Un malheur peut avec le temps se transformer en bonheur. C’est le genre de rebondissement que nous réserve parfois la vie et dont la chanteuse Johanna Sadonis a pu faire l’expérience en l’espace d’à peine une année. 2014 a vu simultanément la sortie du premier album de son groupe The Oath et le trépas de ce dernier. Un groupe pourtant plein de promesses, dans lequel Johanna entretenait un duo effervescent avec son acolyte Linnéa Olsson et qui, comme nous l’avoue la chanteuse, s’est terminé dans la douleur. Mais inutile de se noyer dans le chagrin, la même année Johanna fonde Lucifer et parvient à s’adjoindre les services du guitariste Gary Jennings, l’un des grands « messieurs riffs » du doom et du rock stoner, réputé pour son œuvre au sein d’un des papes du genre, Cathedral.
Et c’est justement Lee Dorian, l’ex-chanteur du groupe de Coventry (ils ont tiré leur révérence en 2013) mais aussi patron du label Rise Above Records, qui aujourd’hui vient sonner à notre porte, expliquant que Lucifer est aujourd’hui une priorité du label. On sait que le bougre a le nez creux – n’était-ce pas lui qui a découvert puis signé pour la première fois un certain Ghost, qui propose également une musique plutôt rétro et dont aujourd’hui tout le monde parle ? – et force est de constater, à l’écoute du premier album de la formation, sobrement baptisé Lucifer I, qu’une fois de plus il ne s’est pas trompé sur la qualité et le potentiel de son nouveau poulain.
Ni une ni deux, nous avons pris notre combiné pour joindre Johanna qui nous raconte tout ceci et plus encore.
« [Gary Jennings] est fou, tu sais, lorsque je dis ‘hey, est-ce que tu peux faire quelque comme ça ?’, il m’envoie un million de riffs [petits rires] ! Il a donc fallu que fasse le tri dans tout ça. »
Radio Metal : Tout d’abord, peux-tu nous dire ce qu’il s’est passé avec The Oath qui s’est séparé l’année dernière ?
Johanna Sadonis (chant) : Oui, c’est une question qu’on me pose souvent dans les interviews en ce moment [rires]. Eh bien, tu sais, je peux le dire ainsi : The Oath était une sorte d’histoire d’amour furieuse et vécue à cent à l’heure qui s’est terminée aussi vite qu’elle a commencé. C’était malheureux. J’étais d’ailleurs dévastée lorsque The Oath est mort mais ça a ouvert la porte pour Lucifer. Si tu le regarde sous cet angle, je pense que parfois certaines choses arrivent peut-être pour une raison. Je pense en fait aujourd’hui que c’est un heureux retournement de situation, au bout du compte, même si c’était très malheureux à l’époque. Mais oui, nous avions des différends mais je suis toujours fière de l’album de The Oath. Mais je le suis encore plus de Lucifer.
En fait, c’était surprenant, dans la mesure où Linnéa et toi sembliez avoir une excellente relation aussi bien créative que personnelle…
Oui, nous avions une relation très intense et une super amitié. Nous étions vraiment bien ensemble à écrire de la musique mais il y avait aussi beaucoup de frictions, donc malheureusement ça n’a pas marché.
Etait-ce important pour toi de rapidement former un nouveau groupe après la disparition de The Oath ?
Ouais. J’ai formé le groupe tout de suite après parce que j’avais énormément de projets pour The Oath et j’étais dévastée que The Oath soit terminé avant même d’avoir pu décoller. Donc, j’avais toute cette énergie et je trouvais que la mauvaise chose à faire était de rester assise à pleurer sur mon sort. La meilleure chose que je pouvais faire était de profiter de toute cette énergie pour faire immédiatement quelque chose et aller de l’avant.
Andy Prestidge était le batteur de The Oath et Dino Gollnick était sur le point de rejoindre The Oath avant la séparation du groupe. Les deux sont dans Lucifer aujourd’hui. Est-ce que tu voulais que ce groupe soit une sorte de continuation du travail de The Oath ?
Non, pas vraiment. Lucifer est un nouveau groupe pour moi et je voulais vraiment faire un nouveau concept pour cela. Ceci dit, je trouve qu’Andy Prestidge est vraiment un bon batteur et je voulais effectivement jouer avec Dino aussi. C’est parce qu’ils sont tous les deux très bons que je leur ai demandé s’ils voulaient faire partie de Lucifer. Parce que nous avions de gros projets pour The Oath à l’époque, ils étaient chauds bouillants lorsque je leur ai demandé de rejoindre Lucifer. Il était clair qu’ils allaient jouer avec moi. Par contre, c’est un groupe différent. L’idée à l’origine était différente parce que dans The Oath, j’écrivais la musique avec Linnéa et elle avait un jeu de guitare différent, tu sais, c’était bien plus brut, punky et avec des riffs un peu à la Motörhead, et nous étions très portées sur la new wave of british heavy metal. C’était bien plus metal dans ce groupe que Lucifer. Lucifer, c’est plus un groupe de heavy rock, je voulais me débarrasser des trucs à la new wave of british heavy metal. C’était super pour The Oath mais c’était un groupe différent. Je ne vois pas Lucifer comme une continuation. Je trouvais qu’il n’y avait aucun intérêt de faire encore la même chose. Et puisque je compose avec un autre guitariste désormais, qui a aussi un style de jeu très différent, c’est de toute façon une autre alchimie.
Tu as co-composé l’album avec Gary Jennings, qui est connu pour son travail avec Cathedral, mais comment est-ce que vous vous êtes rencontrés au départ ?
En fait je suis une fan de Cathedral depuis que je suis adolescente mais nous nous sommes rencontrés pour la première fois en personne lorsque nous avons joué avec The Oath à l’anniversaire du label Rise Above et il m’a confié qu’il était l’une des personnes qui a dit à Lee Dorian : « Hey, tu devrais signer ce groupe ! » Il s’est donc un peu présenté comme étant un fan de The Oath. C’est comme ça que nous nous sommes rencontrés et ensuite, lorsque The Oath est mort, j’ai dit à Lee : « Je veux faire quelque chose de nouveau mais j’ai besoin d’un guitariste. Je recherche un guitariste » Et il a dit : « Eh bien, pourquoi ne demandes-tu pas à Gary Jennings, car il écrit sans arrêt des riffs ! Et il n’a plus Cathedral, donc il a beaucoup de temps. » Je lui ai donc demandé et il était très enthousiaste et a tout de suite accepté de le faire. C’était vraiment super pour moi parce que j’adore sa manière de jouer dans Cathedral.
Dans The Oath, Linnéa écrivait les riffs et toi tu apportais les mélodies vocales et les paroles. Est-ce que tu as la même relation de travail aujourd’hui avec Gary ?
Non. En fait, avec The Oath nous jammions dans la salle de répétition, c’était plus sur le vif. Avec Lucifer, c’était plus du style je disais exactement comment je voulais que la musique sonne et il me demandait : « Eh bien, peux-tu me donner des références ? » Et je disais : « Ok, bon, et si on commençait à écrire quelques chansons ? Faisons-en une qui sonne comme Black Sabbath sur l’album Technical Ecstasy – qu’autant lui que moi aimons énormément -, comme la chanson « You Won’t Change Me ». Et si on en faisait une autre un peu dans l’esprit du Scorpions des années 1970, genre une ballade à la « In Trance » ? Et si on en faisait une qui sonnerait comme une vieille chanson de Pentagram, comme « Be Forewarned » ou quelque chose comme ça ? » Et donc ensuite, il prenait ces idées et nous nous posions à écrire des riffs. Ensuite il m’envoyait tous ces riffs. Il est fou, tu sais, lorsque je dis « hey, est-ce que tu peux faire quelque comme ça ? », il m’envoie un million de riffs [petits rires] ! Il a donc fallu que fasse le tri dans tout ça. Ensuite nous arrangions ça ensemble pour faire des chansons et puis il les réenregistrait avec la bonne structure sur laquelle nous nous sommes mis d’accord. Ensuite je me posais chez moi à Berlin – parce que lui est à Londres -, dans mon petit home studio pour écrire les paroles et les mélodies vocales. Du coup, tout le processus se faisait entre Gary et moi. Ensuite nous avions ces chansons en versions démos que j’envoyais aux autres gars, Dino le bassiste et Andy le batteur. Et ensuite, une semaine avant d’aller au studio pour enregistrer l’album, nous nous sommes rencontrés à Berlin pour répéter les chansons en groupe, pour leur donner vie et ensuite nous les avons amenées au studio pour les enregistrer.
En fait, Gary n’apparaît pas sur les photos promo. Quelle en est la raison ?
Oui, parce que le truc c’est qu’il a toujours un autre groupe, Death Penalty. Et nous avons d’abord dit qu’il allait écrire ces chansons avec moi et aller en studio avec nous, et nous avons dit : « Bon, on ne veut pas te voler à un autre groupe. On trouvera des guitaristes pour jouer les chansons en concert. » Nous avons donc pris les photos à trois. Mais ensuite, nous avons commencé à caler les premières dates et impossible de trouver quelqu’un qui était aussi bon que lui pour jouer ces chansons ! Nous lui avons donc demandé : « Est-ce que tu pourras jouer ces concerts avec nous ? » Et il a dit oui, qu’il serait ravi. Il a donc joué les quelques premiers concerts avec nous et maintenant il continue parce qu’on vient juste d’obtenir une grosse offre de tournée. Je ne peux pas encore donner de détails mais une fois de plus, je n’arrivais toujours pas à trouver de guitariste qui était aussi bon. Je lui ai donc dit : « Est-ce que ça te dirais de jouer sur cette grosse tournée avec nous ? » Et il a dit oui ! Je pense donc et j’espère que lorsque je vais lui demander « est-ce que tu veux être un membre permanent à part entière ? » qu’il dira oui.
« C’est maintenant ou jamais. Si ce n’est pas Lucifer, ce ne sera rien. »
Ce n’est donc pas encore figé, il ne peut pas encore être considéré comme un membre permanent, n’est-ce pas ?
Ouais, il n’est pas… Ouais, je ne lui ai pas encore posé la question, tu sais [petits rires]. C’est comme lorsque tu fais ta demande en mariage à quelqu’un… Parce que nous voulons faire beaucoup de choses avec Lucifer, donc c’est un sacré engagement. Mais je vais très bientôt lui demander [rires] !
Mais que vas-tu faire s’il ne peut pas être un membre permanent ?
Eh bien, on dirait qu’il a envie de l’être [petits rires].
L’album s’appelle Lucifer I. Est-ce que ce pourrait être une référence à certains groupes des années 70 ou vieux groupes de heavy qui donnaient des numéros à leurs albums, ou pour suivre cette tradition ?
Oui, ça en fait partie mais c’est aussi, je pense… Parce que, tu sais, avec The Oath je n’ai fait qu’un album et donc je voulais m’imposer un marqueur. Lorsque j’ai appelé cet album Lucifer I, ça signifie qu’il y aura un Lucifer II et avec un peu de chance un Lucifer III et ainsi de suite. Je l’ai fait pour moi, comme un enchantement, comme lorsque tu fais quelque chose pour conjurer quelque chose et ensuite, avec un peu de chance, ça se produit [petits rires]. C’est comme un présage que je me fais à moi-même.
Vous avez sorti un premier single qui s’intitule « Anubis » plus tôt cette année. Grâce à ça, il y a eu un petit buzz qui s’est fait autour de Lucifer. D’un autre côté, lancer un nouveau projet peut être stressant. Est-ce que ça t’a donné la confiance dont tu avais besoin ou, au contraire, est-ce que tu as ressenti de la pression pour la sortie de l’album ?
Non, pas vraiment parce qu’en fait je suis surexcitée ! J’ai l’impression d’avoir le vent en poupe là tout de suite. J’ai d’autres choses en moi que j’ai besoin de faire sortir. Je m’intéresse à ce que les gens pensent mais je fais ça un peu pour moi. Parce que j’ai pu travailler avec Gary, et c’est un si bon guitariste, et j’ai tellement confiance dans la musique que je me suis dit que je voulais vraiment faire ça ! C’est maintenant ou jamais. Si ce n’est pas Lucifer, ce ne sera rien. Je pense qu’il faut regarder en avant sans peur et foncer.
Ta musique a un côté très old school. Apparemment tu as grandi en jouant dans des groupes de black metal et death metal, donc comment t’es-tu retrouvée à jouer ce type de musique heavy de la vieille école ? As-tu eu envie de revenir aux sources, pour ainsi dire ?
C’est en fait un peu un retour aux racines parce que mes parents écoutaient beaucoup de trucs heavy rock, comme Deep Purple et ainsi de suite. Donc lorsque j’étais adolescente je trouvais ça vraiment ringard. Ma rébellion était donc de commencer à écouter du black et du death metal, mais ensuite avec les années tu apprends un peu à étendre ton horizon et à ouvrir un peu plus les yeux. J’écoute tellement de musiques différentes, tu sais, beaucoup de vieux rock n’ roll et des trucs des années 60 et 70. Je pense que plus tu prends de l’âge, plus tu commences à creuser le passé et à vouloir en savoir plus sur l’histoire de la musique où tous ces sous-genres prennent racine. Aujourd’hui, je dois me dire que je sais pourquoi ces trucs classic rock sont considérés comme du classic rock, parce que c’est tellement bien confectionné et ça tourne autour de tous ces groupes auxquels je fais référence, comme Black Sabbath, Deep Purple, Aphrodite’s Child, Blue Öyster Cult et ainsi de suite. Je veux dire que ces groupes sont là depuis une éternité et ce n’est pas pour rien, parce que la musique est vraiment incroyable. Mais je pense que lorsque tu es adolescent tu traverses évidemment des phases et moi, ça m’a poussé vers du metal très sombre et lourd. J’aime toujours ces trucs aussi mais je pense que maintenant j’ai surtout les goûts musicaux d’un vieil homme [rires].
Donc est-ce que ça veut dire que tu n’écoutes pas de musique plus moderne et contemporaine ?
Si. J’écoute tous types de choses, absolument, mais j’écoute une majorité de musique issue des années 70 et 60, ouais.
Dans la biographie promotionnelle qui accompagne l’album, il est écrit que vous jouez du « rock magique ». Est-ce que tu es d’accord avec ce terme ? Qu’est-ce que tu mets derrière ces mots ?
Ouais, c’est moi qui ai inventé ce terme [rires] ! C’est juste que je me suis lassée de l’étiquette rock culte, tu sais, parce que c’est un peu utilisé comme une insulte désormais. Je ne savais pas quelle étiquette donner au groupe, je ne voulais pas écrire que nous sommes un groupe de doom ou çi ou ça. Nous faisons du heavy rock/doom avec beaucoup de contenu magique et je suis une personne très spirituelle, la musique est très chargée en spiritualité et la magie est un genre de thème central dans la musique, que ce soit dans les paroles ou comment je présente le tout, tout le côté visuel mais aussi les nombres. Il y a, d’une certaine façon, une signification derrière chaque nombre qui apparaît dans la musique. Donc ouais, j’ai initié le rock magique. C’est un libellé sympa pour ce genre de truc.
Tu as mentionné qu’il y avait un sens aux nombres dans ton art, as-tu des exemples à nous donner ?
Oui, tu peux trouver de la magie avec les nombres dans les paroles. Je suis très attachée au nombre sept et Lucifer, le nom, a exactement sept lettres. Il y a l’œil de la providence sur l’artwork de l’album, derrière Lucifer, et cet œil brille par sept rayons de lumière sous le logo. Ce sont juste de petites choses comme celles-là. Je sais que je ne suis pas la seule à donner un sens à ce genre de choses mais j’aime faire des choses qui ont des significations et des buts, comme ce genre de petits détails, juste pour moi. Ca fait un peu partie du rituel, j’imagine. Si tu regardes mon nom, Johanna Claudia Sadonis, c’est à chaque fois sept lettres ; sept, sept, sept [petits rires]. Aussi ma date de naissance : vingt-et-un, c’est sept fois trois. Ca revient sans arrêt dans ma vie, tu sais ! C’est un peu fou. Ce nombre sept, sept, sept me poursuit. Et c’est très drôle parce qu’il y avait une chanson de Danzig qui s’appelle « 777 » où il chante « 777 est mon nom » mais en fait c’est mon nom [rires].
Tu as dit que tu étais quelqu’un de très spirituel. Peux-tu nous en dire plus sur ta spiritualité ?
Je dirais que je ne fais partie d’aucun groupe ou organisation religieuse mais j’ai très soif de connaissances et je pense que tu peux piocher dans n’importe quel type de religion, philosophie ou angle de vue sur la vie, etc. En tant qu’individu tu peux tirer les informations importantes qui te correspondent, et c’est différent pour chacun, pour en quelque sorte comprendre la vie, la mort et tout ce qu’il y a au-delà. Du coup, je suis constamment en train de lire et ouvrir mes yeux, à essayer de comprendre le monde dans lequel je vis, ma vie, le fait de devoir mourir et toutes ces choses. J’essaie simplement de me promener les yeux ouverts. Il se trouve que j’applique beaucoup de philosophies mais ça change avec le temps. Je pense qu’on ne devrait jamais arrêter de chercher et d’essayer de comprendre, de considérer différentes perspectives sous lesquelles les gens essaient d’expliquer ces choses et comment les gérer.
« Ouvrez vos yeux ! Essayez de comprendre et ne soyez pas ignorants dans votre vie. Je crois qu’il y a bien plus de beauté lorsqu’effectivement tu cherches à la voir. »
Tu sembles très attachée à comprendre le monde et trouver des significations. Vois-tu ça comme une nécessité pour mieux vivre ta vie ?
Ouais, bon, le fait est que je suis très émotive et la vie est particulièrement accablante pour moi avec de belles choses mais aussi de très tristes. Je pense avoir eu une vie assez extrême, j’ai eu beaucoup de proches qui sont morts et des choses comme ça. Lorsque tu traverses tant de choses horribles dans ta vie, peut-être que tu regardes un peu au-delà des problèmes du quotidien, tu essaies d’avoir une plus grande vue d’ensemble. Mais j’ai été comme ça depuis que je suis une jeune adolescente, je pensais à la mort bien plus que les autres adolescents de mon âge. Tu essaies juste de trouver les clefs pour donner un sens à tout ça parce que ça peut devenir très lourd.
Tu as dit une fois que la dualité entre l’obscurité et la lumière était ce qui t’intéresse le plus. Crois-tu que les deux sont liés, que tu ne peux pas avoir d’obscurité sans lumière et vice versa, et que donc tu épouses les deux ?
Absolument, ouais ! C’est toujours une question de dualité des choses et c’est un principe que tu trouves dans n’importe quelle religion en l’occurrence. Tu sais, tu as le Yin et le Yang, avec le noir et le blanc, ou tu as l’étoile de David avec les deux triangles, l’un qui pointe en bas et l’autre en haut, et ça en fait, c’est un occultisme, un principe magique, « ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ». Tu ne peux donc pas avoir l’un sans l’autre. Cette dualité est pour beaucoup ce que j’applique en miroir dans Lucifer. Tu sais, les gens parfois me demandent : « Oh, Lucifer, le diable… » Mais ce n’est pas le diable, c’est en fait une confusion que les gens font, une incompréhension du personnage. Mais ouais, on a besoin des deux : l’un ne peut exister sans l’autre.
S’il y avait un message derrière ton art, lequel serait-il ?
Si je savais ça… [Petits rires] Je ne pense pas que je suis assez maligne pour donner une réponse intelligente aux gens, car je me regarde moi-même. Mais tout ce que je peux dire c’est : ouvrez vos yeux ! Essayez de comprendre et ne soyez pas ignorants dans votre vie. Je crois qu’il y a bien plus de beauté lorsqu’effectivement tu cherches à la voir.
Dans ta musique, tu emploies un vocabulaire lié à l’occulte qui pourrait être un peu perçu comme cliché, avec des mots comme « Abracadabra » ou « Sabbath », et évidemment le nom du groupe « Lucifer ». Qu’est-ce que ces mots et ces thèmes représentent pour toi ?
Ouais, les gens pourraient dire que c’est un cliché mais ce n’est pas comme si j’avais découvert ça hier. Le fait est que je suis portée sur ce type de musique depuis – laisse-moi calculer [petits rires] – peut-être vingt-trois ou vingt-cinq ans. J’ai été à mon premier concert de metal lorsque j’avais treize ans et j’en ai trente-deux aujourd’hui, et tu sais, l’occulte a toujours fait partie du rock n’ roll et de la musique rock et metal, donc il n’y a rien de nouveau là-dedans et donc ça ne peut être un cliché pour moi. Mais pour ce que ça représente à mes yeux, dans les paroles et les titres de chansons, j’utilise ces symboles ou métaphores très souvent… Bon, évidemment ça veut dire ce que c’est censé vouloir dire mais aussi ça s’entrecroise avec des histoires personnelles. Par exemple, « Anubis », c’est le Dieu des morts dans le livre des morts égyptien et c’est ce qu’il représente dans les paroles, mais il représente aussi une personne particulière dans ma vie. Il y a toujours des métaphores pour les histoires personnelles. Tu sais, il m’est arrivé des choses dans ma vie et je les habille dans un costume différent. Et j’utilise ces symboles et images pour simplement les transposer en chanson. Du coup plus personne ne comprend mais moi je sais ce que ça veut dire.
Penses-tu que ces termes ou idées plutôt simples qui peuvent être perçus comme des clichés, ou comme étant superficiels par certaines personnes, peut en fait être de très bonnes métaphores pour des idées beaucoup plus profondes ?
Ouais, absolument. Par exemple, les démons, tu peux avoir tes propres démons, tu sais, ta part sombre, des choses que tu fais et dont tu n’es pas fier. Ou si tu as fait quelque chose une nuit ou peu importe, c’est peut être le diable qui est en toi. Tu sais, on dit ce genre de choses. Je veux dire que je me fiche pas mal de… Parce que les gens qui me connaissent personnellement savent ce que je veux dire. Les autres n’ont qu’à faire preuve d’imagination [rires].
Parfois, la façon que tu as de chanter et l’atmosphère psychédélique peut rappeler le groupe The Devil’s Blood. Tu sens-tu proche de leur musique et leur imagerie ?
Oui, en fait j’étais amie avec Selim [Lemouchi] et je suis amie avec Farida [Lemouchi], la chanteuse. D’ailleurs je viens juste de la croiser au Roadburn et elle m’a fait un gros bisou sur la joue [rires]. Oui, j’adore ce groupe. Je n’essaie pas de faire ce qu’ils essayaient de faire, je pense simplement que j’ai les mêmes influences, ou similaires. Je sais qu’elle écoute et que Selim écoutait beaucoup de choses que j’écoute. Donc, ce n’est pas comme si j’essayais de copier quelque chose avec Lucifer. Il se trouve juste que nous avions les même influences. Je veux dire que c’est quand même un groupe différent, c’est un style de musique différent mais tu vois bien ce que je veux dire. Mais ça ne me dérange pas non plus parce que j’étais fan de The Devil’s Blood et j’adorais leur musique, et je trouvais que Selim était un compositeur très doué et Farida est une super chanteuse. C’est vraiment dommage ce qu’il s’est passé, tu sais, c’était vraiment horrible lorsque Selim est mort. Il m’a en fait écrit dix jours avant sa mort. Il m’a écrit un email disant qu’il me souhaitait beaucoup de chance et je n’ai jamais eu l’occasion de lui répondre parce que, tu sais, je suis parfois un peu fainéante et je me dis : « Oh, je vais lui écrire demain ! » Et le temps passe et tout d’un coup, il n’est plus là et je n’ai jamais pu lui répondre. C’était donc très triste. C’est un regret mais bon, je suppose que ce qu’il s’est passé avec lui n’était peut-être pas totalement surprenant pour beaucoup de gens. Je ne peux pas trop rentrer dans les détails parce que c’est très personnel mais, ouais, il y a des choses qui annonçaient ce qu’il a fait.
Avec The Oath c’était surtout toi et Linnéa et le reste du line-up qui n’étaient pas vraiment stables. Dirais-tu que désormais tu as quelque chose qui se rapproche plus d’un groupe ?
Oui, absolument. Je sais que les autres gars dans le groupe sont complètement investis. Nous savons tous que Lucifer va certainement requérir beaucoup d’efforts et de temps. Le truc c’est que les autres gars jouent aussi dans d’autres groupes. Ca signifie aussi des sacrifices si nous devons projeter de plus longues tournées et ainsi de suite, et ensuite, il faut que tu détermines tes priorités et j’ai un bon pressentiment pour les autres. Je crois que tout le monde dans le groupe aujourd’hui est très excité à ce sujet.
« Si je regarde un groupe comme Led Zeppelin ou Kiss, ils montrent leurs putains de poils de torse et se dandinent sur scène, jouant les sex symbols, etc. ! [Donc] je pense que c’est bien pour une femme d’essayer d’avoir une belle image si les qualités musicales sont bel et bien là. »
Lee Dorian a d’ailleurs mentionné que vous étiez une priorité pour le label…
Ouais, la pression est sur nous ! [Rires]
Peut-être que vous serez le prochain Ghost, un groupe qu’il a signé pour leur premier album et qui sont désormais en train de devenir énormes…
Ouais [rires]. Ghost est un super groupe. Nous avons tourné avec eux une fois, avec The Oath, il y a trois ans. Ouais, ce sont des amis à moi. Un super groupe ! Je suis vraiment curieuse de voir ce qu’ils vont faire pour leur prochain album. J’espère qu’ils reviendront aux racines du premier album, avec ce genre de son plus old school. J’aime vraiment ça.
Tu n’as pas aimé leur second album ?
Si, j’ai aimé d’un point de vue composition mais je trouve, il faut que je sois honnête, que la production était un peu trop lisse et moderne pour moi. Je préfère la production du premier album. Mais c’était un chouette album. Je l’ai. Je l’ai même acheté, je ne l’ai pas réclamé [rires] !
J’ai lu quelque chose d’assez surprenant à ton sujet : tu préfères en fait être en studio plutôt que de jouer en concert. Comment expliquer ça, dans la mesure où les musiciens rock et metal disent généralement le contraire ?
Ouais, ça à voir avec… Ca ne paraît peut-être pas mais je suis assez timide. J’aime effectivement être en studio et faire de la musique, la créer et chanter mais lorsque tu es sur scène et que tu n’as pas une guitare ou un kit de batterie pour te cacher derrière, et parce que je suis un peu timide, c’est vraiment horrible pour moi de faire le clown sur scène. Tu sais que les gens te regardent et qu’ils s’attendent à ce que tu fasses quelque chose. Pas que je me comparerais à Jim Morrison mais je sais qu’il était très timide et qu’il avait pour habitude de jouer dos au public au début. Mais je dois dire qu’on vient juste de jouer au Roadburn et avant ça j’ai eu quatre petits concerts d’échauffement, et en fait c’était tellement amusant, surtout le concert du Roadburn, que je pense que j’ai maintenant changé d’avis [rires] ! J’ai vraiment tellement apprécié ces quelques concerts passés avec Lucifer que j’ai hâte d’être aux prochains concerts, ce qui n’a pas toujours été le cas dans ma vie. Donc peut-être que c’est en train de changer, avec un peu de chance !
En lisant certaines interviews j’ai remarqué comme tu étais un peu en colère vis-à-vis de la façon dont les filles dans le metal étaient souvent considérées plus pour leur physique que le fait d’être musiciennes. Penses-tu malgré tout que ce soit en train de changer ?
[Hésite] Je l’espère. Le truc c’est que… Bon, je suis certaine que tu peux comprendre. Si tu étais un gars dans un groupe et que les gens n’arrêtaient pas de te demander : « Qu’est-ce que ça fait d’être un homme dans un groupe ? » [Rires] C’est un peu agaçant, tu sais. Mais d’un autre côté, lorsque tu es une fille qui a grandi dans la scène metal, tu as un peu l’habitude et je pense que ça s’améliore. Le fait est qu’il y a toujours eu des femmes dans le rock et le heavy metal mais j’ai l’impression que là tout de suite il y en a un peu plus, parce que j’ai l’impression que ce type de sujet revient souvent maintenant dans les médias. Par exemple, je crois que c’était la chanteuse d’Arch Enemy qui a dit quelque chose comme : « Eh bien, c’est quoi cette connerie ? Ce n’est pas un genre de faire du ‘metal à chanteuse’ ! » Ce n’est pas un genre, ça ne dit rien du tout par rapport à si tu joues du doom ou du rock n’ roll ou peu importe. Le simple fait d’avoir des nichons ou je ne sais quoi ne dit rien du tout sur la musique ! Et c’est vrai. Mais je pense que c’est en train de devenir moins un problème, j’espère, parce que les gens en parlent plus.
Mais est-ce que ça ne pourrait pas aussi être parce que certaines filles mettent en avant une sorte d’image superficielle plutôt que de se présenter comme des musiciennes ?
Ouais mais pas toutes. Je veux dire, ouais, ok, si une fille fait ça, ok, c’est son putain de problème. Mais je pense que si tu te présentes comme musicienne… Par exemple, avec l’artwork de The Oath, Linnéa et moi portions toutes les deux des vestes en cuir, donc je lisais des commentaires stupides du style : « Oh, en voyant les deux nanas blondes sur l’artwork, je n’ai même pas besoin d’écouter la musique pour savoir que ça craint sûrement ! » [Petits rires] Et je trouvais ça tellement injuste ! Bon, est-ce qu’il faut que je m’habille comme un mec à cause de ça ? Je ne crois pas ! Si je regarde un groupe comme Led Zeppelin ou Kiss, ils montrent leurs putains de poils de torse et se dandinent sur scène, jouant les sex symbols, etc. ! Dans une certaine mesure ça ne pose pas de problème de… Je veux dire qu’évidemment il y a une limite à tout. Si je cours dans tous les sens avec des nibards en silicones… Tout dépend comment tu le vends mais je pense que ça ne devrait pas poser de problème de… J’estime que les aspects visuels d’un groupe sont très importants. Lorsque je vais à un concert, je ne veux pas voir un groupe en jean et T-Shirt jaune acheté chez H&M. J’aime la présentation d’un groupe et je trouve que ça fait partie du rituel de faire passer le message que contient la musique. C’est prévu pour tous les sens, pour l’esprit, pour les oreilles, pour les yeux, tout. Donc je pense que ce n’est pas un problème de se vendre. Bien sûr, si tu joues la stupide petite Lolita, alors c’est une tout autre histoire. Mais je pense que c’est bien pour une femme d’essayer d’avoir une belle image si les qualités musicales sont bel et bien là. Evidemment la première chose qui doit être correcte c’est la musique.
Interviews réalisées par téléphone les 29 avril 2015 par Nicolas Gricourt.
Retranscription et traduction : Nicolas Gricourt.
Photos promo : Ester Segarra.
Page Facebook officielle de Lucifer : www.facebook.com/luciferofficial.
Gary Jennings est un dieu amen
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