dire que c’était une bonne idée. Je n’ai rien contre John [Bush] ou quoi que ce soit mais, merde, je ne sais pas. Je n’en ai aucune idée. Il n’y avait aucun différend créatif. S’ils pensaient que je n’étais pas la bonne personne, ainsi soit-il. D’ailleurs, je me souviens d’être ici, là où nous allons jouer [ce soir] (au Zénith de Paris, NDLR), et pour une raison ou une autre, quelque chose paraissait putain de bizarre. Je sais qu’un soir ils parlaient à quelqu’un et j’avais un mauvais pressentiment. Ils préparaient un truc. Cet endroit me fait effectivement remonter de petits souvenirs. Donc je ne crois rien de ces histoires de différends créatifs. Merde, je n’ai jamais eu de différends créatifs depuis le jour où j’ai passé la porte pour les rencontrer. Je n’avais aucune idée de quoi il en retournait avec ce groupe. Je ne savais rien à propos de cette musique. Je fais juste ce que je fais, je ne réfléchis pas aux chansons.

Donc tu dirais que tu n’étais qu’une victime des années quatre-vingt-dix ?

Ouais, c’est clair ! Je veux dire, merde, j’étais un haut ténor trop putain de traditionnel. Va savoir si l’un des gars n’était pas là : « Je veux qu’on ait ce mec ! Je veux tourner avec lui ! Nous pourrions devenir ce genre de groupe avec lui ! » Tu vois le genre de connerie dont je veux parler. Je sais qu’ils ne veulent probablement pas entendre parler de tout ça mais tu poses la question et plein de gens sont curieux de savoir. Je suis moi-même encore curieux ! Ce n’est pas pour insister là-dessus mais bordel ?! Mais tout ce que je fais aujourd’hui, c’est rendre ça meilleur !

Interview réalisée en face à face le 26 octobre 2015 par Nicolas Gricourt.
Retranscription et traduction : Nicolas Gricourt.

Site officiel d’Anthrax : anthrax.com.



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